L’épître de Jacques en 25 sermons

Souffrance et Couronne

Prenez, mes frères, pour modèles de souffrance et de patience, les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur. Voici, nous disons bienheureux ceux qui ont souffert patiemment. Vous avez entendu parler de la patience de Job, et vous avez vu la fin que le Seigneur lui accorda, car le Seigneur est plein de miséricorde et de compassion.

Jacques 5.10-11

    Mes frères,

« L’homme naît pour souffrir comme l’étincelle pour voler » (Job 5.7), dit à l’infortuné Job son fâcheux ami Eliphaz de Théman. Il a raison : la souffrance est inhérente à la nature humaine. Elle est une fonction de l’être comme manger, boire, dormir, penser. Une loi de la vie présente, contre laquelle il est inutile de se révolter et puéril de gémir. Il faut en prendre son parti. Mais dans quel esprit ? Connaissez-vous un problème plus grave, plus douloureux et plus diversement résolu ?

Mortel, dit la sagesse humaine, tu souffres ? Détourne ton attention, cherche la distraction, l’oubli. C’est la solution de l’indifférence. Elle est fausse, car elle est une injure au Maître et à la victime de la souffrance.

Ou bien encore : Tu souffres ? Accepte ; c’est le sort commun ; d’ailleurs la vie n’est pas si longue. Raidis-toi, redresse-toi ! A la grandeur du mal oppose la grandeur du mépris. Ainsi fait l’homme fort. C’est la solution de l’orgueil. Elle est fausse, car elle calomnie le cœur humain.

Ou bien enfin : Tu souffres ? Tu n’y peux rien changer ; c’est le destin. Or, le mieux, vois-tu, c’est encore de s’abandonner au destin. C’est la solution de l’impuissance. Elle est fausse, car elle n’est qu’une révolte déguisée.

Mortel, dit la foi chrétienne, tu souffres ? Dieu règne, Dieu gouverne toutes choses avec sagesse, avec amour ; rien ne survient sans un décret de sa volonté souveraine ; rien, pas même, surtout pas la souffrance. S’il te châtie, c’est qu’il t’aime et travaille à ton bien moral. C’est la solution de la soumission absolue (je n’ai pas dit aveugle), confiante, joyeuse. Elle est juste, car elle tient et rend compte des rapports de Dieu et de l’homme ; elle éclaire l’abîme ténébreux. de la souffrance et donne la force, la patience, non seulement de la supporter, mais de la porter.

Telle fut l’attitude « des prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur » et que l’apôtre recommande aux douze tribus dans la dispersion.

Chrétiens, affligés au service de l’Éternel et par sa volonté, prenons-la aussi comme la seule digne du souverain Maître et de nous, la seule capable de nous rendre forts, patients et joyeux dans la souffrance. Un vieux poète l’a dit excellemment :

Vouloir ce que Dieu veut est la seule science
Qui nous met en repos !a

a – Malherbe, Stances à Du Périer.

L’apôtre ne parle point ici de la souffrance en général, mais seulement de celle qui découle pour l’homme de sa collaboration à l’avancement du règne de Dieu.

Il y a dans ses paroles trois points essentiels : un but : souffrir patiemment ; un terme de comparaison qui est en même temps un moyen : regarder aux héros de la souffrance et les imiter ; une heureuse issue à la souffrance pour Dieu, par Dieu, selon Dieu.

Quelle situation, mes frères, que celle des premiers chrétiens au moment où l’apôtre leur adresse cette exhortation ! C’est, on le croit du moins, vers l’an soixante et un de notre ère. Aux faveurs relatives de la première heure ont succédé les tracasseries, la haine, la fureur, la persécution : Etienne a été lapidé, Paul et Barthélémy décapités, Pierre et André crucifiés, Matthieu brûlé vif, Thomas égorgé, Jean, seul survivant des douze, exilé à Patmos, petite île de l’Archipel, l’ensemble des fidèles, troupeau sans berger, dispersé en Italie, en Macédoine, en Asie, partout exposés à toutes les horreurs de la haine superstitieuse.

