Oui, nous sommes protestants

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Témoignages divers

Daniel Vernet, journaliste

Daniel Vernet est rédacteur en chef d'un quotidien national. Interrogé sur le phénomène religieux et sur ses influences, il parle aussitôt de ses excès.

Votre observation sur la montée des intégrismes ?

Il est évident que l'on constate actuellement une montée des fanatismes et des intégrismes ; c'est vrai chez les catholiques, chez les juifs, et bien sûr chez les musulmans ! On a l'impression que tous les intégrismes religieux prennent le dessus sur des interprétations plus libérales ou plus démocratiques des idées religieuses. C'est très inquiétant ! Je trouve même cela, personnellement, inadmissible. Et je crois que les protestants ont quelque chose à dire dans pareil climat : affirmer que le christianisme est une réalité de grâce, de foi, d'amour, mais pas de religion. Les idées fortes du protestantisme sont les meilleurs remparts contre la religion, le fanatisme religieux et les intégrismes.

Mais en essayant de faire passer une idée comme celle-là, est-ce qu'on ne se met pas à bousculer toutes les autres et à devenir soi-même un peu fanatique ?

Il faut faire attention. C'est là que le respect d'autrui entre en nécessité !

Le journaliste possède un certain pouvoir en communiquant. N'est-ce pas une tentation que de faire passer ses idées par les canaux que l'on maîtrise ?

Je ne vais pas utiliser ma position pour promouvoir mes idées ou pour risquer de ne plus être objectif. Il faut reconnaître pourtant que nous souffrons d'un certain déficit dans nos rapports avec les autorités protestantes, peut-être parce qu'il y a un problème de nombre, mais aussi parce qu'il y a la faiblesse acceptée d'une organisation qui se sait moins omniprésente que l'Église catholique.

On a parfois l'impression que le protestant s'excuse de l'être, de déranger. Il est facile d'observer qu'il refuse souvent d'utiliser certaines situations (politiques, économiques, sociales) comme tremplin pour montrer sa différence ; une prudence que tous n'ont pas !

C'est vrai ! Mais si vous dites que les protestants n'utilisent pas de tremplin, je trouve cela plutôt bien. Ce qui ne veut pas dire qu'il faut être honteux d'avoir une telle position. Au contraire ! Mais tout cela se manifeste davantage par une attitude que par une proclamation.

Jean-Paul Willaime, sociologue

Le sociologue protestant Jean-Paul Willaime, évoque l'attitude de ses condisciples à l'égard de l'argent :

« La première chose à dire est la suivante : l'argent, dans l'Église et le christianisme, n'est pas en odeur de sainteté. D'une part parce que l'idéal chrétien de la pauvreté a été largement valorisé au cours du Moyen Age ; d'autre part parce que toute une critique du capitalisme a été développée par l'Église catholique. Ainsi, celle-ci critique toute société basée sur le profit économique et sur l'accumulation des richesses. De même le libéralisme économique, qui crée un écart entre les riches et les pauvres et se focalise sur l'accroissement des richesses, est largement dénoncé. Côté protestant, on trouve la fameuse thèse de l'affinité entre le protestantisme et le capitalisme, thèse développée par le sociologue Max Weber1. Cependant, il faut bien comprendre que le protestantisme n'est pas à l'origine du capitalisme. La thèse établit simplement une parenté entre un certain protestantisme puritain (la prospérité calvinisme de deuxième et troisième générations) et un certain esprit d'entreprise.

1 Max Weber, juriste, économiste et sociologue allemand protestant (1864-1920) ; L'éthique protestante et l'esprit capitaliste, Plon, 1957.

La préoccupation du puritain est de savoir s'il est ou non sauvé. Angoissé par la question de son salut, il a tendance à considérer la réussite matérielle, l'accroissement des richesses, le succès dans les affaires comme un signe de la bénédiction divine. Dieu porte un regard bienveillant sur lui et le confirme ainsi dans sa situation d'élu.

Ce protestant puritain, qui accumule les richesses, se conduit pourtant comme un ascète dans le monde. Ce paradoxe exprime tout à fait la conception protestante.

