Oui, nous sommes protestants

Conclusion

Le protestantisme a-t-il trop bien réussi ?

Jean Baubérot est sociologue, directeur de l'école des Hautes Études, auteur de nombreux livres sur le protestantisme – lui même est réformé – et sur la laïcité dont il est l'un des meilleurs analystes.

Au milieu des années 80, il proposait un ouvrage historique sur la place des huguenots dans la société française1. Dans cet ouvrage, Jean Baubérot montrait que, à longue durée, comme disent les historiens, le protestantisme avait contribué à construire la France moderne. Il avait été une des forces décisives dans le processus d'édification de la France contemporaine. Quelques années plus tard, le sociologue proposait un nouveau livre qui allait bouleverser l'ensemble du protestantisme, avec cette question redoutable : Le protestantisme doit-il mourir2 ? Après avoir parlé d'une présence efficace, il se demandait si cette même présence pouvait perdurer.

« Après la réussite historique, il est bon de se demander si, lorsqu'est réussie une parfaite intégration dans la société, il est encore possible de demeurer différent. C'est le problème actuel du protestantisme. Il est intéressant de remarquer que la France se “protestantise” au fur et à mesure qu'elle se déchristianise. Culturellement, la société s'est “protestantisée” au cours des deux siècles et cette “protestantisation” se poursuit aujourd'hui. »

1 Le retour des Huguenots, Éditions du Cerf/Labor et Fides, 1985.

2 Le protestantisme doit-il mourir ?, Éditions du Seuil, 1988.

Une politique protestante ?

Jean Baubérot, pour étayer son propos, fournit un exemple pris dans le domaine politique. Il signale que le type de démocratie anglo-saxonne, qui a été l'un des idéaux de la France du XIXe siècle, gagne de plus en plus la mentalité française. Notamment avec la réduction des antagonismes politiques, et l'alternance entre gouvernements de droite et gouvernements de gauche. Cette manière plus douce de gérer les affaires de la cité, d'essayer de dialoguer entre groupes sociaux a été longtemps rejetée avant d'être mis en pratique par Michel Rocard (protestant) qui acceptait de recevoir Raymond Barre. L'un des points forts de ce type d'action a été, toujours sous Rocard, et, avec notamment le pasteur Jacques Stewart, président de la F.P.F. du moment, la mission de dialogue en Nouvelle-Calédonie. C'est, selon Baubérot, une manière très protestante de faire de la politique.

Le sociologue remarque qu'il y a même une certaine « protestantisation » de l'Église catholique depuis Vatican II :

« Il est clair que l'Église catholique a intégré certains éléments de l'Église protestante : elle l'a fait en gardant sa logique propre et c'est bien normal, après tout ! On peut dire qu'elle a digéré les éléments protestants tout en restant l'Église catholique dans sa continuité. »

Qu'à cela ne tienne ! Pour Jean Baubérot, le protestantisme ne doit pas s'en offusquer. Par contre, il doit se renouveler sans cesse pour être toujours novateur. La récupération, la « protestantisation » de la catholicité n'est pas grave, au contraire. Loin de condamner le protestantisme à disparaître, il le provoque à la réflexion sur de possibles renouveaux.

Imitation mais pas fusion

Étrangement, ce thème développé par Jean-Baubérot ne le conduit pas à reconnaître un certain œcuménisme dans cette évolution de la société tant politique, laïque que religieuse. Selon lui, l'œcuménisme doit aussi retrouver une certaine identité car il a dévié de ses origines. La grande période de progression du mouvement a été une reconnaissance du pluralisme. C'était l'époque où aucune Église n'osait plus prétendre détenir la totalité de la vérité. Toutes les Églises étaient alors en dialogue pour s'enrichir mutuellement des diverses manières dont elles comprenaient et interprétaient l'Évangile. Il n'y avait plus que des frères dans la foi, même si les frères demeuraient séparés. Puis, par suite d'une pesanteur sociale, notamment en France où la différence numérique entre catholiques et protestants est très forte, l'œcuménisme est devenu uniformisant. Ce qui entraîne un discours nouveau. Grâce à lui, il n'y a plus de divisions, l'archevêque de Paris peut parler au nom de tous les chrétiens. Les juifs et les musulmans demeurent aujourd'hui bien repérés comme réalités religieuses dans la société française, mais les protestants, eux, sont noyés dans la masse chrétienne. Jean Baubérot trouve cela très dangereux :

« Voilà que l'Église catholique sert de médiateur entre les minorités chrétiennes et la société globale : c'est un paradoxe ! Les protestants qui ne pensent pas que l'Église est médiatrice passent désormais par l'Église catholique dans ses rapports avec la société civile et la société dans son ensemble ! »

Le sociologue, bon protestant, taquine aussi la théologie et Jean Baubérot dénonce le danger d'une disparition du protestantisme en faveur d'une société protestantisée.

« Le protestant n'est pas seulement membre d'un groupe social ou socio-religieux qui, en tant que tel, ne doit pas mourir ; c'est, par lui, une certaine lecture de l'Évangile qui ne doit pas disparaître. Si je parle aussi du salut par la grâce, de la justification par la foi, et même de la conception de l'Église dans le protestantisme, c'est parce que je veux dire et redire ce qui est essentiel et risque d'être perdu si la communauté protestante disparaissait en France. Je pense même que la France ne s'en remettrait pas ! »

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