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Bible de Jérusalem

Ésaïe 13-23

3. ORACLES SUR LES PEUPLES ÉTRANGERSl

Contre Babylone.m

13 Oracle sur Babylone, vu par Isaïe, fils d’Amoç.

l Les chap. 13 à 23 sont des oracles contre les nations étrangères, groupés comme dans les livres de Jérémie, 46-51, et d’Ézéchiel, 25-32. La collection a accueilli des morceaux postérieurs à Isaïe, en particulier les oracles contre Babylone, dans 13-14.

m Ce poème date de la fin de l’Exil Babylone, encore dans sa splendeur, v. 19, tombera sous les coups des Mèdes, v. 17, cf. v. 5. C’est une qîna ou « lamentation », cf. 1.21.

2 Sur un mont chauve, levez un signal,
forcez la voix pour eux,
agitez la main pour qu’ils viennent
aux portes des Nobles.
3 Moi, j’ai donné des ordres à mes saints guerriers,n
j’ai même appelé mes héros pour servir ma colère,
mes fiers triomphateurs.

n Littéralement « mes sanctifiés »; comparer Jr 51.27, 28 (contre Babylone) ; Jr 6.4 ; 22.7 ; Jl 4.9 (contre Jérusalem). Cette consécration des guerriers est un aspect de la guerre sainte, Jos 3.5. Mais ces nouvelles guerres de Yahvé ne sont plus conduites en faveur d’Israël, elles peuvent même être dirigées contre lui.

4 Bruit de foule sur les montagnes,
comme un peuple immense,
bruit d’un vacarme de royaumes,
de nations rassemblées :
c’est Yahvé Sabaot qui passe en revue
l’armée pour le combat.
5 Ils viennent d’un pays lointain,
des extrémités du ciel,
Yahvé et les instruments de sa colère,
pour ravager tout le pays.
6 Hurlez car il est proche, le jour de Yahvé,
il arrive comme une dévastation de Shaddaï.
7 C’est pourquoi toutes les mains sont débiles,
tous les hommes perdent cœur ;
8 ils sont bouleversés,
pris de convulsions et de douleurs ;
ils se tordent comme la femme qui accouche,
ils se regardent avec stupeur,
le visage en feu.
9 Voici que vient le jour de Yahvé, implacable,
l’emportement et l’ardente colère,
pour réduire le pays en ruines,
et en exterminer les pécheurs.
10 Car au ciel, les étoiles et Orion
ne diffuseront plus leur lumière.
Le soleil s’est obscurci dès son lever,
la lune ne fait plus rayonner sa lumière.
11 Je vais châtier l’univers de sa méchanceté
et les méchants de leur faute ;
mettre fin à l’arrogance des superbes,
humilier l’orgueil des tyrans.
12 Je rendrai les hommes plus rares que l’or fin,
les mortels plus rares que l’or d’Ophir.
13 C’est pourquoi je ferai frémir les cieux,
et la terre tremblera sur ses bases,
sous l’emportement de Yahvé Sabaot,
le jour où s’allumera sa colère.
14 Alors comme une gazelle pourchassée,
comme des moutons que personne ne rassemble,
chacun s’en retournera vers son peuple,
chacun s’enfuira dans son pays.
15 Tous ceux qu’on trouvera seront transpercés,
tous ceux qu’on prendra tomberont par l’épée.
16 Leurs jeunes enfants seront écrasés sous leurs yeux,
leurs maisons saccagées, leurs femmes violées.
17 Voici que je suscite contre eux les Mèdeso
qui ne font point cas de l’argent,
et qui n’apprécient pas l’or.

o Tribus guerrières indo-européennes, qui furent d’abord alliées avec Babylone contre l’Assyrie. Mais plus tard, unies aux Perses sous Cyrus, elles provoqueront la ruine de Babylone en 539.

18 Les arcs anéantiront leurs jeunes gens,
on n’aura pas pitié du fruit de leur sein,
leur œil sera sans compassion pour les enfants.
19 Et Babylone, la perle des royaumes,
le superbe joyau des Chaldéens,
sera comme Sodome et Gomorrhe,
dévastées par Dieu.
20 Elle ne sera plus jamais habitée
ni peuplée, de génération en génération.
L’Arabe n’y campera plus,
et les bergers n’y parqueront plus les troupeaux.
21 Ce sera le repaire des bêtes du désert,
les hiboux empliront leurs maisons,
les autruches y habiteront,
les boucs y danseront.
22 Les hyènes hurleront dans ses tours,p
les chacals dans ses palais d’agrément,
car son temps est proche
et ses jours ne tarderont pas.

p « tours » syr., Vulg., Targ. ; « veuves » hébr.