L'engagement dans le monde, y compris dans les activités économiques, n'est pas destiné à vivre dans la luxure, à se relâcher, ou encore à profiter des plaisirs de la vie. Il doit permettre de se conduire dans le monde comme un « saint ». Autrement dit, cet engagement, on doit faire fructifier les dons et les richesses (parabole des talents, dans l'Évangile) non pour soi, mais pour la gloire de Dieu.

Cela a donné naissance à un type de protestant pouvant être assez riche sur le plan financier, mais en même temps avec une réserve certaine et un style de vie assez austère. Ce qui est tout le contraire de l'attitude ostentatoire de quelqu'un qui étale ses biens et pour qui la richesse est un but en soi. Le protestant admet qu'il faut de l'argent pour vivre dans la société, pourtant il connaît une certaine gêne. L'argent lui fait un peu peur ; n'est-il pas associé au diable ? Ne faut-il pas choisir entre Dieu et Mammon ?

On ne peut pas nier la nécessité de la richesse. En même temps, il existe un moralisme inscrit dans une conception éthique qui pousse à une certaine frugalité personnelle. Prenons l'exemple du protestantisme méthodiste : les personnes se situant dans la mouvance de John Wesley se conduisaient méthodiquement dans la vie, d'une manière discrète, rationnelle et surtout, ils avaient horreur de l'oisiveté. Selon eux, il fallait toujours s'activer, faire fructifier les dons reçus. Ces méthodistes se sont ainsi enrichis tout en menant une vie très sobre, voire chiche. Plus tard, les pasteurs ont trouvé que les méthodistes étaient trop installés dans la vie, trop riches, d'où la nécessité d'un Réveil pour revenir aux intuitions originelles et à l'esprit de consécration du méthodisme de Wesley. Nous nous trouvons là face à un paradoxe que connaît tout protestant religieux. La nécessité de se conduire méthodiquement dans la vie procure à cet homme la richesse. Cependant, cette richesse étant interprétée comme un affaiblissement de la foi, une nouvelle nécessité s'impose à lui : il doit provoquer le retour aux origines pour retrouver sa vitalité religieuse initiale.

C'est par la gestion de ce paradoxe permanent que le protestantisme a développé une véritable éthique du travail. Il a valorisé ce travail jusqu'à en faire une vocation. Toute la Réforme protestante repose sur la valorisation religieuse de l'engagement dans le monde et dans les activités temporelles. L'excellence religieuse ne peut se vivre par une rupture avec le monde, par exemple en s'enfermant dans des monastères ; le lieu d'engagement chrétien est bien la société, y compris dans son activité économique. D'où la spiritualisation de l'activité.2 »

2 Jean-Paul Willaime : « Foi et argent » (Hors série n° 9 du Christianisme aux XXe siècle, 1994).

Bernard Haller, comédien

Bernard Haller est humoriste, et ses spectacles sont des one man shows à double tranchant. Comédien jouant des textes, Bernard Haller a préféré répondre à mes questions plutôt que de rédiger un témoignage, peu habitué à parler de son protestantisme.

On vous situe, sociologiquement, dans la famille protestante. En réalité, quelles sont vos racines et comment vous situez-vous vous même ?

Je suis d'une famille très protestante. Du côté de mon père, ma famille est suisse alémanique, d'un milieu très religieux et je me souviens de ma grand-mère fort croyante.

Du côté de ma mère, la famille est descendante de réfugiés de la révocation de l'édit de Nantes ; donc des gens qui restaient dans le droit fil de la Réforme.

Cette branche paternelle de ma mère avait trouvé refuge dans le canton de Vaud, en Suisse. J'ai été élevé dans la tradition et la confession protestante en passant aussi au collège de Calvin. Tout au long de mon enfance, j'ai vu ma mère croyante et pratiquante. Comme elle avait la responsabilité de mon éducation, elle m'a entraîné sur ce chemin pierreux.

Pierreux ?

Parce que tous les chemins sont pierreux et les chemins de la foi ne sont pas plus faciles que les autres, voire plus difficiles. Et, lorsqu'on les quitte, on se trouve dans des broussailles, échevelé, désemparé. On les regrette et on les envie.

