L’épître de Jacques en 25 sermons

La lutte contre le diable

« Soumettez-vous » donc à Dieu ; résistez au diable et il s’enfuira de vous. Approchez-vous de Dieu, et il s’approchera de vous. Pécheurs, nettoyez vos mains ; et vous qui avez le cœur partagé, purifiez vos cœurs ; sentez vos misères, et soyez dans le deuil, et pleurez ; que votre rire se change en pleurs, et votre joie en tristesse. Humiliez-vous devant le Seigneur et il vous élèvera.

Jacques 4.7-10

    Mes frères,

L’état religieux et moral des lecteurs auxquels Saint-Jacques a écrit son épître n’est pas un phénomène isolé, extraordinaire. Ces contemporains de notre auteur ont eu des ancêtres et des descendants. Leurs descendants ont fait lignée puisque, de nos jours encore, et parmi nous, et malgré l’abondance, la profusion des moyens de grâce qui sont à notre disposition, leurs traits distinctifs caractérisent un trop grand nombre d’individus.

Ils ont eu des ancêtres. Caïn en était un, lui qui savait faire à l’Éternel des offrandes des fruits de la terre, mais qui aussi favorisait dans son cœur l’éclosion de sentiments d’envie, de jalousie, de haine, aboutissant au meurtre, au fratricide. En voici un autre, Saül, se glorifiant en présence de Samuel d’avoir exécuté la parole de l’Éternel, lui parlant des victimes réservées pour le sacrifice, tandis que, par avarice et par orgueil, il avait épargné les meilleures brebis d’Amalek et le roi Agag qui devaient être détruits comme tout le reste. J’en trouve chez les contemporains d’Esaïe, « jeûnant » comme le prophète le leur dit de la part de Dieu, « pour faire des procès et des querelles ; » chez ce peuple d’Israël qui, quand il s’approchait de son Dieu, lui rendait un honneur de la bouche et des lèvres, mais dont le cœur était fort éloigné de Lui et dont la crainte n’était qu’un « précepte de tradition humaine. »

Leur nombre n’a cessé de s’accroître et les renseignements que nous fournissent un Malachie, sur son époque, les évangélistes, sur l’état du peuple juif quand parut Jésus-Christ, confirment notre dire.

Même dans l’entourage du Seigneur, parmi les disciples qu’il avait appelés à l’apostolat, je vois des lâches, un renégat, un traître. A l’origine de l’Église chrétienne, dans le temps de la première ferveur, dans le nombre de ceux qui faisaient preuve du plus grand désintéressement, les tristes figures d’Ananias et de Saphira nous impressionnent péniblement.

Chrétiens de nom, chrétiens baptisés, chrétiens à démonstrations, chrétiens agités et remuants, chrétiens inconséquents, infidèles à votre noble vocation, vrais enfants spirituels des contemporains de Saint-Jacques, un prédicateur de l’Évangile tiendrait-il un langage étrange, inexplicable pour nous, dont nous ne saurions que faire, quand il répéterait devant vous et méditerait à votre intention les exhortations de celui qui s’est appelé le serviteur de Dieu et du Seigneur Jésus-Christ ?

Le cœur de l’homme religieux, du chrétien, l’homme religieux par excellence doit être un sanctuaire ; sa vie, un sacrifice de tous les jours et de tous les instants à la gloire du Seigneur que les cieux et même les cieux des cieux ne peuvent contenir mais qui, par pure condescendance, pure miséricorde, veut bien manifester sa présence dans sa créature faible et pécheresse. Quand je parle ainsi, je ne commets aucune exagération de langage et de pensée comme on pourrait m’en accuser. Que l’expérience de tel ou tel, d’une multitude même, contredise à cette affirmation, elle n’en est pas moins conforme à la vérité et d’accord avec l’enseignement biblique. N’est-ce pas Jésus-Christ qui a dit : « Si quelqu’un m’aime, … nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure chez lui. » N’est-ce pas Saint-Paul qui a écrit : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu ; … Glorifiez Dieu en votre corps et en votre esprit ; … Soit que vous mangiez ou que vous buviez ou que vous fassiez quelque autre chose, faites tout pour la gloire de Dieu. » Notre cœur … un temple ; notre vie, … un hommage au Seigneur ! et, … on aurait la prétention d’être religieux, chrétien, en ne tenant aucun compte de déclarations aussi précises que celles-ci : « Tu n’auras point d’autre Dieu devant ma face ! »… « Je ne donnerai point ma gloire à un autre, ni ma louange aux idoles… » ; on tolérerait aux abords du sanctuaire et jusque dans le sanctuaire la présence, l’influence et l’action d’un rival de Dieu ? …