Aux douleurs physiques s’ajoutent les souffrances morales. Ces victimes, on les insulte, on les calomnie, on les déshonore. Débauches révoltantes, crimes abominables, forfaits inouïs, haine à mort de l’humanité, tout leur est imputé sans preuve pourvu que ce soit monstrueux. La foule ignorante et crédule le croit et, comble d’affliction, les esprits cultivés aussi. Le grand Tacite en transmet le souvenir à la postérité, sans un mot de protestation.

Il y a plus. En écrivant, l’apôtre entrevoit, sans doute, dans un avenir très prochain, l’accomplissement des sombres prévisions de Jésus sur Jérusalem et sur son troupeau. L’aveuglement croissant des Juifs, leur orgueil, leur dédain pour le dominateur, leurs violences inutiles, insensées, leur infidélité enfin, toujours plus grande à l’Éternel, précipitent les événements, et bientôt la ville sainte sera assiégée, affamée, prise, détruite, le temple brûlé, le peuple égorgé, les chrétiens, encore en Palestine, obligés de fuir au delà du Jourdain.

Plus de patrie, plus de temple, plus de conducteurs, chassé, poursuivi, traqué, divisé sur quelques points de doctrine, l’Israël chrétien ne va-t-il pas perdre patience, et, comme le prophète au désert, s’écrier en regardant le ciel où le Maître est monté : « C’est assez maintenant, ô Éternel, prends mon âme ! »

Le danger est grand. Il faut le conjurer. L’apôtre l’a compris et l’entreprend.

« Mes frères, écrit-il, regardez comme un sujet de joie complète les diverses épreuves auxquelles vous êtes exposés, sachant que l’épreuve de votre foi produit la persévérance. Mais il faut que la persévérance ait une efficacité parfaite, afin que vous soyez parfaits et accomplis, sans faillir en rien » (Jacques 1.12-4).

« Prenez, mes frères, pour modèles de souffrance et de patience les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur » (Jacques 5.10).

« Voici, nous disons bienheureux ceux qui ont souffert patiemment. Vous avez entendu parler de la patience de Job, et vous avez vu la fin que le Seigneur lui accorda, car le Seigneur est plein de miséricorde et de compassion » (Jacques 5.11).

a Heureux l’homme qui supporte patiemment l’épreuve ; car après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que le Seigneur a promise à ceux qui l’aiment » (Jacques 1.12).

Ainsi exhorté, soutenu, le peuple chrétien supporta ses épreuves avec une patience, une fidélité inébranlable et parfois un héroïsme d’autant plus admirable qu’il était plus ignoré.

Que les temps et les circonstances sont changés ! Aujourd’hui, si l’Église, bien assise, trop bien assise, a encore des ennemis nombreux et puissants, c’est uniquement dans le domaine de l’idée. Plus de persécution, plus de dispersion, partout la liberté, le calme, et, plus encore, l’indifférence et le mépris.

Dès lors, l’exhortation de notre texte n’a-t-elle pas perdu tout à propos ? Oui, pour les chrétiens de nom seulement, non pour les chrétiens de fait. Eh ! quoi, le vrai fidèle n’a-t-il pas ses souffrances ? Et pour être de nature différente de celles des tribus dispersées, ne sont-elles point réelles, profondes, capables de le jeter dans l’impatience ?

Voici la lutte pour la vie spirituelle et morale, toujours plus vive, plus rude à mesure que le vent de l’indifférence et de l’incrédulité, soulevé par l’orgueil d’une demi-science et soutenu par une critique sans scrupule, souffle, pénètre dans tous les cœurs, flétrissant, brûlant, desséchant les feuilles, les fleurs, les fruits et jusqu’aux racines de l’arbre de la vie religieuse.

Voici dans son propre cœur le combat du bien et du mal incessant, acharné, douloureux, humiliant, car il lui arrache toujours le cri d’angoisse de Saint-Paul qui débute par ce courageux aveu : « Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas… » et finit par cette dramatique apostrophe : « Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps de mort ! » (Romains 7.24).

