Contre Marcion

LIVRE V

Chapitre XIII

L’ouvrage tirant à sa fin, veut que nous traitions rapidement les questions qui se représentent, en laissant de côté celles qui ont été souvent agitées. Il me répugne de revenir sur la loi, après avoir prouvé tant de fois que son abrogation ne fournit aucun argument en faveur d’un Dieu opposé, puisque le Créateur l’a proclamé au nom du Christ, et qu’elle avait pour but l’avènement du Christ. Sans doute l’apôtre lui-même paraît reléguer bien loin de lui la loi ancienne. Mais nous avons prouvé souvent que l’ apôtre annonce un Dieu qui juge, dans le Dieu qui juge un vengeur, et dans le vengeur un Dieu qui crée. Ainsi quand il dit : « Je ne rougis point de l’Evangile, parce qu’il est la force et la vertu de Dieu pour sauver tous ceux qui croient, le Juif et le Gentil ; c’est dans l’Evangile que nous est révélée la justice de Dieu, selon les différents degrés de notre foi. » Assurément l’Apôtre attribue l’Evangile et le salut au Dieu de la justice et non au Dieu de la miséricorde, pour ainsi parler, et d’après la distinction de l’hérétique. Il s’agit ici du Dieu qui fait passer les hommes de la foi à la loi antique, à la foi à l’Evangile, sa loi et son Evangile, par conséquent. Parce que « elle est révélée aussi la colère de Dieu venant du ciel contre toute l’impiété et l’injustice de ces hommes qui tiennent injustement la vérité de Dieu captive. » La colère de quel dieu ? toujours du Dieu créateur. Donc la vérité descend de celui qui luit descendre la colère pour venger la vérité. Il ajoute : « Nous savons que Dieu condamne selon la vérité. » Propositions qui se fortifient mutuellement. C’était prouver que la colère appartient à celui qui juge pour la vérité, et que la vérité émane du même Dieu dont le jugement atteste la colère. Tout devient inintelligible, si c’est le Créateur irrité qui venge la vérité d’un Dieu étranger que l’on relient captive.

L’intégrité du texte chrétien jettera la lumière sur toutes les lacunes que Marcion, par ses suppressions arbitraires, a introduites principalement dans l’épître dont nous parlons. Mais je ne veux que ce qu’il a épargné pour lui montrer son incurie et son aveuglement. Si, en effet, « Dieu doit juger ce qui est caché dans le cœur des hommes, » tant de ceux qui ont péché sous l’empire de la loi, que de ceux qui ont péché sans la loi, parce que ces derniers « ignorent la loi et font naturellement ce que la loi commande, » il est donc vrai qu’il faut reconnaître dans la juge le Dieu maître de la loi et de la nature, qui, pour les hommes étrangers à la loi, est la loi elle-même. Il jugera, mais comment ? « Selon l’Evangile, dit-il, par Jésus-Christ. » Donc et l’Evangile et le Christ émanent du même Dieu auquel appartiennent et la loi et la nature, qui seront vengées par l’Evangile et par le Christ dans ce jugement de Dieu auquel présidera la vérité, comme nous l’avons vu plus haut. Donc « la colère du ciel qui doit se » révéler » ne peut se manifester que par le Dieu de colère. Ce sens, qui se lie au premier, dans lequel le jugement du Créateur est annoncé, ne peut s’appliquer à l’autre dieu qui n’a ni tribunal ni colère. Il ne convient qu’à celui qui, outre son tribunal et sa colère, a nécessairement de plus un Evangile pour servir de base au jugement et un Christ pour s’asseoir sur le tribunal. Voilà pourquoi il s’élève contre les transgresseurs de la loi qui enseignaient à ne pas dérober, et qui dérobaient néanmoins, sujet soumis à la loi de Dieu, loin de songer à dénigrer par ces paroles le Créateur lui-même, qui tout en prohibant le larcin, ordonne aux Juifs d’enlever aux Egyptiens une partie de leur argent, comme l’en accusent les sectaires.

Diras-tu que l’Apôtre craignait d’insulter publiquement au Dieu dont il ne craignait pas de se séparer ? Mais il avait accusé les Juifs avec si peu de ménagement, qu’il leur fait entendre ce prophétique reproche : « Vous êtes cause que le nom de Dieu est blasphémé. » Quel travers à lui, de blasphémer le Dieu qu’il reproche aux méchants de blasphémer !

Ailleurs il préfère la circoncision du cœur à celle de la chair. C’est le dieu de la loi ancienne qui a établi « la circoncision du cœur et non celle de la chair, celle qui se fait par l’esprit et non par la lettre. » Que si la circoncision de Jérémie : « Vous recevrez la circoncision du cœur, » et celle de Moïse : « Ayez soin de circoncire la dureté de votre cœur, » ne sont, pas autre chose, l’esprit qui circoncit le cœur et la lettre qui circoncit la chair émanent du même Dieu. Le Juif « qui l’est intérieurement et celui qui l’est extérieurement » appartiennent au même Dieu. Si l’Apôtre n’était pas aussi l’Apôtre des Juifs, eût-il appelé le Juif serviteur de Dieu.

« Alors la loi, aujourd’hui la justice de Dieu par la loi du Christ. » Que signifie cette distinction ? Ton dieu a-t-il servi les dispositions du Créateur, en lui accordant à lui et à sa loi le bénéfice du temps ? Ou bien le maître d’alors est-il le maître d’aujourd’hui ? La loi ancienne appartenait-elle à celui qui a donné la foi du Christ ? Je vois là différence dans les desseins, mais identité dans le Dieu. L’Apôtre ajoute : « Justifiés par la loi, nous n’avons pas la paix avec Dieu par les œuvres de la loi. » Avec quel dieu ? Avec le dieu auquel nous n’avons jamais fait la guerre, ou avec le dieu contre la loi et la nature duquel nous nous sommes révoltés ? Si la paix d’aujourd’hui suppose la guerre de la veille, il faut en conclure que réconciliation et Christ, par la foi duquel nous sommes justifiés, se rattachent à qui doit amener un jour ses ennemis à cette merveilleuse réconciliation. « La loi, dit-il, en venant, a donné lieu à l’abondance du péché. » Pourquoi cela ? « afin qu’il y eut aussi, ajoute-t-il, surabondance de grâce. » La grâce de quel Dieu, sinon du maître de la loi ? A moins que, suivant toi, le Créateur n’ait introduit la loi pour travailler dans l’intérêt d’un dieu étranger, son ennemi, pour ne pas dire d’un dieu qui lui était inconnu, afin que, « comme le péché avait régné par la loi sous son empire, de même la justice régnât par la vie au moyen de Jésus-Christ, » son adversaire. Voilà pourquoi, sans doute, « la loi du Créateur avait tout renfermé dans le péché, précipité tout le monde dans la prévarication, et fermé toute bouche, de peur que l’homme ne se glorifiât par elle, mais plutôt pour que l’effet de la grâce fût réservé à la gloire du Christ, » non pas le Christ du Créateur, mais celui de Marcion.

Je puis toucher ici d’avance un mot sur la réalité de la chair du Christ, en vue de la question qui va suivre. « Nous sommes morts à la loi, » suivant l’apôtre. – Fort bien, diras-tu. Oui, le corps du Christ est un corps, mais non une chair réelle. – Quelle qu’en soit la substance ; quand l’Apôtre parle du corps de celui qu’il déclare plus bas « ressuscité d’entre les morts, » on ne peut entendre autre chose qu’un corps de celle même chair, contre laquelle a été prononcée la loi de mort. Mais voilà qu’il rend témoignage à la loi et l’excuse en inculpant le péché. « Que dirons-nous donc ? La loi est-elle le péché ? Loin de nous ce blasphème ! » Rougis, Marcion ! « Loin de nous ce blasphème ! » L’entends-tu ? L’Apôtre prononce anathème contre le censeur de la loi.

— « Mais je n’ai connu le péché que par la loi, » ajoutes-tu. – Merveilleux bienfait de la loi, que d’avoir l’ait connaître le péché ! « Ce n’est donc pas la loi qui m’a séduit, mais le péché à l’occasion du commandement. » Pourquoi attribuer au dieu de la loi ce que l’Apôtre n’ose pas imputer à la loi elle-même ? Voici qui est plus clair encore : « La loi est sainte, le précepte est juste et bon. » Singulier moyen vraiment pour ruiner la foi au Créateur, que celle vénération pour sa loi ! Comment distinguer encore deux dieux, l’un juste et l’autre bon, lorsque le dieu dont le précepte est à la foi juste et bon, doit être cru l’un et l’autre ? Avec la confirmation de la loi spirituelle arrive aussi la loi prophétique et figurée. J’ai maintenant à établir que le Christ a été annoncé d’une manière figurée par la loi, de sorte qu’il ne pût pas être reconnu par tous les Juifs.

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