On aurait la prétention d’être religieux et chrétien et, … on mépriserait des recommandations divines du genre de celles-ci qu’a gravées la plume de Pierre : « Comme celui qui vous a appelés est Saint, vous aussi de même soyez saints dans toute votre conduite selon qu’il est écrit : Soyez saints, car je suis saint. Et si vous invoquez comme votre Père celui qui, sans avoir acception de personnes, juge selon les œuvres de chacun, conduisez-vous avec crainte durant le temps de votre séjour sur la terre ; » nous permettrions à des sentiments, à des pensées, à des paroles, à des actes que Dieu réprouve, de souiller notre cœur, notre esprit, notre bouche et notre vie ? … les péchés les plus criants se produiraient et s’étaleraient sans la moindre protestation ?

D’où vient, mes frères, une telle aberration, une telle déchéance ? … C’est que nous avons à compter avec un ennemi, à la fois ennemi de Dieu et des hommes ; avec… pourquoi hésiterions-nous à le désigner par son nom ? … avec le diable. Saint-Jacques le démasque et nous demande de le regarder en face. Comme tous les hommes de Dieu, il l’a rencontré sur son chemin ; il s’est mesuré avec lui et il parle de ses expériences. Il l’a vu à l’œuvre, s’insinuant dans le cœur, s’emparant de nos membres pour les faire servir à l’iniquité.

Le diable, nous le voyons déjà au berceau de l’humanité ; c’est lui dont l’aile sombre effleura l’innocence de nos premiers parents, dont le souffle empoisonné les enveloppa et dont la ruse les fit tomber dans ses pièges. Quand l’histoire nous montre le mal s’étendant, s’aggravant, qui pourrait mettre en doute l’empire du diable sur le monde, lui refuser le titre de « prince de ce monde » que nous trouvons dans la bouche de Jésus-Christ ? N’a-t-il pas toujours su étouffer toute velléité d’insubordination et briser toute résistance ? Vainqueur, il l’a toujours été, jusqu’au moment où il s’est attaqué à Jésus-Christ qui avait pris position contre lui, pour lui arracher son autorité usurpée. Au désert, à Gethsémané et à Golgotha, malgré les appas de la séduction et les horreurs de la souffrance, le diable a éprouvé une défaite qu’il n’a pas encore réparée, mais dont il cherche à se relever par tous les moyens possibles. Vaincu par Christ, l’homme plus fort qui est entré dans la maison de l’homme fort, pour piller son bien, il lutte encore et toujours pour défendre ce qui lui reste de puissance et reconquérir celle qu’il a perdue. Jésus, qui connaît ce redoutable adversaire, nous met en garde contre ses entreprises. C’est lui, nous dit-il, qui « enlève la parole ; » c’est lui qui demande « à cribler les disciples. » Pierre portant encore les cicatrices des morsures que lui avait faites celui qu’il appelle un « lion rugissant », nous avertit que le diable rôde autour de nous, cherchant qui il pourra dévorer. Enfin Saint-Paul nous le montre, chef d’une armée d’êtres spirituels, bien organisée, trouvant des alliés dans notre « chair » et dans notre « sang » et ayant facilement raison de nous si nous ne sommes pas bien armés de toutes les armes de Dieu.

