L’épître de Jacques en 25 sermons

La sagesse chrétienne

Si quelqu’un de vous manque de sagesse, qu’il la demande à Dieu, qui donne à tous libéralement, sans rien reprocher ; et elle lui sera donnée. Mais qu’il la demande avec foi, sans aucun doute, car celui qui doute est semblable au flot de la mer, qui est agité et poussé çà et là par le vent. Que cet homme-là ne s’attende pas à recevoir aucune chose du Seigneur. L’homme dont le cœur est partagé est inconstant dans toutes ses voies.

Jacques 1.5-8

Quelle belle chose, mes frères, que la vérité dite avec grâce ! C’est l’exemple que saint Jacques nous donne à tous dans mon texte. Evidemment il pense qu’il n’est pas un de ses lecteurs qui ne manque en quelque manière de sagesse, mais il ne le dit pas sous cette forme-là : Si quelqu’un de vous manque de sagesse, écrit-il à ses frères. Quelle délicatesse chez un homme qui pourrait se produire avec autorité comme apôtre du Christ ! (1 Thessaloniciens 2.6).

Ne sentons-nous pas comme d’instinct que ces paroles du « serviteur de Dieu et du Seigneur Jésus-Christ » sont aussi pour nous ? Si quelqu’un de vous manque de sagesse… Ah ! que je connais bien cet homme-là ! Et vous, mon frère ? … Eh bien, n’hésitons pas à nous humilier de ce qui nous manque, car saint Jacques, en nous signalant notre déficit, nous assure que cet état n’est point désespéré. Il dit bien : si quelqu’un manque de sagesse, mais il ajoute aussitôt : Dieu vous la donnera. Emparons-nous donc de cette double vérité, considérant tour à tour ce défaut de sagesse, qui nous humilie, et le moyen d’y remédier, qui est notre grand encouragement.

I

Nous manquons tous de sagesse, car nous manquons tous plus ou moins des deux éléments qui constituent la sagesse, tout spécialement la sagesse du chrétien. Qu’est-ce, en effet, que la sagesse ? Elle est d’abord une connaissance, la connaissance de ce que Dieu veut d’une manière générale, de ce qu’il veut de ses créatures et de ses enfants, de ce qu’il veut de chacun de nous en particulier. La sagesse est ensuite une force morale, la volonté passée à l’état de sainte habitude, de trouver en chaque situation, en chaque circonstance, en chaque événement, petit ou grand, le moyen d’honorer Dieu, de travailler au bien de ses frères, d’avancer notre propre salut. Or, n’est-il pas vrai que nous n’avons point ou que nous n’avons pas au degré où nous devrions les avoir, cette sainte connaissance et cette sainte pratique ? Nous avons une peine extrême à découvrir la volonté de Dieu, influencés que nous sommes par nos passions, par la poursuite de nos intérêts, par les maximes du siècle, par les convoitises de la chair ou par l’égarement de nos cœurs. Par une conséquence toute naturelle, mais déplorable, nous laissons se perdre une foule d’occasions que Dieu met à notre portée pour que nous en fassions un bon usage.

Ce défaut de sagesse, que nous constatons généralement nous frappera davantage après avoir parcouru quelques-uns des domaines dans lesquels la sagesse chrétienne est appelée à se déployer :

