Oui, nous sommes protestants

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Le protestantisme et l'action sociale

La fédération protestante de France rassemble des Églises, mais aussi des œuvres. Or, la place de ces œuvres dans le paysage protestant est très importante. De fait, le protestantisme français a apporté à l'histoire sociale du pays une contribution significative et même sans rapport avec son importance numérique minoritaire. Il est essentiel de parler de ces œuvres sociales et médicales.

Sans revenir sur le sens de ce terme « œuvres » dans l'optique protestante, il convient cependant de rappeler que, au travers des œuvres, les protestants cherchent à faire part à d'autres, des bienfaits dont ils sont eux-mêmes les bénéficiaires en Jésus-Christ.

Une mission incontournable

Un grand nombre d'œuvres protestantes présentes aujourd'hui sur le terrain sont nées à la fin du XIXe siècle, dans cette période que les historiens de l'Église nomment Réveil ou revivalisme. A cette époque, la prédication de la Parole était associée à l'action sociale. Pouvait-il en être autrement ? L'Église ne portait-elle pas la responsabilité d'accueillir les plus démunis, les plus pauvres, et n'avait-elle pas comme mission de prendre soi, d'instruire et de faire connaître le message de l'Évangile ? Cette mission reste d'actualité. Le Réveil avait pourtant remis ces objectifs au goût du jour. On parlait alors d'œuvres d'évangélisation. Pour accomplir ces tâches, l'Église trouvait, en son sein, des hommes et des femmes de bonne volonté, des moyens financiers et des structures.

Les actions menées alors n'étaient pas seulement inspirées par une vocation évangélique revisitée, mais aussi par l'examen attentif et critique de la société, des conditions de vie et de la situation économique. C'est ainsi que les fondateurs de ces œuvres – très souvent des pasteurs – ont manifesté une certaine contestation de la mentalité sociale du moment. Leurs églises étaient parfois en difficulté. Il a fallu un certain temps pour qu'elles reconnaissent l'importance et le bien-fondé de ces actions.

Il est intéressant de noter, par exemple, qu'en 1888, à Nîmes, a été créée l'association protestante pour l'étude pratique des questions sociales. Elle avait pour objet, à travers les observations et analyses des situations rencontrées sur le terrain, de voir ce que l'Église devait entreprendre pour répondre aux carences du moment.

18 000 lits

Le résultat est qu'aujourd'hui, quelque 275 institutions protestantes à caractère sanitaire et social existent encore, proposant pas moins de 18 000 lits. Les œuvres d'instruction et d'éducation mises en place à la même époque, qui furent nombreuses et d'excellente réputation, sont devenues rares de nos jours parce que les protestants, dans ce domaine et dans cette sphère d'activités, ont joué le jeu au moment de la loi de 1905 sur la séparation de l'Église et de l'État. Avec son apport important sur la question de la laïcité, le protestantisme ne pouvait faire autrement que remettre à l'État, et particulièrement à l'Éducation nationale, ses œuvres d'instruction, notamment toutes ses écoles privées.

Cette laïcisation et la sécularisation sont intervenues également dans les autres domaines. L'argent des œuvres est devenu un argent public. Ce qui fait qu'aujourd'hui, dans bon nombre d'œuvres sociales et sanitaires, le personnel n'est plus automatiquement composé de membres d'églises, à l'exception du personnel de direction et des conseils d'administration. Les œuvres ne sont plus, à proprement parler, des œuvres d'évangélisation.

Preuve par quatre

Le pasteur Daniel Lestringant, qui fut longtemps président de l'Entraide protestante, signale que les œuvres ont cependant conservé leur caractère protestant au moins de quatre manières :

