Lettre de Makotoko à la Mère Bonté. — Mort de Johanné Nkélé. — Pour le service du Seigneur. — Besoin de secours. — Le premier synode des églises du Lesotho. — Difficultés. — Une visite à Molapo. — Visite de M. et Mme Paul Berthoud. — Mission extérieure. — Construction de la maison d’habitation. — Demande de congé. — Difficultés du travail à Léribé.
Le premier dimanche après la dédicace du temple de Léribé, Coillard écrivait à sa mère (4 juin. 1871) :
« Le voilà donc passé, le jour que nous avions tant désiré ! Notre église est ouverte. Je ne prêcherai plus en plein air ! Vous ne pouvez pas savoir tout ce que cela veut dire, ma bonne mère. Aujourd’hui — dimanche — j’aurais pu prêcher des heures, tant je me sentais heureux ! »
A Léribé, le paganisme se montrait de nouveau fort hostile, mais l’église restait fidèle : ainsi Makotoko écrivait, le 9 juillet 1871, à la mère de son missionnaire :
« Ma mère, je suis Nathanaël Makotoko, je vous salue dans l’amour du Seigneur. Depuis que la guerre a éclaté en France, mon cœur est rempli de tristesse. Je sais ce que c’est que la guerre, quelles souffrances elle apporte avec elle. Je pensais à vous, je vous savais très âgée, je me demandais tristement si vous quitteriez le monde sans me connaître ; et, quand je pensais à vous envoyer mes salutations, je me disais que votre grand âge ne vous permettrait peut-être pas de me comprendre. Mon pasteur me dit que non ; aussi, maintenant que la guerre est finie et que les lettres vont et viennent sans entraves, mon cœur brûle au dedans de moi, et je viens vous le dire. Je parlerai peu toutefois, car je ne suis qu’un enfant. Vous avez envoyé votre fils au Lesotho, au nom du Seigneur. Son amour pour vous nous dit votre amour pour lui. Vous avez d’autres enfants, vous les voyez près de vous ; toutes vos pensées sont pour celui qui est parmi nous.
Vous croyez que vous avez un seul fils à Léribé, parce que vous en avez envoyé un seul. Non, ma mère, vous en avez deux : le deuxième c’est moi, Nathanaël. C’est vous qui m’avez enfanté au Seigneur, car c’est vous qui avez donné la naissance au serviteur de Dieu, mon bien-aimé pasteur, qui est venu m’arracher des ténèbres pour me faire marcher dans la lumière. Vous avez beaucoup d’enfants à Léribé, et vous en aurez beaucoup plus encore ; moi, je m’appelle votre fils. Je ne dis pas de vaines paroles, ce que je dis sort de mon cœur : j’aime la mère de mon pasteur, je prie pour elle. C’est à vous que je dois le bonheur, dont je jouis, de connaître et de servir Dieu. Soyez bénie ! Vous n’avez pas vu ma figure ici-bas, mais vous me connaîtrez dans le ciel où nous allons.
Ma salutation, c’est bien peu de chose ; acceptez-la toutefois comme un gage de l’affection d’un de vos enfants : c’est un bœuf noir aux cornes fourchues. C’est ainsi que je me fais connaître à vous, ma mère ! Que vos fils et vos filles qui sont près de vous me connaissent aussi et me comptent comme l’un d’eux. Et, quand vous pensez à votre fils bien-aimé que vous nous avez envoyé et que nous aimons, pensez aussi à votre autre fils qui se nomme
Nathanaël Makotoko.
Coillard joignait son message au précédent (9 août 1871) :
« Ma mère bien-aimée, cette lettre de Nathanaël vous fera, je suis sûr, un grand plaisir. Il ne parle pas à la légère ; ce qu’il dit, il le pense. Depuis mon arrivée dans ce pays, il a toujours été pour moi un fidèle ami ; depuis sa conversion il est devenu un frère dont le dévouement ne connaît pas de bornes. Je m’occupe rarement de travaux manuels, soit au jardin, soit ailleurs, sans qu’il s’y associe avec entrain et persévérance. C’est un chef, il a beaucoup de dignité ; il réfléchit admirablement, dans sa vie, cette charité qui ne soupçonne pas le mal, qui excuse tout, qui supporte tout. Ce que j’ai déjà demandé à mon beau-frère de vous envoyer et ce que je vous envoie encore par lui pourra se monter à 100 francs : c’est la valeur du bœuf de Nathanaël. Ecrivez un petit mot à Nathanaël non seulement pour le remercier de son présent, mais surtout pour répondre à sa lettre. C’est un homme très intelligent.
Le dimanche 30 juillet a eu lieu l’enterrement de notre bon Johanné Nkélé, le premier Mossouto que j’ai baptisé et lui aussi un ami fidèle, sincère et dévoué, mon bras droit, une colonne dans l’église. C’est un coup terrible pour mon église, pour ma femme et pour moi. Il était si bon, si aimable, si prévenant, si dévoué pour Christina. Peu de jours avant sa mort, il me demanda de vos nouvelles et me chargea de salutations pour vous, « sa grand’mère, » comme il vous appelait toujours. Selon la coutume du pays, il désirait accompagner ses salutations d’un présent : c’était une belle brebis blanche. Je lui dis que je vous transmettrais ses amitiés et que nous parlerions de la brebis quand il serait guéri. Il secoua la tête et ne dit rien ; il avait le sentiment que son départ était proche et il ne se trompait pas. Il a gardé sa connaissance jusqu’au dernier moment. Peu d’heures avant son agonie, il envoyait ses salutations à Christina. Quand il ne parlait plus à personne, il essayait encore de me faire comprendre ce qui se passait en lui.