Prenons d’abord nos afflictions auxquelles saint Jacques pense surtout dans notre passage. « La vraie sagesse du chrétien, a-t-on dit, est de savoir souffrir. » Hélas ! nous le savons bien peu. Tour à tour légers ou méchants, nous ne pensons pas que l’affliction, toute affliction qui nous arrive est une épreuve de notre foi, destinée à rendre celle-ci plus forte et plus pure, ou bien un châtiment, par le moyen duquel Dieu veut nous affranchir du péché ou de tel péché dans lequel nous sommes encore. Au lieu de cela nous disons : Ce n’est qu’une petite nuée, le beau temps reviendra tout de suite après. D’autres fois, au contraire, nous regimbons contre l’aiguillon ; une contrariété nous alarme, un souci d’argent nous rend sombres, une maladie nous abat, la perte des nôtres nous désespère. Nous murmurons contre Dieu, nous nous plaignons de Lui ; nous pleurons, moins de douleur que de dépit, répétant avec Caïn : « Ma peine est trop grande pour que je la puisse supporter (Genèse 4.13). » Heureux encore si l’on n’entend pas sortir de notre bouche des paroles telles que celles-ci : Dieu n’est ni bon, ni juste ; s’il était aussi bon, aussi juste qu’on le dit, s’il était… je ne souffrirais pas de la sorte.

Mais notre vie ne se passe pas à souffrir ; quelque nombreuses que puissent être nos afflictions, nous avons des jours dans lesquels nous pouvons « entrer et sortir, » c’est à-dire agir avec une pleine liberté. Qu’en faisons nous, de ces jours ? Oubliant que l’existence présente n’est qu’un moyen, celui de nous préparer à l’éternité, nous la considérons comme un but. Tantôt nous l’appelons mauvaise, à cause de toutes les difficultés que nous y rencontrons, de toutes les luttes auxquelles elle nous appelle, de tous les efforts qu’elle réclame de nous. Tantôt, au contraire, nous nous laissons prendre aux séductions de la vie, entraînés par ses promesses, amollis par ses délices, donnant le pas aux choses visibles sur les invisibles et sacrifiant, comme Esaü, notre droit d’aînesse pour un potage de lentilles. N’est-il donc pas vrai de dire que nous manquons de sagesse dans la direction générale de notre vie ?

Qu’il me soit permis d’insister encore sur deux points :

L’un, c’est l’emploi que nous faisons de nos forces, de nos talents, de nos biens. Nous oublions que toutes ces choses nous viennent de Dieu et que nous devons les lui rapporter par une humble reconnaissance et par un usage fidèle ; nous les accaparons pour nous faire valoir ou pour satisfaire notre orgueil, notre ambition, notre sensualité, notre avarice ; nous ne craignons pas de devenir les esclaves de richesses incertaines et périssables dont nous ne sommes que les administrateurs et dont nous devrions toujours être les maîtres.

L’autre point dont nous voulions parler, c’est l’éducation de nos enfants. Nous flattons leurs goûts, nous cédons à leurs caprices, nous entretenons leur orgueil, leur vanité, leur gourmandise ; ou bien nous les menons rudement, nous ne leur laissons rien passer, nous leur infligeons des punitions dépassant le but. Dans une direction comme dans l’autre, nous faisons fausse route, car nous ne savons pas ou nous ne savons plus que l’âme de l’enfant est à l’Éternel, (Ézéchiel 18.4) et que nous n’avons, nous, d’autre devoir que d’élever ces petits pour lui, en vue du Royaume des cieux auquel ils sont appelés.

Hélas ! c’est qu’au lieu de la sagesse on trouve trop souvent chez nous, chez les meilleurs d’entre nous, cette incertitude de l’esprit, du cœur et de la conduite que saint Jacques a si bien nommée l’inconstance dans toutes nos voies. Inconstance en tout et partout, voilà bien ce qui caractérise l’homme en qui l’Esprit de Dieu n’agit point, et le chrétien même qui ne laisse cet Esprit agir dans son âme que partiellement.

Ne vous est-il jamais arrivé, mes frères, de rencontrer cet homme-là ?