  1. Elles font encore preuve d'une capacité de contestation de la politique sanitaire et sociale, de protestation contre les contraintes administratives et des dispositions réglementaires qui mettraient en jeu la liberté des personnes. Elle ne veulent pas aliéner leurs responsabilités qui demeurent toujours, pour elles, un effort d'invention.
  2. Elles entendent respecter les personnes qu'elles accueillent, leur laissant la possibilité d'exercer leur libre arbitre, de prendre toute décision en ce qui les concerne, et de s'exprimer.
  3. Elles veulent introduire une autre relation avec les personnels, qui soit moins hiérarchique et plus collégiale, dans le souci de les associer aux décisions et aux activités des établissements où ils travaillent.
  4. Elles cherchent à innover dans d'autres manières de prise en charge, dans d'autres pratiques pédagogiques et thérapeutiques, qui seraient mieux adaptées et plus à même de répondre aux besoins de la personne. Leurs recherches d'innovation (qui ne sont pas uniquement théoriques) s'orientent aujourd'hui vers les personnes atteintes par la toxicomanie et par le sida, vers les personnes âgées sans autonomie et désorientées, vers les personnes concernées par des soins palliatifs...1

1 Hors série du Christianisme au XXe siècle : « La Fédération protestante, pour quoi faire ? »

L'insistance des protestants à vouloir innover sans cesse dans le domaine sanitaire et social est un écho à cette volonté d'être « réformés et toujours en réformation ». S'installer dans des habitudes, fussent-elles bonnes, voire excellentes, c'est commencer à se figer et à oublier que l'écoute est permanente et réclame un réajustement tout aussi permanent.

On a parlé des situations difficiles de la fin du XIXe siècle, qui ont suscité des dizaines et des dizaines d'œuvres. Aujourd'hui, on parle de nouvelles pauvretés pour lesquelles les associations anciennes demeurent limitées. C'est ainsi que l'on observe, depuis une vingtaine d'années, le développement d'une nouvelle diaconie (service) qui ne veut plus seulement être curative. Elle veut, prioritairement, défendre les droits de l'homme, s'attaquer aux causes des injustices et des inégalités sociales. Ses acteurs veulent mettre en place des rapports de fraternité dans le désir de promouvoir, à travers des actions individuelles, une société plus conviviale, plus solidaire. Un exemple de services d'entraide s'est donc développé à côté des œuvres institutionnelles, aujourd'hui fédéré par l'Entraide protestante.

La diaconie

Daniel Lestringant s'interroge et se tourne vers l'ensemble du protestantisme pour lui redire sa mission :

« Faut-il penser que ces quelque deux cents associations d'entraide marquent un renouveau du diaconat de paroisse, même si certaines d'entre elles se présentent comme des associations laïques de lutte contre la pauvreté et la précarité ? La plupart mobilisent des bénévoles, mais aussi des professionnels, dont l'engagement présente les caractéristiques du militantisme.

A considérer les personnes accueillies par ces services d'entraide, on peut se demander si nous ne retrouvons pas la démarche initiale des fondateurs d'œuvres, qui accueillaient des personnes dans une extrême exclusion et à qui la société n'avait rien à offrir. Il sera intéressant de voir si, par la suite, on n'assistera pas à une institutionnalisation de ces services, ce qui serait la création de nouvelles œuvres. Toujours est-il que nous sommes bien en présence d'un nouvel intérêt de l'Église pour la diaconie. On a même pu dire que l'Église était tout entière diaconale ou qu'elle n'était pas. Mais l'Église va-t-elle indiquer des objectifs diaconaux ? Va-t-elle exprimer une politique sociale ? Certainement, elle recommande d'accueillir et d'aller vers les démunis et les exclus, les marginaux et les étrangers. Mais, parmi ceux-ci, qui sont les plus démunis et les plus exclus, les plus marginaux et les plus étrangers ? Quel accompagnement, quel soutien, quelle défense, quels voies et moyens l'Église va-t-elle préconiser ? Elle ne peut pas laisser ses choix aux seules initiatives personnelles. La communauté de l'Église ne peut que s'y impliquer puisqu'il s'agit de son service et de son témoignage.

Le champ de l'action sociale est largement ouvert. Nous sommes de plus en plus appelés à inventer et à prendre le risque de nouvelles pratiques diaconales, ce qui correspond assez bien à la vocation protestante. »

L'analyse et la réflexion de Daniel Lestringant qui, dans le domaine social, a été pendant de longues années la mouche du coche du protestantisme français, trouve leur parallèle dans la mouvance évangélique depuis moins de trente ans.

