Précis de prédication chrétienne

Suppléments : EN QUOI LES THÉORIES DE LA COMMUNICATION INTÉRESSENT-ELLES LA PRÉDICATION ?

Par Jean-Claude THIENPONT

Tout le monde en parle... mais pour dire quoi ?

Un pasteur zaïrois, séjournant en France depuis plusieurs années, devait apporter une prédication lors d'une grande convention réunissant presqu’autant d'Africains que d'Européens. Avant de commencer, il avertit qu'il lui serait difficile de satisfaire les deux composantes  de son public : s'il développait sa prédication avec ampleur, les Européens s’impatienteraient et s'interrogeraient : pourquoi ne va-t-il pas directement à l'essentiel ? Si, par contre, il était bref et concis, les frères et sœurs d'Afrique seraient déçus et se demanderaient s'il n’avait vraiment rien d'important à leur dire.

Aujourd’hui, pour résoudre la délicate question de la durée d’un sermon, les hommes de la modernité seraient plutôt enclins à se confier à de savantes analyses, à des statistiques, à des observations sociologiques. Mais peut-on déterminer scientifiquement la durée optimale de la prédication ? Bien sûr, il s'agit là d'une donnée observable, vérifiable, quantifiable, essentiellement technique. On peut l'exprimer en chiffres...

Ces données ne reflètent cependant qu'un aspect limité de la réalité ! Car si la durée d'un message est une donnée objective, mesurable, elle est perçue selon une infinité d'expériences subjectives, qui varient selon les cultures, les individus, les circonstances, les conditions d'écoute...

On ne sent pas passer le temps de la même manière en Afrique qu'en Europe, selon qu'on parle ou qu’on écoute, qu'on s’intéresse au sujet ou non, que l'on se trouve debout ou assis, proche de l'orateur ou à distance, en accord ou en désaccord avec lui... Entrent aussi en ligne de compte le talent de l'orateur et la capacité d’écoute de l'auditeur. Tous ces facteurs créent la « durée psychologique », le temps tel qu'il est vécu dans la subjectivité individuelle.

Bien sûr, des convergences vont se manifester. Les sensations individuelles vont se fondre dans l'intersubjectivité du groupe (culture, sous-culture, Église, mouvance religieuse, génération...). On découvrira des seuils de tolérance assez largement reconnus (qui oserait, en Europe francophone, prêcher trois ou quatre heures ? ou se limiter à cinq minutes ?). Des sensibilités communes vont se manifester, des « créneaux favorables » vont être trouvés, qui favorisent l’accueil de certains messages. Un consensus s'établira autour de certaines habitudes, constituant ce que l’on appelle aujourd’hui le « contrat tacite » de la communication. Cet ensemble de « règles » sera d'autant plus contraignant qu'il sera implicite, perçu comme l'évidence même par les auteurs du processus de communication. Car, au sein d'un ensemble socio-culturel donné, les habitudes deviennent vite normatives et pratiquement inévitables.

Elles ne sont toutefois pas immuables. Aujourd’hui, pour ce qui concerne la durée de la prédication, la tendance est à la diminution. Une récente enquête dans une union d'Églises indique que beaucoup de gens souhaitent que les prédications n'excèdent pas les 20 à 25 minutes, voire qu'elles se rapprochent plutôt des 15 minutes au lieu des 30 à 40 minutes encore généralement admises il y a quelques décennies... sans parler des prédications du temps de la réforme, ou des Réveils, qui pouvaient facilement durer une heure pleine ! Ou plus.

Or ceci engendre un dilemme : quel exemple suivre ? Et quelle recommandation ? Soyez brefs, nous disent les communicateurs : tout ce que vous dites au delà des 20 minutes (ou d'un laps de temps encore plus court !) sera perdu. Il faut s'adapter aux capacités d'écoute de son auditoire.

Certes... Mais ne faut-il pas enseigner tout le conseil de Dieu, comme le fait l'apôtre Paul à Éphèse ? Or, 52 fois 20 minutes de prédication (lors des 52 dimanches de l'année), soit à peu près 17 heures au total, c'est bien moins qu'une semaine de cours au collège... Sera-ce suffisant pour communiquer à l'Église tout ce qu'il importe de lui dire au cours d’une année ? L impératif moderne de rapidité et de brièveté au nom de l'efficacité, ne s'oppose-t-il pas aux exigences de l’Écriture ? Certaines « évidences » de la communication moderne ne sont-elles pas en porte-à-faux avec les objectifs de la prédication chrétienne avec des conséquences à long terme qui restent à évaluer ?

On aura compris que la question de la durée du sermon n'a été prise ici qu'à titre d'exemple. Elle est symptomatique des changements réels en matière de communication. Mais bien d'autres aspects ont changé. Pour s'en rendre compte, il suffit d'écouter des enregistrements de discours des années 30, ou même 50. Le rythme, le débit et la densité du discours, le timbre de la voix, le niveau de langage, la place de l'émotion, bref tout ce qui fait la tonalité du discours, ont subi des modifications profondes, créant un nouvel environnement sonore. Plus encore : les changements dans la manière d'informer, d’aligner et d'articuler des arguments, d'évoquer des souvenirs, de décrire des événement... nous indiquent que nous vivons dans un nouvel univers « médio logique ». Et il n'est pas sûr que nous en maîtrisions déjà bien les paramètres. Il se trouve assurément des prédicateurs pour regretter ces nouveautés, comme il s'en trouve pour les accueillir avec enthousiasme et sans réserve. Certains les ont déjà assimilées sans même s'en rendre compte, tandis que d'autres ne les considèrent que comme des objets d'analyse, sans incidence sur leur pratique personnelle. Mais personne ne saurait ignorer les tensions qui résultent de ces évolutions sans que les changements dans l’attitude d'écoute des auditeurs contemporains ne le rappellent bien vite à l'ordre !

Ces quelques pages voudraient aider ceux qui ont pour vocation de prêcher la Parole de Dieu à mieux tirer profit de la réflexion contemporaine sur la communication.

Comme cette étude accompagne un précis de prédication chrétienne, elle se limitera à la perspective que doit avoir le prédicateur. Ceci n'implique sûrement pas que la perspective de l’autre, acteur de la communication, l'auditoire, ne serait pas importante, ou que la réflexion sur la communication n'aurait rien à apporter. Mais il s'agirait là simplement d'un autre sujet de réflexion.

