Oui, nous sommes protestants

Première partie
Définitions

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Être protestant

Le protestantisme est né d'une acuité religieuse et d'une conscience autonome en matière de foi. Imaginé, conçu et encourage par l'émancipation intellectuelle de la Renaissance, il n'est pas pour autant un mouvement intellectuel, même s'il aime intellectualiser la foi. Le protestantisme représente plutôt une émancipation du christianisme au profit d'un biblisme à redécouvrir sans cesse. Son attachement à la liberté de conscience fait du protestant un homme à la fois religieux et laïc. Il arrive d'ailleurs que l'on représente le protestantisme comme une laïcisation du christianisme.

Il faut sans doute redéfinir ici le terme « laïc ». Si le protestant est un fervent défenseur de la laïcité, c'est parce qu'il réclame avec force la neutralité de l'État en matière de religion. Neutralité ne veut pas dire ici anticléricalisme. Pour que chacun puisse être fidèle à sa foi, il faut que l'État n'agisse en rien contre la conscience et soit respectueux des convictions de tous. C'est cela la vraie laïcité.

Le combat qui a consisté à séparer l'Église de l'État à la fin du XIXe siècle et qui a abouti à la loi de 1905, a été largement encouragé par le protestantisme qui avait déjà, au temps de la Réforme et des guerres de Religion, lutté contre le principe synthétique : un roi, une religion.

Le protestantisme est donc obstinément laïque, au nom même de son engagement religieux. Par là, il faut aussi entendre le souci de l'égalité spirituelle entre le clergé et les simples croyants ; c'est ce que l'on nomme « le sacerdoce universel ». Longtemps, le protestantisme s'est élevé comme une Église dominatrice et un clergé qui détenait tous les pouvoirs (spirituels et temporels) ; c'est pourquoi il tient tant à briser les hiérarchies ecclésiales.

Cet esprit frondeur fait parfois dire qu'il est anarchiste et indiscipliné. C'est faire peu de cas d'une autre particularité du protestantisme : son sens de la discipline. Parce qu'il est attaché à la Bible, le protestant sait que la soumission au pouvoir est un ordre. Par ailleurs, il rappelle, toujours Bible en main, que le pouvoir est lui-même soumis à Dieu !

Interrogé par Pilate, Jésus lui lança : « Tu n'aurais pas l'autorité que tus as, si elle ne t'avait été donnée par mon Père ! » (Jean 19.11)

Le protestant n'est pas un révolutionnaire, même lorsqu'il est en opposition de pensée avec le pouvoir. Calvin, l'un de ses fondateur, tenta de l'expliquer à François Ier. Par ailleurs, le Synode national des réformés de 1659 avait adressé à Louis XIV un message où il disait en substance : « Votre majesté étant à l'image de Dieu, notre religion qui nous commande de le craindre, nous ordonne aussi de nous soumettre à votre souveraine autorité. »

Il est arrivé toutefois que les protestants revendiquent une autre parole du Nouveau Testament : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. » Ce fut le cas du pasteur Dietrich Bonhoeffer, de l'Église protestante d'Allemagne, qui participa à l'attentat contre Hilter et qui fut pendu pour cela. On pourrait aussi évoquer la figure du pasteur Martin Luther King qui, aux États-Unis, s'opposa avec force, mais de façon pacifique, au pouvoir soutenant la ségrégation raciale.

Globalement, le protestant aime la discipline, l'ordre, l'autorité et est généralement loyal à l'égard du pouvoir, dans la mesure où ce dernier n'oublie pas les règles élémentaires de la démocratie. Il est à noter qu'en France, le protestantisme s'est distingué par les hauts fonctionnaires qu'il a donnés à l'État (Voir III.1).

Loyauté à l'égard du pouvoir donc, mais le protestant aime aussi la liberté ! Lorsqu'il a réclamé la liberté de conscience et la liberté de culte, il ouvrait la porte à toutes les autres libertés et, par incidence, au libéralisme des sociétés modernes. C'est ce que nous trouvons parfaitement synthétisé par cette remarque importante : « La Réforme ne s'est pas faite sur la question de la liberté, mais sur celle de la fidélité à l'Évangile. Cependant, la revendication par la Réforme du libre droit pour chacun de vivre, en conformité avec l'Évangile librement examiné par lui, en dehors de l'autorité de l'Église, devait inévitablement faire naître toutes les autres libertés1 » La liberté politique en découle. Elle porte en elle l'esquisse de la démocratie et du libéralisme, peut-être même de la république. C'est sans doute l'analyse de Montesquieu lorsqu'il écrit : « La religion catholique convient mieux à une monarchie ; la protestante s'accommode mieux d'une république. »

1 DURRLEMAN Freddy, Initiation protestante, Éditions La Cause.

Le protestant est également très attaché à la liberté sociale, s'appuyant sur les vérités évangéliques selon lesquelles tous les hommes sont frères en humanité, qu'ils doivent s'aimer et qu'ils sont tous regardés de la même manière par Dieu, lequel se rend accessible à chacun par Jésus-Christ son fils.

Au moment de la Révolution française de 1789, les opinions protestantes avaient imprégné bien des esprits, notamment celui de La Fayette, qui rentrait d'Amérique où il avait côtoyé le protestant Washington. Les revendications de liberté, d'égalité et de fraternité devenaient évidentes. Elles s'inscrivent presque normalement dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Éric Fuchs, professeur à la faculté de théologie protestante de Genève, précise à ce sujet :

« Droits de l'homme et protestantisme ont de réelles connivences historiques et systématiques. En libérant la personne de la tutelle médiatrice de l'Église et l'appelant à la foi en la seule grâce de Dieu, la Réforme a posé les bases théologiques de la liberté de conscience. De plus, la solide doctrine de la Loi chez Calvin ouvrait la voie à un contrôle éthique du pouvoir politique, justifié par la volonté du Créateur de voir tous les hommes égaux en dignité et en responsabilité. [...] En théologie protestante, les droits de l'homme peuvent être fondés sur deux données bibliques : la valeur fondatrice de la promesse de Dieu et le contenu de la Loi. La promesse que, par l'Évangile, Dieu adresse à tout homme est celle d'une vocation à vivre dans la liberté ; ainsi se trouve fondée l'égale dignité de tous les êtres humains. La Loi de Dieu fixe les conditions formelles d'application de cette liberté, à savoir le respect de l'altérité de Dieu et de celle du prochain. C'est en assumant ses responsabilités éthiques, en se rendant solidaire des autres hommes, en toute égalité de traitement et de respect, que l'être humain réalise sa liberté. »

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