Sécularisation

Les actions sociales nées dans le climat du Réveil de la fin du XIXe siècle avaient un objectif précis dans lequel s'inscrivait, tout aussi précisément, le souci d'évangélisation. Puis, historiquement, ces institutions se sont laïcisées et sécularisées dans un christianisme social de plus en plus proche du socialisme triomphant. Le protestantisme a toujours été plus à gauche qu'à droite, et il s'est senti très à l'aise dans la promotion des idées socialistes, parfois même communistes. Mais l'aide évangélique du protestantisme, plus conservatrice, a vu le socialisme souvent très laïque et le communisme foncièrement athée, une menace à toute la dimension spirituelle de son engagement. C'est alors qu'une fracture s'est naturellement faite, non sans animosité, entre ce courant évangélique et le courant réformé. Cette déchirure dans le tissu protestant a provoqué, chez les évangéliques, une méfiance sans borne à l'égard de toute engagement politique, social et syndical. Le premier fruit regrettable de cette fracture a été un désengagement des évangéliques de toute action sociale, prétendant que cette dernière devenait un tremplin inacceptable aux idéaux politiques de gauche. « Faire du social » était alors faire des compromis à l'égard des positions évangéliques. Rares furent les œuvres évangéliques qui perdurèrent, à l'exception de toutes celles qui voulaient foncièrement garder l'option « évangélisation explicite », voire conditionnelle.

Il a fallu attendre cependant plusieurs générations pour que les évangéliques reviennent sur le terrain de l'action sociale. D'une part, ils ont constaté une éclosion de multiples associations à but humanitaire, où de nombreux croyants ont trouvé une vocation, comme acteurs dans le lien social et comme témoins d'une espérance chrétienne. D'autre part, les chrétiens ont pris conscience que l'engagement social nécessitait des compétences, et ils ont modestement pris la route de l'école et de la formation. Enfin, de nombreuses voix se sont fait entendre pour que les chrétiens et les communautés soient présents concrètement sur le terrain, là où les hommes les attendent plutôt que dans les églises où ils n'entrent plus.

Redémarrage

La prise en compte de ce triple mouvement a présidé à la naissance de l'Action sociale évangélique, l'A.S.Ev. en 1979, sous l'impulsion de l'Alliance évangélique française, d'un groupe de responsables d'œuvres d'action sociale et de diaconie d'origine protestante.

Les statuts des l'A.S.Ev. énoncent quatre objectifs clair :

  1. Faire mieux connaître la dimension sociale de l'Évangile, conformément aux exigences de la Bible.
  2. Promouvoir une formation adaptée aux besoins des travailleurs sociaux chrétiens, tant professionnels que bénévoles, impliqués dans une action diaconale.
  3. Encourager les chrétiens à s'engager dans les établissements sanitaires et sociaux.
  4. Faire bénéficier ses membres de divers services, notamment d'être mis en relation avec les établissements du secteur social et médico-social dans le cadre d'une recherche d'activité professionnelle.

On en arrive donc à une professionnalisation du confessionnel !

Les sœurs protestantes

Très peu de personnes savent que le protestantisme possède, dans les nombreuses branches de son expression, des ordres religieux proches du monachisme.

Ce mouvement a une histoire passionnante car, comme presque tout ce qui est des initiatives humaines, il est le fruit des plus belles et des plus nobles intentions qui soient. Les déviances et les perversions qui suivirent entraînèrent cependant une juste méfiance.

Quand la Réforme a cherché à rendre à l'Église chrétienne son vrai sens, elle a premièrement redonné à la Parole de Dieu, la Bible, sa place privilégiée, condamnant du même coup toutes paroles humaines, fussent-elles religieuses. Les réformateurs ont cherché à s'éloigner de toute forme liturgique, rappelant que le rituel tuait le spirituel. Si l'Église devait être universelle, elle ne devait pas être catholique pour autant.

Dès lors, tout ce qui, de près ou de loin, s'approchait de Rome devait être jeté dans le feu de la géhenne ou livré à Satan !

La Réforme promulguait la sola scriptura, mais refusait ce que cette parole avait parfois suscité, avec plus ou moins de justesse. Comme les tiers ordres.

Le retour des religieuses

Si l'Église devait être une communauté de croyants, ces derniers devaient rester levain dans la pâte, lumière dans le monde, sel de la terre. Tout esprit monastique était considéré comme un refus de participation tangible à l'avancement du règne de Dieu sur terre.

