Préparation évangélique

LIVRE X

CHAPITRE IX
DE L’ANCIENNETÉ DE MOÏSE ET DES PROPHÈTES CHEZ LES HÉBREUX

L’antiquité de Moïse et des prophètes venus après lui, a déjà occupé un grand nombre d’autres écrivains qui, dans des écrits spéciaux sur ce sujet, ont basé la démonstration de cette vérité sur des preuves recueillies avec soin : je me propose d’en citer bientôt de courts extraits ; mais, comme la chronologie que j’ai adoptée diffère tout à fait de la leur, je vais d’abord faire usage de la méthode qui m’est propre. De l’aveu de tout le monde, le temps où vécut Auguste, empereur des Romains, concourant avec celui de la naissance de notre Sauveur ; et le Christ ayant commencé à prêcher son évangile la quinzième année du règne de Tibère César, si l’on veut, en remontant de ce point, faire l’addition de toutes les années qui se sont écoulées depuis Darius, roi de Perse, et la reconstruction du temple de Jérusalem qui eut lieu après le retour, par la nation juive, de la Babylonie, on trouvera, depuis Tibère jusqu’à la 2e année de Darius, 548 ans. Or, la 2e année de Darius donne pour synchronisme la 1ere de la 65e Olympiade, et la 15e du règne de Tibère se confond avec la 4e année de la 203e Olympiade : il s’est donc écoulé entre Darius, roi de Perse, et Tibère, roi des Romains, 137 Olympiades qui, additionnées, donnent un total de 548 années, à raison de 4 années par Olympiade. Mais comme la 2e année de Darius complète la 70e de la désolation du temple de Jérusalem, ainsi que cela est constaté par les livres historiques des Hébreux, en reprenant notre calcul ascensionnel de cette 2e année de Darius à la 1ere Olympiade, nous aurons un total de 256 ans, ou 64 Olympiades. Vous trouverez, en effet, un pareil nombre d’années depuis la dernière de la désolation citée du temple, en remontant jusqu’à la 50e année d’Osias, roi des Juifs, pendant laquelle Isaïe et Osée prophétisèrent, aussi bien que les autres prophètes, leurs contemporains, en sorte qu’il y a synchronisme du prophète Isaïe et des autres prophètes, ses contemporains, avec la première Olympiade. Reprenant ensuite de la première Olympiade pour vous élever aux temps antérieurs, vous trouverez, jusqu’à la prise de Troie, une somme d’années de 408, comme le représentent les calculs des temps temps par les Grecs. Du côté des Hébreux, depuis la 50e année d’Osias, en remontant, nous arriverons à la 3e année d’Abdon le juge, pour compléter le nombre égal de 408 ans ; en sorte que la prise de Troie se rapportant à l’époque d’Abdon le juge, elle a précédé de 7 années celles où Samson commanda aux Juifs. Ce Samson, dont la force de corps était invincible, peut être mis en parallèle avec le fameux Hercule grec. Puis, de là, en suivant toujours la même marche ascensionnelle, si l’on ajoute un chiffre de 400 ans, on arrivera, chez les Hébreux à Moïse, chez les Grecs à Cécrops, né de la terre (γηγενής). Or, tout ce qu’on rapporte de merveilleux dans l’histoire grecque est postérieur aux temps de Cécrops ; c’est après Cécrops, et sous Deucalion, que vint le cataclysme, puis la combustion produite par Phaéton, la naissance d’Erichthon, l’enlèvement de Proscrpine, les mystères de Gérés, la fondation du temple d’Eleusis, l’agronomie de Triptolème, l’enlèvement d’Europe par Jupiter, la naissance d’Apollon, l’arrivée de Cadmus à Thèbes ; puis, bien longtemps après tous ces événements, Bacchus, Minos. Persée, Esculape, les Dioscures et Hercule. Moïse est donc plus ancien que tous ceux-ci, puisqu’il est constant qu’il a fleuri en même temps que Cécrops. Cependant, en remontant de Moïse à la 1ere année de la vie d’Abraham, vous trouverez 505 ans : or, en additionnant un pareil nombre d’années, à remonter depuis le règne de Cécrops, vous parviendrez à Ninus, l’Assyrien, qui le premier, dit-on, domina sur toute l’Asie, à l’exception des Indes : la ville de Ninus, son éponyme, est nommée Ninive par les Hébreux. C’est de son temps que le mage Zoroastre régnait en Bactriane : Ninus eut pour femme et successeur dans son empire Sémiramis : Abraham a donc été leur contemporain.