Nous n'entrerons pas non plus dans des considérations d'ordre purement pratique, telles que la manière de parler dans un micro, de s'exprimer adéquatement à la radio, ou d'utiliser le traitement de texte pour préparer une prédication. Ce sont là des aspects techniques que chacun peut maîtriser sans trop de peine, et qui se travaillent essentiellement in vivo, sur le terrain, sous la forme de stages ou d'apprentissage « sur le tas. »

Ce n'est pas le lieu ici d'entamer une étude critique des rouages de la société technologique qui engendre les nouveaux outils de communication, et qui est à son tour engendrée par eux. Mais, considérant que techniques, technologies et théories de la communication se développent au sein d'une société de plus en plus étrangère aux valeurs chrétiennes et aux normes bibliques, nous aurons constamment à l'esprit que leur utilisation requiert toujours prudence et discernement.

Signalons encore que ce qui suit est un essai de synthèse. L’appareil de notes a donc été réduit au maximum. Quelques indications bibliographiques permettront à ceux qui veulent poursuivre et développer cette réflexion de retrouver les éléments traités et de s’orienter dans le vaste champ de publications consacrées à la communication.

l. L’invention de la communication.

L’homme moderne n'a pas inventé la communication. De tous temps, et en tous lieux, les êtres humains ont communiqué. Ils en étaient plus ou moins conscients, bien sûr, et n'y accordaient pas toujours la même importance. Mais il appartient à la nature sociale de l’homme ou plus précisément à sa nature créatrice, de parler, de , de s'exprimer, d'écouter, de raconter, d'entendre, d'échanger des informations, bref, de communiquer.

Le choix des moyens et leur mode d'utilisation ont infiniment varié selon les coutumes, les cultures et les évolutions dans ce domaine ont toujours contribué à modeler les sociétés, leur façon d'agir, de penser, de croire. Ainsi, l'invention et la généralisation de l'écriture d’abord, de l'imprimerie ensuite, ont changé la face du monde. Pour la transmission de la foi, la fixation par écrit de la tradition orale (dès l’Ancien Testament!), l'utilisation du grec commercial et populaire pour la communication de l'Évangile, ou l'exploitation de l'invention de Gutenberg à l'époque de la Réforme, ont été des facteurs de développement dont nul n'ignore le rôle et l’importance.

Que de nouveautés depuis ! Du télégraphe au CD-ROM, en passant par la radio ou la photocopie, de multiples inventions n'ont cessé de modifier les milieux professionnels, puis l'espace public, enfin la sphère privée. Ainsi, l'informatique, relayée par la télématique, transforme les milieux professionnels et administratifs du monde entier, tandis que radio et télévision ont pénétré dans la vie de la majeure partie des habitants de la terre, entraînant de nombreuses et souvent profondes modifications dans les comportements.

En fait, nous assistons aujourd'hui à la croissance exponentielle de trois mouvements fondamentaux qui ont – de tout temps – été le souci de ceux qui communiquent :

1) obtenir des informations,

2) les conserver et les traiter,

3) les transmettre et les diffuser.

Plus simplement : importer, stocker, exporter. De ce point de vue, il n'y a rien de nouveau sous le soleil, si ce n'est du point de vue quantitatif. Aujourd'hui, on peut en effet accéder à plus d'informations que jamais. On peut conserver et traiter celles-ci plus rapidement, sur des supports toujours plus malléables et performants. Des moyens de transport toujours plus rapides permettent de les acheminer partout dans le monde dans des délais qu'on tenait encore pour impossibles il y a peu. L’utilisation des ondes relayées par satellite permet maintenant de communiquer à un nombre pratiquement illimité d'individus presque partout sur le globe, et sans aucun délai. Vivre en temps réel ce qui se passe ailleurs sur la planète est déjà devenu presque aussi banal qu'impératif (qu'on se souvienne de la Guerre du Golfe, du choix de l'heure du débarquement américain en Somalie, ou des agencements horaires pour les compétitions sportives mondiales !). La conjugaison des performances de la téléphonie (avec les fibres optiques) et de la radiophonie (par satellite), jointes à celles de l'informatique, offrent maintenant la possibilité d'une transmission de données à la fois massive et immédiate (les réseaux informatiques, les autoroutes de l'information, Internet, etc.), tout en exposant les hommes à de nouvelles formes de dérive qui se révèlent bien difficiles à contrôler (piratage et manipulation informatique), qui fragilisent la société elle-même (intoxication, virus) et n'apportent pas nécessairement des solutions à tous les problèmes (notamment ceux qui sont liés à l'utilisation des données obtenues !). Mais la généralisation rapide de ces outils modernes, avec l'incroyable densification de l'activité de communication qu'elle entraîne – on communique beaucoup, partout, et tout le temps – constitue sûrement un des faits majeurs de cette fin de siècle. Nous vivons dans le « cybermonde ! »

Toutefois, le passage de l'homo sapiens à l'homo communicans ne consiste pas seulement en cette extraordinaire optimalisation des techniques. Ce bouleversement s'accompagne d'un discours qui n’a cessé, conjointement, de s'amplifier. Et ce discours lui-même, à son tour, a évolué. Orienté initialement sur l'information et les mécanismes de sa transmission, il s'est de plus en plus concentré sur les rapports de la communication, sur les hommes communicateurs et les rapports qu'ils entretiennent les uns avec les autres, davantage que sur le processus de transmission proprement dit. Nous en verrons quelques implications plus loin.

Aujourd'hui, de manière narcissique, presque obsessionnelle, les hommes de la modernité (et de la postmodernité) se regardent communiquer et s'émerveillent d'eux-mêmes, développant une réflexion toujours plus complexe sur les tenants et les aboutissants de leur « agir communicationnel ». Et même si cette profusion de discours sur la communication cache mal la misère de la non-communication, bien réelle pourtant, et en particulier dans la société urbaine, ils se conçoivent de plus en plus eux-mêmes à partir de cet aspect de l’existence.

Comme c’est souvent le cas pour les sciences humaines, le descriptif s'est progressivement mué en prescriptif. Ainsi, la communication s'est transformée en une valeur et une norme au travers de laquelle on juge des événements et des personnes. Plus qu'une technique, donc, et au delà du discours technologique, « la communication, est devenue une anthropologie, une façon de penser l'homme, une clé herméneutique de l'existence. Déjà présente dans la réflexion philosophique, elle est en passe de se muer en culture. Faut-il s'étonner de ce que certains aient évoqué l’idée d'une idéologie, voire d'une religion de la communication ?

Malgré cela, on chercherait en vain une théorie unifiée et universellement acceptée de la communication. Sociologues, psychologues, ethnologues, anthropologues, linguistes, philosophes, et bien d'autres encore apportent chacun leur contribution, leur perspective, leurs questions. La diversité est telle que la communication a beaucoup de peine à se présenter à nous comme une discipline scientifique. Elle apparaît plutôt comme un vaste champ interdisciplinaire, sollicité de toutes parts, particulièrement fertile, mais sans unité fondamentale d'objet, d'étendue, ou de méthode.