Mais, mes frères, l’existence et l’action du diable n’expliquent pas tout. Car, si Adam a succombé, Christ a vaincu ; et puis, notre conscience ne nous absout point quand nous avons cédé. Nous ne pouvons nous rendre le témoignage que nous avons tout tenté, tout fait, pour échapper à la défaite et que ce n’est qu’après avoir épuisé toutes nos ressources que nous nous sommes rendus. Nous serions invulnérables, nous sortirions vainqueurs des assauts de l’ennemi s’il n’y avait en nous aucun point faible, aucune brèche, si nous étions intègres, si nous pouvions dire avec Jésus-Christ : « Le prince de ce monde n’a rien en moi. » Mais il sait bien à qui il a à faire, notre ennemi ; il se souvient de nos infirmités, non pas comme Jésus, pour y compatir et pour nous en délivrer ; mais pour nous perdre. Il connaît en particulier notre soif d’indépendance qui nous rend impatients de tout joug, même du joug de Dieu pourtant si naturel et si nécessaire. Il sait comme nous sommes portés à nous élever, à paraître. Il n’est pas ignorant de notre avidité de plaisirs. Qui a donné prise au diable chez nos premiers parents ? … ne sont-ce pas toutes ces choses, qui lui permettent de triompher de nous aussi ? … Mes frères, qui avez essuyé des défaites, petites ou grandes, qui êtes esclaves, ne reconnaissez-vous pas que la cause de votre misère doit être cherchée non pas tant dans les attaques du diable qu’en vous-mêmes ? L’autorité de Dieu sur vous n’était pas indiscutable ; vous n’avez pas su dire comme jadis le pieux Joseph : « Comment ferais-je un si grand mal devant Dieu ? » vous ne vous êtes pas tenus à la divine parole, opposant à toute attaque et à toute séduction un décisif : « Il est écrit ! »

La vaine gloire, le désir de vous faire un nom, de déployer votre sagesse, votre puissance, oubliant que tout ce que vous êtes et ce que vous avez est un don, une grâce de Dieu, n’expliquent-ils pas de graves chutes ?

Enfin, n’est-ce pas parce que vous n’avez pas su dire : « L’homme ne vivra pas de pain seulement », parce que les convoitises de la chair avaient le pas sur les aspirations de l’esprit, parce que l’argent vous a fascinés, parce que vous avez cherché le bonheur dans les satisfactions sensuelles, parce que vous avez « regardé le vin quand il est rouge et quand il fait voir sa couleur dans la coupe et qu’il coule aisément », parce que vous avez « regardé les femmes étrangères », que vous avez été mordus comme par un serpent, piqués comme par un basilic ? …

Il est impossible que nous nous mettions hors de cause quand nous essuyons des défaites, impossible que nous niions notre culpabilité : ces défaites, nous les avons préparées, facilitées. Mais prendrons-nous notre parti de l’esclavage que nous nous sommes préparés : porterons-nous toujours les fers que nous avons contribué à forger ? … Nous avons secoué le joug de Dieu… est-ce pour courber la tête sous un autre qui nous avilit autant et plus que le premier nous ennoblissait ? N’y aurait-il donc pour nous plus aucun espoir de délivrance, de relèvement ; plus de victoire à réaliser ? …

J’en connais, mes frères, d’aussi misérables que vous qui ont vaincu. « Nous sommes plus que vainqueurs ! » Qui a poussé ce cri de triomphe ? … Saint-Paul qui tout d’abord avait laissé s’échapper de sa poitrine oppressée ce soupir à la fois de désespoir et de confiance : « Qui me délivrera ? » Ils avaient vaincu le malin, les jeunes gens auxquels écrivait l’apôtre Saint-Jean, vaincu, quoique particulièrement exposés à ses traits, précisément à cause de leur jeunesse. Ne voudriez-vous pas faire partie de ce cortège de vainqueurs qui se forme à travers les siècles, à la suite de celui qui le premier a triomphé de Satan ?

Mes frères, c’est à la résistance et à la victoire que Saint-Jacques conviait les destinataires de sa lettre : « Résistez au diable… et il s’enfuira de vous ! » C’est la même exhortation que nous vous adressons. Mais, pas plus que Saint-Jacques, nous ne nous bornerons à un appel à la résistance. Dans quelles conditions cette résistance doit-elle se produire ? comment organiser la résistance ? Il faut que nous soyons instruits à cet égard pour que notre résistance aboutisse. Ecoutez ce qu’a ajouté le pieux disciple de Jésus : « Approchez-vous de Dieu ; nettoyez vos mains ; purifiez vos cœurs ; sentez vos misères, et soyez dans le deuil, et pleurez ; que votre ris se change en pleurs et votre joie en tristesse. Humiliez-vous devant le Seigneur. » Ce qu’il nous faut pour nous opposer efficacement au diable, pour en avoir raison, c’est un sincère retour à Dieu par la repentance. Au nom de Dieu et avec Dieu tout est possible. « Avec mon Dieu je franchirai la muraille… C’est lui qui a formé mes mains au combat, tellement qu’un arc d’airain a été rompu avec mes bras… Le Dieu fort est celui qui me donne les moyens de me défendre. » Ainsi parlait le psalmiste ; ainsi ont parlé et parlent tous ceux qui comme lui ont dit : « Je crierai à l’Éternel sachant qu’il est un rocher, une forteresse, un libérateur. »