Il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour que l'on reparle, dans l'Église protestante, de « religieuses » et de communautés de vie autres que celle, par exemple, des quakers.

Le « retrait » du monde n'étant pas évangélique, il fallait prouver que telle n'était pas la raison du « retour des religieuses », même arborant une croix huguenote.

Ce retrait n'était en fait qu'apparence, puisque les femmes qui réclamaient puis acceptaient d'entrer dans ce mouvement du Réveil, ne s'éloignaient pas de ce que ce vaste mouvement revivaliste suscitait partout : les grandes œuvres protestantes à caractère social. Ainsi, les « sœurs » ne seront-elles pas des religieuses, mais des « diaconesses », c'est-à-dire des servantes (féminin de diacre).

Elles diront ce que Marie – qui n'a pas toujours été une référence huguenote – a dit à l'ange qui l'introduisait dans le grand mystère messianique de Dieu : « Je suis la servante du Seigneur ! »

Cet esprit d'obéissance dans la diaconie, dans le service est, par essence, l'un des plus bibliques qui soit. Et le protestantisme ne pouvait l'éviter, en attendant de penser plus sérieusement encore au ministère pastoral féminin.

Pour l'heure – il y a de cela 160 ans ! –, que des femmes se donnent les moyens pour répondre à pareil service, n'est ni banal, ni normal. Ces moyens passent, pour elles et selon leur vocation, par le partage des biens et le célibat. Être libre de tout, non pour s'extraire, mais pour mieux s'engager.

A situation nouvelle, action nouvelle. Ce doit être une capacité, voire un charisme de l'Église que de savoir répondre, quand il faut, aux questions qui surgissent. L'adaptabilité du protestantisme rend plus efficace le témoignage vécu.

Le monde bouge, les mentalités changent, les besoins – même s'ils sont souvent identiques – exigent des réponses toujours actualisées. C'est ainsi que naît une « nouvelle race de chrétiens », de serviteurs, de diacres : les chrétiens qui vont dans les rues pour sauver ceux qui sont perdus. A ces « paumés », ces marginaux, ces oubliés du progrès et du profit, il faut redonner vie et espérance. La communauté était lieu de vie, nid et abri, elle devait devenir salvatrice.

Aujourd'hui, il y a trois grands mouvements de diaconesses en France : les diaconesses de Reuilly, les diaconesses de Strasbourg, et la communauté des sœurs de Pomeyrol.

Nous avons rencontré quelques-unes de ces diaconesses et c'est volontiers qu'elles nous ont fait part de leur itinéraire pour le moins particulier.

Sœur Cornélia est d'origine allemande et, à trente-quatre ans, a été consacrée après un long cheminement dans divers lieux de ressourcement spirituel pour ensuite entrer en noviciat à Versailles, base importante des diaconesses. C'est dans cette communauté de Reuilly qu'elle s'est engagée, et comme dans la vie civile, elle est infirmière, elle poursuit aujourd'hui son métier à l'hôpital des diaconesses de Reuilly (Paris).

Elle explique :

« Il y a un juste équilibre entre tout ce que nous vivons. Nous ne sommes pas seulement des contemplatives, mais des actives. Cette double action est essentielle pour ma vie. [...] Je pense souvent à cette histoire dans l'Évangile où un démon est chassé de quelqu'un. Cet esprit malin va et vient sans savoir où aller. Finalement, il revient chez l'exorcisé et comme il trouve la place vide, il appelle à lui d'autres démons pour s'emparer du pauvre homme. Il ne suffit pas de faire le vide en soi et de chercher à faire place nette. Il faut savoir remplir ce vide par quelque chose de bon. De plus, ce n'est pas nous qui pouvons bien remplir cet espace, mais Dieu seul. Notre rôle se situe dans l'imploration du Dieu à venir. »

Sœur Cora est devenue diaconesse à l'âge de soixante-quatre ans. Veuve, mère de deux filles aujourd'hui mariées, c'est au moment du décès de son mari qu'elle est entrée en contact avec les diaconesses. Sept ans plus tard, elle les rejoignait pour entamer son noviciat. Après un postulat court, situé entre Pâques et Pentecôte, sœur Cora a vécu une partie de son noviciat dans une des maisons des diaconesses, notamment celle de Haute-Loire, à deux pas du Chambon-sur-Lignon. Là, comme dans chaque maison, elle vit au rythme des trois offices quotidiens, ouverts à tous. Elle, qui longtemps a cherché le sens de sa vie, aime à dire Dieu à ceux qui cherchent encore :