J’étais si ému près de cette fosse où nous venions déposer ses restes mortels, que je dus céder la parole aux membres de l’église qui, eux, avaient tout autant de peine à maîtriser leur émotion et à se faire entendre au milieu des sanglots de la congrégation. Vous savez que le Sauveur a dit que « ceux qui quitteraient père, frères ou sœurs, pour l’amour de lui, en recevraient déjà dans cette vie cent fois autant ». Or Johanné était un de ces frères promis par le Seigneur. Il s’en est allé en paix et avec joie ; sa mort a été le complément de sa vie de chrétien. Si c’était là le seul fruit de mon ministère en Afrique, je n’aurais pas travaillé en vain, et vous, ma mère bien-aimée, vous trouveriez, dans le salut d’une si belle âme, une grande récompense pour tous les sacrifices que vous avez faits pour Dieu. »
Peu après ces funérailles, « le monde eut aussi sa fête ; il s’agissait d’une cérémonie païenne, on la célébra par bravade avec beaucoup de tapage » ; un orage se déchaîna et deux jeunes filles furent foudroyées.
Cet événement, suivi de deux ou trois cas de mort non moins remarquables, produisit une vive impression sur l’esprit des païens. Ces avertissements ravivèrent le zèle et la vigilance des chrétiens, et l’évangélisation des villages fut poussée avec vigueur. Dans chaque hameau où se trouvait un chrétien, homme ou femme, le culte public du matin fut établi sans effort et sans peine. Ces étincelles éparses, rassemblées en un foyer commun, communiquèrent aux réunions de prière, au commencement de l’année 1872, une chaleur qui embrasa tous les cœurs.
Mais, en face de la tâche grandissante, Coillard ne se sent pas soutenu comme il voudrait l’être par les amis des missions dont il se considère, à juste titre, comme le mandataire :
« S’il est une pensée douce au cœur du missionnaire, c’est bien celle qu’il possède des amis dans la mère-patrie. D’amis personnels, peu peut-être, car, depuis son départ, une nouvelle génération s’est levée ; de ceux qui l’ont connu personnellement, plusieurs sont déjà entrés dans leur repos ; d’autres, absorbés par les œuvres et les besoins qui les entourent, ont vu leurs rapports avec lui se ralentir, puis s’éteindre tout à fait. Ils s’en sont consolés en lui donnant rendez-vous au ciel. Mais qu’importe, après tout, pourvu qu’ils aient toujours son œuvre à cœur, qu’ils la suivent de loin avec intérêt et implorent encore sur elle la bénédiction d’En-Haut. Que cette pensée fait de bien, comme elle embellit la solitude et adoucit les épreuves ! Reconnaissant même pour cette collaboration tacite, le missionnaire ne demande pas que l’on s’occupe de lui ; il peut dire de son œuvre ce que Jean-Baptiste disait du Sauveur : Il faut qu’elle croisse et que je diminue.
Mais l’avouerai-je, chers amis ? un nuage vient parfois — bien à tort sans doute — obscurcir ces sentiments-là. Je m’en veux d’avoir de telles pensées, pardonnez-moi pourtant de vous les dire en toute simplicité. Je me demande quelquefois si, en France, l’on croit vraiment à l’œuvre des missions ? Et lorsque, par toutes sortes de raisonnements d’un patriotisme chrétien, ému d’une sainte jalousie, je me persuade que oui, alors voici une nouvelle question qui surgit : Comment se fait-il donc qu’il y ait si peu de vocations de missionnaires ? C’est un problème pour nous et qui occupe souvent nos pensées. Le résoudre serait guérir une grande plaie. Oh ! jeunes gens de France, jeunes gens chrétiens, vous que Dieu a fait passer des ténèbres à sa merveilleuse lumière, que faites-vous ? En entendant nos cris de détresse et en jetant les yeux sur la carte du monde païen, un tressaillement intérieur ne vous aurait-il jamais répété cet ordre impérieux : « Le Maître est là et il t’appelle ? » Ne craignez rien ! si la vie de missionnaire a ses épines, elle a ses fleurs aussi ; le Seigneur sait compenser les unes par les autres : tout est en harmonie. Les liens sacrés qui peuvent vous attacher au sol natal s’étendront, mais ne se briseront pas : ils sont noués dans le ciel. N’hésitez pas, « nul qui va à la guerre ne s’embarrasse des choses de la vie, afin qu’il puisse plaire à celui qui l’a enrôlé. »
Pardonnez-moi cette digression si c’en est une. Lorsque je reçois une missive de quelque employé du gouvernement britannique, je lis en grosses lettres imprimées sur la grande enveloppe qui la contient : On her Majesty’s service ; cela donne à une feuille de papier une étonnante importance. Eh bien ! lisez aussi en tête de ma lettre, en caractères de feu, ces paroles : « Pour le service du Seigneur ! » C’est un message qui vient en son nom, un message pour vous. »
La mission du Lesotho avait besoin de renforts, son personnel se trouvait diminué. Le Comité de Paris envoya M. Preen, ancien missionnaire au Sénégal ; mais, après les épreuves des années 1870 et 1871, il ne pouvait, pour le moment, rien faire de plus. De son côté, l’église libre du canton de Vaud entendait le cri d’alarme poussé, à la fin d’octobre 1871, par Mabille : « Vous nous avez aidés de fonds pendant cette malheureuse guerre, vous nous avez aidés de prières, donnez-nous maintenant des hommesa. » Et elle mettait à la disposition de la mission du Lesotho, momentanément, avant de fonder une mission elle-même, MM. Ernest Creux et Paul Berthoud. M. et Mme Creux s’embarquèrent le 26 février 1872. M. et Mme Paul Berthoud ne s’embarquèrent que le 20 novembre, avec M. Louis Cochet qui retournait au Lesotho et un nouveau missionnaire, M. Frédéric Kohler. Le 16 juillet 1872, Coillard écrivait :
a – Lettres missionnaires de M. et Mme Paul Berthoud, 1873-1879, publiées par Gaston de la Rive, Lausanne, 1900, in-8, p. 6.
