Démonstration évangélique

LIVRE I

CHAPITRE VI
DE LA VIE QUE CHRIST A ANNONCÉE AUX HOMMES EN LA NOUVELLE ALLIANCE

De même que les nations ont appris par l’Evangile du Christ et dans les institutions de Moïse à suivre la vertu et à fonder leurs institutions sur la religion, ainsi ces hommes des anciens jours ont-ils connu la piété. Point de circoncision pour eux ; car nous n’y sommes pas soumis, point d’abstinence de la chair de certains animaux ; car nous n’y sommes pas obligés. Aussi Melchisédech, que Moïse nous représente, n’était ni circoncis, ni sacré de l’huile dont Moïse a réglé la composition. Il ignorait le sabbat et toutes les lois que ce législateur a données à la nation juive ; mais il suivait l’Evangile du Christ.

Cependant Moïse nous dit qu’il fut prêtre du Très-Haut, et bien supérieur à Abraham lui-même. Aussi le voyons-nous bénir Abraham.

Tel fut Noé, le juste de son siècle, qui, au milieu de la destruction générale du genre humain dans les eaux du déluge, seul fut conservé par la main du Dieu de toute créature, comme une étincelle d’un feu éteint, et le germe de l’humanité. Quoiqu’il ne connût pas les coutumes des Juifs, ni la circoncision, ni les autres cérémonies prescrites par Moïse, cependant le seul peut – être il est appelé juste. Avant lui vécut Enoch qui, agréable à Dieu, disent les saints livres, fut enlevé au ciel, afin qu’on ne vit point sa mort. Toutefois il ne pratiqua pas la circoncision ni les institutions de Moïse ; il vécut en chrétien et non en juif.

Lorsqu’Abraham, qui naquit après ces saints patriarches, et à une époque moins reculée, fut avancé en âge, il se circoncit afin de donner à ceux qui devaient sortir de sa race comme un signe de reconnaissance. Mais avant qu’il eût engendré, avant la circoncision, en s’écartant du culte des idoles, en confessant un Dieu suprême et unique, en suivant les préceptes de la vertu, il vécut en chrétien et nullement en juif. L’Ecriture lui rend témoignage qu’il a suivi les dispositions, les ordonnances, les préceptes et les cérémonies que Dieu avait établis avant la loi de Moïse. Aussi en révélant l’avenir à Isaac, Dieu dit : « Je donnerai à votre postérité, tous ces pays que vous voyez, et toutes les nations de la terre seront bénies dans celui qui naîtra de vous, parce qu’Abraham votre père à obéi à ma voix, et qu’il a gardé mes ordonnances et mes commandements, et qu’il a observé les cérémonies et les préceptes que je lui ai donnés » (Gen., XXVI, 3). Car même avant la loi de Moïse, Dieu avait ses commandements et ses préceptes, non pas ceux de Moïse, mais les ordonnances et les lois du Christ qui ont justifié ces pieux croyants. Moïse lui-même fait sentir clairement la différence de ces lois par ces paroles qu’il adresse au peuple : « Ecoutez, Israël, (Deut., V, 1) les préceptes et les ordonnances que je vous déclare aujourd’hui, apprenez-les et pratiquez-les. Le Seigneur votre Dieu a fait alliance avec nous sur le mont Horeb, il n’a pas fait alliance avec nos pères, mais avec vous. »

Et remarquez comme il observe que cette alliance n’a pas été faite avec leurs pères. S’il eût dit que Dieu n’avait pas donné d’alliance à leurs pères, ses paroles n’eussent pas été vraies car Abraham, Noé ont eu leur alliance, comme l’attestent les oracles sacrés. Aussi lorsque le saint législateur ajoute que ce testament n’a pas été donné à leurs pères, il laisse à entendre qu’ils en ont eu un autre, supérieur et bien préférable, qui a manifesté leur fidélité. Moïse rendit à Abraham ce témoignage, qu’il a été justifié par sa foi au Dieu de l’univers ; il dit : « Abraham crut à Dieu, et sa foi lui fut imputée à justice » (Gen., XV, 6). Or, qu’il n’ait reçu le signe de la circoncision qu’après avoir suivi la justice, et avoir obtenu le témoignage que méritait sa piété, et que ce caractère ne lui ait pas été utile pour atteindre la perfection de la foi, c’est ce qui résulte clairement de ces paroles. Joseph vécut aussi dans les palais d’Egypte en grande liberté et sans s’inquiéter des institutions des Juifs.