« Il ne faut cesser de répéter que Dieu existe. Les gens s'interrogent et interrogent même le ciel. Ils croient n'avoir pas de réponse parce qu'en fait, ils n'entendent pas la réponse que Dieu leur donne et qui est différente de ce qu'ils aimeraient entendre. Cette autre réponse, ils la perçoivent comme une non-réponse. C'est pourquoi il faut dire et dire encore que Dieu est, même pour qui ne le voit pas ! »

Sœur Marie-Christine est devenue diaconesse à quarante-trois ans. Secrétaire, elle était très impressionnée et attirée par les expériences communautaires, ainsi que par le secours à apporter aux pauvres. Pendant plusieurs années, elle s'est impliquée dans un vaste travail social entamé par l'église baptiste de Lille. Elle y a fait ses premières armes. Forte de cette expérience lilloise, elle tenta ensuite de lancer un même programme à Paris, mais ce projet ne semblait pas assez mûr pour aboutir. C'est alors qu'elle s'est rendue à Versailles. « Je suis arrivée là comme on arrive au port, comme on foule enfin une terre promise ! » Devenue diaconesse, elle exerce son ministère en tant que... secrétaire. Une activité qui ne lui fait pas oublier une des choses essentielles partagées chez les diaconesses : le silence. Elle explique :

« Il faut, par le silence et par la régularité de la prière, recevoir la nourriture de Dieu. Le silence n'est pas le vide. Quelle souffrance de constater que notre monde connaît un énorme manque et besoin de Dieu ! Il a besoin de cette communion qui le fera vivre. Une des richesses de notre vie est que, en étant bien ou moins bien, nous sommes ramenées à l'essentiel. Tout est à sa juste place. Si je ne vais pas bien, je ne cherche pas à oublier ou à fuir en entrant dans une salle de cinéma : je fais front au problème. Cela est possible lorsque l'on n'a pas peur de se regarder. Les gens ont peur du silence et de la solitude parce qu'ils ont peur d'eux-mêmes. Il nous faut témoigner que nous ne sommes jamais seuls dans cet enfer et qu'il y a quelqu'un prêt à nous en décharger. »

Des lieux de liberté

Il y a, en France, une petite centaine de diaconesses de Reuilly. Les œuvres et institutions des diaconesses de Reuilly (O.I.D.R.) forment une association reconnue d'utilité publique qui regroupe les établissements dont les sœurs ont la charge. Elle sert aussi de support juridique à la communauté. Un directeur général coordonne le travail des différents établissements, en lien avec un conseil d'administration et la communauté des diaconesses.

La maison mère se trouve à Versailles.

Divers établissements sont donc régis par les O.I.D.R. : à Paris, le célèbre hôpital des diaconesses, une école d'infirmiers et infirmières, un foyer. Dans la Drôme, une maison de retraite médicalisée. En Charente-Maritime, une maison de retraite médicalisée, un institut médico-pédagogique, un centre de réadaptation par le travail. Dans les Yvelines, une maison de santé gériatrique, long séjour et soins palliatifs. Sans parler de quatre maisons de prière et d'accueil en divers endroits du pays.

A l'énumération de ces établissements, il est facile de remarquer que les diaconesses sont bien des « servantes » et pas seulement des sœurs contemplatives. Les œuvres médicales dont elles s'occupent sont aussi des lieux où la dimension et la démarche éthique sont très importantes. Ainsi, pour présenter l'hôpital parisien, la direction précise :

« Dans la volonté d'ouverture et de service de tous, l'établissement se veut un lieu de témoignage de l'amour de Dieu pour chaque être humain. Toute personne qui respecte la référence évangélique, même sans y adhérer personnellement, peut y insérer son service et sa motivation humanitaire. »

Cette articulation entre conviction et recherche, certitudes et compromis, a été exprimée par saint Augustin : « Nous cherchons ce que nous avons déjà trouvé, et l'ayant trouvé nous le cherchons encore... »

C'est dire que les établissements des diaconesses ne sont pas des lieux de catéchisme, ni de prosélytisme. Ils se veulent cependant des lieux de liberté où sont scrutées ensemble les questions que pose la souffrance des hommes.

