Préparation évangélique

LIVRE XI

CHAPITRE XXII
DE NUMÉNIUS. DU BIEN

« Il nous est donné de classer les corps, en signalant les similitudes qui les rapprochent, et par tous les signes de ressemblance que nous découvrons en eux ; mais pour le bien, nous n’avons aucun moyen de le rattacher à quoi que ce soit qui lui ressemble dans les êtres sensibles ; il le faudra bien cependant· Ainsi, qu’un homme assis sur le rivage élevé de la mer, « percevant de loin une de ces barques de pêcheurs, qui ne naviguent jamais que seules, abandonnée et balancée par le mouvement des flots, la discerne d’un seul et même coup d’œil ; de même nous nous mettons en rapport avec le bien unique, placé bien loin de tous les objets sensibles, en nous isolant de tout homme, de tout animal d’une autre espèce, de tout corps grand et petit ; nous nous transportons alors dans cette indicible, inénarrable et divine solitude où le bien réside, où est son séjour de délices. Là, dans une paix profonde, dans une bienveillance constante, le bien habite solitaire, unissant le commandement à la commisération, porté sur la substance comme· sur un char. Que si, plongé dans les choses sensibles, l’on se figure le bien comme voltigeant dans là matière, qu’ensuite on croie le trouver dans les jouissances de la volupté, on s’abuse complètement.

« Dans la réalité, ce n’est pas par une marche aisée, mais divine (qu’on s’élève à lui) ; et la méthode la plus efficace, pour le découvrir, est, en se détachant de toutes les impressions des sens, de se consacrer aux sciences mathématiques et de ne considérer que les nombres. Cette science, méditée, nous enseignera ce que c’est que l’unité. »

On lit ce passage dans le Ier livre : dans le 5e, il dit ce qui suit :

« Si la substance et l’idée sont telles que nous· puissions les concevoir, on sera forcé de reconnaître que le Νοῦς (l’intelligence) est antécédent et cause ; c’est en lui seul qu’on découvre le bien ; et si le Dieu démiurge est le principe de l’engendrement des êtres, le bien est le principe de la substance. Le Dieu démiurge est l’analogue du bien, en étant l’imitateur, de même que la génération est à la substance dont elle n’est que l’image et la représentation. Si le démiurge de la génération est bon, à plus forte raison celui de la substance sera-t-il la bonté même, qualité inhérente à la substance. Le second, étant double par nature, crée sa propre idée (ἰδέα) et l’univers dont il est démiurge ; ensuite il est purement théorique. Pour que nous parvenions à concilier ces quatre choses en les distinguant par des noms, nous les partagerons sous quatre dénominations. Le premier Dieu est l’Autoagathon, le bien essentiel ; son imitateur est le bon Démiurge ; vient ensuite la substance ; celle qui est unique appartient au premier Dieu, l’autre dépend du second. C’est de cette dernière que le bel univers (καλὸς κόσμος) est l’image (μίμημα), embellie par la communication, du bien. »

Il ajoute, dans le sixième livre : « Tout ce qui participe de lui n’y participe qu’en un seul point et non pas en autre chose ; il y participe dans la seule faculté de raisonner. Ce n’est qu’en cela qu’il pourrait tirer avantage de son contact avec le bien ; hors de là, il ne lui serait d’aucune utilité. Or, ce raisonnement, en lui, n’est dû, lorsqu’il en jouit, qu’à son rapprochement du bien seul. Vouloir chercher hors de lui la cause pour laquelle les autres, choses s’altèrent et s’améliorent, lorsqu’elle réside uniquement en lui, serait l’aberration d’une amie dépourvue de jugement. Si, en effet, le second n’est bon que de la bonté qu’il tient du premier, comment la bonté par excellence ne découlerait-elle pas du premier, lorsque le second n’est bon que par la communication de la bonté du premier, surtout lorsqu’il ne lui en arrive rien que de bon ? C’est ainsi que Platon, à l’aide du raisonnement, a démontré la nature du bien à quiconque est doué d’un esprit pénétrant. »

Il continue ensuite : « Platon, par la manière dont il a subdivisé ces questions dans ses différents, dialogues, a mis en fait qu’il en était ainsi. En disant dans le Timée que le démiurge était bon, il s’est exprimé d’après le langage courant. Mais dans la République, il a nommé le bien ἀγαθοῦ ἰδέα, (idée du bon), comme voulant dire que l’idée (primordiale) du démiurge est le bon : ce qui nous fait comprendre qu’il n’est bon que par la communication qu’il a avec le premier et le seul. De même qu’on dit que les hommes n’ont été façonnés que d’après l’idée (exemplaire) de l’homme, les bœufs d’après l’idée (exemplaire) du bœuf, de même, par une déduction rationnelle, puisqu’il est en fait que le démiurge n’est bon que par la participation du premier bon, son idée exemplaire est le premier Νοῦς, qui n’est autre que l’ἀυτοάγαθον, le bon essentiel. »

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