Fin de l’Exil.q

14 Oui, Yahvé aura pitié de Jacob, il choisira de nouveau Israël. Il les réinstallera sur leur sol. L’étranger se joindra à eux pour s’associer à la maison de Jacob.

q Cette annonce du retour des exilés et de la conversion des nations n’est pas à sa place dans cette collection d’oracles contre les peuples étrangers. Elle est à rapprocher d’49.22 ; 66.20 ; cf. 46.14.

2 Des peuples les prendront et les ramèneront chez eux. La maison d’Israël les assujettira sur le sol de Yahvé, pour en faire des esclaves et des servantes. Ils asserviront ceux qui les avaient asservis, ils maîtriseront leurs oppresseurs.

La mort du roi de Babylone.r

3 Et il arrivera qu’au jour où Yahvé te soulagera de ta souffrance, de tes tourments et de la dure servitude à laquelle tu étais asservi,

r Ce mashal, satire contre un tyran abattu, vise un roi de Babylone, sans doute Nabuchodonosor ou Nabonide, et se place donc dans le contexte des oracles de l’Exil. Mais on s’est demandé s’il ne s’agirait pas en fait d’un morceau plus ancien, dirigé contre un roi d’Assyrie, Sargon ou Sennachérib, et retouché plus tard pour l’adapter à l’époque de l’Exil.

4 tu entonneras cette satire sur le roi de Babylone, et tu diras :

Comment a fini le tyran, a fini son arrogance ?s

s « arrogance » versions, 1QIsa ; TM corrompu.

5 Yahvé a brisé le bâton des méchants,
le sceptre des souverains,
6 lui qui rouait de coups les peuples,
avec emportement et sans relâche,
qui maîtrisait avec colère les nations,
les pourchassant sans répit.
7 Toute la terre repose dans le calme,
on pousse des cris de joie.
8 Les cyprès même se réjouissent à ton sujet,
et les cèdres du Liban :
« Depuis que tu t’es couché,
on ne monte plus pour nous abattre ! »t

t Les rois d’Assyrie et de Babylonie exploitaient les forêts du Liban pour leurs constructions.

9 En bas, le shéol a tressailli à ton sujet
pour venir à ta rencontre,
il a réveillé pour toi les ombres,
tous les potentats de la terre,
il a fait lever de leur trône
tous les rois des nations.
10 Tous prennent la parole pour te dire :
« Toi aussi, tu es déchu comme nous,
devenu semblable à nous.
11 Ton faste a été précipité au shéol,
avec la musique de tes cithares.
Sous toi s’est formé un matelas de vermine,
les larves te recouvrent.
12 Comment es-tu tombé du ciel,
étoile du matin, fils de l’aurore ?u
As-tu été jeté à terre,
vainqueur des nations ?

u Les vv. 12-15 semblent s’inspirer d’un modèle phénicien. En tout cas ils présentent plusieurs points de contacts avec les poèmes de Râs-Shamra l’Étoile du matin et l’Aurore sont deux figures divines ; la montagne de l’Assemblée est celle où les dieux se réunissaient, comme sur l’Olympe des Grecs. Les Pères ont interprété la chute de l’Étoile du matin (Vulg. « Lucifer ») comme celle du prince des démons.

13 Toi qui avais dit dans ton cœur :
« J’escaladerai les cieux,
au-dessus des étoiles de Dieu j’élèverai mon trône,
je siégerai sur la montagne de l’Assemblée,
aux confins du septentrion.
14 Je monterai au sommet des nuages,
je m’égalerai au Très-Haut. »
15 Mais tu as été précipité au shéol,
dans les profondeurs de l’abîme. »

16 Ceux qui t’aperçoivent te considèrent,
ils fixent leur regard sur toi.
« Est-ce bien l’homme qui faisait trembler la terre,
qui ébranlait les royaumes ?
17 Il a réduit le monde en désert,
rasé les villes,
il ne renvoyait pas chez eux les prisonniers.
18 Tous les rois des nations, tous, reposent avec honneur,
chacun chez soi.
19 Toi, on t’a jeté hors de ton sépulcre,
comme un rameauv dégoûtant,
au milieu de gens massacrés, transpercés par l’épée,
jetés sur les pierres de la fosse,
comme une charogne foulée aux pieds.

v « rameau », en hébr. neçer, allusion au nom de Nabuchodonosor, en hébr. Nebukadneççar. — La privation de sépulture était la suprême malédiction, cf. 1 R 13.21-22 ; Jr 22.19.

20 Tu ne leur seras pas uni dans la tombe,
car tu as ruiné ton pays, fait périr ton peuple.
Plus jamais on ne prononcera le nom
de la race des méchants.
21 Préparez le massacre de ses fils
pour la faute de leur père.
Qu’ils ne se lèvent plus pour conquérir la terre
et couvrir de villes la face du monde. »

22 Je me lèverai contre eux, oracle de Yahvé Sabaot, et je retrancherai de Babylone le nom et le reste, descendance et postérité, oracle de Yahvé.
23 J’en ferai un repaire de hérissons, un marécage. Je la balaierai avec le balai
de la destruction. Oracle de Yahvé Sabaot.w

w Ces deux vv. en prose paraissent avoir été ajoutés au poème pour en souligner la conclusion.