C’était un croyant, mais il croyait plus ou il croyait moins, il était bouillant ou il s’attiédissait, il osait ou il n’osait plus, selon que le milieu dans lequel il se trouvait était croyant ou sceptique, ardent ou froid, courageux ou lâche. C’était un homme laborieux, mais il travaillait par accès, accumulant sur un seul jour la besogne de plusieurs journées, ou bien, au contraire, laissant se perdre, comme l’eau dans le sable, des heures précieuses et des instants décisifs. Il aimait ses concitoyens, il aimait sa famille, il aimait les siens, mais d’une manière intermittente, parfois avec une passion confinant à l’idolâtrie, parfois avec une réserve et une froideur qui déconcertaient ceux qu’il avait d’abord captivés. Son genre de vie pouvait avoir la rigueur d’un ascète : il traitait durement son corps et le tenait en servitude (1 Corinthiens 9.27), ne mangeant qu’à peine, ne buvant point de vin, ne fumant point de tabac ; mais il arrivait aussi à ce même homme de donner les rênes à ses appétits, et de soigner sa chair au point d’en éveiller les désirs (Romains 13.14). Ah ! dites, celui dont je parle est-il donc si loin de nous ? Qui de nous pourrait se vanter de ne pas lui ressembler comme dans l’eau le visage ressemble au visage ? (Proverbes 27.19). Si quelqu’un de vous manque de sagesse !

II

Dieu soit loué ! Il est possible de n’en plus manquer ou, pour mieux dire, d’en manquer moins, toujours moins, car aussi longtemps que nous sommes en ce monde « nous bronchons tous en plusieurs manières » (Jacques 3.2). Le moyen d’avoir la sagesse, c’est de la demander à Dieu. Dieu est la source unique de la sagesse ; elle descend de Lui, le Père des lumières, comme toute grâce excellente et tout don parfait. « Si donc quelqu’un d’entre vous manque de sagesse, qu’il la demande à Dieu, et elle lui sera donnée. » Quelle promesse ! Et quelle certitude ! Oui, la sagesse nous sera donnée ; notre assurance se fonde sur ce triple fait : que c’est à Dieu que nous demandons la sagesse, qu’il l’a départie à tous ceux qui lui en ont fait la demande, et qu’il l’a donnée d’avance à chacun de nous dans le don qu’il a fait à tous de son Fils unique.

Je dis d’abord que notre confiance vient de ce que nous nous adressons à Dieu lui-même. Car Dieu, c’est Celui qui donne. Il donne, comme le soleil brille dans les cieux qu’il remplît de ses rayons et de ses feux ; ou plutôt il donne en père, heureux de procurer à ses enfants tout ce dont ceux-ci ont vraiment besoin. Il donne à tous, au misérable comme au plus riche, au prodigue comme à l’avare, au méchant comme à l’homme de bien, à celui qui blasphème comme à celui qui rend grâces. Sa manière de donner n’est pas moins divine que ses dons. Il donne simplement, gracieusement, dirons-nous, sans s’informer, comme nous le faisons, hélas ! comme nous sommes peut-être obligés de le faire, ni du mérite de ses solliciteurs ni de l’usage qu’ils feront plus tard de ses dons. Sa générosité n’humilie personne ; que dis-je ? elle relève si bien à leurs propres yeux ceux qui en sont les objets que nous voyons constamment ces obligés du Bon Dieu — c’est nous-mêmes, mes frères — tirer vanité des avantages que sa grâce, sa pure grâce leur a départis. Voilà donc Celui à qui nous avons à demander la sagesse : et nous hésiterions à lui présenter notre requête ! Et nous pourrions douter qu’il voulût bien répondre à la demande d’une grâce si pressante et si nécessaire ! Oui, mes frères, Il la donnera.