Ce calcul de temps, extrait des canons chroniques que j’ai composés, y a reçu une démonstration complète. Quant à présent et après tout ce qui a été dit, j’invoquerai en confirmation de l’antiquité de Moïse, un témoin irrécusable ; ce sera l’ennemi le plus acharné et le plus violent, tant des Hébreux que de nous : je veux parler de ce philosophe qui a vécu de nos jours, qui ayant, dans l’excès de sa haine, lancé dans le monde sa diatribe contre nous (Συσκευὴ), non seulement nous y accable d’invectives, mais y traite de la même manière les Hébreux, Moïse même et les prophètes qui l’ont suivi. Je crois, par cet aveu de nos ennemis, placer au-dessus de toute controverse la vérité que je proclame ; or Porphyre, dans le quatrième livre de sa diatribe contre nous, écrit en propres termes ce qui suit :

« Sanchoniathon de Beryte raconte, avec la plus exacte vérité, tout ce qui a rapport aux Juifs, étant d’accord avec eux tant pour les lieux que pour les noms. Il avait eu en communication des mémoires écrits par Hiérombal, prêtre du Dieu Jeno, qui ayant dédié son histoire à Abibal, roi de Beryte, a reçu, tant de sa part que de celle des critiques par lesquels ce prince l’avait fait examiner, le témoignage d’une entière véracité. Les temps où ces hommes vécurent précèdent ceux de Troie, et se rapprochent à peu près de ceux de Moïse comme le démontrent les tableaux de succession des rois de Phénicie. Sauchoniathon, dont le nom, dans l’idiome Phénicien, signifie ami de la vérité, et qui a recueilli et composé toute l’histoire ancienne sur les documents tirés des archives des villes, et sur les annales conservées dans les temples, naquit sous Sémiramis, reine des Assyriens. »

Voici ce que dit Porphyre : cependant il est à propos de tirer les conséquences de ces données. Si Sanchoniathon naquit sous Sémiramis, et si celle-ci, comme on en est d’accord, est d’une date bien antérieure à celle de Troie, Sanchoniathon sera aussi plus ancien que ces mêmes temps ; mais on dit que celui-ci reçut des mémoires rédigés par des écrivains plus anciens que lui, et ces mêmes hommes plus anciens que lui, sont dits être à peine d’un temps qui les rapproche de Moïse ; on ne dit pas qu’ils fussent ses contemporains, mais que c’était à peine s’ils approchaient de lui, par le temps où ils ont vécu ; en sorte que Moïse aurait été plus âgé que Sanchoniathon, de toute la différence qui existait entre ce dernier et les hommes qui, plus anciens que lui, ne faisaient encore qu’approcher de Moïse, ainsi qu’on le déclare. Mais de combien d’années était-il calculable qu’ils l’eussent précédé ? Voilà ce qui est impossible à dire. C’est pourquoi je crois devoir abandonner toute cette recherche, et supposant que Moïse est venu au monde en même temps que Sanchoniathon et non pas plus tôt, voici comme je procéderai dans ma manière de raisonner : si Sanchoniathon s’est rendu célèbre sous Sémiramis, reine d’Assyrie, en accordant que Moïse ne lui est pas antérieur, mais a fleuri vers cette époque, il aura donc été lui aussi le contemporain de Sémiramis ; mais ce que nous avons dit précédemment sur cette princesse, a prouvé qu’Abraham avait existé sous elle, tandis que le philosophe déclare que Moïse était plus ancien. Cependant Sémiramis existait 800 bonnes années avant la guerre de Troie : donc Moïse est d’autant d’années antérieur à la guerre de Troie, suivant le philosophe. Inachus est le premier roi d’Argos : de son temps, les Athéniens n’avaient encore ni existence sociale, ni même de nom, ce premier roi d’Argos était contemporain du cinquième roi d’Assyrie, après Sémiramis, 150 années après elle et après Moïse ; années pendant lesquelles l’histoire ne rapporte rien de mémorable arrivé en Grèce, et où nous voyons les Hébreux gouvernés par des juges. Si de nouveau nous descendons encore d’un degré plus bas dans les époques l’histoire, nous trouverons le premier roi d’Athènes, Cécrops, plus de 400 ans bien accomplis après Sémiramis. Ce roi célèbre parmi ses sujets comme Autochthon, régnait lorsqu’Argos avait pour souverain Triopas, septième successeur d’Inachus. C’est entre eux qu’on place le déluge d’Ogygès, et que fleurirent Apis 1er, considéré comme un Dieu en Égypte, Io fille d’lnachus que les Égyptiens adorent sous le nom transformé d’isis, Prométhée et Atlas.