Parlez-moi encore de votre mère et de sa mission d'éducatrice.

J'ai un souvenir très précis : J'étais petit et c'est à-propos du Notre Père. Ma mère s'agenouillait dans ma chambre, lorsque j'étais au lit, et elle m'enseignait cette prière. Assez vite, lorsque j'ai su la dire, elle m'a laissé la responsabilité de prier vraiment tout seul. Une démarche très protestante !

Alors, je suis resté seul dans le noir de ma chambre, pour prier en responsable. Après quelque temps de réflexion, je me suis dit que certainement tous les enfants du monde devaient être en train de murmurer leur Notre Père seuls dans leur chambre comme moi ! Et je me suis inquiété. Comment Dieu pouvait-il entendre tout ce que je lui disais dans un murmure au milieu de tous les autres murmures d'enfants ? J'ai commencé à parler plus fort sans pour autant être persuadé d'être mieux entendu. Puis je me suis mis à hurler le Notre Père. C'est ma mère qui est arrivée en courant, se demandant ce qui m'arrivait. Je n'ai pas osé lui dire que je doutais de ce que Dieu puisse m'entendre. Je savais déjà que les adules avaient généralement raison, mais quand on est petit, on sait aussi qu'il y a des trucs qu'ils ne comprennent pas. J'étais sûr que ma mère, la super-croyante, ne pouvait pas comprendre mon angoisse. Alors, j'ai repris ma prière murmurée, mais dans un esprit déprimé.

Un jour, je me suis dit : « Tu es stupide. Celui que l'on ne prie jamais, celui qu'aucun enfant ne prie, c'est le diable. Et si tu le priais ? Il serait tellement étonné que quelqu'un le prie qu'il écouterait. Je serais le seul à le prier chaque jour et il serait bien obligé de m'écouter, n'ayant personne d'autre. Donc, il m'exaucerait. »

J'ai trouvé mon idée géniale et j'ai transposé ma prière : Notre diable qui êtes aux enfers... Et je lui demandais des choses avant de m'endormir, rassuré. Chaque fois que tout allait bien, je me disais : il t'a entendu !

Et lorsque je voyais ce qui se passait autour de moi et les gens qui se plaignaient en disant : « Mon Dieu, mais c'est diabolique, cette situation est infernale ! » je pensais qu'il était normal que le diable agisse ainsi puisque personne ne s'occupait de lui. Alors, comme les enfants, pour qu'on le remarque, il fait des bêtises !

Mais je sentais tout de même que je ne devais pas trop m'aventurer dans cette pensée, surtout vis-à-vis de ma mère !

Lorsque ma foi enfantine a disparu, je suis resté seul, respectueux de la foi que partageaient mes co-religionnaires.

Vous ne priez donc plus le diable, aujourd'hui ?

Permettez-moi cette boutade : c'est plutôt lui qui me prie. Il me prie de continuer à vendre du vent parce que le comédien est un marchand de vent. Heureusement, je ne suis pas un marchand du temple. C'est dire que du côté de Dieu, je dois tout de même avoir quelques actions !

Vous parliez de chemins de la foi quittés, cela veut-il dire que telle est votre expérience ? Que vous avez emprunté des chemins de traverse ?

Dans un sens, oui ! Chemins de traverse ? Au niveau d'autres confessions, je ne me suis engagé nulle part ; pourtant j'aurais volontiers été tenté par le bouddhisme. Pourquoi le bouddhisme ? Parce que ce n'est pas une religion conquérante !

Ce qui me déçoit beaucoup dans les religions, c'est leur parfaite incompréhension des autres religions et leur soif de conquête au nom de Dieu. Cette croisade perpétuelle me fatigue. Si j'ai choisi le chemin sur lequel je suis, c'est que je n'aime pas trop la pratique liturgique de la foi qui, aujourd'hui, m'est complètement étrangère.

Je dis toujours aimer traverser les passages cloutés parce que je vis en société et c'est ce qu'il faut faire ; mais je les traverse à des heures différentes des autres !

Un autre type de protestation ! Mais vous sentez-vous protestant ?