Nous en avons pour gage l’exemple de ceux qui l’ont sollicitée avant nous. Quiconque a demandé au Père des esprits la sagesse l’a reçue dans une mesure proportionnée à la grandeur de ses besoins et à la ferveur de son zèle. Souvenez-vous seulement de ce roi d’Israël qui montait, tout jeune encore, sur le trône qu’avait illustré son père. Dieu avait sans doute répondu déjà à quelque prière de son cœur, car Salomon nous apparaît dès le premier jour revêtu d’une sagesse qui n’est guère le fait d’un âge si tendre dans une condition si haute. Au lieu de considérer l’autorité royale comme un moyen de s’enrichir et de dominer, il voit en elle un ministère, un service, et il se rappelle qu’il n’est là que pour exercer la justice. Mais cette justice, comment l’exercerait-il par sa seule force ? Aussi quand au soir de cette mémorable journée de Gabaon dans laquelle a fumé sur l’autel la graisse de mille holocaustes, Salomon reçoit en songe la visite de l’Éternel (1 Rois 3.4-15) qui lui dit : Demande-moi ce que tu veux que je te donne, le jeune monarque ne demande ni une longue vie ni des richesses ni la mort de ses ennemis : « Éternel, mon Dieu, s’écrie-t-il, accorde à ton serviteur un cœur intelligent pour juger ton peuple et pour discerner le bien du mal. Car qui pourrait juger ton peuple, ce peuple si nombreux ? » Vous savez l’accueil que fit le Seigneur à cette touchante prière. Il donne à Salomon le cœur sage et intelligent qu’il voulait avoir, « de telle sorte, ajoutait-il, qu’il n’y aura eu personne avant toi et qu’on ne verra jamais personne de semblable à toi. » Mais la sagesse que Salomon devait avoir dans « une mesure pressée, entassée et débordante » (Luc 6.38) et qui fit de son nom l’autre nom de la sagesse dans l’antiquité, Dieu l’avait donnée auparavant à Noé, pour être « un homme juste et intègre en son temps » ; à Joseph, pour occuper sans danger la situation périlleuse à laquelle sa Providence l’avait élevé ; à Moïse, pour lui permettre d’accomplir constamment une tâche qui en aurait écrasé plusieurs autres ensemble. Il l’a donnée plus tard à Jérémie pour relever sa tête sur ses ennemis ; à Daniel, pour faire de lui son admirable témoin à la cour du roi de Babel ; à saint Pierre, pour lui inspirer à la Pentecôte des paroles dont tous ses auditeurs, pourtant si prévenus, ont le cœur touché ; à saint Etienne, pour lui permettre de fermer la bouche à des adversaires obstinés ; à tous les martyrs, à tous les confesseurs, à tous les disciples de Jésus-Christ pour leur faire la grâce de rendre, dans la souffrance et dans la mort, en des occasions exceptionnelles ou dans la vie de tous les jours, par leurs paroles et par leurs actes, un témoignage digne de leur Seigneur et Sauveur. Et nous hésiterions à réclamer ce que nos frères aînés ont reçu ! Sachons demander comme eux et nous aussi nous recevrons.

Mais que parlé-je des autres, quand c’est de nous, de vous et de moi qu’il s’agit ? Chacun de nous peut se prévaloir, pour demander la sagesse, d’un motif que Salomon lui-même n’avait pas et que les plus illustres, les plus pieux, les meilleurs serviteurs de l’Ancienne Alliance attendaient sans le posséder — la grâce de Dieu manifestée en son Fils. Ne croyez-vous pas, mon frère, que le Fils de Dieu est venu, que Dieu l’a envoyé du ciel pour nous bénir et, comme disait Jésus, qu’il nous l’a donné ? Mais si vous croyez cela, croyez aussi que ce don inestimable implique et emporte nécessairement tous les autres. « Lui qui n’a point épargné son propre Fils, mais qui l’a livré pour nous tous, comment ne nous donnera-t-il pas aussi toutes choses avec lui ? (Romains 8.32) » Toutes choses, vous l’entendez, par conséquent aussi la sagesse. Nous la demanderons donc en Jésus-Christ, par Jésus-Christ, pour l’amour de Lui, et nous croyons qu’en Jésus-Christ et par son moyen cette sagesse qui nous manque nous sera donnée.