« J’ai fait dernièrement (après le 15 juin) une échappée à Thaba-Bossiou. En cette saison, c’est un voyage à cheval de deux jours, Frère Jousse m’avait invité à une fête de baptêmes. Une autre grande attraction pour moi, c’était d’aller souhaiter la bienvenue aux amis Creux et Preen et causer de la France et de ma bonne vieille mère que M. Preen a vue. Dirai-je les délicieux moments que nous passâmes ensemble ?
Nous venons, à notre tour, de recevoir la visite de M. Creux que frère Jousse nous a amené. Ce frère nous a fait du bien, il a dû le sentir lui-même. Dans notre réunion d’église du vendredi, où nous reçûmes ses salutations avec celles des églises de Suisse, nous lui répondîmes par les nôtres, et, en voyant parmi nous cet enfant des églises d’outre-mer, la force de nos sentiments nous faisait dire tout bas : « Je crois à la communion des saints ; » il fallait bien y croire puisque nous la sentions. Le dimanche, nous n’avions qu’un auditoire ordinaire, mais ce fut un jour béni.
M. Creux impressionna vivement l’assemblée par un discours qui perdit pourtant de son parfum par la traduction ; l’attention était intense. Aussi quand, à son tour, M. Jousse monta en chaire et que, dans son discours, il montra la dette immense que les Bassoutos ont contractée vis-à-vis des églises de France, dette qu’accroissent encore les sacrifices, les prières, les larmes de nos pères, mères et amis, l’émotion ne put plus être contenue et le service se termina au milieu des sanglots. L’après-midi, dans une réunion d’édification mutuelle, nous entendîmes encore d’émouvants échos des belles choses qui s’étaient dites le matin.
Vous ai-je déjà parlé de nos réunions de prière au commencement de l’année ? Elles ont eu un cachet tout particulier de ferveur et de solennité. Sans préméditation aucune, nous nous sommes surpris priant, intercédant pour des personnes dont on nous proposait les noms. Depuis lors, quelques-unes de ces personnes se sont converties, en petit nombre certainement, comparées à notre liste primitive. Mais c’est une garantie que le Seigneur nous a déjà entendus. »
Coillard était, lui aussi, saisi d’« un tressaillement intérieur » en regardant la carte de l’Afrique. Il sent l’immensité de l’œuvre, il voudrait reprendre son projet de mission chez les Bapédis formé en 1864 déjà, avec Mabille. Coillard, comme Mabille, est hanté par l’idée de la mission lointaine ; il craint que les églises de France ne s’en désintéressent ; il voudrait que les églises du Lesotho entreprissent elles-mêmes une œuvre de mission et il écrit à M. Casalis (22 juillet 1872) :
« Quant à la mission chez les Bapédis, j’en ai discuté le projet avec Mabille quand j’étais à Motito. Mon idée, c’était que ce fût l’œuvre des églises du Lesotho, et non de celles de France et encore bien moins de celles de Suisse. Je n’ai pas changé. Un missionnaire ayant déjà de l’expérience et connaissant la langue, qui partirait avec une escouade d’évangélistes et de maîtres d’école, serait certainement dans les circonstances les plus avantageuses pour y faire une belle œuvre. J’espère encore voir ce plan-là réalisé.
« Vous m’excuserez, n’est-ce pas, de vous avoir parlé avec autant de franchise. C’est que nous avons vraiment besoin que nos amis nous secondent. Notre tâche est grande et onéreuse. Une chose qui me fait de la peine, c’est de voir que notre mission sort des mains des églises de France. Savez-vous que la majorité de vos missionnaires à l’œuvre maintenant sont Suisses ? D’où vient donc qu’il y a si peu de vocations parmi les jeunes gens pieux de la France ? Cela ne m’étonne pas et ne vous étonnera pas non plus si vous comparez ce que les églises de Suisse font pour les enfants qu’elles ont envoyés et l’abandon dans lequel les églises de France laissent les leurs. C’est une question bien sérieuse pour la prospérité et pour l’avenir de la mission française, et je ne puis m’empêcher de vous la signaler. »
A la Conférence de Bérée, en avril 1872, il avait été décidé de constituer et de convoquer un synode général des églises du Lesotho. La vie d’église avait fait de grands progrès dans chaque station ; le temps était venu de lier en un faisceau des forces éparpillées et sans autre lien qu’une communauté de foi.
