Démonstration évangélique

LIVRE III

CHAPITRE III
CONTRE CEUX QUI CROIENT QUE LE CHRIST DE DIEU FUT UN IMPOSTEUR

Qu’on nous dise si jamais l’histoire a parlé d’un séducteur qui n’enseigna aux victimes de ses charmes que la mansuétude, la probité, la tempérance et les autres vertus, et s’il est juste de flétrir de ce nom infâme celui qui défend de regarder une femme avec un mauvais désir ; qu’on nous dise s’il fut un séducteur, celui qui enseigna la philosophie la plus sublime, et qui apprit à ses disciples à partager leurs biens avec les pauvres, à estimer l’amour du travail et la libéralité ; qu’on nous dise enfin s’il fut un imposteur celui qui éloigna l’homme de la multitude et du tumulte du monde pour lui inspirer l’amour de la science divine ; comment traiter de fourbe celui qui éloigna toute duplicité, et exhorta chacun de ses fidèles à vénérer la vérité ; celui qui défendit de jurer et bien plus encore de se parjurer : « Que votre parole, dit-il, soit oui, oui ; non, non » (Matth., V, 37). Qu’est-il besoin que je réunisse plus de preuves, lorsque tout ce qui a été dit plus haut peut faire connaître les principes de la vie nouvelle qu’il a offerte aux hommes. Aussi tout ami de la vérité confessera-t-il que loin d’être un imposteur, le Christ fut un être divin et apprit aux hommes une philosophie sainte et divine, et non pas les vaines spéculations qui partagent le monde. Seul il a renouvelé l’antique vie des patriarches oubliée depuis longtemps, et lui a attiré non pas un petit nombre d’adeptes, mais tout l’univers, ainsi que nous l’avons montré dans le premier livre de cet ouvrage. Aussi peut-on montrer aujourd’hui une multitude innombrable adonnée à la pratique des vertus qui ont sanctifié Abraham et les patriarches, et non seulement parmi les Grecs, mais encore parmi les Barbares. Telles sont les règles de mœurs de son enseignement, voyons donc si le nom d’imposteur lui est applicable pour les principaux de ses dogmes. N’est-il pas écrit de lui que fidèle au culte du Dieu unique, souverain maître et créateur du ciel, de la terre, du monde entier, il y avait ses disciples. Les préceptes de sa doctrine n’élèvent-ils pas et Grecs et Barbares au-dessus des choses créées jusque dans le sein de Dieu ? Fut-il donc un imposteur, parce qu’il ne permit pas de tomber des connaissances sublimes de la vraie théologie dans les erreurs grossières du polythéisme ? Mais cette doctrine n’était pas nouvelle ; elle ne vint pas de lui. Déjà les anciens Hébreux y avaient été attachés, comme nous l’avons montré en la préparation, et les adeptes de la nouvelle philosophie l’ont goûtée, entraînés par son utilité. Les savants de la Grèce se glorifient des oracles de leurs dieux qui parlent ainsi des Juifs :

« Aux Chaldéens seuls est échue la sagesse, ainsi qu’aux Hébreux qui honorent d’une religion pure le Dieu, roi suprême, principe de son existence. »

L’oracle appelle ici les Juifs Chaldéens à cause d’Abraham, qui, suivant l’histoire, fut de race chaldéenne. Si donc, même aux anciens jours, les descendants de ces Hébreux dont les oracles publient la sagesse, adressaient leurs adorations au seul Dieu créateur, pourquoi traiter Jésus d’imposteur et ne l’appeler pas un docteur admirable, lui qui par sa puissance invisible et toute divine a promulgué et répandu dans l’univers les vérités connues des seuls Hébreux fidèles, de sorte que, dès lors ce ne fut plus comme autrefois quelques hommes qui suivirent les préceptes de vérité du Seigneur, mais une innombrable multitude de barbares, à la vie sauvage, et de sages de la Grèce qui apprirent par la seule vertu divine de Jésus la religion des prophètes et des justes.

Voyons maintenant ce troisième point, si les ennemis doivent l’appeler imposteur parce qu’il n’a pas établi d’honorer Dieu par es sacrifices de bœufs, l’immolation des animaux, l’effusion du sang, la conservation du feu et l’offrande des fruits de la terre brûlés sur l’autel ? Convaincu que ces offrandes de vil prix et terrestres ne convenaient pas à un être immortel, et que l’accomplissement des volontés du Seigneur lui était plus agréable que tout sacrifice. Il apprit aux hommes à se conserver purs, a se maintenir dans la lumière et dans la pratique de la foi, afin de devenir semblables à Dieu : « Soyez parfaits, dit-il, comme votre Père céleste est parfait » (Matth., V, 48).

Si quelqu’un des Grecs s’élève contre cette parole, qu’il apprenne bien qu’il s’écarte de l’enseignement de ses maîtres, initiés à la science que notre Sauveur nous a révélée (car je parle ici de philosophes postérieurs la naissance du Christianisme), voici ce qu’ils ont reconnu en leurs écrits : Il ne faut brûler ou sacrifier au Dieu de l’univers rien de ce qui sort de la terre (Porphyre, de l’abstinence de ce qui a eu vie, livre II).

Ainsi que le dit un sage, nous ne devons ni offrir ni consacrer au Dieu du monde, nul être sensible (ce sage est Apollonius de Tyane).