Depuis Cécrops jusqu’à la prise de Troie, on compte, à peu de chose près, 400 autres années, pendant lesquelles se sont accomplies toutes les merveilles que nous raconte la mythologie grecque : le déluge de Deucalion, l’embrasement de Phaéton, qui furent vraisemblablement l’expression de désastres nombreux, éprouvés dans différentes localités. On dit que Cécrops fut le premier qui invoqua Ζεὺς (Jupiter), comme Dieu. Jusqu’à cette époque, son nom n’avait pas été prononcé parmi les hommes. Il éleva aussi, le premier, un autel chez les Athéniens, et fut encore le premier à consacrer une statue à Minerve ; ce qui prouve que ces divinités n’ont pas existé de toute ancienneté. Ce fut après lui qu’on commença à donner la généalogie de tous les Dieux. Pendant le même temps, les rois de la race de David régnaient sur les Hébreux ; et les prophètes, successeurs de Moïse, étaient dans tout leur éclat ; de manière qu’en additionnant toutes les années écoulées depuis Moïse jusqu’à la prise de Troie, on obtient un total de plus de 800 ans : toujours en se référant au calcul du philosophe. On rapportera un temps bien postérieur l’existence d’Homère, d’Hésiode, et de tous les autres. Ce sont des gens d’hier, auprès de ceux-ci, que. Démocrite et Pythagore, qui parurent vers la 50e olympiade, et tous ceux qui après eux prirent le nom de philosophes, environ 700 ans après les événements de Troie. On peut donc conclure, toujours d’après l’aveu de ce même personnage (Porphyre), que Moïse le premier, et les prophètes qui lui succédèrent chez les Hébreux, ont existé 1500 ans avant les philosophes de la Grèce ; ce que nous nous sommes bornés à constater succinctement. Maintenant le moment est venu d’exposer les démonstrations du même fait, dues aux auteurs qui nous ont précédé dans la carrière. Il s’est trouvé en effet, dans nos rangs, des hommes de bon jugement, qui ne le cèdent en science à qui que ce soit, et qui s’étant sérieusement adonnés aux études théologiques, ont discuté, avec, beaucoup de pénétration, la question que nous traitons, l’ont faite reposer sur la haute antiquité des Hébreux, mettant en œuvre, pour le démontrer, toute la richesse du savoir et toute la perspicacité de la critique ; les uns procédant d’époques bien connues de l’histoire, en ont déduit leurs calculs chronologiques ; les autres ont appuyé la certitude de leur assertion sur des écrits plus anciens qu’eux, empruntés, les uns aux Grecs, les autres aux archives de la Phénicie, de la Chaldée et de l’Égypte, qu’ils ont mises à contribution. Tous ceux qui ont rassemblé dans un même cadre les relations de la Grèce et des contrées barbares, aussi bien que ce qui s’est passé chez les Hébreux, en comparant entre elles les histoires de tous ces pays, et les rapprochant l’une de l’autre, ont classé, sous les mêmes époques, les événements divers qui sont advenus chez tous les peuples. Après quoi, chacun faisant usage des méthodes qui lui sont propres, dans l’exposition de ces mêmes faits, s’est efforcé de faire de cet ensemble une démonstration concordante et qu’on puisse avouer. Voilà le motif qui m’a décidé à céder la place aux propres paroles de ces auteurs, pour que, d’une part, ils ne soient pas privés du fruit de leurs peines, et que la confirmation de la vérité acquière, d’autre part, une sanction incontestable, en ne se fondant plus sur un seul appui, mais sur de nombreux témoins.

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