« Des conseils presbytéraux, consistoires, synodes, sont sans doute à nos yeux de grands mots pour de petites choses ; toujours est-il que tout doit avoir un commencement et que nous avons planté un jalon qui marque un grand progrès. J’ai rarement éprouvé autant de joie qu’à ce sujet-là. C’était un besoin senti dans nos églises ; nous avons prévenu, chez nos hommes chrétiens, un désir qui, avant peu, eût pris la forme d’une demande positive. Aussi, lorsque, à mon retour de la Conférence, dans une réunion générale de l’église et de ses annexes, j’exposai en peu de mots nos plans, j’aurais voulu que vous entendissiez les discours de Nathanaël, d’Élia Mapiké et d’autres et que vous lussiez sur les figures les impressions des cœurs. L’affaire prend peut-être aux yeux des païens des proportions démesurées. Molapo en paraissait terriblement mal à son aise et me demandait, avec une anxiété mal cachée, si les chefs auraient le droit de siéger à ce grand lékhotla. Cela me fournit l’occasion de lui rappeler qu’il a abandonné la place qu’il aurait pu y occuper avec honneur. Cela le toucha et il me demanda de continuer à prier pour lui.
Pauvre Molapo ! il est malheureux, je le plains de tout mon cœur. Je guette toujours les signes de son retour. Quelquefois il me semble bien près, et puis survient un changement subit et le voilà plus loin que jamais. Ça ne fait rien, il reviendra si la parole de notre Sauveur est vraie que personne ne peut ravir ses brebis de sa main. Oui, elles peuvent s’égarer, mais se perdre, non. Ces temps-ci, Molapo se montre animé de bonnes dispositions, c’est-à-dire qu’il est moins hostile. Il sent que son pouvoir s’affaiblit dans ses mains ; il est malade de corps et d’esprit ; tout cela sûrement doit le rapprocher de son Dieu.
Lydia est une chrétienne courageuse. Il y a quelque temps, les femmes chrétiennes du village se réunissaient chaque jour dans sa cour pour la prière. Le chef en prit ombrage et interdit ces petites réunions. Je les établis alors chez une veuve dans le village même. Lorsque j’y allai, j’eus un entretien sérieux avec Molapo où, dans un accès de colère, il se plaignit amèrement de ce que je persistais à évangéliser son village, tandis qu’en France je ne pourrais pas parler des choses de Dieu à un individu sans être mis en prison. Je lui montrai mon mandat : aller et annoncer l’Évangile à toute créature. J’illustrai aussi par les feux qui annuellement brillent l’herbe du pays, cette parole du Sauveur : « Je suis venu apporter le feu sur la terre. » J’étais à peine rentré chez moi qu’éclata soudainement ce terrible orage dont j’ai parlé dans mon rapport, et qui consterna tout le monde. Depuis lors la prière se fait chaque matin chez Élisabeth Manyamatsané. J’ai donné une petite cloche à Lydia et vous seriez certainement intéressés de la voir sortir de sa cour, vers les 7 heures du matin, et sonner sa cloche. Elle ne s’arrête point, elle doit traverser le village pour arriver chez Élisabeth ; mais ding, ding, ding, la cloche sonne toujours.
Nous y allons à tour de rôle et pour cela il faut partir au point du jour. Nous y avons eu, dernièrement, de bonnes petites congrégations. Ce n’est pas seulement dans le village du chef que se fait publiquement la prière du matin, mais dans tous les villages et hameaux où se trouve un chrétien, une chrétienne plutôt, car les femmes en général nous édifient par leur zèle. »
Le synode général s’ouvrit, le 25 septembre, à Thaba-Bossiou ; Coillard en était le secrétaire. Les séances durèrent trois jours et demi et la clôture eut lieu le 30, dans la matinée. MM. Jousse, Mabille et Coillard formaient la Commission synodale ; ce dernier rédigea le rapport, qui se termine par ces mots :
Ainsi se passèrent ces quelques jours, si riches en doux souvenirs et en bénédictions, jours qui ouvrent une ère nouvelle pour notre œuvre dans ce pays. Nous ne nous dissimulons pas que nous sommes au moment d’une crise, mais nous comptons sur le Seigneur et sur vos prières, amis des missions.
En effet, plus l’œuvre s’affermissait et s’étendait, plus aussi s’accentuait l’opposition des païens.
« J’ai l’intime conviction que, ne fût-ce le gouvernement britannique, nous pourrions nous attendre à des persécutions. Le mépris dont on abreuve les chrétiens ne connaît pas de bornes et il semble maintenant que d’exhorter un païen, ce soit jeter ses perles devant des pourceaux. La rage des païens ne serait que de la fumée si seulement l’église était vivante et unie. Hélas ! pour ne parler que de Léribé, c’est pour nous un temps de sécheresse et de famine comme aux jours d’Élie. L’école, à cause de l’opposition formidable des païens, est réduite à ses plus petites proportions ; les assemblées du dimanche ne se composent guère que de nos professants ; nous ne voyons plus de conversions, les intérêts matériels semblent absorber les enfants de Dieu et, ce qu’il y a de plus navrant, l’ennemi a fait invasion dans le sanctuaire. J’ai eu la douleur, tout dernièrement, de suspendre ou de retrancher cinq ou six membres. »
« Pour nous, écrit encore Coillard à sa mère, le 9 janvier 1873, l’année a commencé dans la tristesse. Le chef Molapo s’est dernièrement montré animé des plus mauvais sentiments, parce que les chrétiens refusent de travailler pour ses concubines. Il a pris tout le bétail d’Élia Mapiké et de Nathanaël Makotoko, et il fait tout ce qu’il peut pour disperser au loin nos quelques chrétiens. C’est un temps d’épreuves que nous traversons. »
La crise s’aggrave, on en suit la marche dans le journal intime :
Dimanche 12 janvier 1873. — « Sauve-moi des grandes eaux ! » Que je comprends ce cri du psalmiste ! Les eaux débordées m’emportent : la rage des païens, la léthargie de l’église, la méchanceté, la corruption de mon cœur ! Oh ! que de vagues, que de tempêtes !