Des actions révisables

Yves Guiton, qui fut longtemps directeur général des O.I.D.R., aimait à dire :

« Les réponses que l'on peut apporter sont de l'ordre du compromis et du provisoire. Elles sont contingentes aux systèmes de pensée qui nous habitent et à tout ce qui limite notre action. Nos “positions éthiques” n'ont rien de vérités universelles, mais sont des “compromis d'action” valables ici et maintenant, et donc révisables. »

Il n'est pas possible de dresser le catalogue des questions éthiques que soulève la pratique quotidienne de la maladie chez les diaconesses, mais on peut citer le combat contre la souffrance, un combat prioritaire et de longue date dans les établissements mentionnés. Et ceci a un lien direct avec le protestantisme et la Réforme puisque la tradition réformée n'a jamais fait de place à une spiritualité de la souffrance oblative, caritative.

Cela se traduit par la mise en œuvre des péridurales à la maternité, d'une consultation antidouleur, et l'accompagnement des mourants en fin de vie. Plus largement, les soins dits de confort ne sont pas méprisés. Une certaine volonté de les intensifier est même observable sous des formes inattendues comme l'acupuncture, l'homéopathie, les phytothérapie, les méthodes de relaxation.

Des chemins à inventer

Le combat contre l'exclusion est un autre fil conducteur des O.I.D.R., que cette exclusion soit sanitaire (accompagnement des malades du sida) ou qu'elle soit sociale.

Restent d'autres questions sans réponse satisfaisante, comme le compromis à trouver entre la vérité qu'on doit aux malades et à leur famille, et la défense, devenue d'actualité, des intérêts de l'institution et de ses praticiens en cas d'affaires médicolégales.

Les diaconesses tente d'éviter que la démarche éthique de l'institution se réduise à une série d'idées généreuses, coupées de la réalité, et qui donnent trop facilement bonne conscience.

La pratique au quotidien est redoutable, d'autant que la recherche éthique n'est pas préalable à l'action. Elles coexistent :

« C'est ce qui donne sens à nos pratiques, et forge une communauté morale, même si les réponses sécurisantes se dérobent sous nos pieds ! » (Y. Guiton)

Sœur Évangéline, prieure des diaconesses de Reuilly, donne en quelques mots tout le sens de la vocation des diaconesses en général :

« Au jeune garçon que le sida emporte, au couple qui vient demander une assistance médicale pour avoir un enfant, à l'enfant que l'angoisse a muré dans le silence, à ceux qui cherchent un encouragement dans la foi, c'est la même parole qui se donne : celle d'une rencontre proposée, sur des chemins qui n'ont pas fini de s'inventer, à travers quelques vies offertes pour la vie. »

La règle des diaconesses de Reuilly

En plus d'une confession de foi typiquement protestante, les diaconesses de Reuilly ont élaboré une règle de vie dont le ton et le style sont une illustration rayonnante de leur programme, voire de leur vocation. Jugez :

– La source à laquelle s'abreuve une communauté coule dans le cœur qui aime et pardonne. La fraîcheur des relations repose dans l'esprit humble qui ne juge pas.

– Que votre amour fraternel soit sincère.

– Les faux silences, les amertumes, les politesses factices sont porteurs de mort. Tout n'est pas gagné d'avance dès l'instant où nous mêlons nos vies, fût-ce pour l'amour du Christ, car notre adversaire le diable rôde. Il en est du champ de cette vie comme de celui de l'Évangile que l'ennemi ensemença d'ivraie.

– Ne pense pas que la tâche d'aimer soit accomplie parce que tu n'aurais de disputes avec personne et ferais le travail qui t'est demandé. Ce n'est que l'apparence des choses. Leur réalité demande beaucoup de sérieux et d'offrande cachée.

– Faire d'une étrangère sa propre sœur est une sorte de conversion, toujours un miracle, un bonheur sans fin. Prie nommément pour chacune et accueille les heures de partage communautaire comme des moyens de grâce. Elles nous forment à la transparence et à la compréhension plus authentique les unes des autres. Donne et reçois. Aide à construire l'amour.