Revenir à Dieu en prenant le chemin de la repentance, c’est s’assurer la victoire. Je ne sais si Saint-Jacques, qui a tracé ce chemin et qui exhorte les lecteurs de son épître à le prendre, a pensé aux cas nombreux dans lesquels, à l’époque des Juges en particulier, son peuple opprimé et humilié, renonçant aux idoles, confessant ses péchés et recourant à la miséricorde divine, avait vu le bras de l’Éternel se déployer avec puissance en sa faveur ? Je ne sais s’il s’est dit : Ah ! si eux aussi pouvaient avoir leur journée de Mitspa, commencée dans les larmes pour s’achever dans l’allégresse ; si eux aussi pouvaient élever un autel sur lequel ils graveraient ces mots si éloquents dans leur simplicité : « Eben-hezer », témoignage rendu au Dieu qui secourt ceux qui viennent à Lui avec humilité et foi. Mais ces faits se sont présentés vivement à mon esprit et je concluais : Si le Dieu du Sinaï a été secourable au peuple avec lequel il avait traité alliance quoique celui-ci eût enfreint cette alliance ; comment le Dieu de Jésus-Christ, le Dieu de Golgotha détournerait-il les yeux pour ne point voir la détresse de ceux qui n’ont plus d’espoir qu’en Lui ; comment fermerait-il son oreille pour ne point entendre leurs humbles supplications dans lesquelles ils redisent : « Non sur nos justices, mais sur tes grandes compassions, nous nous fondons. » Tous les vainqueurs l’ont été par grâce. « Ils ont vaincu », les croyants, « par le sang de l’Agneau. »

Revenons donc à Dieu, mes frères, « avec jeûne, avec larmes et avec lamentations », revenons à Lui dans le sentiment, non de notre faiblesse et de notre impuissance seulement, mais surtout de notre culpabilité, de notre indignité. Dieu, ayant affermi son autorité sur nous en déployant en notre faveur sa grande miséricorde, fera de nous des héros, des vainqueurs, à ajouter à la liste déjà bien longue des pauvres pécheurs réhabilités qui ont permis au Dieu saint et puissant de manifester en eux sa vertu purificatrice et victorieuse. Rappelons-nous que l’Homme-Dieu lui-même n’a vaincu que par l’humilité et l’obéissance, en demeurant dans la dépendance et dans la communion du Père céleste.

Mes frères, assez et trop longtemps en nous laissant vaincre et asservir, nous avons compromis le nom de notre Dieu, nous l’avons exposé à l’opprobre, nous l’avons fait blasphémer. Il faut que chacun de nous, il faut que le peuple de Dieu tout entier se lève et démontre par des faits irrécusables que la puissance et le règne appartiennent au Seigneur ; il faut qu’il soit mis en possession de ce monde qu’il a créé et qu’il a sauvé.

Si l’ennemi ne cesse de nous harceler et de nous poursuivre, s’il se plaît à nous assujettir tant qu’il nous voit faibles, impuissants, peureux et timides, ballottés par le doute, n’ayant qu’une confiance limitée dans notre chef et dans la puissance de Dieu ; tant que nous n’avons pour armes que les misérables instruments de la sagesse et de la force humaines ; tant que nous vivons de compromis, de concessions, que tout effort nous répugne, que tout sacrifice nous coûte, que nous ne demandons que de nous laisser vivre, nous le verrons, lâche autant que perfide et méchant, abandonner la place quand il verra en nous quelque puissance divine.

Chevaliers de la foi, sans peur et sans reproche, formés et armés par Dieu, en avant ! Dieu le veut ! Satan, que Jésus a vu tomber du ciel comme un éclair, sera bientôt écrasé sous vos pieds. Seigneur ! crée-les en grand nombre ces vaillants champions de la cause qui est notre cause, celle de l’humanité. Amen.

Paul-Eugène Pétremand-Besancenet

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant