Précis d'histoire de l'Eglise

Chapitre 4 : Le protestantisme de langue allemande

1. Situation officielle

Frédéric-Guillaume III

1. L’union entre luthériens et réformés. Le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III (1797-1840) voulut joindre dans une même organisation les luthériens et les réformés de son royaume. Au point de vue doctrinal, les uns et les autres restaient sur leurs positions, mais il y avait des cultes en commun et les mêmes autorités ecclésiastiques. Cet exemple fut suivi dans plusieurs Etats allemands, mais pas dans tous. Aussi jusqu’à nos jours les protestants allemands se répartissent-il en trois groupes, luthériens, réformés et unis. En Prusse même, certains luthériens irréductibles s’organisèrent en Eglises indépendantes.

2. Eglises dissidentes. Outre les Eglises unies à l’Etat, divers groupements dissidents, pour la plupart de tendance piétiste, se constituèrent au cours de cette période : Eglises Libres, Baptistes, Méthodistes, Evangelische Gemeinschaft, Armée du Salut, Frères. Un mouvement typiquement piétiste est celui de Chrischona, dont le centre est à Bâle, et qui groupe, pour des réunions spéciales, des fidèles qui n’ont pas rompu avec l’Eglise nationale.

Dietrich Bonhoeffer

3. Conflit avec l’Etat national-socialiste. Sous le régime impérial (1871-1918) et sous celui dit de Weimar (1918-1933), les rapports entre l’Eglise protestante et l’Etat furent cordiaux. Sous le Troisième Reich d’Hitler (1933-1945), les difficultés surgirent entre « chrétiens allemands » favorables à toutes les outrances du national-socialisme, y compris l’antisémitisme, et « l’Eglise confessante » qui entendait maintenir la pureté de l’Evangile. Le professeur Karl Barth fut destitué, le pasteur Martin Niemöller (né en 1892) emprisonné pendant plusieurs années. D. Bonhoeffer, avant d’être exécuté, a jeté sur le papier dans ses Lettres de Captivité des pensées profondes, parfois paradoxales, sur l’allure que devrait avoir la prédication dans un monde déchristianisé.

4. Situation depuis la fin des hostilités. Un conflit analogue met aux prises les protestants d’Allemagne orientale avec le gouvernement de la République démocratique qui cherche à embrigader la jeunesse dans des organisations communistes hostiles à la foi chrétienne. L’évêque Dibelius s’est trouvé à la tête de ce combat. Dans la République fédérale de Bonn, les Eglises ont retrouvé toute leur liberté et la manifestent par les grandioses rencontres annuelles de « Kirchentag ». Beaucoup de protestants réfugiés venus des provinces de l’Est se sont établis dans des régions autrefois toutes catholiques, ce qui a modifié la carte ecclésiastique de l’Allemagne.

2. Courants théologiques allemands

Ces courants méritent une étude particulière, parce qu’ils ont donné le ton aux mouvements théologiques des autres pays.

Friedrich Schleiermacher

1. Schliermacher (1768-1834) : Issu d’un milieu morave, ce théologien avait de fortes sympathies pour le rationalisme. Il fut nommé professeur à Berlin et enseigna presque toutes les disciplines théologiques. Pour lui, les idées théologiques et la piété sont indépendantes. La pensée humaine peut donc sans inconvénient exercer sa critique sur les dogmes et sur la Bible, accepter ce qui paraît raisonnable et rejeter le reste. Jésus se distingue des hommes par l’intensité de sa conscience religieuse. L’essentiel du christianisme, c’est un sentiment de dépendance vis-à-vis de l’Infini. Cette conception romantique de la foi a déformé le réveil en Allemagne, au début du XIXe siècle, et a eu une influence considérable dans d’autres pays.

L’ouvrage le plus important de Schliermacher a pour titre Discours sur la Religion (1799).

Georg Wilhelm Friedrich Hegel

David Friedrich Strauss

2. Théologiens hégéliens. Hegel (1770-1831) était un philosophe panthéiste qui voyait la loi de tout développement dans une succession de thèses, d’antithèses et de synthèses. Certains théologiens ont entrepris d’appliquer cette loi à la religion chrétienne, niant ainsi la révélation, et ne voyant dans le christianisme qu’un produit naturel de l’évolution de la pensée humaine, une synthèse du judaïsme et de l’hellénisme. Ils découvraient dans le Nouveau Testament des courants contradictoires. La Vie de Jésus de Strauss (1808-1874) présentait la vie du Christ comme un mythe dont il était impossible de découvrir le noyau historique. Baur (1792-1860), professeur à Tubingue, et les théologiens de son école, disséquaient le Nouveau Testament à grand renfort d’érudition. Ils y découvraient des documents pauliniens (certaines épîtres, un proto-Luc), puis par antithèse des écrits judéo-chrétiens (Jacques, Apocalypse, un proto-Matthieu), la synthèse étant constituée par des écrits à leurs yeux très tardifs (Marc, Jean, Actes).

