chapitre précédent retour chapitre suivant

Bible de Jérusalem – Luc 9

Mission des Douze.

9 Ayant convoqué les Douze,f il leur donna puissance et pouvoir sur tous les démons, et sur les maladies pour les guérir.

f Add. « apôtres ».

2 Et il les envoya proclamer le Royaume de Dieu et faire des guérisons. 3 Il leur dit : « Ne prenez rien pour la route, ni bâton, ni besace, ni pain, ni argent ; n’ayez pas non plus chacun deux tuniques. 4 En quelque maison que vous entriez, demeurez-y, et partez de là. 5 Quant à ceux qui ne vous accueilleront pas, sortez de cette ville et secouez la poussière de vos pieds, en témoignage contre eux. » 6 Étant partis, ils passaient de village en village, annonçant la Bonne Nouvelle et faisant partout des guérisons.

Hérode et Jésus.g

7 Hérode, le tétrarque, apprit tout ce qui se passait, et il était fort perplexe, car certains disaient : « C’est Jean qui est ressuscité d’entre les morts »;

g Au lieu de raconter le meurtre de Jean-Baptiste, Luc prépare (« il cherchait à le voir », v. 9) la future rencontre d’Hérode et de Jésus, 23.8-12.

8 certains : « C’est Élie qui est reparu »; d’autres : « C’est un des anciens prophètes qui est ressuscité. » 9 Mais Hérode dit : « Jean ! moi je l’ai fait décapiter. Quel est-il donc, celui dont j’entends dire de telles choses ? » Et il cherchait à le voir.

Retour des apôtres et multiplication des pains.h

10 À leur retour, les apôtres lui racontèrent tout ce qu’ils avaient fait. Les prenant alors avec lui, il se retira à l’écart, vers une ville appelée Bethsaïde.

h ne rapporte qu’une seule multiplication des pains, comme Jean, tandis que Mt et Mc en racontent deux. Ce peut être qu’il a omis, ou ignoré, toute la section de Mc 6.45—8.26, où se rencontre la deuxième multiplication. Mais ce peut être aussi, et plutôt, qu’il évite ainsi un doublet de Mc et Mt, où les deux récits de multiplication des pains semblent bien être deux traditions parallèles d’un même événement, l’une issue du milieu palestinien (rive occidentale du lac, cf. Mt 14.13 ; douze couffins comme les douze tribus d’Israël), l’autre venant d’un milieu chrétien issu du paganisme (rive orientale, cf. Mc 7.31 ; sept corbeilles comme les sept nations païennes de Canaan avant la conquête, Dt 7.1 ; Ac 13.19). Cf. Mt 14.13.

11 Mais les foules, ayant compris, partirent à sa suite. Il leur fit bon accueil, leur parla du Royaume de Dieu et rendit la santé à ceux qui avaient besoin de guérison.

12 Le jour commença à baisser. S’approchant, les Douze lui dirent : « Renvoie la foule, afin qu’ils aillent dans les villages et fermes d’alentour pour y trouver logis et provisions, car nous sommes ici dans un endroit désert. » 13 Mais il leur dit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Ils dirent : « Nous n’avons pas plus de cinq pains et de deux poissons. À moins peut-être d’aller nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce peuple. » 14 Car il y avait bien cinq mille hommes. Mais il dit à ses disciples : « Faites-les s’étendre par groupes d’une cinquantaine. » 15 Ils agirent ainsi et les firent tous s’étendre. 16 Prenant alors les cinq pains et les deux poissons, il leva les yeux au ciel, les bénit, les rompit et il les donnait aux disciples pour les servir à la foule. 17 Ils mangèrent et furent tous rassasiés, et ce qu’ils avaient eu de reste fut emporté : douze couffins de morceaux !

Profession de foi, de Pierre.i

18 Et il advint, comme il était à prier, seul, n’ayant avec lui que les disciples, qu’il les interrogea en disant : « Qui suis-je, au dire des foules ? »

i Même sans l’addition matthéenne « Fils de Dieu », cf. Mt 16.16, cette confession de Pierre, parlant au nom du groupe apostolique, est de grande importance et marque un tournant décisif dans la carrière terrestre de Jésus. Alors que la foule s’égare dans ses pensées sur son compte et s’écarte de plus en plus de lui, ses disciples reconnaissent pour la première fois, de façon explicite, qu’il est le Messie, cf. 2.26. Désormais Jésus va consacrer ses efforts à former ce petit noyau des premiers croyants et à purifier leur foi.

19 Ils répondirent : « Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres, un des anciens prophètes est ressuscité » ­ 20 « Mais pour vous, leur dit-il, qui suis-je ? » Pierre répondit : « Le Christ de Dieu. » 21 Mais lui leur enjoignit et prescrivit de ne le dire à personne.