Lundi 13 janvier. — Le Sauveur a dit : « Si je ne vous affranchis, vous ne serez pas véritablement libres. » D’où vient donc ce péché qui, par moments, me gouverne encore avec tant de tyrannie ? Ne serais-je pas encore libre ? Ne serait-ce pas Jésus lui-même qui m’aurait délivré ? Me serais-je délivré moi-même ? Nous sommes maintenant au milieu d’un ouragan.
Jeudi 16 janvier. — « Esprit, viens des quatre vents et souffle sur ces morts et qu’ils revivent ! » (Ezéch.37.9) Hier, le 15, je suis allé chez Molapo accompagné par Éléazar. J’avais le cœur gros, je ne parlais pas. Selon mon habitude, en passant devant la petite caverne, nous nous y assîmes, et, nous découvrant la tête, j’offris au Seigneur une courte prière. Nous trouvâmes le chef au lékhotla entouré des hommes du village. Personne ne parlait. Molapo, assis sur une chaise, mangeait de mauvaises pêches. Après l’avoir salué et avoir pris une chaise au milieu d’un grand silence, je parlai au chef à peu près dans ces termes : « Mon maître ! Je ne suis pas venu pour causer, mais pour affaires. Ce village est mon village ; ici, je ne suis ni un étranger, ni un voleur. Moshesh lui-même m’y a placé, et quand je vois que tu l’incendies, comment pourrais-je me taire ? Quand je pense à toi, fils de Moshesh, deux choses m’épouvantent : la première, c’est que tu te fais le serviteur de Satan, en publiant par tout le pays que quiconque osera venir au service, sera ton ennemi et que tu lui enlèveras son bétail ; la seconde, c’est que tu ne te fais aucun scrupule de fouler aux pieds publiquement le dimanche ; si je te fais savoir une fête d’église, ce jour-là même, le dimanche, tu vas faire la circoncision chez Mottakoula. Tu envoies ta laine au marché le dimanche, tu fais des corvées le dimanche. Cela m’épouvante et je me demande s’il ne se trouve vraiment pas, parmi tes conseillers, un Gamaliel qui t’avertisse de ne pas faire la guerre à Dieu ? Tu es cet homme que je vois emporté par le courant et je suis accouru à ton secours dans l’espoir que nous pourrons encore te sauver avant que tu ne sois plus qu’un cadavre ! » Molapo me répondit d’abord assez bien. Mais bientôt, mettant de côté tout ce que j’avais dit, il se lança sur les lois du synode, puis sur les chrétiens, sur Nathanaël, etc., les maudissant de ce qu’ils ne travaillent pas pour les concubines. Et tout le monde de faire chorus avec lui. Pendant longtemps j’essayai, en vain, de me faire entendre. A la fin pourtant, je pus dominer le vacarme et protester que je n’étais pas venu discuter les lois du synode ou le fait du bétail des chrétiens ; autrement je pourrais parler, surtout s’il ne s’agissait pas de chrétiens, et dire que châtier n’est pas juger.
Samedi 15 février 1873. — Seigneur, baptise-moi de ton Saint-Esprit ! J’attends tout de toi.
Lundi 17 février. — Prêché hier avec bénédiction. Mardi 25 mars. — Tout va mal. L’église est dans l’état le plus triste ; et, au dehors, toutes les portes nous sont fermées. Ce ne sont que des disputes au dedans.
13 mai. — Mort de Kémuel Ntsalong ! Encore un des bons de ce monde parti ! Quelle épreuve !
Lundi 25 mai. — Jamais l’œuvre n’a été dans un état aussi alarmant. Tous nos meilleurs hommes sont partis et, parmi ceux qui restent, la plupart jeunes, je n’en vois pas un seul sur qui je puisse compter. Nathanaël lui-même semble s’adonner, corps et âme, à ses intérêts temporels et tout doit y céder. Il ne peut pas supporter une seule remarque ; il s’en fâche et boude des jours durant. Il nous afflige extrêmement. Hier, après le service de l’après-midi, nous avons eu une réunion d’église pour l’examen des quelques candidats que je vais baptiser. C’était une réunion à fendre le cœur ; Christina a pleuré tout le temps. Ce n’est plus qu’une poignée de jeunes hommes et pas un n’a ouvert la bouche, si ce n’est Salomon, qui s’est mis à déclamer d’un ton doctoral qui nous a peinés. J’ai le cœur oppressé.
Nathanaël a mieux fait, lui. Il est entré chez moi froid et réservé. Nous avons pourtant prié ensemble ; du moins il a prié, fondant sa prière sur ce fait que les apôtres n’étaient qu’un cœur et qu’une âme et s’étonnant qu’il n’en fût pas de même parmi nous. Je commençais à prier quand nous avons été interrompus par Pétrose, qui venait me parler des chèvres, et par la veuve de Kémuel, Rénéa, qui venait chercher des consolations. J’ai parlé longtemps à celle-ci et lui ai donné Ésaïe 66.1-2.
Lundi 23 juin. — Nathanaël est parti pour chez Letsié avec Élia pour ses affaires avec Molapo. Nous lui avons beaucoup parlé, Christina et moi, mais en vain.
9 juillet. — Nous passons encore par les grandes eaux ! Voici Nathanaël qui est à couteaux tirés avec Molapo et qui va quitter la station, pour aller où et que devenir ? Il a été trois ans avec nous ; ce n’est pas un long stage. Pauvre homme ! Je le plains et je pleure !
10 juillet. — C’est en vain que j’ai essayé de parler à Nathanaël, pour lui montrer combien peu sa conduite est en harmonie avec sa profession chrétienne. Il est allé s’établir chez Molapo avec tous ses enfants, même Samuel. Nous avons, Christina et moi, le cœur brisé.
13 juillet. — Toujours ces affaires de Nathanaël. Oh ! si seulement elles étaient finiesb !
b – Ce ne fut qu’une crise passagère et Nathanaël revint à son missionnaire.
« Depuis quelque temps la main du Seigneur s’est appesantie douloureusement sur nous et l’ennemi nous a criblés de ses flèches empoisonnées. En butte aux railleries des ennemis de l’Évangile et couverts de confusion, nous pleurions nos défaites et nous essayions de resserrer nos rangs. L’arrivée de notre cher frère Kohler dans ces circonstances et le séjour qu’il fit parmi nous, nous firent du bien. Nous passâmes d’heureux moments ensemble. Le fait que, l’un et l’autre, nous avons été à l’institut de Glay, établit tout naturellement un lien de parenté entre nous.
Pauvre petit troupeau de Léribé ! C’est bien le roseau que tourmentent les orages. Ce n’est pas la mort seule qui le décime, l’ennemi lui aussi est à l’œuvre. Je vous ai parlé des chutes terribles et de vrais Acans qui attiraient sur nous la malédiction d’En-Haut ; il suffit. Jamais la vie spirituelle n’a été plus bas, c’est le lumignon qui fume. »
A propos des persécutions dont les chrétiens étaient les objets :
« D’abord ces chrétiens se réjouirent d’avoir été trouvés dignes de souffrir pour le nom de Jésus et rien n’était plus édifiant que la dignité de leur soumission. Depuis quelques mois tout a bien changé ! Ces chrétiens trouvent insupportable le courroux d’un chef qui est un demi-dieu dans le pays et, ne pouvant le fléchir sans de grandes humiliations, ils s’en sont irrités. Il en résulte un état de choses des plus pénibles et qui menace d’amener la dispersion de notre troupeau. »
Coillard souffrait d’avoir un trop grand district : Léribé était isolé, comme « jeté dans un immense pays qui s’étend de la Poutiatsana jusqu’à la Natalie ». Le 15 août 1873 il écrit avec joie :
« A notre dernière Conférence, nous avons décidé la fondation ou plutôt la reprise de Cana et désigné M. Kohler pour ce poste. Je bénis Dieu de ce qu’il a enfin exaucé un de mes vœux les plus ardents en nous permettant de fonder Cana. C’est le trait d’union entre Léribé et la mission. Dans le district qui me reste il y aurait encore place pour deux autres missionnaires. Je m’estimerais heureux si je pouvais avoir des évangélistes et des maîtres d’école dignes de confiance et en nombre suffisant. A l’heure qu’il est, nous nous sentons accablés. Nous faisons peu et nous faisons mal, parce que nous avons tout à faire et que nous n’y suffisons pas. »
On sait combien l’évangélisation de l’Afrique était une cause chère à Coillard. En octobre, il reçut une visite qui le remplit de joie. Mabille et M. et Mme Paul Berthoud passaient à Léribé ; ils étaient partis, en mai 1873, pour un voyage de reconnaissance, à la recherche d’un nouveau champ de mission chez les Bapédis, réalisant ainsi le projet formé par Mabille et Coillard en 1864.