3. Les théologiens orthodoxes. Le plus important est Hengstenberg (1802-1969), professeur à Berlin. Dans sa Gazette évangélique, il combattit énergiquement tout ce qui portait atteinte à la foi. Il contribua ainsi à un renouveau orthodoxe vers le milieu du XIXe siècle, malheureusement parfois un peu trop appuyé sur une politique réactionnaire.

Friedrich August Tholuck

Johann Christoph Blumhardt

Tholuck (1799-1877) exerça un ministère béni auprès des étudiants. Il était de tendance piétiste. On peut en dire autant du pasteur Blumhardt (1805-1880) qui fit des expériences remarquables dans le domaine de l’expulsion des démons. Il organisa à Boll au Wurtenberg un centre de piété très vivant.

Albrecht Ritschl

4. Ritschl (1822-1889). D’abord disciple de Baur, Ritschl en vint à rejeter la conception hégélienne de l’histoire qui caractérise l’école de Tubingue. Il veut se baser sur les faits objectifs, c’est-à-dire sur le texte de l’Ecriture et sur l’expérience chrétienne. Il accepte cependant la critique biblique. Les dogmes ne l’intéressent que dans la mesure où ils concernent ce qui se passe dans l’homme. Ceux qui touchent à la nature de Dieu ne lui paraissent pas devoir être abordés. Il est un peu, en théologie, ce que Comte est en philosophie.

Karl Barth

5. Karl Barth. De nationalité suisse, Karl Barth (1886-1968) a commencé par être moderniste, mais dans sa paroisse de campagne, il a senti la nécessité d’apporter aux hommes la parole de Dieu. Il est arrivé à la conclusion que l’homme ne peut s’élever jusqu’à Dieu, ni par sa raison, ni par sa piété. Il faut donc une révélation d’en haut, que Dieu nous a donnée en Jésus-Christ, Dieu fait homme, et dont la seule relation authentique nous est donnée par la Bible.

Seulement, même en se révélant, Dieu reste celui qui est « tout autre ». La vérité nous apparaît comme tiraillée entre deux affirmations contradictoires. La théologie doit donc est dialectique, c’est-à-dire qu’elle doit maintenir l’équilibre entre ces contradictions apparentes.

Au début, Karl Barth entendait simplement mettre en question les systèmes théologiques existants, placer en marge d’eux quelques points d’interrogation. Puis, professeur à Bonn et à Bâle, il en est arrivé à donner dans sa volumineuse Dogmatique Ecclésiastique, encore inachevée, toujours plus de place aux affirmations positives dont, selon lui, les âmes doivent vivre.

Le « barthisme » se recommande par sa position en général orthodoxe sur la personne du Christ et par son insistance sur le caractère unique de la Bible. A ces deux regards, Karl Barth se distingue avantageusement de son collègue, le professeur Brunner, de Zurich (1889-1966), avec qui d’abord il a collaboré, mais dont il s’est séparé après une controverse retentissante.

On doit regretter d’autre part qu’il ne considère pas la Bible comme étant en elle-même la parole de Dieu, mais seulement comme susceptible de le devenir par une intervention de l’Esprit qui nous parle par elle. Par réaction contre les théologiens de l’expérience, les « barthiens », plus que Karl Barth lui-même, ont aussi tendance à ne pas donner sa place légitime à l’expérience du salut. Enfin la notion barthienne de la prédestination, selon laquelle tous sont prédestinés d’abord à la perdition, puis au salut, penche dangereusement vers l’universalisme.

N’empêche qu’il faut se réjouir du fait que beaucoup ont été ramenés par l’influence de Karl Barth à une foi positive.

Parmi les ouvrages de K. Barth, outre sa Dogmatique, il faut mentionner son Commentaire sur l’Epître aux Romains qui provoqua le choc initial au sein du monde théologique, son étude de la confession de foi écossaise intitulée Connaître Dieu et le servir, son Esquisse d’une Dogmatique et son Introduction à la Théologie Evangélique.

Rudolf Bultmann

6. La Formgeschichte. Cette école a pour chef le professeur Bultmann, de Marbourg (1884-1976). D’abord associé avec Karl Barth, il s’est séparé de lui. Pour lui, les écrits bibliques doivent être étudiés en tenant compte des « formes » littéraires des siècles passés. Les Evangiles ne sont pas des comptes-rendus fidèles des événements, mais l’expression de la foi des premiers chrétiens. Le message spirituel éternel, celui du salut par la foi en Christ ou « kérugma », se trouve enveloppé dans les conceptions « mythiques » dont il convient de le dégager, afin de le rendre accessible à la pensée moderne.