Voici la vue du mal dans sa famille : ce père, cette mère, après une existence toute d’honneur, de loyauté, s’oublie, s’égare, se détourne du céleste port au moment d’y entrer ; cette sœur, cette enfant souille, déchire sa robe d’innocence et mérite le nom de pécheresse. Emule de Marie-Madeleine dans la souillure, le sera-t-elle aussi dans la repentance ? Ce père, ce fils, ce parent échange l’existence correcte de la maison paternelle contre l’existence insensée de l’enfant prodigue. Cet époux, cette épouse se détourne du droit chemin. Ah ! que de turpitudes au foyer chrétien !

Voici la vue du mal dans la localité, dans la société, dans le pays entier ; le niveau de la conscience publique baisse dans des proportions inquiétantes ; la justice qui élève les nations disparaît graduellement devant l’injustice qui les abaisse ; le positivisme, sous cent formes diverses, poursuit, hâte, précipite la ruine morale d’abord, la ruine matérielle ensuite de la société humaine tout entière.

Voici la vue du mal dans l’Église même, dans l’Église surtout : la foi simple et robuste de nos pères y meurt de consomption ; le formalisme, tantôt correct et froid, tantôt fiévreux et remuant, toujours nuisible à la piété saine et forte, y prospère avec la rapidité, l’exubérance des mauvaises plantes ; l’esprit de parti, de division, de dénigrement morcelant la chrétienté en une foule de coteries généralement plus orthodoxes que chrétiennes. On est de Paul, d’Apollos, de Céphas, plus que de Christ ! Encore quelques années de ce régime-là, et, si Dieu n’y met la main, nos assemblées, de quelque nom qu’elles s’appellent d’ailleurs, déjà si réduites, auront vécu, et, sur nos temples déserts, nous pourrons placer l’écriteau que voici : « local à vendre ou à louer, faute d’emploi. »

Oh ! devant ce règne de Dieu pour l’avènement duquel il prie sans cesse et qu’il voit contesté, combattu, repoussé partout : dans l’Église, dans la société, dans la famille et jusque dans son cœur, le vrai fidèle souffre, gémit, s’impatiente, se décourage. J’en appelle à vous conducteurs spirituels de ce troupeau disséminé. Lequel d’entre vous n’a jamais senti l’impatience le gagner et ne s’est écrié parfois : « C’en est assez ! C’en est trop ! Seigneur, manifeste ta puissance, avance ton règne, brise tes ennemis, ranime la foi ! Ou sinon, prends mon âme ! N’attends pas qu’à mon tour, entraîné par le flot montant de l’incrédulité, je te renie lâchement ! Seigneur, le triomphe ou la délivrance ! Seigneur, le repos ! »

Frères, patience, courage ! Vous vous plaignez des souffrances que vous endurez pour la cause de Dieu ? Réjouissez-vous en plutôt, car c’est si vous ne les ressentiez pas que vous seriez à plaindre ! Plût au ciel, qu’elles fussent plus grandes encore ! La chrétienté en a besoin ; pour ne pas mourir de pléthore, il lui faut la souffrance, la persécution, la terrible saignée d’un Néron, d’un Sévère, d’un Caracalla ou d’un Louis XIV. Oui, et le ciel en soit béni, nous marchons vers des temps douloureux. Ne les redoutons pas, puisqu’ils sont nécessaires, craignons seulement de manquer de la patience et de la fidélité, demandées à un vaillant témoin de la vérité.

« Regardez comme un sujet de joie complète les diverses épreuves auxquelles vous êtes exposés, sachant que l’épreuve produit la persévérance. Mais il faut que la persévérance ait une efficacité parfaite, afin que vous soyez parfaits et accomplis, sans faiblir en rien » (Jacques 1.2-4).

Souffrir patiemment pour l’avancement du règne de Dieu, tel est le but. Voici le terme de comparaison, le moyen :

« Prenez, mes frères, pour modèles de souffrance et de patience les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur » (Jacques 5.10).

Tout doit s’apprendre en ce monde, surtout dans le domaine des vertus. En connaissez-vous une seule qui soit innée au cœur humain ? En est-il une qui lui soit plus étrangère que la patience ? L’homme est naturellement impatient. Il voudrait conduire les événements à sa guise et le moindre obstacle, le moindre contre-temps, le moindre retard l’agace, l’irrite, l’impatiente. Entrevoit-il un but ? Il voudrait déjà l’avoir atteint. Que le temps est lent ! Si je pouvais hâter sa marche ! Que n’ai-je une semaine, un mois, un an, des années de plus !

Et ce sentiment d’impatience éclate surtout en face de la souffrance. Alors l’homme s’agite, se démène, proteste, s’irrite parfois jusqu’à la fureur. Ah ! ce filet lourd et douloureux qui l’étreint, ce frein qui le mate, s’il pouvait les briser !

Chrétiens, cette attitude est souvent la nôtre en face des obstacles que rencontre notre œuvre et des épreuves que Dieu juge à propos de nous dispenser comme témoins de la vérité. Nous manquons de patience. Il faut l’apprendre.

Un bon moyen pour cela, le seul que l’apôtre indique, dans ce passage du moins, c’est de regarder à cette phalange glorieuse d’hommes de souffrance et de patience dans la souffrance, qui ont parlé au nom du Seigneur, et de les prendre pour modèles de la mesure d’épreuves et de patience que peut et doit avoir un collaborateur de l’Éternel dans l’éducation morale et religieuse du monde. L’histoire, qui ne nous dit rien de la plupart, peu de quelques-uns, nous a conservé un témoignage collectif remarquable :

« … ils furent livrés aux tourments et n’acceptèrent point de délivrance ; … ils subirent les moqueries et le fouet, les chaînes et la prison ; ils furent lapidés, sciés, torturés, ils moururent frappés par l’épée ; ils allèrent çà et là vêtus de peaux de brebis et de peaux de chèvres, dénués de tout, persécutés, maltraités, — eux dont le monde n’était pas digne, — errants dans les déserts et dans les montagnes, dans les cavernes et les antres de la terre » (Hébreux 11.35-38).

Et de cette phalange de héros, échelonnés à travers vingt siècles sur la voie douloureuse, ouverte par Abraham qui sacrifie tout, même son fils unique, pour obéir à l’Éternel, et fermée par Jean-Baptiste, le plus grand, des prophètes, décapité dans les prisons d’Hérode, pas un murmure ne monte. A peine une plainte, un cri de douleur, de supplication arrachés à la faiblesse de la chair. Jamais de révolte ouverte ; toujours et partout la patience presque parfaite.

Et, à ces admirables modèles de l’Ancienne Alliance, pourquoi ne joindrions-nous pas ceux de la Nouvelle ? La modestie chrétienne interdisait à l’apôtre de les proposer à l’imitation de ses contemporains, car il était lui-même du nombre. Nous n’avons pas les mêmes raisons pour imiter son silence et nous pouvons, nous devons les prendre pour modèles de souffrance et de patience : cet Etienne qui meurt triomphant, ce Jacques, qui, joignant l’exemple au précepte, prie pour ses bourreaux, ce Pierre, ce Paul surtout, ministre de Christ, par les travaux, par les coups, par les emprisonnements. Ecoutez-le raconter lui-même toutes ses épreuves : « Souvent en danger de mort, cinq fois, j’ai reçu des Juifs quarante coups moins un, trois fois, j’ai été battu de verges, une fois, j’ai été lapidé, trois fois, j’ai fait naufrage, j’ai passé une nuit et un jour dans l’abîme. Fréquemment en voyage, j’ai été en péril sur les fleuves, en péril de la part des brigands, en péril de la part de ceux de ma nation, en péril de la part des païens, en péril dans les villes, en péril dans les déserts, en péril sur la mer, en péril parmi les faux frères. J’ai été dans le travail et dans la peine, exposé à de nombreuses veilles, à la faim, à la soif, à des jeûnes multipliés, au froid, à la nudité. Et sans parler d’autres choses, je suis assiégé chaque jour par les soucis que me donnent toutes les églises. Qui est faible, que je ne sois faible ? Qui vient à tomber, que je ne brûle ? » (2 Corinthiens 11.24-29).