« C’est le vendredi 17 octobre, écrit Mme Paul Berthoud, que nous avons traversé le Calédon. M. Coillard et le major Bell, magistrat du Lesotho, sont venus à notre rencontre pour nous souhaiter la bienvenue. De très loin, nous avons vu flotter le drapeau suisse et son frère tricolore au-dessus de la porte de la station et nous avons pu lire, en approchant, ces mots encadrés de guirlandes de fleurs : « Paix vous soit ! » Léribé est une charmante station. Les Coillard ont un beau jardin, soigné à l’européenne et tout fleuri en ce moment, car, vous le savez, nous avons le printemps dans toute sa gloire. La chapelle est la plus jolie de la mission ; elle est très bien finie avec une chaire en bois jaune et des bancs — grand luxe ! — où la congrégation est assise en bon ordre. L’œuvre spirituelle est prospère. M. Coillard est richement béni. L’église qu’il a fondée est déjà l’une des plus nombreuses du Lesotho ; mais elle est exposée à bien des tribulations, parce qu’elle est entourée de peuplades beaucoup plus païennes que celles du centre. »
M. Paul Berthoud, de son côté, écrit le 19 octobre 1873 : « C’est avant-hier que nos wagons venaient se ranger à côté de la maison de M. Coillard. Celui-ci me demanda en plaisantant si je prêchais en sessouto ; il fut bien surpris quand M. Mabille lui répondit que je l’avais déjà fait plusieurs fois. Il voulut aussitôt me mettre à l’épreuve et convoqua une réunion d’église pour hier matin. Tous ceux qui désiraient entendre parler de notre voyage se rendirent à son appel. M. Mabille fit un intéressant exposé de l’état du Transvaal, au point de vue de l’œuvre missionnaire ; puis vint mon tour. C’était la première fois que j’essayais mon sessouto dans une chapelle et devant une assemblée un peu nombreuse. Je ne parlai pas longtemps, et, avec le secours opportun du Seigneur, je pus me faire comprendre assez bien. Un ancien de Léribé, de sang royal, Nathanaël, répondit, point par point, aux orateurs précédents et m’adressa les salutations de l’église et ses vœux de bienvenue. C’est un homme qui parle très bien, une des colonnes de l’église. Enfin, le missionnaire Coillard résuma le tout et adressa quelques mots à chacun. Cette réunion a été une fête pour l’église de Léribé. »
En novembre 1873, au retour de MM. Mabille et Creux, une Conférence extraordinaire eut lieu ; Coillard écrit à ce sujet (29 novembre 1873) :
« La réunion que nous avons eue à Morija a été pleine d’harmonie. Ce qui faisait du bien, surtout, c’est ce désir qui nous animait tous, d’aller de l’avant. J’espère que notre Comité comprendra toute l’importance de la fondation d’une mission du côté du Limpopo, dût un de nous partir pour y aller. Il serait à regretter que de telles ouvertures nous échappassent. Quelque affection que nous ayons pour les églises suisses, toujours est-il qu’il est de toute importance que notre œuvre ne soit pas cernée dans ce petit pays du Lesotho. Nos amis comprendront, je l’espère, que notre poste au Sud de l’Afrique doit toujours être ce qu’il a été jusqu’à tout dernièrement, à l’avant-garde et non pas à l’arrière-garde. C’est du moins une cause à plaider. »
A la suite de cette Conférence, une entente intervint entre le Comité de Paris et la Commission des Missions de l’église libre du canton de Vaud, et, tandis que celle-ci se décidait à fonder une mission dans les Spelonken, le Comité de Paris décidait que, dès qu’il le pourrait, il répondrait, lui aussi, à l’appel de Dieu et que ses vues se porteraient plus particulièrement sur les populations indépendantes qui vivent au delà du Limpopo.
Le temple terminé, la paix une fois rétablie en Europe, Coillard avait aussi entrepris de transformer son installation de Léribé, qui n’avait jamais eu qu’un caractère temporaire, et de construire une véritable maison d’habitation.
« Un de nos grands soucis a été nos bâtisses. La fièvre des diamants a pris une telle intensité qu’il est très difficile et très coûteux d’avoir des ouvriers indigènes. Toutes les briques pour notre maison sont faites et en piles ; les fondations étaient prêtes, ce qui représentait un grand travail, car le terrain est en pente ; nous n’avions encore ni charpente ni ferrures, à cause de l’extrême difficulté des transports, quand survinrent des pluies torrentielles, comme je n’en avais jamais vu dans cette saison, et, hélas, nos 30 000 briques sèches, non cuites, se fondirent et devinrent un tas de boue. Ma pauvre Tiny ne put pas retenir une larme lorsque, l’autre jour, je lui dis : « Je crois qu’il nous faut renoncer à bâtir, non pas que nous soyons découragés, mais à cause de la dépense. » C’est dur d’y renoncer après quinze ans de vie de bohémiens en Afrique. Que le Seigneur nous aide ! »
Coillard ne renonça pas ; il reprit les travaux et profita, entre autres, d’un voyage à Bloemfontein pour faire faire des portes et des fenêtres qu’il rapporta à Léribé. La fin de l’année 1873 ne fut pas sans encouragements :
« Nous venons de recevoir une excellente lettre de M. Casalis. Ses paroles affectueuses et pleines de sympathie sont tombées comme un baume sur nos cœurs ; c’étaient des paroles pleines d’à-propos, car nous avons dernièrement essuyé bien des orages. Et, dans ce pays, les orages, au moral comme au physique, sont terribles et désastreux.
Le séjour avec nous de notre frère Kohler, la fondation de Cana, puis le passage de nos amis voyageurs Mabille et Berthoud, ont été pour nous un arc-en-ciel avec ses différentes couleurs. Nous en avons reçu du bien. A Noël aussi, nous avons eu une fête religieuse très douce. J’ai baptisé six adultes. Le seul homme parmi ces néophytes est jeune encore, il représente pour moi toute une époque ; il est l’illustration vivante de ces paroles du Seigneur : « Jette ton pain à la surface des eaux et, après quelque temps, tu le retrouveras. » Ses impressions religieuses datent des premiers temps de mon ministère. »
Cependant la crise n’était pas surmontée, les difficultés étaient toujours là, le travail était ardu. Nathanaël donnait parfois encore des craintes. M. et Mme Coillard, se sentant fatigués, demandèrent à revenir en Europe pour un congé.