« La » théorie de la communication n'existe donc pas ! Ou, si elle existe, elle est plurielle, multiforme, évolutive.

On peut distinguer trois courants (pas entièrement successifs) qui ont chacun laissé des traces importantes.

Le premier est celui des cybernéticiens. Pour eux, la circulation de l'information prime. Ils suivent son parcours et constatent les processus d'action et de rétroaction (le fameux feed-back). Ils insistent sur le rôle régulateur et autorégulateur de la communication sur le plan social. Ils en dégagent une certaine espérance, voire une utopie : rendre fluide la circulation des informations (aller et retour !) contribuera à améliorer les conditions d'existence des hommes.

Le deuxième peut être décrit comme médiatico-pragmatique. Ici, l'on se concentre sur l'observation de l'impact des média sur les populations atteintes. On pose peu de questions éthiques et l’on propose plutôt comme normatif ce qui ressort des statistiques. Les média contribuent à l'idéal démocratique des sociétés occidentales, leur éventuel excès de pouvoir étant contrebalancé par la liberté individuelle et par la pression du public.

Le troisième courant s'appuie sur la linguistique et l’anthropologie culturelle. Sa méthode est le structuralisme, c'est-à-dire la recherche des structures sous-jacentes communes dans la société, dans la pensée et dans le langage. Elle se donne pour but d’élaborer une science générale des signes (la sémiotique chère à De Saussure), que l'on pourrait appliquer à tous les domaines de l'existence, y compris au langage et à la communication. La parole prend ici une importance primordiale.

C'est elle qui structure le mental et le social, et c'est par elle que l'homme se comprend ou se donne une explication de lui-même. L’analyse des mythes et des récits (auxquels la Bible se trouve dangereusement assimilée !), mis en rapport avec la vie conçue elle-même comme une narration continue, occupe une place de choix dans ce courant de pensée, qui cherche à opérer la jonction entre le réel et l’imaginaire.

C'est la dernière mode en date.

Le fait que différentes écoles de pensées se soient succédé, chevauchées, fertilisées et souvent même combattues en un demi siècle, témoigne de la complexité du sujet. De fait, les questions pratiques et immédiates (« comment communiquer ? ») vont de pair avec des considérations éthiques (« comment communiquer en vue du bien ? »), tâchent de répondre aux questions de la philosophie (« pourquoi l'homme veut-il communiquer ? ») et de l'anthropologie (« l’'homme peut-il vraiment communiquer ? »). Rien d'étonnant, donc, à ce qu’aucune réponse absolue et définitive ne s'impose, lorsqu'il s'agit de s'interroger sur la nature de la communication et sur la manière dont l'homme influence l'homme.

L’application de « la » théorie de la communication à la prédication devra donc se faire en tenant compte non seulement de la complexité du phénomène en soi, mais encore de la grande diversité des approches proposées.

Comment communiquer aujourd'hui ?

La première observation qui découle de ces changements est que le temps de l'innocence est résolument passé. Le spontané et le naturel ne sont que des apparences. Quoique souvent valorisés, ils ne peuvent suffire pour organiser et maîtriser le processus de communication. Aborder ce domaine de façon purement intuitive sera donc réservé à quelques rares exceptions.

Cette technicité accrue ne concerne pas uniquement ceux qui parlent en utilisant des média. La radio, et particulièrement la télévision, sont omniprésentes dans les foyers. Leur influence déborde largement le quotidien : toute la façon de donner et de recevoir des discours s'en trouve modifiée. Insensiblement, les habitudes, les normes, et les attentes en matière de langage, de style, d'expressivité, de « présence »... se sont modifiées en fonction du modèle médiatique omniprésent. L’enseignant, le prédicateur, et somme toute, n'importe quel orateur se trouve maintenant en concurrence presque directe avec les animateurs sélectionnés et entraînés par le milieu professionnel. Et la comparaison est parfois difficile à soutenir !

Observation, formation et entraînement s'avèrent donc indispensables pour qui ne veut pas être sanctionné de fait par un manque d'écoute et d'attention de la part de ceux à qui il s'adresse. De plus, la communication est tellement devenue une valeur en soi, que la moindre trace d'indifférence ou de mépris à son égard risque fort d'être perçue comme de l’indifférence et du mépris à l'égard des personnes concernées. Favoriser la communication est devenu une exigence forte, une sorte « d'impératif catégorique » de notre temps. Il serait difficile de l'ignorer.

De ce point de vue, l'apport de la première mouvance communicationnelle, complétée par les observations des sciences humaines, sociologie en tête, s'avère encore toujours le plus pratique, ceci malgré certaines faiblesses.

Ce qui vient encore toujours le plus spontanément à l'esprit lorsqu'on parle de théorie de la communication est un schéma disposant horizontalement de gauche à droite un « émetteur », un message et un « récepteur », autour desquels sont disposés, à des places et avec des représentations plus variables, les indications de « canal », de « code » et de « référence ». On y ajoute la notion de bruit, qui désigne les éléments perturbateurs, et celle de rétroaction (feed-back), qui rappelle que la communication est par essence un processus cybernétique (autorégulateur), donc bi- ou multidirectionnel.

Il existe, bien sûr, des variantes dans le choix des termes et des alternatives dans la modélisation. La présentation d'un phénomène vaste pose nécessairement des problèmes de synthèse, et sa représentation est forcément réductrice. Mais même si ce schéma ne peut rendre compte de la double complexité interne et externe de la communication en tant que phénomène, il a le mérite de la signifier et de l'articuler en tant qu'action, puisqu'il met en présence les acteurs de la communication et ses principaux éléments moteurs.

Pour travailler sa manière de communiquer, un prédicateur pourrait ainsi parcourir périodiquement tous les « moments du processus de communication, les acteurs, les éléments moteurs, les articulations. Chaque aspect pourrait faire l'objet d'une évaluation et d’un projet d'amélioration. La liste d'applications qui va maintenant suivre intègre cette procédure, tout en l'enrichissant.

II. Applications

Les applications qui suivent n'ont pas été pensées et formulées comme de nouvelles lois qui régiraient de façon détaillée toute circulation d'information dans le monde à venir, y compris sur la petite « place de la prédication ». La conjonction d'apports modernes, d'expérience classique et de principes bibliques conduit plutôt à des principes généraux, à des règles ouvertes, qui continuent de faire appel au discernement pour leur mise en pratique.

Les paragraphes qui vont suivre ont pour but d'aider le prédicateur à organiser et à vérifier son « travail » de prédication en tenant compte du nouvel environnement médio logique et des principaux acquis de la réflexion sur la communication. Il en résulte, admettons-le, quelques exigences fortes. Mais aussi des espaces de liberté. Et des marges de progrès.

1) Sélectionner intelligemment.

C'est la règle de la prudence : ne pas se laisser emporter par toutes les modes, techniques ou pratiques qui peuvent s'offrir à nous. Car tout n'est pas approprié. La P.N.L., par exemple, est avant tout une technique de vente. Or, on ne « vend pas l'Évangile. Certaines techniques sont manipulatrices. Or l'Évangile appelle à une vraie réponse : la personne doit être consciente de ce qu'elle décide. Découper un message en petites séquences de façon à faire faire à l'auditeur des petits pas successifs sans susciter chez lui de résistance, et l'amener ainsi à une réponse préprogrammée sans qu'il sache faire autrement est une manière de procéder qui n'est pas acceptable pour la communication des choses spirituelles.

Toute théorie suppose une certaine conception de l'homme, plus ou moins proche (ou éloignée !) du modèle biblique. La rhétorique, par exemple, valorise l'intelligence de l'orateur pour exploiter le caractère influençable du peuple. Le chrétien qui veut utiliser certains modèles aura à en rectifier certaines perspectives, ou à en limiter certains aspects. Il lui faudra, « trouver chaussure à son pied », car toutes les approches ne conviennent pas.

2) Distinguer entre information et communication.

L'information consiste à mettre à disposition des auditeurs un certain nombre de données. Communiquer consiste à mettre des personnes en relation les unes avec les autres par le moyen de telles données. On pourrait marquer la différence en distinguant parler de et parler à, ou communiquer quelque chose et communiquer avec quelqu'un. Bien sûr, lorsqu'on parle à quelqu'un, c'est pour lui dire quelque chose. Mais l'attitude, et l'objectif, sont différents. Dans l’information, les données, les objets priment, tandis que l'idée de communication souligne davantage le rapport humain entre les protagonistes, la réciprocité, et la continuité de l'interaction.

Une des caractéristiques fondamentales de la communication est le double recentrage sur le canal (au lieu du message) et le récepteur (au lieu de l'émetteur). Mais la grande sensibilité aux ions humaines, à la personne et à l'individu, qui caractérise la de la fin du XXe siècle, place l'accent final, le point focal de la sur la personne qui reçoit le message, sur le récepteur.

Il peut y avoir là un excès : l'Écriture souligne l'importance du message, qui doit être communiqué par le prédicateur sans édulcoration. Gardons-nous donc d'opposer information et communication de façon exagérée.

Ceci dit, nous avons quelque chose à retirer de cette perspective de la communication moderne : le prédicateur devrait concevoir sa prédication, non seulement comme un « à-dire », mais aussi comme un « à-entendre ». Il ne se demandera pas uniquement « quel est le message important que je dois prononcer ? », mais aussi « comment vais-je le faire entendre à mes auditeurs ? ». Ce qui peut entraîner des modifications importantes dans l'élaboration du message.

3) Transmettre à bon escient l'information.

Dans la prédication, confirme dans tout discours, une majeure partie des informations est déjà connue des auditeurs. Cette redondance (la répétition) est absolument nécessaire à la compréhension. Nous ne pourrions pas suivre quelqu'un qui utiliserait un mot nouveau et une idée nouvelle dans chaque phrase. Mais s'il est vrai que l'intérêt pour le discours tenu proviendra en partie de la petite part d'informations nouvelles, il tiendra aussi, deuxièmement, à l'originalité dans l’agencement, dans la mise en rapport des éléments déjà connus. En fait le prédicateur prêche généralement à une majorité de convaincus. Et l’on attend de lui –troisièmement – qu'il renforce les convictions communes, et qu'il les enrichisse sans les altérer. On doit donc veiller à ces trois points conjointement.

D'un point de vue pratique, il faut que le discours suscite une certaine attente par rapport à ce qui va encore être dit. Éveiller l'intérêt pour ce qui va suivre n'est pas une fantaisie d'animateur : c'est une condition pour stimuler l'attention.

Il convient aussi de varier le débit (la vitesse d'énonciation).

Rouler à vitesse constante sur l'autoroute provoque facilement l'assoupissement des chauffeurs. Le prédicateur qui lit son sermon toujours de la même manière, sur le même ton, avec le même débit, n’aide pas les auditeurs à l'écouter. Il sollicite de leur part un effort que certains n'arriveront peut-être pas à fournir. Parler vite ou lentement, plus fort ou plus doucement, plus haut ou plus grave, et avec de (petites) variations de timbre, aidera les auditeurs à surmonter leurs faiblesses et à rester attentifs.

La densité de l'information peut aussi nécessiter des changements dans le débit. Soyons plus nuancés que la vieille règle générale : « parlez lentement ». Non seulement la lenteur ne résout pas les problèmes d'articulation, de soutien respiratoire ou de pose de voix (problèmes fréquents s'il en es !), mais elle peut aussi rendre l’écoute plus difficile par l'extension de la durée des phrases. Ce qui compte, c'est d'être compris. Or cela dépend beaucoup du contenu des phrases. Celui qui s'exprime par de larges périphrases, en répétant régulièrement toutes les idées importantes, pourra se permettre de parler plus vite.

Mais celui dont le discours est ramassé et dense devra laisser plus de temps aux auditeurs pour qu'ils puissent le suivre.

C'est pourquoi aussi les informations nouvelles demandent à être distillées progressivement. Au besoin, il faudra intercaler des « tampons », des moments « allégés » ou des répétitions, pour permettre aux auditeurs d'assimiler ce qu'ils ont entendu et de « rattraper », l’orateur.

4) Rendre l'information accessible.

La théorie de l'information nous rappelle aussi que plus les mots sont précis, c'est-à-dire avec une seule signification possible, mieux le discours pourra être suivi. L’auditeur n’aura pas besoin de beaucoup de temps pour comprendre de quoi il s'agit, il ne s’attardera pas dans une recherche intérieure sur la signification précise de l'énoncé. Orateur et auditeur resteront « en phase ».

Mais si les mots, les phrases, les concepts, les idées, les références, les arguments utilisés par le prédicateur ne sont que difficilement compris par l'auditeur, si celui-ci ne les saisit pas immédiatement, ou s'il ne capte qu'une partie des idées énoncées, les deux s'éloigneront de plus en plus l'un de l'autre. Cela pourra même aller jusqu’à une rupture entre eux. Le prédicateur a donc la responsabilité de rendre toute l'information qu'il apporte accessible à ses auditeurs.

Évidemment, il pourrait parler comme à de tout petits enfants. Mais cela ne satisferait ni les exigences d'une conversation entre adultes, ni les besoins de la foi. L’adulte a besoin d'explications à son niveau de maturité, et la croissance chrétienne implique un développement toujours croissant de la connaissance de Jésus-Christ, impliquant l'enrichissement par de nouvelles informations et paf une appréhension toujours plus complète du tissu complexe qu'elles forment.

Ceci nécessite aussi l'acquisition d'un langage approprié aux choses de la foi. Car sans ce « code », c'est-à-dire le vocabulaire et l'ensemble des concepts permettant de comprendre la Bible, son message, et l'histoire du peuple qui s'en est nourri, l'auditeur ne pourra saisir toute la profondeur du message, voire ne pourra comprendre ce message lui-même.

Le prédicateur a donc également pour vocation de permettre à la communauté chrétienne de recevoir, de conserver et de transmettre cette part du langage indispensable à l'expression de la foi. Il lui donne le code, et lui apprend à décoder. Car même si la société qui nous environne en venait à ne plus utiliser des mots comme rédemption, résurrection ou répudiation (à titre d'exemples !), la communauté chrétienne en aura toujours besoin. La psychologie sociale nous le rappelle : toute minorité développe un tel langage. Il en va de son identité, et de sa continuité.

Rendre accessibles les informations données dans la prédication suppose donc, de la part du prédicateur, un effort permanent d'anticipation. Un effort à long terme, sur le plan du langage, et un effort dans l'instant, concernant le discours. Constamment, il se demandera si les gens pourront comprendre les choses qui lui semblent si évidentes, et il n'hésitera pas à faire le ou les détours nécessaires pour que tous puissent y parvenir. Car il a, entre autres tâches, celle d'aider les nouveaux membres, ou les jeunes membres de la communauté, à connaître le code, et à savoir comment s'en servir.

5) Développer une communication personnelle.

Le discours est et reste une médiation. Il n'existe pas en dehors des acteurs de la communication. Dans sa Parole, et par sa Parole, et dans l'Incarnation, Dieu s'est donné aux hommes. L’échange verbal se situe au cœur d'une relation qui le dépasse, l'oriente et lui donne son sens. Des paroles identiques échangées entre des personnes différentes ne produisent pas le même résultat. L’étude pragmatique de la communication a montré que le rationnel est largement tributaire du relationnel. Ceci implique donc une communication globale : dans sa Parole, et à f instar de Dieu, même si c'est de manière différente, le prédicateur se donne à l'assemblée qui l'écoute. La prédication est comme un corps à corps par l'intermédiaire du verbe, et dans la communion de l'Esprit.

6) Développer une communication communautaire.

L’auditeur ne peut être réduit à un simple réceptacle des idées du prédicateur et de ses commentaires sur le texte biblique, même s'ils sont justes. Aujourd'hui, la plupart des gens savent lire. On pourrait donc envoyer à chaque personne de l'Église un texte présentant et détaillant tous les points à transmettre, quitte à aider ceux qui auraient quelques difficultés de compréhension (et qui en ont peut-être aussi pour suivre le sermon !). Mais la Parole de Dieu doit être entendue, commentée et reçue communautairement. C'est pour cela qu'il y a prédication ! La proclamation et l'explication publique de la Parole de Dieu par la prédication crée un lien fort entre toutes les personnes présentes ou associées.

D'un point de vue psycho-social, la prédication, point central du culte communautaire, constitue l'événement régulier qui contribue à constituer la communauté, et à lui donner son identité.

Communication et théologie se rejoignent ici pour indiquer que l'enjeu de la prédication dépasse, et de loin, la simple transmission d'informations. L'essentiel est autre : il en va de l'adhésion collective de tous au texte fondateur de la foi, de l'écoute simultanée et collective du « contrat » (l'alliance) qui relie des individus à leur Dieu et, par conséquent, les uns aux autres.

Ceci implique que la perspective du prédicateur ne peut s'arrêter au contenu de sa contribution. La communication distingue d'ailleurs soigneusement trois niveaux d'analyse : syntactique, sémantique et pragmatique. Le premier concerne les mots et les phrases en tant que tels. Le deuxième considère la signification et le sens des parties et de l'ensemble. Mais le troisième niveau pose la question de l'impact, de l'effet, des conséquences.

Le prédicateur doit prendre en compte l'accueil réservé à ses paroles. Quel en est l'effet ? Enthousiasme, adhésion ou déception ? Hésitations, réserves ou blocages ? Tout en sachant que seul le Saint-Esprit agit avec efficacité dans le cœur de l'homme, le prédicateur qui se veut lucide n'hésitera pas à observer attentivement les signes (non-verbaux) qui émanent de son auditoire : ils lui seront précieux comme indices pour évaluer et retravailler son action.

Il faut savoir, toutefois, que l'individualisme si souvent décrit (et décrié) dans notre société est bien plus qu'une sorte d'égocentrisme d'enfant gâté. L’individualisme est une mentalité. Il consiste à tout penser en termes d'individus. Il s'oppose au collectivisme en mettant la personne individuelle en haut de l'échelle des valeurs, au-dessus de la communauté. La manière occidentale de comprendre les droits de l'homme en est un exemple ; dans d'autres civilisations, on valorise plutôt la communauté : mépris de la mort pour le service de l'État ou de la cause commune. Notre manière de comprendre le salut se ressent de cette vision de l'homme. On oublie souvent que Dieu constitue un peuple, que la sanctification n'est pas uniquement individuelle et que la croissance chrétienne débouche sur l'unité des croyants.

En termes de communication, le prédicateur doit être conscient du fait que son message sera affecté par ce cadre de référence. Qu'il pense à des vérités générales et qu'il les adresse à un auditoire n'empêchera pas d'être entendu par des individus pensant en termes de réalité personnelle. Et cela risque d'être le cas pour bon nombre d'auditeurs : ils réinterpréteront l'énoncé de la prédication dans le cadre limité de leur propre vie et de leur propre expérience.

Donner à l'Évangile sa pleine dimension collective, et éviter l’écueil d'une communication soumise à un individualisme réducteur demandera au prédicateur une attention toute particulière.

7) Insérer chaque prédication dans la continuité des prédications et dans toute l'étendue de son contexte. Les théoriciens de la communication ne cessent de le répéter : aucun acte de communication n'existe de manière isolé. Malgré cela, l'urgence du moment amène le plus souvent le prédicateur à se focaliser sur la prédication du moment. Une approche plus équilibrée et plus complète, cependant, inscrira celle-ci dans la continuité des prédications précédentes. Le prédicateur considèrera le message qu'il doit donner à la lumière de ceux qui ont déjà été délivrés. Il l'inscrira même dans la perspective des prédications à venir. Il tiendra compte du fait que l'enseignement et l'édification de l'Église ne sont pas suspendus à un seul discours, à une seule intervention. Le tout est ici plus que les parties.

8) Considérer la prédication dans sa continuité cultuelle, familiale et sociale.

Les premiers théoriciens de la communication tentaient surtout de suivre à la trace le cheminement de l'information. Leurs successeurs ont relevé le caractère plus organique que mécanique de la communication, son ancrage dans la complexité intérieure de l'homme et son insertion dans l'épaisseur du tissu social qui l'entoure. La prédication trouve sa place dans le cadre du culte dominical, qui constitue donc son contexte immédiat. Cet environnement cultuel peut influencer, voire conditionner fortement la manière dont la prédication va être entendue et vécue. Ensuite, les paroles entendues trouveront un écho dans les familles, dans des groupes de l'Église (étude biblique, réunion de prière, rencontres amicales). L'analyse de l'influence de la télévision, en particulier, a clairement montré le rôle capital que jouent de tels relais. Il convient donc de ne pas voir la prédication uniquement dans les limites de son temps d'énonciation, mais également en fonction des prolongements qu'elle peut engendrer.

9) Prendre en compte l'impact personnel du prédicateur.

Le prédicateur pense premièrement à ce qu'il va dire. Sa modestie le conduit à ne pas attacher d'importance à ce qu'il est, comment il est, ou comment il est perçu par les autres. Mais le constat communicationnel est autre : sa personne joue un rôle incontestable dans le processus de communication engagé. De deux manières.

D'une part, sa crédibilité personnelle engage le message qu'il représente. Celui qui prêche l'amour et la tolérance, mais se conduit en potentat insupportable, discrédite à la fois sa personne et le discours qu'il prononce, voire Celui au nom de qui il le prononce. Proclamer que l'Évangile est riche et varié dans ses applications, alors qu'on ressasse dimanche après dimanche les mêmes conclusions, rend les auditeurs sceptiques. La vie du prédicateur, et la cohérence entre sa vie et son message, peuvent donc influer fortement sur la « réceptibilité » du discours.

D'autre part, l'auditoire sera aussi marqué par la personnalité du prédicateur, en particulier telle qu'elle transparaît dans ses interventions. À long terme, ce ne sont pas les paroles qui restent (verbavola…), mais une image. La mémoire retiendra une personnalité, une voix, une sensibilité spirituelle, une attitude par rapport à l'Écriture, une énergie, un zèle, ou de la désinvolture… Cela peut conduire au mimétisme (des gens qui se mettent à prier, à parler, à discourir comme leur pasteur). Certes, les détails des prédications, leur contenu précis s'effaceront progressivement, et peut-être même bien rapidement de la mémoire. Mais entre temps, la manière d'aborder l'Écriture, de parler d'elle, de l'aimer, de s'émerveiller en la commentant… seront passés dans les cœurs. Et les cœurs ont bonne mémoire !

Bien sûr, cela ne devrait pas conduire le prédicateur à construire artificiellement son image. Il aura simplement conscience, et tiendra compte, du fait qu'il communique au moins autant par ce qu'il est que par ce qu'il dit.

10) Prendre en compte la dimension psycho-affective du discours.

Autrement dit : ne pas limiter son horizon à la dimension logico-discursive. Le célèbre livre de Marshall Mc Luhan « pour comprendre les média » s'ouvre sur un exposé concernant les rôles distincts et complémentaires des deux hémisphères cérébraux. Depuis, la neurophysiologie n'a cessé de confirmer et d'affiner cette observation. Aujourd'hui plus que jamais, on a conscience de l'interaction complexe mais indéniable entre ces deux aspects de notre pensée. Positivisme et scientisme ont longtemps conduit à privilégier la seule dimension rationnelle. La postmodernité, au contraire, pousse à mettre un terme à l'atrophie de l'affect, au risque de tomber dans l'excès contraire. Les prédicateurs des décennies charnières entre les XXe et XXIe siècles sont donc libérés de l'hyper-rationalité d'une époque, mais exposés aux tentations d'une émotivité exacerbée, où l'expérience prime sur la raison, et devient une clé herméneutique dominante de la Révélation.

Tout comme le relationnel, ce qui est émotionnel influe fortement sur le rationnel, de manière convergente ou divergente, selon les cas.

11) Distinguer l'argument donné de l'argument reçu.

Celui qui parle est évidemment pleinement convaincu de ce qu'il avance. Il espère, sinon s'attend à ce que son interlocuteur accepte ses arguments et que s'établisse ainsi une conviction commune nouvelle ou renouvelée. Mais les structures de plausibilité ne sont pas identiques pour tous. Ce qui paraît évident pour l'un peut être tout à fait irrecevable pour l'autre.

La communication moderne insiste sur la responsabilité de l'émetteur du message. Il lui appartient de faire l'effort de se déplacer dans l'univers mental – le cadre de référence – de ses auditeurs, afin d'essayer de comprendre de quelle manière ses arguments sont perçus, et reçus ou non. Il aura ensuite à identifier les croyances fondamentales, les éléments de vision du monde, les valeurs référentielles, les attachements sentimentaux de ses auditeurs par lesquels il pourra les « toucher », les « interpeller » et éventuellement les convaincre. Les besoins diffèrent, d'ailleurs : l'apologie de la foi chrétienne prend une autre tournure face à un scientifique positiviste ou à un adepte du « Nouvel Age ! » Ce principe de contextualisation, ou de transposition culturelle, est une des applications chrétiennes majeures de la théorie de la communication.

Pour le prédicateur, il est aussi possible de se faire comprendre au delà de toute logique. Ainsi dans le cas de la communication paradoxale et celle de la « double contrainte. » Un exemple classique, dans le domaine de la communication, dans le cas de l’injonction : « sois spontané. » Le fait de l'ordre donné exclut la possibilité d'une réelle spontanéité. Mais il est possible de surmonter cette difficulté. La logique a ses limites, et l’intention initiale se laisse tout de même comprendre. L ordre biblique d'aimer Dieu peut aussi apparaître comme paradoxal. Mais la logique de l'Esprit ne respecte pas toujours les cadres plus étroits de la compréhension humaine. Le prédicateur peut donc exhorter son auditoire à recevoir les choses spirituelles tout en lui reprochant de ne pas (encore) en être capable. Il arrivera donc que la logique pure reste insatisfaite et doive céder le pas devant l'effet pragmatique recherché.

12) Favoriser et soutenir l'écoute tout au long de la prédication.

Il faut être réaliste : rares sont les membres d'Église qui parviennent à rester attentifs d'un bout à l'autre de la prédication. Chacun connaît des moments d'inattention, de distraction, voire d'absence. Certains spécialistes estiment d'ailleurs que les « plages d'attention » réelles n'excèdent pas les deux minutes. Elles seraient suivies de phases de distraction plus ou moins longues. Écouter est un acte dont la difficulté augmente avec la durée, comme pour le travail (ce qui n'exclut pas le plaisir !). Cela demande des efforts de la part des auditeurs. Mais quoi qu'on fasse, des fluctuations dans l'attention des auditeurs ne peuvent être totalement éliminées. L'écoute est instable.

Les auditeurs eux-mêmes portent sûrement une part de responsabilité. Leur motivation, leur préparation, leur discipline peuvent grandement favoriser l'écoute ! Mais le prédicateur reste en partie le maître du jeu. Dans la plupart des cas, sa maîtrise du sujet d'une part, de la forme et de la présentation d'autre part, vont se révéler déterminantes. Elles lui permettront de stabiliser l'écoute de son auditoire, de prolonger les phases d'attention, et de diminuer en importance les moments de relâchement.

Comment ?

a) Par la maîtrise de son sujet, par la précision de ses paroles, par l'intérêt de ses propos, par l'intégrité de son approche, par la fidélité de ses propositions, par l'originalité de sa présentation. Il ne s'agit pas ici de forme mais de fond. C'est essentiel... mais pas toujours suffisant.

b) Par la gestion du temps. La durée totale de la prédication, évoquée plus haut, n'est pas l'unique problème dans ce domaine. C'est aussi, et bien plus, la distribution du flux informatif et de la densité du discours tout au long du sermon. Si les informations nous parviennent trop lentement, l'attention se disperse. Si elles nous viennent trop vite, elle se décourage. Si le rythme est toujours le même, on s'ennuie. Si les écarts sont trop importants, on ne s'adapte plus.

Ainsi, alterner les rythmes et les temps (parler plus ou moins vite, de manière plus ou moins scandée), varier le flux verbal (le mouvement régulier et les variations qui relancent), varier les genres oraux (la démonstration logique, la narration ou l'anecdote), intensifier puis relâcher la densité du discours... permettra à l'orateur de soutenir les auditeurs dans leur effort d'attention.

L’auditoire restera aussi d'autant plus attentif qu'il est conduit vers une attente, que le déroulement du discours n'est pas entièrement prévisible, ou, s'il l'est, que son aboutissement sera vécu comme un moment heureux. Un discours sans tension, sans surprises, sans originalité, démobilisera l'attention bien vite.

c) Par la richesse et la souplesse de la structure. Les cultures changent, et ce qui a été perçu comme pertinent à une époque peut cesser d'interpeller à une autre. Tel semble être le cas, aujourd'hui, d'un certain type de discours, longtemps utilisé pour les prédications. Il consistait à énoncer une thèse au départ, à développer une succession cohérente d'arguments logiques, pour aboutir à une conclusion tout aussi logique et donc incontestable. L'amen final coïncidait avec un « CQFD » (Ce Qu'il Fallait Démontrer).

Mais l'univers mental contemporain est peu porté vers la logique discursive. Une certaine « démission de la raison » (Francis Schaeffer) marque les esprits. La postmodernité porte en elle la déception par rapport aux rêves des « Lumières » : l'intelligence ne sauvera pas le monde ! Alors : à quoi bon réfléchir ? De plus, l'univers médiatique nous fait vivre à l'heure de la « vidéo sphère » (Régis Debray). Or l'image n'invite pas non plus à la logique discursive et linéaire. Elle est globale et permet mille parcours.

Ces raisons, et d'autres probablement encore, rendent l'audition d'un discours ou d'une prédication « classique » difficile à suivre pour l'auditeur moyen. Mais les « intellectuels » sont généralement encore formés à l'ancienne école. D'où une rupture de communication qu'on observe fréquemment dans les Églises.

Comment y remédier ?

Observons une émission de télévision (bonne ou mauvaise, peu importe!). Comment est-elle construite ? Que trouvons-nous entre les deux génériques ? Bien sûr une introduction et la salutation finale (avec l'annonce de l'édition suivante) ! Pour le reste, un grand nombre de séquences relativement courtes, qui font alterner images et commentaires, séquences fortes et séquences douces, moments intenses et passages plus détendus... sans oublier l'inévitable « petite page de publicité ». Les « sujets » qui se succèdent s'enchaînent rapidement, reliés par de brefs commentaires du présentateur. On ne démontre rien, on préfère « laisser parler les images » ou les témoignages recueillis. On tire peu de conclusions, si ce n'est tout à la fin.

Dans le contexte de la postmodernité, au moment où bon nombre de penseurs renient toute logique, rejoints en cela par les sceptiques de la communication, et par la valorisation du doute en philosophie  et en théologie, il est probablement plus nécessaire que jamais de ne pas abandonner la logique de la foi. Plus même, les chrétiens  pourraient bien avoir un rôle à jouer pour défendre au sein de la culture le maintien d'une ouverture logique.

Dès lors, le défi consiste à conserver une démarche logique, à maintenir une trame argumentative, tout en découpant en séquences successives les éléments d'un discours. Une telle progression par séquences peut heurter celui qui, par sa formation classique, connaît et maîtrise la richesse démonstrative et linéaire de la dissertation. Mais ce morcellement semble bien nécessaire pour se faire entendre de ceux dont les oreilles et la pensée se modèlent plus par le petit écran que par les grands discours.

Remarquons que nous soulignons ici une des limites de la prédication de type littéraire, entièrement écrite : elle ne laisse que peu de moyens de revigorer l'attention du public. Pour la stimuler, il faut soit s’interrompre et intercaler un commentaire, une illustration, une parenthèse, une anecdote... avec tous les risques que cela comporte, si l’on ne maîtrise pas l'improvisation ; soit changer de ton, d'attitude, de rythme, d'intensité, de timbre... Ce qui ne sera pas nécessairement suffisant.

Il est vrai qu’une bonne préparation permettra d'éviter en grande partie de tels passages à vide. Mais comme ceux-ci dépendent en partie des circonstances, et que les réactions d'un auditoire ne sont jamais entièrement prévisibles, il faut continuellement rester attentif au comportement de ceux qui écoutent pour y déceler les indices d'attention ou d'inattention, en vue d'y remédier autant que faire se peut.

d) Par l'expressivité de son énonciation. On l'oublie parfois : la prédication relève de l'oralité ! Tout comme la musique ne peut être confondue avec la partition, il y a un monde entre le texte écrit de la prédication et sa présentation in vivo. Le corps, les bras, le visage, les yeux vont pour ainsi dire commenter la parole. Ils confirmeront ou infirmeront les propos, rendront l'orateur plus ou moins crédible. Car les gens écoutent avec leurs yeux !

De même, la tonalité de la voix, la dynamique, le soin apporté ou non à l’énonciation et au langage, le timbre de la voix, la correspondance ou non entre le sujet abordé et l'expression choisie, vont créer une sensation de cohérence ou d'incohérence qui influent sur la crédibilité du Prédicateur.

Enfin, de façon diffuse et pourtant réelle, il y a comme une présence du prédicateur auprès de son auditoire. on entend parfois des prédicateurs qui semblent absents, ou qui donnent l’impression de s'excuser d'être là. Du coup, leur message – qui peut être très riche – donne l’impression d'être peu important. Mais la chose est subtile, et ce n'est pas en se gonflant d'importance que le prédicateur mettra mieux en Lumière la prédication elle-même. L'intensité vécue intérieurement par le prédicateur est probablement ce qui compte le plus, mais elle échappe à l'analyse.

e) Par la beauté de la forme. L analyse pragmatique de la communication a conduit à constater que l'efficacité dépend rarement d'un seul aspect. La perception est globale. Et l'esthétique du discours fait partie de l'ensemble perçu. Évidemment, cela ne peut jamais aller aux dépends de la vérité. La forme ne prime pas sur le fond, même si la « société du spectacle » (Guy Debord) qui est la nôtre est devenue morpho-sensible à l'extrême. De plus, si la beauté formelle attire trop l’attention sur elle-même, elle devient une distraction, transformant l'organe (le moyen) en obstacle (Henri Bergson).

Il n'en demeure pas moins qu'un discours bien fait, bien construit, intelligemment illustré, clairement énoncé, agréablement prononcé... favorise l'attention, et par là une meilleure réception du message. La sensibilité au Beau est une donnée créationnelle, et il n'y pas de raison de lui interdire d'être au service de la proclamation de l'Évangile. À condition de respecter un dosage qui restera toujours subtil.

Après avoir tenté de montrer tout ce que la conception moderne de la communication peut apporter au prédicateur chrétien, et pour éviter d'être mal compris, nous ajouterons ici quelques remarques. On se gardera de trop vite céder aux sirènes modernes. Attention au poids que l'on fait porter au prédicateur. Le sujet que nous avions à traiter nous a conduit à parler exclusivement de lui. Mais tout ne dépend pas que de lui.

Dans le monde d'aujourd'hui, la communication est d'abord un moyen de vendre un produit ou de faire de l'audimat, ce qui conduit à voir en elle un instrument de manipulation. Elle vise alors plus à induire des comportements qu'à apporter un message. Moins l'auditeur réfléchit à ce qu'il entend, mieux cela vaut.

Quant au prédicateur chrétien, il a un message à faire passer. Il fait appel à l'intelligence de l'auditeur pour qu'il assimile ce message, et cherche à susciter un engagement personnel de sa part pour qu'il en vive les implications. Il en découle que les auditeurs ont une responsabilité importante dans la réception de la communication : responsabilité d'écoute, d'attention, responsabilité d'aller vers le prédicateur en cherchant à le comprendre ; responsabilité aussi de passer par-dessus les faiblesses de la communication pour s'attacher à son contenu et à ses implications. Car le communicateur est un homme, comme ses auditeurs : il a lui aussi ses limites, ses soucis, ses souffrances, ses fatigues, ses surcharges, ses jours où il n'est pas « en forme ». Tout ceci peut handicaper sa communication.

Or il faut d'abord qu'il ait quelque chose à communiquer. Il y a d'excellents prédicateurs-communicateurs qui n'ont pas grand chose à communiquer. Être très fort en communication ne sert à rien dans ce cas. Par contre, si l'on a quelque chose à communiquer, et si l'auditeur assume sa part de responsabilité, quelque chose passera malgré d'éventuelles défaillances en communication de la part du prédicateur.

Ceci n'est pas dit ici pour remettre en cause tout ce que nous avons pu apprendre de la communication moderne, mais pour souligner deux choses : d'abord, que le message est essentiel ; ensuite, qu'il incombe autant à l'auditeur de s'efforcer de le recevoir qu'au prédicateur de s'efforcer de le communiquer, ou que la communication est à la fois un mouvement du prédicateur vers ses auditeurs et un mouvement des auditeurs vers le prédicateur.

Nous avons abordé la communication non pas comme une science, mais comme une sagesse. Elle ne fournit pas des lois, mais elle enseigne des principes. Ses conseils sont précieux, mais pas absolus. Leur application demande toujours du discernement. Rien n'est jamais tout à fait sûr, quoique beaucoup soit envisageable. L'amour de l'autre, la foi en Dieu, l'espérance marquée au fond du cœur transforment la personnalité du prédicateur et lui apportent une force de rayonnement de toute première importance pour accomplir sa mission. Mais ces richesses de vie, comme les connaissances vitales qu'il détient par son écoute de la Parole de Dieu, risquent fort de rester inutiles si elles restent enfermées dans sa personne, si elles ne sont pas communiquées vers l'extérieur par la médiation verbale.

La communication ne remplace rien de l'essentiel. Et quand cela arrive, elle devient trompeuse et mensongère : elle ne brasse que du vide, inutilement, comme cette cymbale sonore qu'évoque l'apôtre Paul en 1 Corinthiens 13. La communication est foncièrement instrumentale. Comme l'outil ou l'ustensile, elle est appelée à servir ce qui est plus important qu'elle. C'est toute sa gloire !

Mais il nous faut être conscient que les plus grandes richesses intérieures du prédicateur, ses connaissances comme l'intensité de sa pensée spirituelle, resteront lettre morte, message inaudible, lumière invisible et pensée impuissante si elles ne sont pas extériorisées, traduites, communiquées avec dextérité.

Dès lors, et dans toute la mesure où le Message créateur et fondateur de Dieu, la Parole salutaire de Jésus-Christ et l'action transformatrice du Saint-Esprit transitent par l'homme, cet indigne collaborateur, il est non seulement légitime mais nécessaire que le prédicateur s'efforce par tous les moyens possibles d'améliorer la qualité de ses interventions.

Peu importe alors que les artifices utilisés proviennent de la culture moderne ou ancienne, qu'il emprunte – pour ainsi dire – au structuralisme ou à la rhétorique classique. Peu importe que le prédicateur se voie plus comme un artisan, un artiste ou un publiciste. Le goût est secondaire, l'habitude sans importance, le cheminement un détail : la seule chose qui compte, en dernière analyse, c'est « que tout se fasse pour l'édification » (1 Corinthiens 14.26).

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