Ah ! mes frères, n’avez-vous jamais eu le bonheur de rencontrer un homme qui avait demandé la sagesse, qui la demandait journellement, à qui Dieu l’avait donnée et qui était rempli de la connaissance de sa volonté et toute sagesse et intelligence spirituelle (Colossiens 1.9) ? L’Esprit saint s’était emparé de son cœur ; en le soumettant, il s’y était établi ; et en s’y établissant, il l’avait transformé. A ce renouvellement intime avait correspondu chez cet homme une merveilleuse transformation de sa raison et de sa conduite. Les choses invisibles étaient devenues pour lui les réalités suprêmes, elles se reflétaient dans son âme, comme nos Alpes immaculées se reflètent dans le lac immobile qu’elles dominent. En même temps ce que les hommes appellent des réalités, la richesse, l’influence, la gloire ne lui apparaissaient plus que comme des apparences ou comme de simples moyens. Il n’avait plus pour première préoccupation de sauver sa vie en tirant de cette vie mortelle la plus grande somme possible de plaisirs et de jouissances ; il la considérait comme un chemin tout jalonné de bonnes œuvres « que Dieu a préparées d’avance afin que nous y marchions (Éphésiens 2.10) ». Il songeait moins à amasser des trésors sur la terre qu’à se préparer d’avance par ses libéralités un trésor dans le ciel. Il ne permettait pas que rien ni personne vînt se placer entre Dieu et lui ; mais il voyait Dieu en toutes choses et il faisait chaque chose en Dieu. Il savait tirer parti de chaque circonstance, petite ou grande, heureuse ou fâcheuse, en cherchant, dans chacune d’elles l’instruction que Dieu y avait mise soit pour ses frères soit pour lui-même. Le monde était à ses yeux une vaste parabole et, selon la belle parole de l’Imitation, toutes les créatures lui apprenaient à bien vivre. Doux sans faiblesse, sévère sans rudesse, austère sans rigorisme, sa bouche produisait la sagesse (Proverbes 10.31) ; ses lèvres connaissaient la grâce (Proverbes 10.32) ; ses préceptes étaient une lampe de l’Éternel (Proverbes 20.27) ; ses réprimandes un instrument de salut ; son silence était du recueillement ; son sourire de la bienveillance ; ses colères de l’indignation ; son indignation, la protestation du bien ; son calme, une force maîtresse d’elle-même. Ce n’était point un feu d’artifice, c’était une flamme ou plutôt cette lumière matinale dont l’éclat va croissant jusqu’au milieu du jour (Proverbes 4.18). Le monde se moquait peut-être de cet homme qu’il n’était pas capable de comprendre ; mais à l’heure de la détresse, c’était vers cet insensé qu’il se tournait, et de lui qu’il implorait le secours. Les dernières années, les derniers jours de ce juste ont confirmé toute sa vie ; tristes peut-être, comme tout ce qui finit, ils n’en eurent pas moins la sérénité qui marque la fin d’une belle journée d’automne ; ses mains, comme celles de Moïse, restèrent fermes jusqu’au coucher du soleil (Exode 8.12). A son départ il pouvait dire à tous : Vous savez où je vais et vous en savez le chemin (Jean 14.4), et ceux qui avaient la douleur de lui survivre pouvaient lui appliquer cette belle parole du prophète : « Je ferai régner sur toi la paix et dominer la justice » (Ésaïe 60.17).