– Rends mille services à tes sœurs. Puisqu'elles ont un jour ouvert leur demeure, ne réserve pas ta générosité pour ceux du dehors. L'élan, le bondissement de ce jour seront mis à l'épreuve de la durée, mais si tu es fidèle, tu triompheras de l'épreuve et ton consentement conservera sa virginité et sa radieuse lumière.

D'autres diaconesses

Les sœurs de Pomeyrol, de la région de Nîmes, sont davantage des sœurs contemplatives. Elles signalent que leurs objectifs premiers sont l'évangélisation par le silence, la prière et les retraites spirituelles. Elles sont une douzaine.

Les diaconesses de Sainte-Élisabeth, à Strasbourg et au Horodberg s'investissent dans l'accueil et le travail social. Elles sont une soixantaine.

Les diaconesses du Neuenberg ont une maison à Ingwiller, toujours en Alsace. Elles sont engagées dans un service social et dans l'aumônerie. Elles sont plus d'une quarantaine. D'autres diaconesses, du même mouvement, sont installées dans une maison à Erckartwiller et consacrent leur vie essentiellement à la prière. Elles sont une dizaine.

L'Armée du salut

Il n'est pas possible de parler de l'engagement social des protestants sans parler de l'une des œuvres les plus connues et les plus visibles encore aujourd'hui : l'Armée du salut.

Il s'agit d'une organisation d'évangélisation et d'aide aux plus démunis fondée en 1878 par William Booth, pasteur méthodiste anglais. Il trouve que son Église n'est pas assez proche du monde ouvrier qui, à cette époque, connaît de très grandes difficultés (exploitation, pauvreté, alcoolisme, misère). Il fonde en 1865 une mission : l'association chrétienne pour le Réveil. Pour lui conférer une plus grande efficacité, il lui donne des 1877, une structure militaire, grades et uniformes, etc. C'est en 1878 que cette association devient l'Armée du salut.

C'est la fille de William Booth, Catherine, qui viendra implanter l'Armée du Salut en France dès 1881, non sans mal.

La devise de cette association reconnue d'utilité publique a été pendant cent cinquante ans : « Soupe-Savon-Salut. » En 2001, elle a été modernisé pour devenir : « Secourir, accompagner, reconstruire. » En effet, elle s'engage activement dans un véritable combat en faveur des déshérités.

Aujourd'hui, l'Armée du salut compte dans le monde plus de 25 000 officiers répartis dans plus de 85 pays. Elle entretient quelques 60 000 employés et environ 3 millions de « soldats ».

Il est difficile de signaler toutes les initiatives protestantes dans le domaine social, mais il serait injuste de ne pas mentionner certaines œuvres ou mouvements dont l'importance n'est plus à démontrer.

La Croix-Rouge, fondée en 1883 par Henry Dunant, protestant très influencé par le Réveil. Sa volonté a été pourtant de faire de ce mouvement un organisme foncièrement laïc.

La Croix-Bleue, fondée en Suisse par le pasteur Louis-Lucien Rochat qui avait pris conscience, en 1877, du fléau de l'alcoolisme et qui proposa une structure pour aider les personnes à s'en sortir. La Croix-Bleue fut introduite en France en 1883, par Lucie Peugeot sur les lieux même de l'entreprise familiale (dynastie protestante). Pour des raisons propres à la situation française, la Croix-Bleue française est indépendante de toute Église, mais affirme l'aide nécessaire de Dieu pour les abstinents.

La C.I.M.A.D.E. (Comité inter-mouvements auprès des évacués). En 1939, le monde s'enfonce dans la guerre. De jeunes protestants s'engagent auprès des évacués, puis auprès des étrangers, des juifs parce que ceux-ci sont parfois internés. Sous l'impulsion de Madeleine Barrot puis du pasteur André Dumas, la solidarité évangélique s'organise. Des enfants juifs sont passés en Suisse clandestinement. Plus tard, c'est sur le thème de la réconciliation que la C.I.M.A.D.E. travaille à l'accueil des réfugiés et des migrants en situation illégale. Aujourd'hui, la C.I.M.A.D.E. œuvre toujours en France pour la défense des étrangers et pour une solidarité internationale.

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