Première annonce de la Passion.j

22 « Le Fils de l’homme, dit-il, doit souffrir beaucoup, être rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, être tué et, le troisième jour, ressusciter. »

j Cette annonce sera suivie de plusieurs autres, 9.44 ; 12.50 ; 17.25 ; 18.31-33. Cf. 24.7, 25-27. ­ omet l’intervention de Pierre et la semonce de Jésus, Mc 8.32s.

Conditions pour suivre Jésus.

23 Et il disait à tous : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix chaque jour, et qu’il me suive. 24 Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi, celui-là la sauvera. 25 Que sert donc à l’homme de gagner le monde entier, s’il se perd ou se ruine lui-même ? 26 Car celui qui aura rougi de moi et de mes paroles, de celui-là le Fils de l’homme rougira, lorsqu’il viendra dans sa gloire et dans celle du Père et des saints anges.

La venue prochaine du Royaume.

27 « Je vous le dis vraiment, il en est de présents ici même qui ne goûteront pas la mort, avant d’avoir vu le Royaume de Dieu. »

La Transfiguration.k

28 Or il advint, environ huit jours après ces paroles, que, prenant avec lui Pierre, Jean et Jacques, il gravit la montagne pour prier.

k De nombreux traits originaux trahissent chez une autre source que Mc. De l’ensemble se dégage une présentation de la Transfiguration différente de celles de Mt et de Mc. Alors que Mt met en valeur la manifestation de Jésus comme nouveau Moïse, cf. Mt 17.1, et que Mc décrit une épiphanie du Messie caché, cf. Mc 9.2, Lc, ou du moins la source qu’il combine avec Mc, songe davantage à une expérience personnelle de Jésus qui, au cours d’une prière ardente et transformante, est éclairé par le ciel sur le « départ » (litt. exode), c’est-à-dire la mort, cf. Sg 3.2 ; 7.6 ; 2 P 1.15, qu’il doit accomplir à Jérusalem, la ville qui tue les prophètes, cf. 13.33-34.

29 Et il advint, comme il priait, que l’aspect de son visage devint autre, et son vêtement, d’une blancheur fulgurante. 30 Et voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Éliel

l Moïse et Élie n’étant nommés que pour identifier les « deux hommes » mentionnés d’abord, on peut penser que, dans la source combinée par avec Mc, ceux-ci étaient deux anges, cf. 24.4 ; Ac 1.10, qui instruisaient et confortaient Jésus, cf. 22.43. Sur la signification de Moïse et Élie dans la tradition de Mt, cf. Mt 17.1.

31 qui, apparus en gloire, parlaient de son départ, qu’il allait accomplir à Jérusalem. 32 Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil. S’étant bien réveillés,m ils virent sa gloire et les deux hommes qui se tenaient avec lui.

m Ou bien « Demeurés quand même éveillés ». Ce sommeil accablant des disciples, propre à Lc, rappelle celui de Gethsémani, 22.45, où il est plus naturel et d’où il pourrait provenir.

33 Et il advint, comme ceux-ci se séparaient de lui, que Pierre dit à Jésus : « Maître, il est heureux que nous soyons ici ; faisons donc trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie » : il ne savait ce qu’il disait.

34 Et pendant qu’il disait cela, survint une nuée qui les prenait sous son ombre et ils furent saisis de peur en entrant dans la nuée. 35 Et une voix partit de la nuée, qui disait : « Celui-ci est mon Fils, l’Élu,n écoutez-le. »

n Var. « mon Fils bien-aimé », cf. Mt et Mc. ­ Le titre d’« Élu », cf. 23.35 ; Isa 42.1, alterne avec celui de « Fils de l’homme » dans les Paraboles d’Hénok.

36 Et quand la voix eut retenti, Jésus se trouva seul. Pour eux, ils gardèrent le silence et ne rapportèrent rien à personne, en ces jours-là, de ce qu’ils avaient vu.

Le démoniaque épileptique.

37 Or il advint, le jour suivant, à leur descente de la montagne, qu’une foule nombreuse vint au-devant de lui. 38 Et voici qu’un homme de la foule s’écria : « Maître, je te prie de jeter les yeux sur mon fils, car c’est mon unique enfant.

39 Et voilà qu’un esprit s’en empare, et soudain il crie, le secoue avec violence et le fait écumer ; et ce n’est qu’à grand-peine qu’il s’en éloigne, le laissant tout brisé. 40 J’ai prié tes disciples de l’expulser, mais ils ne l’ont pu. » ­ 41 « Engeance incrédule et pervertie, répondit Jésus, jusques à quand serai-je auprès de vous et vous supporterai-je ? Amène ici ton fils. » 42 Celui-ci ne faisait qu’approcher, quand le démon le jeta à terre et le secoua violemment. Mais Jésus menaça l’esprit impur, guérit l’enfant et le remit à son père. 43 Et tous étaient frappés de la grandeur de Dieu.

Deuxième annonce de la Passion.

Comme tous étaient étonnés de tout ce qu’il faisait, il dit à ses disciples : 44 « Vous, mettez-vous bien dans les oreilles les paroles que voici : le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes. » 45 Mais ils ne comprenaient pas cette parole ; elle leur demeurait voilée pour qu’ils n’en saisissent pas le sens, et ils craignaient de l’interroger sur cette parole.

Qui est le plus grand.o

46 Une pensée leur vint à l’esprit : qui pouvait bien être le plus grand d’entre eux ?

o La réponse topique à cette question est donnée au v. 48, et sous une forme plus primitive qu’en Mt 18.3-4 ou Mc 9.35. Le logion du v. 48, cf. Mt 18.5 ; Mc 9.37, est pris d’un autre contexte, cf. Mt 10.40.

47 Mais Jésus, sachant ce qui se discutait dans leur cœur, prit un petit enfant, le plaça près de lui, 48 et leur dit : « Quiconque accueille ce petit enfant à cause de mon nom, c’est moi qu’il accueille, et quiconque m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé ; car celui qui est le plus petit parmi vous tous, c’est celui-là qui est grand. »

Usage du nom de Jésus.

49 Jean prit la parole et dit : « Maître, nous avons vu quelqu’un expulser des démons en ton nom, et nous voulions l’empêcher,p parce qu’il ne te suit pas avec nous. »

p Var. « nous l’en avons empêché ».

50 Mais Jésus lui dit : « Ne l’en empêchez pas ; car qui n’est pas contre vous est pour vous. »

IV. La montée vers Jérusalemq

Mauvais accueil d’un bourg de Samarie.

51 Or il advint, comme s’accomplissait le temps où il devait être enlevé,r qu’il prit résolument le chemin de Jérusalem

q De 9.51 à 18.14 s’écarte de Mc et rassemble, dans le cadre littéraire, fourni par Mc 10.1, d’une montée vers Jérusalem, 9.53, 57 ; 10.1 ; 13.22, 33 ; 17.11 ; cf. 2.38, des matériaux qu’il a puisés dans un Recueil également utilisé par Mt et dans d’autres traditions qui lui sont propres. Tandis que Mt a dépecé ce Recueil pour en répartir les fragments dans tout son évangile, a préféré le reproduire en bloc, précisément dans cette section 9.51—18.14, dont il fournit l’apport principal.

r L’« enlèvement » ou « assomption » de Jésus, cf. 2 R 2.9-11 ; Mc 16.19 ; Ac 1.2, 10-11 ; 1 Tm 3.16, comprend les derniers jours de sa destinée souffrante et les premiers de sa destinée glorieuse (passion, mort, résurrection et ascension). Pour le même ensemble, Jn emploiera le terme plus théologique « glorifier », Jn 7.39 ; 12.16, 23 ; 13.31s ; la crucifixion sera pour lui une « élévation », Jn 12.32.

52 et envoya des messagers en avant de lui. S’étant mis en route, ils entrèrent dans un village samaritain pour tout lui préparer. 53 Mais on ne le reçut pas, parce qu’il faisait route vers Jérusalem.s

s Les Samaritains, toujours très mal disposés pour les Juifs, Jn 4.9, devaient se montrer particulièrement hostiles vis-à-vis des pèlerins de Jérusalem. Aussi évitait-on généralement leur territoire, cf. Mt 10.5. Luc et Jean (Jn 4.1-42) sont seuls à mentionner le passage de Jésus en terre schismatique, cf. 17.11, 16. De très bonne heure, la primitive Église imitera le Maître, Ac 8.5-25.

54 Ce que voyant, les disciples Jacques et Jean dirent : « Seigneur, veux-tu que nous ordonnions au feu de descendre du ciel et de les consumer ? »t

t Add. « comme fit Élie ». ­ Allusion à 2 R 1.10-12. Jacques et Jean se montrent de vrais « fils du tonnerre », Mc 3.17.

55 Mais, se retournant, il les réprimanda.u

u Add. « Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes. Car le Fils de l’homme n’est pas venu perdre les âmes des hommes, mais les sauver. » Leçon suspecte d’origine marcionite.

56 Et ils se mirent en route pour un autre village.

Exigences de la vocation apostolique.

57 Et tandis qu’ils faisaient route, quelqu’un lui dit en chemin : « Je te suivrai où que tu ailles. » 58 Jésus lui dit : « Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids ; le Fils de l’homme, lui, n’a pas où reposer la tête. »

59 Il dit à un autre : « Suis-moi. » Celui-ci dit :v « Permets-moi de m’en aller d’abord enterrer mon père. »

v Add. « Seigneur », cf. Mt 8.21.

60 Mais il lui dit : « Laisse les morts enterrer leurs morts ;w pour toi, va-t’en annoncer le Royaume de Dieu. »

w Le logion joue sur le double sens, physique et spirituel, du mot « mort ».

61 Un autre encore dit : « Je te suivrai, Seigneur, mais d’abord permets-moi de prendre congé des miens. » 62 Mais Jésus lui dit : « Quiconque a mis la main à la charrue et regarde en arrière est impropre au Royaume de Dieu. »

chapitre précédent retour chapitre suivant