« Pour nous c’est le moment ou jamais. Avant d’arriver à une pareille décision nous y avons sérieusement pensé. Je ne puis pas supposer que le Comité s’oppose à notre vœu. Nous désirons, si les circonstances le permettent, quitter l’Afrique au commencement de 1875, afin d’arriver au printemps en Europe. Je frémis en vous écrivant. Que de choses peuvent se passer d’ici là ! Qui sait ? C’est une perspective qui a de vastes horizons. Le Seigneur, vous le savez, nous a refusé la joie d’avoir des enfants. Nous en avons un pourtant que nous avons adoptéc et que chaque jour nous consacrons au Seigneur. L’éducation de ce cher enfant nous pèse sur l’esprit et nous désirons l’emmener avec nous. Il a douze ans maintenant, il est d’un caractère aimable, il est sous de sérieuses impressions et nous espérons qu’il deviendra un ouvrier utile dans le champ du Seigneur. Nous désirons qu’il soit instruit en Angleterre ou en France, selon que le Seigneur nous guidera. »
c – Il s’agit de Samuel, le fils de Nathanaël Makotoko.
Peu après (6 décembre 1873), Coillard écrivait à sa belle-mère :
« Peut-être Tiny vous a-t-elle dit que nous pensons venir faire une visite dans notre mère-patrie. Depuis longtemps nos frères me pressent d’y penser. Nous souriions à cette idée et disions toujours : « Nous n’avons pas assez travaillé ! » Mais en voyant orage après orage s’abattre sur nous, cette pensée m’a frappé qu’une lutte constante pouvait aigrir nos esprits et qu’un changement nous rafraîchirait et nous rendrait plus aptes au travail, car, tous deux, nous nous sentons fatigués à l’extrême. L’une de mes raisons aussi pour prendre un congé serait de visiter les églises et de les intéresser à une œuvre qu’elles connaissent si peu. Mes collègues semblent approuver ma décision et pensent qu’ainsi nous pourrions être utiles à la cause, peut-être. J’ai confiance ; le Seigneur m’accordera la joie de voir encore une fois dans ce monde ma bonne vieille mère et de faire la connaissance de vous tous. »
Samedi 28 mars 1874. — Que de tristesses nous assaillent de tous côtés.
1er avril. — Je bénis Dieu de ce qu’il me soutient au milieu de toutes les tristesses que nous causent Nathanaël et les gens du village par leur esprit d’indocilité et d’inimitié. Jamais je n’aurais cru que Nathanaël pût être si cruel envers nous, mais jamais aussi je n’aurais cru que le Sauveur pût être si près et si suffisant ! Tout est paix et calme au dedans.
16 avril. — Nous partons pour Morija, pour la Conférence et le synode. Les pluies et les rivières et les chemins ! … je ne sais pas si nous pourrons voyager.
La Conférence annuelle et le synode se réunirent en mai. Le dimanche avant l’ouverture de la session, Coillard prêcha à un auditoire d’environ 2500 personnes. Il parla du danger, pour l’enfant de Dieu, de se laisser refroidir dans son premier amour.
Léribé 23 mai. — Cette date est celle de notre retour de Morija. Beau synode ! belles assemblées, douces réunions. Mais nous avons de la peine à nous entendre entre nous. Les natifs nous surpassent sous ce rapport.
Léribé, 20 juin 1874. — Bonne correspondance avec Mabille ; nous avons décidé de prier l’un pour l’autre au coucher du soleil. Réveil en Écosse ! Réveil aux Indes ! Ici quand ? … Quand Seigneur ?
Léribé, 9 août. — Commencé un service anglais, 15 personnes ; médité sur Romains 1.16 ; soutenu et béni.
23 septembre. — Arrivée des envoyés de l’église de Morija pour visiter notre troupeau. J’ai eu des scènes avec les gens du village pour les recevoir. Nathanaël refusa carrément et, après lui, tous les gens du village. Je ne sais vraiment pas où nous allons. L’esprit qui souffle parmi nous actuellement est mauvais et il gagne même les enfants. Christina est épuisée, elle aussi, et voici charge sur charge. Mais tout serait facile si nous-mêmes nous étions vivants. Hélas ! où est le premier amour ? Où est la fraîcheur des premières expériences chrétiennes ? O mon Dieu !
28 septembre. — Je suis rempli de crainte au sujet de Nathanaël. Le gouvernement lui tourne la tête. Pauvre homme, je le reconnais à peine.
4 décembre. — Reçu à la fin d’octobre la visite de Mabille, visité avec lui le district de Botha-Bothé. Partis pour Bloemfontein ; conférence de missionnaires du 4 au 7 novembre ; très intéressante communion, soirée missionnaire. Prêché le dimanche pour les wesleyens sur : « Suis-moi. » Perdu le cheval que j’avais emprunté de Jervis, mon maçon. Revenu seul avec difficulté.
[Au commencement de 1874, un très heureux rapprochement avait eu lieu entre les missionnaires du Lesotho et les églises hollandaises, et on avait décidé de convoquer à Bloemfontein, pour le 4 novembre, une conférence des missionnaires appartenant aux diverses Sociétés qui travaillaient au nord de l’Orange.] Coillard résume ainsi la situation à cette époque :
La vie spirituelle de nos troupeaux, d’un niveau peu élevé, menaçait de s’évaporer dans une activité fébrile purement extérieure ; les conversions et les conquêtes sur le paganisme étaient peu nombreuses, et nous-mêmes, nous personnellement, nous soupirions ardemment après une vie moins terre à terre, que nous faisaient entrevoir les nouvelles qui nous venaient d’Europe.