Actuellement, la théologie allemande est entrée dans une phase post-bultmannienne ; les disciples du maître reprennent de l’intérêt pour le Jésus de l’histoire. Du côté orthodoxe, de vives réactions se font sentir également, en particulier dans le mouvement « Pas d’autre Evangile ».

La révélation de Dieu.

La connaissance de la Révélation peut et doit donc signifier : la connaissance du Dieu lointain, étranger, saint. Elle interdit cette vaine et dangereuse imagination que l’homme pourrait, dans cette rencontre avec Dieu, entrer en lice et collaborer comme s’il était le partenaire de Dieu, pourvu d’une capacité de Dieu, naturellement disposé à Dieu, comme s’il y avait une continuité entre ce que l’homme connaît et fait naturellement et ce que Dieu lui donne à connaître et lui commande de faire. La connaissance de la Révélation, c’est toujours la reconnaissance du miracle de cette rencontre, à savoir de la grâce, de la miséricorde, de l’abaissement de Dieu. Mais justement, en disant ceci, nous affirmons que cette connaissance est celle d’une relation réelle entre Dieu et l’homme, d’une relation qui se fonde là même, et là seulement, où elle peut acquérir force et stabilité, c’est-à-dire qui ne se fonde pas dans la vérité équivoque de notre nature humaine, de notre raison, et pas davantage de notre amour, mais bien dans la libre décision du Dieu éternel et immuable. Ce serait oublier cette action, cette attaque de Dieu que de considérer cette relation comme un problème. La considérer ainsi, c’est, à vrai dire, la nier. La connaissance de la Révélation n’est pas la connaissance d’un Dieu abstrait, en face d’un homme abstrait, mais la connaissance du Dieu concret qui a cherché l’homme en même temps que la connaissance de l’homme concret qui a été trouvé par Dieu. Elle est connaissance de Dieu et de l’homme, concrètement, dans l’événement de l’initiative première et absolue de Dieu. Telle est la majesté de Dieu que là où la différence qui sépare l’homme de Lui se révèle dans son infinitude, là précisément se révèle que cet homme appartient à Dieu, non parce qu’il est capable de Lui, non parce qu’il L’aurait cherché et trouvé, mais uniquement parce que telle est la volonté gracieuse de Dieu.

Karl BARTH
Révélation, Eglise, Théologie.

Démythisation.

L’image du monde, dans le Nouveau Testament, est mythique. Le monde est comme un édifice à trois étages. Au milieu, la terre ; au-dessus d’elle, le ciel ; au-dessous, le monde infernal. Le ciel est la demeure de Dieu et des êtres célestes, les anges ; le monde inférieur c’est l’enfer, le lieu des tourments. Mais la terre n’est pas seulement le lieu d’un déroulement naturel, quotidien, d’une vie de prévoyance et de travail basée sur un ordre et sur une règle, elle est aussi le théâtre où agissent des forces surnaturelles, Dieu et ses anges, Satan et ses démons. Dans le déroulement normal des faits humains, dans la pensée, l’action, la volonté de l’homme, interviennent les forces surnaturelles ; le miracle n’est pas chose rare…

A cette cosmologie mythique correspond la représentation de l’événement salutaire, qui constitue le contenu propre de la prédication évangélique. En langage mythologique, le message dit : « le temps est venu », « quand les temps furent accomplis », Dieu envoya son Fils. Celui-ci, être divin, préexistant, apparaît sur la terre comme un homme ; sa mort sur la croix, celle du pécheur, représente une expiation pour les péchés des hommes. Sa résurrection est le commencement de la catastrophe cosmique, par laquelle la mort introduite dans le monde par Adam sera annulée : les puissances démoniaques du monde seront dépouillées. Le Ressuscité est monté au Ciel, où il siège à la droite de Dieu. Il est fait Seigneur et Roi. Il reviendra sur les nuées pour consommer l’œuvre de salut ; c’est alors qu’auront lieu la résurrection des morts et le jugement ; alors seront anéantis le péché, la mort et toute douleur. Et le temps est proche : Paul pense qu’il assistera en personne à cet événement…

Dans la mesure, donc, où c’est là un discours mythologique, il est devenu inacceptable pour l’homme d’aujourd’hui… La prédication chrétienne actuelle se trouve par conséquent devant ce problème : en demandant aux hommes de croire, leur demande-t-elle aussi de reconnaître la cosmologie mythique de jadis ? Si c’est impossible, une autre question se pose : la prédication du Nouveau Testament a-t-elle une vérité qui soit indépendante de cette cosmologie mythique ? Et serait-ce alors le devoir de la théologie de démythiser le message chrétien ?

BULTMANN
Kerygma und Mythos
Tome I, pp. 15, 16.
Cité par MIEGGE
L’Evangile et le Mythe.

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