« Dans la matière, en effet, qu’y a-t-il qui ne soit impur aux yeux de celui qui est immatériel. Nos paroles ne peuvent aussi lui plaire, ni celles que nous proférons au dehors, ni celles encore que nous formons au dedans de nous-mêmes, parce qu’elles sont souillées des passions de l’âme. Honorons donc la Divinité suprême dans un silence saint et dans la croyance pure de son existence. Il faut donc qu’unis et rendus semblables à lui, nous lui offrions notre vie comme une victime parfaite. Ce lui sera un hymne de louange, et nous trouverons notre salut dans la quiétude de la vertu. Ce sacrifice s’est consommé par la contemplation de l’essence divine. »

Autre fragment semblable, tiré de la théologie d’Apollonius de Tyane.

« Plus on s’appliquera à témoigner à la Divinité le respect qu’elle mérite, plus on se la rendra compatissante et favorable, surtout si pour honorer ce Dieu dont nous décrivons les grandeurs, qui est seul et unique, et de qui on peut tout connaître, on évite offrir des sacrifices ou d’allumer du feu ; ou de lui consacrer quelque être animé ; car il ne demande rien même à la créature la plus excellente, qui est l’homme. En effet, il n’est pas de plante que nourrit la terre ni d’animal qu’elle nourrisse elle ou l’air, qui ne soit entaché de quelque souillure ; il ne faut lui présenter que la plus belle des paroles ; non pas celle qui frémit sur nos lèvres, mais celle des plus beaux des êtres, des plus nobles des biens qui sont en nous, de notre intelligence qui n’a pas besoin d’organes ; d’interprète, »

Si telle est la croyance des grands philosophes et des théologiens de la Grèce, comment donc sera-t-il un insensé, celui qui a laissé à ses disciples, dans ses paroles et bien plus encore dans ses actions, la règle du véritable culte qu’ils devaient rendre à la divinité ? Comme nous avons exposé les rites du culte des anciens Hébreux dans le premier livre de cet ouvrage, nous nous contenterons de ce que nous avons dit. Mais puisque nous tenons encore du Christ que le monde a été créé, que le ciel, le soleil, la lune, et les armées du ciel sont l’ouvrage de Dieu, et qu’il faut adresser ses adorations non pas à ses créatures, mais au créateur, nous devons examiner si nous sommes induits en erreur en embrassant cette croyance ; or telles furent les convictions des Hébreux ; telles furent aussi les idées des plus célèbres philosophes qui se sont accordés avec eux, pour reconnaître que le ciel, le soleil, la lune, les astres, le monde entier avaient été formés par le Créateur de l’univers. Mais Jésus-Christ a enseigné d’attendre la consommation et le changement de ce monde pour un état plus parfait, suivant en cela les Écritures des Hébreux. Eh quoi ! Platon lui-même n’a-t-il pas reconnu que le ciel, le soleil, la lune et les lumières du ciel étaient essentiellement destructibles ? et s’il a avancé que ce monde ne serait pas détruit, c’est parce que la volonté du Créateur y serait opposée. S’il a voulu que nous fussions persuadés que d’un côté nous tenons à leur nature, tandis que nous avons une âme immortelle qui ne ressemble en rien aux animaux privés de raison, mais qui est l’image des perfections divines ; s’il a voulu imprimer cette vérité dans le cœur de tout barbare et des hommes du peuple, n’a-t-il pas élevé ses disciples de tous lieux à une sagesse bien plus sublime que celle des philosophes aux regards sourcilleux, qui ne peuvent mettre l’essence de l’âme au-dessus de la substance du moucheron, du ver ou de la mouche, et qui prétendent que le serpent, la vipère, l’ours, la panthère, le porc, ne diffèrent en rien de la nature de leur intelligence qui jouit de la plus haute sagesse ? Enfin quand il rappela sans cesse le tribunal de Dieu et le jugement futur, quand il décrivit les châtiments et les vengeances qui s’appesantiront pour toujours sur les impies, et la vie éternelle dont les justes doivent jouir dans le sein de Dieu, le royaume des cieux, et le bonheur qu’ils doivent partager avec le Père éternel » put-il tromper ? ou plutôt par la vue des récompenses qui doivent couronner les justes » n’a-t-il pas porté les hommes à pratiquer la vertu et par respect des supplices réservés aux pervers, à fuir l’iniquité ? Sa doctrine nous a fait connaître qu’au-dessous du Dieu suprême il est des puissances spirituelles, intelligentes et ornées de toutes les vertus qui glorifient le souverain du monde. Plusieurs sont envoyés par le Père auprès des hommes pour accomplir de salutaires desseins de la Providence, et nous savons les reconnaître et leur rendre les honneurs dus à leur dignité, tandis que nous n’adorons que Dieu seul. Nous tenons aussi de Jésus que les puissances infernales, les mauvais esprits et les chefs de leurs phalanges impures, ennemis déclarés des hommes, volent dans l’air qui nous entoure, et demeurent auprès des méchants, et nous avons appris à les fuir de toute notre force, quoiqu’ils s’attribuent le nom de Dieux et les honneurs divins ; et c’est surtout pour cette rivalité et cette guerre qu’elles ont avec Dieu qu’il faut fuir leurs suggestions, ainsi que nous l’avons prouvé au long dans la préparation évangélique.

Tels sont les enseignements que comprennent les préceptes du Christ notre Sauveur, les pieuses leçons des anciens Hébreux, ces vrais amis de Dieu, et celles des prophètes. Si dans leur grandeur ils sont précieux, s’ils sont remplis de sagesse et de vertus, qui pourra raisonnablement taxer d’imposture celui qui les a fait goûter aux hommes ?

Or, jusqu’ici parlant du Christ comme d’un homme ordinaire, nous avons montré combien ses préceptes étaient utiles et vénérables : voyons maintenant ce qu’il y eut de divin en lui.

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