D’où vient, mes frères, que des vies comme celles-là ne soient pas plus fréquentes ? Hélas ! c’est qu’il est peu d’hommes, peu de chrétiens, qui demandent à Dieu la sagesse comme il faut lui demander toutes choses. Qu’il demande avec foi, dit Saint-Jacques. Avec foi, c’est-à-dire avec cette conviction intime et profonde que le Dieu de toute grâce, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, notre Père, a le pouvoir et la volonté de nous accorder tout ce qui nous manque. Rien de plus naturel, de la part de Dieu, que cette exigence, car si Dieu donne en père, sans aucune réserve, Il a le droit de réclamer que nous nous adressions à Lui comme ses enfants, sans aucune arrière-pensée. Or, c’est précisément là ce qui n’arrive guère ; nous avons des arrière-pensées ou, pour parler avec Saint-Jacques dans nos anciennes versions, des hésitations. Non point ces hésitations de l’esprit qui pèse ses raisons avant de se décider et qui sont peut-être une des conditions attachées sur cette terre de péché à la poursuite loyale de la vérité ; mais ces hésitations du cœur, qui ne sont qu’une complicité de notre volonté avec le péché, et qui ressemblent aux premières comme la cécité ressemble à une simple irritation des paupières. « Nous demandons à Dieu de nous convertir et nous aurions peut-être regret qu’il le fît. Nous lui demandons d’éloigner les tentations, et nous désirons peut-être les rencontrer sur notre route ; nous lui demandons enfin de nous préserver du mal, et nous jetons sur le mal le regard de la femme de Lot. » Et vous croyez, mon frère, que cette prière, qui est trop souvent la nôtre, et cet homme, qui est trop souvent nous-même, pourraient s’attendre à recevoir quelque chose du Seigneur ! Mais ne voyez-vous pas que cette prière-là n’en est pas une, car elle manque de ce qui constitue la prière, la foi vivante au Dieu qui fait des miracles ? Ne voyez-vous pas que cet homme-là, qui croit et qui doute, qui avance et qui recule, qui veut et qui ne veut plus, qui se donne et qui se reprend, est tout simplement devant Dieu un être monstrueux, je devrais dire un être impossible, comme le serait dans l’ordre des vivants un homme qui aurait deux cœurs ? Etonnez-vous, après cela, que l’éternelle sagesse demeure sourde à cette prière et ne se donne pas à cet homme ! Mes frères, il y a pour Dieu lui-même des impossibilités morales. Le ciel peut-il se réfléchir dans la mer quand le vent passe sur elle, que ses flots sont agités, soulevés, bouleversés par la tempête et que cette agitation ramène à la surface le sable, le limon, les cadavres peut-être qui dormaient dans ses profondeurs ? Ah ! laissez le vent tomber, l’impureté des flots disparaître, l’écume se fondre et le calme renaître. Vous aussi, mon frère l’irrésolu, cessez de tourner vos regards tantôt vers le monde et tantôt vers le ciel, tantôt vers vous et tantôt vers Dieu ; parlez à votre cœur (Psaumes 4.5) ; restez sourd, je ne dis pas à la voix de votre intelligence, mais aux suggestions de cette intelligence asservie à votre volonté dépravée ; imposez silence à vos convoitises, à vos passions, à « ce qui compose en vous l’homme terrestre (Colossiens 3.5) », renvoyez vos hésitations à l’ennemi de qui le doute procède, et que la foi qui dit : Je ne te laisserai point aller que tu ne m’aies béni (Genèse 32.26), l’emporte en vos cœurs sur vos arrière-pensées.

Comment cela se peut-il faire ? me demandez-vous. Je vous réponds : Mon frère, rompez aujourd’hui les dernières attaches, fil de soie ou câble de fer, qui vous retiennent au rivage de votre vie mondaine ; faites enfin à Jésus-Christ le sacrifice qu’il réclame de vous et qu’il attend depuis si longtemps. Décidez-vous une bonne fois à lui donner tout l’empire sur vous ; il en a le droit, car il a sacrifié sa vie pour être en mesure de régner sur vous. « Qu’il soit la seule chose nécessaire à votre cœur, qu’il domine sur votre vie, qu’il règle votre intérieur, qu’il dispose de vous en toute situation. » Alors, mais pas avant, vous demanderez la sagesse, et celle-ci vous sera donnée. Ou, pour parler plus exactement, l’éternelle sagesse prendra possession de vous, pénétrant vos pensées, vos sentiments, vos actions, votre vie entière ; elle fera de vous l’un de ses témoins, parce qu’elle aura commencé par faire de vous l’un de ses enfants.

Gustave Borel-Girard

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