Enfin si vous voulez arrêter vos yeux sur le grand législateur, et le chef de la nation juive, sur Moïse, vous le verrez dès son enfance vivre auprès de la fille du roi d’Egypte, et pratiquer les usages de ce peuple. Que dire du bienheureux Job, de cet homme simple, sans reproche, juste et religieux ? Comment s’est-il élevé à un si haut point de piété et de justice ? Ce n’est pas par les enseignements de Moïse ? non assurément. Observait-il le sabbat ou quelque autre des coutumes aux quelles les Juifs sont si attachés ? Mais comment l’eût-il pu à une époque si antérieure à Moïse et à ses lois : car si Moïse est séparé d’Abraham de sept générations, il n’y en a que cinq entre le père des croyants et Job, qui vécut ainsi deux âges d’hommes avant Moïse. Examinez donc sa vie qui n’a rien des pratiques mosaïques, mais qui se rapproche des enseignements évangéliques de notre Sauveur. Lorsque cet homme juste expose sa vie à ses amis, pour se justifier à leurs yeux, il dit : « Car j’ai délivré le faible des mains du puissant, j’ai protégé l’orphelin sans secours, la bouche de la veuve m’a béni, et la justice a fait mon vêtement ; je me suis orné de l’équité, comme d’un double vêtement, je fus l’œil des aveugles, le pied du boiteux, je fus le père des faibles » (Job, XXIX, 10). Or tels sont les enseignements que l’Evangile nous adresse.

Bien plus, comme s’il eût su pleurer avec ceux qui pleurent (Rom., XII, 15), et que bienheureux sont ceux qui pleurent, parce qu’ils riront, et que dès qu’un membre souffre, tous les autres souffrent avec lui (1 Cor., XII, 26), selon les enseignements de l’Evangile, Job témoignait sa compassion pour ceux qui souffraient sur la terre. « Pour moi, dit-il, j’ai pleuré sur le faible, et j’ai gémi sur l’homme plongé dans la détresse. » La doctrine évangélique prohibe les ris immodérés, et cet homme bienheureux anticipe sur elle et dit : « Si j’ai marché avec les contempteurs, et si mes pieds se sont hâtés pour la fraude ; mais je suis demeuré dans la balance de la justice, et le Seigneur connaît mon innocence » (Job, XXXI, 5). La loi de Moïse contient cette prescription : « Vous ne commettrez point d’adultère » (Exode, XX, 14) et fixe la mort comme le châtiment des transgresseurs ; le législateur qui a établi les lois de la doctrine évangélique a parlé ainsi : Il a été dit aux anciens : vous ne commettrez point l’adultère ; pour moi, je vous dis de ne pas le désirer » (Matth., V, 27). Et remarquez que cet homme vénérable dont nous parlons ici, qui vivait selon l’Evangile du Christ, se gardait même de jeter un regard trop libre, et se glorifiait ainsi de sa retenue : Si mon cœur a suivi mes yeux sur la femme d’un homme » (Job, XXXI, 7). Et voici la raison qu’il donne de sa retenue : « Le cœur de l’homme qui, sans force sur lui-même, souille une épouse, est un feu qui dévore tous les jours ce qu’il a atteint ; il le consume jusqu’à la racine. » Job montre aussi son caractère incorruptible : « Si j’ai reçu des présents en mes mains, que je sème et que d’autres mangent les fruits, et que je demeure sans postérité sur la terre. » Les paroles qu’il prononce encore nous pourront faire comprendre comment il agissait envers ses serviteurs : « Si j’ai dédaigné la plainte de mon serviteur ou de ma servante, lorsqu’ils élevaient la voix contre moi. » Et voici le motif : « Que ferai-je, dit-il, si Dieu me juge ? Si je suis fait de chair, n’ont-ils pas la même origine ? Nous avons tous été conçus dans le même sein. Il ajoute : « Je n’ai point épuisé de larmes l’œil de la veuve : si j’ai mangé seul mon pain ; si je ne l’ai pas partagé avec l’orphelin ; si j’ai vu le pauvre mourir de froid, sans le revêtir. » Il dit ensuite : « Si j’ai mis ma confiance dans les pierres précieuses ; si j’ai placé ma joie dans mes richesses, et ma force en mes trésors innombrables. » Et voici la raison de sa modération : « Ne voyons-nous pas le soleil se lever et s’éteindre, et la lune disparaître ? » Si l’Evangile dit : « Il a été dit aux anciens : « Vous aimerez votre prochain, et vous haïrez votre ennemi. Et moi je vous dis, aimez vos ennemis » (Matth., V, 40), prévenant la parole de Jésus par l’enseignement de son cœur, cet homme admirable l’accomplit dès lors : « Si je me suis réjouis, dit-il, de la ruine de mon ennemi, et si mon cœur a dit ; Bien, que la malédiction vienne frapper mes oreilles ; » et il ajoute : « L’étranger n’est pas demeuré hors de ma demeure ; ma porte a été ouverte au voyageur ; » parce que ce saint patriarche n’était pas étranger à celui qui a dit : « J’étais voyageur et vous m’avez recueilli » (Id., XXV, 35). Ecoutez encore ce qu’il ressent pour les péchés qui lui sont échappés. « Si, lorsque j’ai failli sans le vouloir, j’ai dissimulé mon iniquité, car je n’ai pas redouté la turbulence de la multitude au point de ne le confesser pas en sa présence ; si j’ai souffert que l’indigent se retirât les mains vides ; si je n’ai pas craint le Seigneur, et si je n’ai pas rendu à mon débiteur son obligation déchirée sans rien exiger de lui » (Job, XXXI, 33). Et comme il est permis de conjecturer par la vie d’un seul d’entre eux, quelle était celle des autres, tels furent les assauts mémorables que les adorateurs du vrai Dieu avant Moïse soutinrent pour la religion, et qui leur ont mérité le titre d’amis et de prophètes, et alors quel besoin pouvaient-ils avoir des préceptes de Moïse destinés à des hommes grossiers et pervers ?