Pas autant qu'un protestant français se sent protestant. En effet, les minorités sont très soudées, or je suis d'une majorité puisque né à Genève. Je n'ai donc pas les même réflexes identitaires qui habitent les protestants français. Ceux-là se tiennent les coudes, se connaissent, se reconnaissent, vivent complicité et connivence, par une convivialité nécessaire. Les protestants français sont plus pratiquants que ne le sont les protestants suisses, parce que c'est pour eux une question de survie. C'est en tout cas l'impression que j'ai !

Vous parlez alors d'un attachement sociologique plus fort et jugé plus nécessaire que l'attachement religieux ?

C'est pourquoi je parle de convivialité et de complicité ; la fierté d'appartenir à un mouvement plus qu'à une Église.

Si vous prenez quelques distances avec les Églises constituées, en prenez-vous vraiment aussi avec Dieu lui-même ?

Votre question me fait penser à l'un de mes textes : Je vais chez mon médecin et je lui dis ne pas bien aller. Il me dit que la foi pourrait m'aider. Je lui réponds que ce n'est pas possible parce que je sais très bien que Dieu n'existe pas. Le médecin m'interroge : « Comment pouvez-vous avoir une telle certitude et affirmer que Dieu n'existe pas ? » Et je lui dis alors : « Parce qu'il me l'a dit ! »

Plus sérieusement, la notion du « Grand Barbu »...

Le mystère reste complet. Je n'ai pas demandé à venir au monde, mais je suis là. Je fais désormais partie d'un tout dont je ne sais d'où il est ni où il va. Quelle interrogation !

Je trouve remarquables les gens qui ont une foi très ancrée en Dieu et en Jésus-Christ, je les envie. Je me dis que ce sont des gens qui ont de la chance.

Alors ne faites-vous que les envier ou est-ce que vous aimeriez découvrir à votre tour cette foi qui fut celle de votre mère ? Lorsque, dans la vitrine d'un magasin, on remarque quelque chose qui fait envie, on entre et on cherche à savoir comment acquérir cette chose !

L'image est belle mais, pour entrer dans votre magasin, il faut une clé. Il me manque le code. J'essaie les chiffres sur le digicode, et je multiplie les combinaisons, je pianote, mais en vain. Il y a trop de combinaisons possibles ; je crains en avoir encore pour un moment.

C'est sans doute çà aussi, être protestant : être seul pour entrer en contact !

C'est étonnant que vous parliez souvent de Dieu dans vos sketches !

C'est normal parce que c'est une question qui me préoccupe beaucoup puisque je ne l'ai pas résolue. Le propre des gens qui n'ont pas la foi, c'est d'essayer de trouver une autre solution, y compris en parlant de Dieu. C'est pénible de ne pas avoir la foi. Remarquez, les gens qui ont la foi dans toutes les situations, c'est pénible aussi ! Et je me demande parfois s'ils ne confondent pas foi et superstition.

Les disciples disaient : « Seigneur, nous croyons, mais viens au secours de notre incrédulité. »

Je voudrais bien qu'il vienne aussi un peu au secours de la mienne. Mais ce sont peut-être mes doutes qui ont forme de foi ! Et puis, j'ai souvent très peur de la manière dont les hommes utilisent la foi. Même les chrétiens ne sont pas des saints. C'est comme pour les centrales nucléaires : l'atome n'est pas dangereux tant que nous avons des « saints » qui s'en occupent. Mais dès que vous avez des gens moins saints, ils vous font la bombe atomique. Il nous faut, dans l'Église, premièrement des gens généreux dans l'âme et, deuxièmement des gens qui admettent la différence.

Hélas, les hommes sont souvent sectaires et le sectarisme vous entraîne sur des rails qui font dérailler ceux qui les utilisent !

En dénonçant ces travers, vous avez des réactions très protestantes !

Là où je ressens encore plus fort mon protestantisme, c'est dans la peur de l'utilisation de la religion, et dans ma peur de ceux qui croient avoir raison de tout, et surtout de l'autre. Les corps constitués sont toujours dangereux. Les gens qui les composent tentent de vous dominer et de vous soumettre pour le bien de leur cause à eux. Il ne faut pas oublier les horreurs commises au nom de Dieu.

Michel T., imprimeur

« Je suis né dans une famille catholique, mais très peu pratiquante. La religion semblait une option, une garantie supplémentaire dans le domaine des assurances. Je suis très peu allé à la messe, et je n'avais aucun souvenir de mon baptême, pas même une photographie. On m'avait inscrit à un cours de catéchisme mais, très rapidement, j'ai souhaité ne plus m'y rendre. Jouer à la balle aux prisonniers puis entendre parler de Saint-Benoît ou de sainte Clarisse... très peu pour moi !

Le vrai questionnement et sans doute la première angoisse existentielle, sont venus au moment de la mort d'un camarade de classe. J'avais onze ans. Il s'était noyé dans sa baignoire. Pour moi, cette mort était doublement incompréhensible : comment peut-on se noyer dans sa baignoire ? Comment quelqu'un que l'on côtoie tous les jours peut-il disparaître aussi bêtement et soudain être absent pour toujours ?

Avec la classe, je suis allé à l'enterrement. Je pensais avoir une explication, une piste, et je n'ai rien entendu qui puisse aller dans ce sens au cours de la cérémonie funèbre. Ce que disait le prêtre aurait pu être du chinois, c'était incompréhensible. J'ai pleuré davantage de rage qu'à cause de la mort de mon camarade de classe.

A la sortie de l'église, un autre copain s'est approché de moi, dans l'intention, pensai-je de me consoler. J'avais plutôt envie de le rabrouer pour que ma faiblesse ne soit pas remarquée. Il m'a dit : “Je n'étais jamais entré dans une église !” Et il a ajouté : “C'est mortel !”

Nous avons ri et paru irrespectueux en pareil moment.

Pendant des années, j'ai utilisé la formule de ce copain pour parler de l'Église : C'est mortel ! Pourtant, la question de la mort, et donc du sens de la vie restait en moi sans réponse.

En terminale, avec la philosophie, tout a rebondi avec force. J'avais un professeur désespérant ! En sortant de ses cours nous devenions tous suicidaires en puissance. Il niait tout : Dieu bien sûr, mais aussi les grands sentiments comme l'amour, la passion...

C'est lors d'un de ces cours qu'un autre lycéen s'est mis à parler d'espérance et d'enthousiasme possibles. Il disait que la vie avait un sens et que ce sens pouvait être saisi par chacun dès lors qu'on cessait de cultiver son orgueil et de broyer du noir avec complaisance.

Cette déclaration fit l'effet d'une bombe d'autant que, d'ordinaire, cet élève était d'une discrétion à toute épreuve. J'ai aussitôt été fasciné par ce gars et son audace, heureux aussi de la façon dont il avait déstabilisé le professeur.

Ce fut le début d'une amitié et de la découverte de ce qu'est un protestant. Car ce qui avait provoqué la réaction et l'intervention de ce gars, c'était sa foi, et sa foi protestante. C'est ainsi que j'ai approché le protestantisme, dont je ne savais rien. Par amitié, j'ai ensuite accompagné cet ami dans son église. J'ai appris qu'il fallait dire temple, ce qui m'amusa, dans un premier temps, parce que pour moi, le terme temple était associé à la Grèce. J'étais vraiment ignare !

Lors des cultes (et non des messes... toujours une surprise de découvrir un autre vocabulaire !) j'ai été impressionné par la prédication (et non l'homélie !). Je me disais que mon professeur de philosophie devrait venir écouter ce pasteur (et non ce prêtre !) tant il y avait, dans ses messages, des analyses pointues et des éclaircissements sur nos comportements. Comme le message du pasteur était tiré de la Bible, j'ai eu envie de la lire. Chez nous, il n'y avait pas de Bible. Lorsque j'ai signalé mon désir d'en avoir une, mes parents m'ont rappelé que j'avais refusé d'aller au catéchisme où j'aurais pu en avoir une. Je me souviens que nous nous sommes alors demandés si les bibles se vendaient dans le commerce, ou s'il fallait passer par le curé. Un peu comme si, la nuit, le curé, dans la cave de son presbytère, imprimait des bibles à l'usage de ses paroissiens !

C'est mon ami protestant qui m'offrit le livre tant espéré. Il me donna aussi quelques conseils pour la lire car j'étais pris de panique. J'ai commencé à lire un évangile, puis les quatre. Dois-je dire que je suis tombé amoureux de Jésus ! Connaître son histoire, découvrir ses paroles était merveilleux ! Pourquoi ne m'avait-on jamais raconté cela aux catéchisme, ou à l'église !

Ma mère s'émut que je lise une bible protestante, sans doute différente de la bible catholique. J'ai appris plus tard ce qui les différenciait.

Je suis devenu un lecteur assidu et je me suis procuré plusieurs exemplaires de ce livre dans des traductions différentes. J'ai découvert l'existence d'une bible en français courant dont la lisibilité est merveilleuse. Non, la Bible n'est pas difficile à lire. Ce sont les protestants qui ont produit le plus de traductions différentes de la Bible pour la populariser.

Un jour, j'ai demandé à mon ami s'il était possible de devenir protestant. Jusqu'alors, je n'imaginais pas possible de changer de religion. Je suis né catholique et je pensais le rester. Un païen peut se convertir au catholicisme, mais un catholique peut-il changer de religion ? Est-ce utile ?

Mon ami me demanda pourquoi je tenais tant à devenir protestant. J'ai argumenté, je lui ai dit que je me sentais plus proche du protestantisme et surtout, que je me sentais trahi par le catholicisme qui ne m'avait rien dit de la Bible et du message de Jésus-Christ. Il m'a alors répondu que ce n'était pas là des arguments suffisants ni convaincants.

J'ai alors pensé que le protestantisme était un élitisme religieux : on ne pouvait en être que si on était né protestant. Mon ami m'a appris que l'important était de se sentir bien avec Dieu, qu'il fallait être chrétien avant d'être catholique ou protestant.

Une autre découverte a été prépondérante pour me pousser à devenir protestant. Après la lecture de la Bible et son accessibilité pour un simple type comme moi, ce qui m'a impressionné, c'est le fait qu'il n'était pas utile d'avoir entre Dieu et soi un intermédiaire, un prêtre ou une église.

La foi est une démarche personnelle et c'est personnellement, individuellement, que l'on s'approche de Dieu, qu'on gère sa vie et qu'on s'accorde avec lui. Entrer en liaison directe avec le Dieu de la Bible me semblait totalement nouveau, merveilleux et impressionnant. L'adorateur communique sans médiateur avec l'objet de son adoration !

Dès lors, j'ai pu me dire foncièrement chrétien, mais dans l'impossibilité de vivre ce christianisme dans mon église d'origine. Elle m'imposait ses rites, ses prêtres, ses saints et même Marie comme intermédiaires obligatoires pour atteindre, peut-être, Dieu.

Le protestantisme m'enseignait le libre accès auprès de Dieu. Un Dieu proche, si proche qu'il venait habiter en moi. Cette façon de voir me semble plus fidèle à ce que je peux lire dans la Bible. Mes lectures confirmaient la perception protestante de l'Évangile.

Sans autre hésitation, je me suis rattaché à une communauté protestante et j'en suis devenu membre. Je suis passé d'un catholicisme sociologique à une adhésion de cœur au protestantisme.

Le protestantisme n'est pas une religion du dimanche matin, déconnectée du quotidien, avec des rites et des cérémonies. Il est exigeant. Il réclame un engagement dans le monde, dans la vie de tous les jours, en harmonie avec l'engagement spirituel. Il nécessite que le projet de vie soit en accord avec l'engagement de foi professée, proclamée, protestée.

Quand j'en parle à mes amis catholiques, ils me disent souvent que j'ai de la chance d'avoir ainsi cheminé. Je reste étonné de ce que beaucoup refusent pareil itinéraire. On dirait que changer de religion est un crime. Oui, je suis chrétien avant d'être protestant, mais sans le protestantisme, le serais-je devenu ? Le serais-je resté ? »

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