Et ces illustres pères de l’Église qui sont nôtres aussi, quoi qu’en dise Rome ; et ces vaillants réformateurs, dont nous ne sommes pas assez fiers, et tous ces courageux Huguenots dont les bûchers sont à peine éteints. Et au-dessus de ces modèles admirables, mais humains, partant imparfaits, voici le modèle parfait, divin, voici Jésus vidant jusqu’à la lie le calice profond de la souffrance physique et morale.

Souffrance physique ! Il naît dans une pauvre famille de Nazareth, petite localité perdue dans les montagnes de la Galilée et dont l’intègre Nathanaël doutait qu’il pût sortir quelque chose de bon. A peine né, il est persécuté : pour éviter la mort, il lui faut passer deux ans en Egypte ; rentré à Nazareth, il y vit du produit modeste du travail paternel ; fils aîné d’une famille qui paraît avoir été nombreuse, probablement orphelin de père de très bonne heure, il fait la rude expérience du pain gagné à la sueur du front.

La famille élevée, il devient libre de son temps et de ses forces ; il entre dans son ministère et, durant trois ans, l’accomplit au milieu des privations, des outrages, des haines, nourri, entretenu par la charité publique. N’a-t-il pas lui-même caractérisé tous ses dépouillements physiques dans ces paroles mélancoliques :

« Les renards ont des tanières, et les oiseaux des cieux ont des nids, mais le fils de l’homme n’a pas un lieu où reposer sa tête ! » (Matthieu 8.20) Son douloureux pèlerinage s’achève par le supplice affreux de la croix.

Souffrance morale ! Au moment de quitter son existence cachée pour entrer dans son ministère public, il subit l’épreuve terrible de la tentation. Il a trente ans, l’âge des passions, des hautes visées, il possède des facultés admirables, un langage sublime, un charme irrésistible. Deux voies sont devant lui : l’une facile, semée de fleurs, de jouissances, de triomphes ; l’autre pénible, douloureuse, hérissée de ronces, d’obstacles, d’abaissements, terminée par la mort des suppliciés. Et la lutte s’engage dans le silence de ce cœur. Le drame dure quarante jours et quarante nuits, et ce n’était pas trop pour consommer un tel sacrifice. Nous y usons la vie entière, nous, et n’y parvenons pas.

Son œuvre commencée, continuée, achevée, il reste incompris, toujours et partout incompris. Incompris de son peuple ; incompris de ses frères, incompris de sa mère, incompris de ses disciples ; il est lâchement trahi, vendu par l’un, effrontément renié par l’autre, abandonné de tous, même, quel mystère, même de Dieu !

Et dans tous ces déchirements physiques et moraux, dont pas un n’était directement mérité, pas une révolte, un murmure, une plainte ! A peine un désir : « Père, toutes choses te sont possibles, éloigne de moi cette coupe ! » Aussitôt suivi d’une soumission absolue : « Toutefois, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ! » (Matthieu 26.39 ; Marc 16.36 ; Luc 20.42).

Tels sont nos modèles, chrétiens, interrogeons-les, ils nous apprendront le secret de la patience dans l’épreuve.

Etaient-ils autrement constitués que nous ? Moins sensibles, plus forts, mieux trempés pour une telle lutte ? Non, ils étaient semblables à nous en toutes choses. Leur supériorité morale tient à leur confiance absolue en Dieu. Persuadés que Dieu dirige tout avec sagesse, amour, en vue du bien de ses créatures, ils ne cessaient de s’attendre à lui. Tous furent, même Jésus, surtout Jésus, des hommes de prière. La prière, la communion avec Dieu, c’est-à-dire avec la lumière, la force et la vie, voilà la clef de la patience à toute épreuve.

Puis, ils savaient que la souffrance est souvent la conséquence logique du péché. A cet égard, certes, les douze tribus dans la dispersion n’eussent pu contester, car leurs épreuves étaient beaucoup leur ouvrage. L’apôtre, n’a-t-il pas dû les rappeler à l’ordre, et les rendre attentives à l’activité chrétienne, à la foi exempte de toute acception de personnes, à l’accomplissement de toute la loi, à l’inutilité de la foi stérile, aux écarts de langage, à l’entraînement des passions qui portent aux luttes, aux querelles, à l’amour du monde qui est inimitié contre Dieu, à la cupidité, à l’avarice, â l’égoïsme enfin, source de tous ces écarts, partant d’une grande partie des souffrances endurées.

Chrétiens d’aujourd’hui, qui souffrons de la lenteur du règne de Dieu, lequel de ces avertissements ne s’adresse pas à nous avec un à propos tel qu’on le dirait formulé tout exprès pour nous ? Ah ! nous nous plaignons de nos souffrances quand nous travaillons nous-mêmes à les créer et à les augmenter ? Etonnons-nous plutôt de ne pas souffrir davantage.

Ils savaient ensuite que la souffrance est dispensée par Dieu, qui châtie celui qu’il aime : qui n’est pas un père faible comme Isaac, Eli ou Samuel, mais un père juste, tendre, sévère, châtiant ses enfants judicieusement pour en faire des hommes dans le beau et complet sens du terme, labourant le cœur humain pour en faire un cœur céleste. Dès lors, la souffrance leur paraissait bonne, nécessaire au perfectionnement moral. Et de fait, qui donc a fait de Jacob voleur, menteur, un homme de Dieu ? La souffrance ! De Pierre renégat, un apôtre fidèle jusqu’à la mort ? La souffrance ! De Saul de Tarse, un Saint-Paul ? La souffrance ! De Luther, un réformateur ? La souffrance ! De Jésus de Nazareth, le sauveur du monde ? La souffrance ! Faites un Christ heureux, il n’est plus le Christ, le Sauveur. La souffrance ! Ah ! qu’ils en avaient bien saisi le rôle essentiel dans l’existence du chrétien, ce Paul et ce Barnabas, quand ils disaient aux fidèles de Pisidie :

« C’est par beaucoup d’afflictions qu’il nous faut entrer dans le royaume de Dieu » (Actes 14.22).

Ils savaient enfin que leurs épreuves n’étaient que pour un temps, encore était-il bien court, comparé à l’éternité bienheureuse qui leur était réservée. « J’estime, disait l’un d’eux, que les souffrances du temps présent ne sauraient être comparées à la gloire à venir qui sera révélée pour nous » (Romains 8.18).

Tels sont nos modèles, tel fut leur secret. Imitons-les.

N’admirez-vous pas, mes frères, combien l’apôtre connaissait le cœur humain quand il signalait à ses correspondants, la récompense réservée à la souffrance ? « Voici, nous disons bienheureux ceux qui ont souffert patiemment » (Jacques 5.11). C’est la pensée du sermon sur la montagne : « Heureux les affligés, car ils seront consolés » (Matthieu 5.4).

Mais ici s’impose une réserve que l’apôtre n’indique pas directement, il est vrai, mais qu’il sous-entend dans le dernier terme de sa phrase, patiemment, et dans l’exemple dont il l’appuie : « Vous avez entendu parler de la patience de Job, et vous avez vu la fin que le Seigneur lui accorda, car le Seigneur est plein de miséricorde et de compassion » (Jacques 5.11).

Ce n’est donc pas toute souffrance, quelles que soient ses causes, qui sera récompensée, couronnée de gloire ; mais seulement la souffrance selon Dieu, c’est-à-dire rencontrée au service de Dieu, par sa volonté et supportée patiemment. Et voyez ici l’accord parfait de la pensée de Saint-Jacques et de Jésus : « Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux ! » (Matthieu 5.10).

« Heureux serez-vous, lorsqu’on vous outragera, qu’on vous persécutera et qu’on dira faussement de vous toute sorte de mal, à cause de moi. Réjouissez-vous alors et soyez dans l’allégresse, parce que votre récompense sera grande dans les cieux ; car c’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui ont été avant vous » (Matthieu 5.11-12).

Et cela se comprend aisément ! Dieu a fait ou laissé faire pour les besoins de sa cause une plaie, Il la soigne, la guérit, l’efface : « Il fait la plaie et il la bande, Il blesse et sa main guérit » (Job 5.18).

Souvenez-vous de l’histoire de Job. Pourquoi cet homme intègre, craignant Dieu, fuyant le mal, souffre-t-il ? Pour Dieu ; pour démontrer à Satan que le vrai fidèle aime Dieu non pour les biens qu’il en reçoit, mais pour Lui-même.

Chrétiens affligés, pour qui et par qui souffrons-nous ? Pour Dieu et par Dieu, ou bien, pour nous et par nous ? Sommes-nous des instruments dans la main du Souverain Maître ? Des démonstrations vivantes de la vérité sous une quelconque de ses formes ? En quoi et en quelle mesure faisons-nous avancer le règne de Dieu ? Ou bien ne souffrons-nous que pour notre égoïsme et par notre propre faute ?

La question n’est point oiseuse, elle est au contraire capitale ; le résultat de nos épreuves en dépend. En tous cas, tenez pour une erreur très grossière, et très répandue, même parmi les chrétiens, cette idée qu’il suffit d’avoir souffert sur la terre pour trouver grâce devant le Juge suprême, et, que toute souffrance est un titre d’entrée au royaume des cieux. Que de fois n’avons-nous pas entendu dire devant une fosse ouverte par exemple : Il est, elle est dans la joie maintenant, car il a, elle a bien souffert ici-bas !

Eh ! bien oui. Si sa souffrance avait pour cause la cause même de Dieu, et si elle était patiente, joyeuse, chrétienne ! Mais non ! si elle n’était que la résultante de ses fautes et si l’œuvre régénératrice du Christ ne l’avait point sanctifiée, ne fût-ce qu’à la onzième heure.

Job ne souffre pas seulement pour Dieu et par Dieu, mais aussi selon Dieu, c’est-à-dire patiemment.

Vous connaissez l’étendue de ses malheurs : subitement privé de ses nombreux troupeaux, de ses serviteurs et de ses enfants, il s’incline et dit : « Je suis sorti nu du sein de ma mère, et nu je retournerai dans le sein de la terre. L’Éternel a donné, et l’Éternel a ôté ; que le nom de l’Éternel soit béni » (Job 1.21).

Pour comble d’infortune, il perd sa santé ; frappé d’un ulcère malin depuis la plante du pied jusqu’au sommet de la tête, assis sur la cendre, mal conseillé par sa femme, calomnié, excité par de fâcheux amis : « Quoi ! s’écrie-t-il, nous recevons de Dieu le bien et nous ne recevrions pas le mal ! » mais il ne pèche pas en paroles. Si des mots amers, vifs arrivent parfois sur ses lèvres, c’est qu’ils sont provoqués par la discussion et qu’ils s’adressent à ses imprudents interlocuteurs plutôt qu’à l’Éternel.

Chrétiens, ainsi souffrirent les douze tribus dans la dispersion, et nous comment souffrons-nous, à supposer que nous souffrions pour et par l’Éternel ? Avons-nous vraiment la patience de Job, la patience chrétienne ? Ne nous y trompons pas, elle revêt certains caractères qui n’appartiennent qu’à elle et dont voici les principaux :

D’abord, vouloir ce que Dieu veut, non parce qu’il est tout puissant et qu’il est impossible de lui résister, mais parce qu’il le veut. J’aurais le pouvoir de guérir et de ressusciter, que je n’arracherais pas à la souffrance et que je ne rappellerais pas à la vie l’être même qui m’est le plus cher, si j’avais la conviction que ce n’est point conforme à la volonté de Dieu. Devant le corps inanimé de son ami Lazare, avant d’agir Jésus consulte Dieu.

Ensuite, ne pas chercher l’oubli de l’épreuve ; si Dieu l’envoie, c’est pour que nous la sentions. Jésus, devant le tombeau de son ami et devant Jérusalem rebelle, se recueille et pleure.

Enfin, savoir attendre, espérer contre toute espérance. Seigneur, tu me frappes, je m’incline, car c’est pour mon bien, peut-être aussi pour celui de ton règne. Je m’incline et j’attends, « la main sur ma bouche ! » (Job 39.37) comme l’héroïque Job.

Cette attente fidèle n’est pas vaine. Le résultat poursuivi, une fois atteint, l’affliction cesse. Job est consolé : il recouvre la santé, ses biens perdus lui sont rendus au double ; sept fils et trois filles, d’une grande beauté, viennent égayer son foyer désolé ; 140 ans après, ii meurt rassasié de jours au milieu de ses enfants jusqu’à la quatrième génération. Telle est : « la fin que le Seigneur lui accorda, car le Seigneur est plein de miséricorde et de compassion » (Jacques 5.11).

Magnifique récompense, n’est-ce pas ? Eh bien ! elle pâlit devant celle qui était réservée aux douze tribus dans la dispersion : elle lui est aussi inférieure que la matière l’est à l’esprit, la terre au ciel. Que sont, en effet, ces biens matériels comparé ! à la « couronne de vie que le Seigneur a promise à ceux qui l’aiment ! » (Jacques 1.12)

La couronne de vie ! Voilà, mes frères, la récompense digne, seule digne de la souffrance pour Dieu, par Dieu, selon Dieu.

Elle sera la nôtre, si, prenant pour « modèles de souffrance et de patience les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur (Jacques 5.10) » depuis Abraham jusqu’au dernier des huguenots, et si, appuyés sur Dieu, guidés par Jésus-Christ, nous restons patients et joyeux dans la souffrance et dans la foi ! « Voici, nous disons bienheureux ceux qui ont souffert patiemment » (Jacques 5.11).

Résumons-nous : quand Dieu nous afflige pour l’avancement de son règne, Il nous honore ; Il nous élève à la dignité de collaborateurs et attend de nous une entière fidélité. Sentinelles avancées, soyons à la hauteur de notre tache, luttons, souffrons, mourons en braves.

Pour nous donner du cœur, regardons à nos glorieux devanciers, tombés sans faiblesse au champ d’honneur : portons haut leur drapeau : la foi ; et relevons leurs armes invaincues : la confiance, la soumission, la patience.

Le lâche déserteur serait puni, le vaillant champion sera couronné de gloire éternelle.

J’aime parfois, dans mes heures de recueillement intime, à me représenter par la pensée, Israël arrivant en Canaan sous la conduite de Josué. Derrière lui le désert grand et terrible, avec ses étapes douloureuses, Mara, Sin, Réphidim, ses serpents brûlants, ses fatigues, ses lâchetés, ses révoltes, ses châtiments, disparaît dans le lointain comme un rêve, devant lui s’étend Canaan, le pays où coulent le lait et le miel, Canaan, la patrie retrouvée où dorment les ancêtres, Canaan, la fin des épreuves, Canaan, l’aurore du bonheur et de la prospérité.

Ainsi m’apparaît, dans un rapprochement tout naturel, l’Israël chrétien pénétrant dans la Canaan céleste conduit, soutenu, porté par Jésus-Christ.

Là-bas, dans le fond obscur des espaces, disparaît la terre avec ses misères, ses luttes, ses larmes ; là dans un rayonnement d’aurore s’ouvrent les nouveaux Cieux et la nouvelle terre où toute larme est essuyée, où la mort est vaincue, où il n’y a plus ni deuil, ni cri, ni douleur et où la couronne de vie promise au vainqueur s’abaisse resplendissante sur son front.

Vainqueur, mais tout meurtri, tout meurtri, mais vainqueur.

Amen.

Georges-Marc Ragonod

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