Ainsi donc la voix du Christ a annoncé à toutes les nations l’ancien culte de nos pères, de sorte que la nouvelle alliance est celle qui dominait les mœurs antiques même avant les temps de Moïse, et nous pouvons l’appeler ancienne et nouvelle : ancienne, nous l’avons fait voir ; nouvelle, parce qu’oubliée des hommes en quelque sorte, pendant de longues années, elle a semblé revivre par la prédication de notre Sauveur, ce qui n’eut lieu que lorsque l’alliance étant comme cachée et tenue dans le silence, la loi de Moïse fut donnée comme tuteur, comme gouverneur de ces âmes faibles et imparfaites, et comme médecin pour guérir la nation juive de la fatale maladie de l’Egypte, et pour former à une vie moins élevée et moins parfaite les descendants d’Abraham, qui n’étaient pas capables de s’élever à la piété de leurs ancêtres.

En effet, puisqu’après la mort des saints patriarches entraînés par les usages des Egyptiens au milieu desquels ils vivaient, ils se livrèrent, comme je l’ai déjà dit, aux superstitions du polythéisme, de sorte qu’ils semblaient ne rien avoir qui les en distinguât, et adoptèrent leur culte erroné des idoles et leurs autres crimes, c’est avec raison que Moïse, pour les retirer de cet abîme d’iniquité, les éloigna du culte impie des dieux, et les ramena à la religion du Dieu de l’univers, en établissant ce fondement premier comme le vestibule et le portique d’un culte plus parfait. Plus tard il défendit le meurtre, l’adultère, le vol, le parjure, la fornication, l’inceste et tous les crimes que les hommes pouvaient alors commettre impunément. Il changea leur vie âpre et grossière en une conduite raisonnable et régulière par ses constitutions écrites qui furent les premières que les hommes d’alors eussent vues. Or, après avoir interdit le culte des idoles à ces cœurs imparfaits, il leur ordonna d’honorer l’unique Dieu du monde par des sacrifices et des cérémonies corporelles. Il voulut qu’on se consacrât à son service par des symboles secrets mais comme l’Esprit divin lui fit comprendre que cette religion ne pourrait subsister toujours, il l’attacha à une contrée, fixant que l’on ne devrait en accomplir les rites qu’en ce lieu. Jérusalem fut choisie : hors de son enceinte, les cérémonies n’étaient plus licites. C’est pourquoi aujourd’hui encore il n’est pas permis aux Hébreux de choisir hors de leur métropole un lieu pour sacrifier suivant la loi, d’élever un temple ou un autel, d’oindre des prêtres ou des rois, ni de célébrer les solennités et les fêtes que Moïse a instituées, de se purifier de leurs souillures, de se décharger du poids de leurs péchés, d’offrir au Seigneur leurs présents ou la victime légale de propitiation. Aussi encourent ils justement l’exécration de Moïse, puisqu’ils n’observent qu’une partie de la loi et ne l’accomplissent pas en sa totalité. Leur législateur dit en effet fort positivement : Maudit celui qui ne demeure pas dans l’observation des commandements de la loi (Deut., XXVII, 26). Ils sont donc déjà sortis de son observance, suivant la prédiction que Moïse, inspiré de l’Esprit saint, avait faite, que lorsque une alliance nouvelle serait sanctionnée par le Christ et annoncée aux nations, celle qu’il avait établie serait abrogée. Il fixa avec sagesse cette alliance à un lieu, afin que si jamais son peuple en était chassé, et perdait l’indépendance dont il jouissait en sa patrie, il ne pût accomplir en d’autres contrées les préceptes qu’il lui avait donnés, et pour qu’il lui fût nécessaire de recevoir la seconde alliance annoncée par le Christ.

Quand après cette prédiction de Moïse, le Christ eût achevé sa vie, et offert aux nations les préceptes de son Testament, aussitôt les Romains cernèrent la ville et la détruisirent avec son temple. Alors furent abolies aussi les institutions de Moïse et les observances que l’on gardait encore, et la malédiction s’appesantit sur la tête de ceux qui suivaient encore la loi, et pour cela ils durent subir cette exécration. A l’Ancien Testament, succédèrent alors les commandements d’une alliance nouvelle et parfaite. C’est pourquoi le Sauveur et Seigneur dit à ceux qui croyaient qu’il fallait adorer Dieu à Jérusalem seulement, sur certaines montagnes ou dans des lieux déterminés : L’heure vient, et elle est maintenant où les vrais adorateurs n’adoreront le père ni sur cette montagne, ni à Jérusalem ; car Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité (Jean, IV, 23).

Quelque temps après cette prédiction, Jérusalem fut emportée d’assaut, le lieu saint fut profané, l’autel détruit, et le culte établi par Moïse, aboli. Alors apparut à tous les hommes avec un vif éclat la religion antique suivie par ceux qui furent fidèles à Dieu avant Moïse, et cette bénédiction promise aux nations, qui élevait ceux qui y recouraient des premiers degrés de la religion et des éléments du culte mosaïque à une vie meilleure et plus parfaite. Ce culte des bienheureux et des fidèles patriarches du temps d’Abraham, qui n’était attaché à aucun lieu, ni à des symboles ou des cérémonies, mais était, comme le dit notre Sauveur et maître, une adoration d’esprit et de vérité, la venue du Sauveur sur la terre le répandit alors chez les Gentils.

Les prophètes anciens avaient eu connaissance de ce merveilleux changement ; Sophonie dit clairement : Le Seigneur va apparaitre ; il détruira les dieux des nations, et chacun l’adorera en sa patrie (Soph., II, 11). Malachie, s’adressant à ceux de la circoncision, parle ainsi de ce qui arrivera aux nations : Telle n’est pas ma volonté, dit le Seigneur tout-puissant, et je ne recevrai pas de sacrifices de vos mains ; car depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher, mon nom est glorifié parmi les nations ; et en tout lieu est offert à mon nom un sacrifice et une victime pure (Mal., I, 10). Or, quand le prophète dit qu’en tout lieu on offrira de l’encens et des victimes au Seigneur, qu’entend-il sinon que ce ne sera plus à Jérusalem, ni dans un lieu précis, mais en toute contrée, et chez toute nation que l’on offrira au Dieu suprême le parfum de la prière et l’oblation immaculée, non pas du sang des victimes, mais des bonnes actions. C’est le cri prophétique que fit entendre Isaïe, quand il dit : « Sur la terre d’Egypte un autel sera élevé au Seigneur, le Seigneur sera reconnu par l’Egypte, il lui enverra un homme pour la sauver. Les Egyptiens en ce jour connaîtront le Seigneur, ils lui offriront leurs sacrifices, et accompliront les vœux qu’ils auront formés, et retourneront vers lui. Le Seigneur s’apaisera et les guérira » (Is., XIX, 19).

Parlons-nous d’un changement dans la loi de Moïse ou plutôt de sa fin et de son abolition annoncées par les paroles des prophètes ? Moïse ordonne par sa loi de n’élever d’autel, de n’offrir de sacrifices que dans la terre de Judée, et désigne en cette contrée une ville unique pour lieu de la prière. La prophétie annonce qu’un autel sera élevé au Seigneur sur la terre d’Égypte, que les Égyptiens eux-mêmes laisseront les rites des dieux de leurs ancêtres pour pratiquer le culte du Dieu des prophètes, entraînés non par Moïse ni un autre prophète, mais par un homme nouveau envoyé de Dieu à tous les peuples.

Or, si l’autel est abandonné contre les institutions de Moïse, il est de toute nécessité que la loi de ce législateur le soit aussi ; siles Egyptiens sacrifient en l’honneur du Dieu suprême, il faut encore qu’ils acquièrent l’honneur du sacerdoce. S’ils sont décorés de ce glorieux caractère, tout ce que Moïse a décidé par rapport aux lévites et aux enfants d’Aaron, devient inutile aux Egyptiens. C’était donc l’heure d’établir une nouvelle loi pour confirmer ce qui avait été annoncé. Quoi donc ? Cette prédiction fut-elle faite au hasard ? Est-elle vérifiée par l’événement ? Mais voyez si maintenant, aux jours où nous vivons, et les Egyptiens, et tous les peuples livrés autrefois à l’idolâtrie et que l’oracle sacré a désignés sous le nom d’Egyptiens délivrés de la servitude du démon et des erreurs de l’idolâtrie, n’invoquent pas le Dieu des prophètes. Ce n’est plus à une multitude de divinités, mais au seul Seigneur qu’ils offrent leurs vœux, suivant la prophétie : c’est à sa gloire que sur la face du monde, s’élève l’autel d’une victime d’intelligence et non sanglante immolée suivant les mystères de la nouvelle alliance. Dans cette Egypte, au sein des nations qui suivaient les erreurs de l’Egypte en leur culte, aujourd’hui la connaissance du Dieu du monde a confirmé par ses lumières la foi des oracles sacrés, d’une manière inébranlable.

Si, frappé d’événements si merveilleux dont on n’attend plus le jour comme autrefois, vous en cherchez l’origine, vous ne trouverez que le moment de la manifestation du salut. C’est donc le Christ que désignait l’oracle en disant que le Dieu de l’univers, que le Seigneur enverrait aux Egyptiens un homme qui les sauverait ; lui que Moïse annonçait en disant : Un homme sortira de sa race et dominera la multitude des nations (Nomb., XXIV, 5), et parmi ces nations, il faut compter les Egyptiens. Mais il serait long de traiter celle particularité, et nous devons être concis. Observons pour l’instant que ces paroles n’eurent leur accomplissement qu’après la manifestation du Sauveur Jésus. Dès lors et jusqu’à ce jour, les Egyptiens, les Perses, les Syriens, les Arméniens, les Barbares les plus reculés, les nations les plus féroces et les plus sauvages, au sein des îles, car le prophète n’a pas dédaigné d’en faire mention ; partout la loi que suivit Abraham, et le culte ancien et primitif sont en honneur. Qui n’admirerait pas une chose aussi frappante ? Les nations qui, depuis des siècles, rendaient les honneurs divins aux pierres, au bois, aux démons, aux bêtes qui se repaissaient de la chair de l’homme, aux reptiles venimeux, aux monstres informes, au feu et à la terre, et à tous les éléments insensibles, depuis la venue de notre Sauveur adorent le Dieu suprême, le créateur du ciel et de la terre, le Seigneur des prophètes, le Dieu d’Abraham et de ses pères. Ceux dont naguère la passion ne respectait ni leurs mères, ni leurs filles, qui se corrompaient à l’envi et se souillaient de meurtres et de turpitudes de toute espèce ; ceux qui, par leur cruauté, ne différaient en rien des animaux les plus féroces, changés maintenant par la divine vertu de notre Sauveur, et devenus comme d’autres hommes, se rendent avec empressement aux enseignements publics, afin de graver en leur cœur les préceptes de la vertu et de la sagesse. Ainsi tous hommes ou femmes, pauvres ou riches, savants ou ignorants, les enfants même ou les esclaves à la ville ou à la campagne, se réunissent pour connaître cette philosophie céleste qui enseigne à ne jamais jeter des regards licencieux, à ne pas proférer de paroles inutiles, à ne pas suivre la coutume et l’usage, pour apprendre le culte qu’il faut rendre au Dieu suprême, et par lequel il faut l’honorer en tout lieu suivant la prophétie : « et chacun l’adorera en sa patrie » (Soph, II, 11).

Grecs ou Barbares, tous adorent donc le Dieu de l’univers, non pas en courant à Jérusalem, ni en se purifiant par le sang des victimes, et les sacrifices, mais chacun, retiré en sa maison, lui offre en esprit et en vérité une hostie non sanglante et pure.

Telle est la nouvelle alliance, bien différente de l’ancienne, et par l’ancienne il faut que vous entendiez non pas celle qui fit chérir de Dieu les fidèles qui précédèrent Moïse, mais celle que Moïse lui-même a donnée au peuple juif. Aussi, pour faire sentir quelle est cette alliance qu’il dit ancienne et si différente de la nouvelle, l’oracle divin ajoute : « J’établirai une nouvelle alliance, non pas selon l’alliance que j’ai formée avec leurs pères, du jour où je les ai tirés de la terre d’Egypte » (Jérém., XXXI, 32). Il dit donc qu’elle ne sera pas comme l’alliance qu’il a établie par le ministères de Moïse, comme celle qu’il a faite avec les Juifs au moment de la sortie de l’Egypte. Mais il eût semblé introduire une contraire au culte que suivirent les fidèles semblables à Abraham, s’il n’eût ajouté ces paroles si claires : « Non pas selon l’alliance que j’ai formée avec leurs pères, au jour où je les ai tirés de l’Egypte. » Le Seigneur assure donc que cette alliance ne ressemblera pas à celle que Moïse donna aux Juifs à la sortie d’Egypte, et pendant leur séjour dans le désert, mais à l’alliance que suivirent ceux qui précédèrent Moïse, et dont l’observance leur mérita un glorieux témoignage.

Vous pourrez donc avec assurance diviser les divers cultes non pas en deux, mais en trois ordres : l’un, de ceux qui plongés dans l’idolâtrie se sont livrés à toutes les erreurs du paganisme ; l’autre, de ceux qui par la circoncision ordonnée par Moïse, ont atteint le premier degré de la piété ; le troisième, enfin, des fidèles qui par l’enseignement évangélique se sont élevés jusqu’à la perfection.

Or, si vous placez ce dernier entre les deux autres, ne pensez plus que ceux qui se séparaient des Juifs dussent nécessairement suivre l’erreur des Grecs, ni que ceux qui abandonnaient ce culte insensé fussent forcés d’embrasser le judaïsme ; mais considérez le culte de ceux que vous avez placés entre les premiers, vous trouverez qu’il s’élève au-dessus des autres, et que, comme situé en un lieu élevé, il voit au-dessous de lui ces autres cultes. Il est pur des superstitions erronées et impies de la Grèce, de ses dissolutions et de ses désordres : il est dégagé des pratiques mosaïques imparfaites et comme tracées pour l’enfance et la faiblesse. Dans les lois qu’il impose comme propres, dès le commencement, non seulement aux Juifs, mais encore aux Grecs et aux Barbares, écoutez comme il parle : O homme ! ô race entière des hommes ! loi de Moïse ne s’adressait qu’à un seul peuple, à la première de toutes les nations, aux Juifs, en considération des promesses faites à leurs pères, les amis de Dieu ; elle les appelait à la connaissance d’un Dieu unique, afin de délivrer ceux qui seraient dociles à sa voix, de la servitude pesante du démon pour moi, je révèle à tous les hommes, à toutes les nations de la terre, une connaissance de Dieu bien plus sublime, un culte plus élevé, pour qu’ils imitent la vie de ceux qui ont vécu avec Abraham ou qui ont précédé les jours de Moïse au sein même des autres nations, et dont la mémoire est en honneur à cause de leur piété. Et encore : La loi de Moïse en joignait à ceux qui voulaient le suivre, d’accourir en un lieu unique de la terre : pour moi, je forme tous les hommes à une liberté sainte ; je leur apprends non à chercher le Dieu du monde dans un coin de la terre, sur les montagnes ou dans des temples construits de la main des hommes, mais à l’honorer et à l’invoquer chacun en sa demeure. Ou bien l’ancienne loi ordonnait des oblations, le sang des animaux, l’encens et le feu, et d’autres rites corporels semblables, pour honorer le Dieu de l’univers. Pour moi, je révèle les mystères spirituels, j’apprends à honorer Dieu par la pureté des affections et la simplicité de l’esprit, par la sagesse et la vertu, par des pensées droites et pieuses. Et encore : Moïse s’adressait à des hommes entraînés au meurtre, comme ils l’étaient en ses jours ; ne tuez pas, leur dit-il et moi, à des hommes qui ont déjà reçu ce précepte, qui se sont formés à l’accomplir, je donne un commandement plus parfait, celui de ne jamais se mettre en colère. Moïse ordonnait à des impudiques et à des voluptueux de ne pas commettre d’adultère, de fuir les plaisirs contre nature, menaçant de la mort les transgresseurs : et moi, je veux même que mes disciples ne regardent pas une femme avec un désir déréglé. Moïse disait : Vous ne vous parjurerez pas ; mais vous rendrez au Seigneur ce que vous avez voué. Pour moi, je vous dis de ne jurer en aucune sorte : mais que votre discours soit : oui, oui ; non, non. Car ce qui est de plus vient du père du mal. Et aussi il a ordonné de repousser l’injure et de se venger, en disant : Œil pour œil, dent pour dent ; et moi, je vous dis de ne point résister au méchant ; mais si quelqu’un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui aussi l’autre. Et abandonnez encore votre manteau à celui qui veut disputer en jugement avec vous, et vous enlever votre tunique (Matth., V, 37). Et puis, Moïse voulait qu’on chérit son ami, qu’on détestât son ennemi ; et moi je vous ordonne dans la surabondance d’humanité et de clémence d’aimer vos ennemis, de prier pour ceux qui vous persécutent, afin que vous soyez le fils de votre Père céleste, qui fait lever son soleil sur les méchants et les bons, et répand la pluie bienfaisante sur les justes et les injustes. Moïse se pliait à la dureté de son peuple, il donnait sagement à son inquiète ardeur un culte différent de l’ancien et bien moins sublime ; et moi, j’appelle tous les hommes à la vie pieuse et sainte des anciens fidèles. Enfin Moïse promit une terre où coulaient le lait et le miel, aux Juifs comme à des enfants, et moi je conduis au royaume du ciel ceux qui peuvent comprendre.

Telle est la bonne nouvelle que le Nouveau Testament annonce aux nations par les enseignements du Christ tel est le précepte que le Christ de Dieu ordonne à ses disciples de porter aux nations, en disant : « Allez, prêchez votre doctrine à tous les peuples, leur enseignant à garder tout ce que je vous ai appris. » Or, en léguant à tous les hommes, aux Grecs comme aux Barbares, l’observation de ces commandements, il a montré quel était le christianisme, quels nous étions, quelles lois et quels préceptes il enseignait, lui, notre Sauveur et Seigneur Jésus, le Christ, Fils de Dieu, qui a fondé sur la terre cette société nouvelle et livrée à la pratique de la vertu, de sorte que tous peuvent étudier ses préceptes et les pratiquer, hommes et femmes, riches et pauvres, libres et esclaves. Cependant l’auteur de cette nouvelle loi a vécu suivant la loi de Moïse ; et ce qui est admirable, c’est que pour établir l’alliance de l’Evangile, le nouveau législateur n’a pas traité la loi de Moïse comme opposée et contraire à la sienne. Car s’il eût paru établir une législation rivale de celle de Moïse, il eût offert à d’impies sectaires l’occasion de blasphémer les préceptes de Moïse et des prophètes, et un juste motif de l’accuser de conspirer contre la loi, aux circoncis qui tramèrent sa mort comme celle d’un transgresseur et d’un apostat.

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