Contre Assur.x

24 Yahvé Sabaot l’a juré :
Oui ! Comme j’ai projeté, cela se fera,
comme j’ai décidé, cela se réalisera :

x Oracle d’Isaïe, prononcé probablement lors de l’invasion de Sennachérib en 701, cf. 10.24-27 ; 30.27-33 ; 31.4-9 ; 37.22-29.

25 Je briserai Assur dans mon pays,
je le piétinerai sur mes montagnes.
Et son joug glissera de sur eux,
son fardeau glissera de son épaule.
26 Telle est la décision prise contre toute la terre,
telle est la main étendue sur toutes les nations.
27 Quand Yahvé Sabaot a décidé, qui l’arrêtera,
et sa main levée, qui la fera revenir ?

Contre les Philistins.

28 L’année de la mort du roi Achaz,y cet oracle fut prononcé :

y Cet oracle peut dater des années qui précèdent l’invasion de Sennachérib. Ce « bâton qui frappait » la Philistie serait Sargon II qui y intervint plusieurs fois, en dernier lieu en 711, cf. 20.1s. Sargon est mort en 705, mais son successeur, Sennachérib, « vipère » ou « dragon volant », sera un adversaire encore plus redoutable. Si cette interprétation est exacte, la référence à la mort d’Achaz, donnée par le titre, doit être une addition on aurait reconnu dans la « vipère » et le « dragon volant » Ézéchias, fils d’Achaz, qui d’après 2 R 18.18 dévasta la Philistie.

29 Ne te réjouis pas, Philistie tout entière,
de ce qu’est brisé le bâton qui te frappait.
Car de la souche du serpent sortira une vipère,
et son fruit sera un dragon volant.
30 Car les premiers-nés des pauvres auront leur pâture,
et les malheureux reposeront en sécurité,
tandis que je ferai mourir de faim ta souche,
et que je tueraiz ce qui reste de toi.

z « je tuerai » Vulg., 1QIsa ; « il tuera » TM.

31 Hurle, porte ! Crie, ville !
Chancelle, Philistie tout entière !
Car du norda vient une fumée,
et personne ne déserte ses bataillons.

a C’est du Nord que venaient les invasions assyriennes et babyloniennes, cf. Jr 1.3 ; 4.6 ; 6.1, 22 ; Ez 26.7.

32 Que répondra-t-on aux messagers de cette nation ?b
Que Yahvé a fondé Sion,
et que là se réfugieront les pauvres de son peuple.

b Peut-être des messagers envoyés par les Philistins pour attirer Juda dans une coalition contre l’Assyrie ; mais le texte n’est pas sûr. Quoi qu’il en soit, la réponse affirme l’inviolabilité de Sion, protégée par Yahvé.

Sur Moab.c

15 Oracle sur Moab.
Parce qu’une nuit elle a été dévastée,d
Ar-Moab s’est tue ;
parce qu’une nuit elle a été dévastée,
Qir-Moab s’est tue.

c L’origine isaïenne du long poème sur Moab des chap. 15-16 est débattue. Certains pensent à des oracles antérieurs à Isaïe, qui auraient été repris par lui et appliqués à son époque, cf. la conclusion en prose des vv. 13-14. D’autres datent ces poèmes, ou une partie d’entre eux, d’une époque postérieure à Isaïe. On y trouve de nombreux parallèles avec l’oracle sur Moab de Jr 48.

d La dévastation a atteint tout le pays de Moab dont les principales villes sont mentionnées aux vv. 1-4, en allant en gros du Sud au Nord, depuis Qir (Kérak) jusqu’à Heshbôn et Éléalé, au nord du Nébo et de Médba (Madaba). Les vv. 5-9 décrivent la fuite des habitants vers le Sud Çoar (cf. Gn 19.22) et le Torrent des Saules, frontières méridionales de Moab.

2 Elle est montée, la fille de Dibôn,e
sur les hauts lieux pour pleurer.
Sur le Nébo et à Médba, Moab se lamente,
toutes les têtes sont rasées,
toute barbe coupée.

e « Elle est montée, la fille de Dibôn » conj. d’après Targ. et Syr. ; « Il monte au temple et à Dibôn » hébr.

3 Dans ses rues on ceint le sac ;
sur ses toits et sur ses places,
tout le monde se lamente
et fond en larmes.
4 Heshbôn et Éléalé ont crié,
jusqu’à Yahaç leur voix s’est fait entendre.
C’est pourquoi les guerriers de Moab frémissent,
son âme frémit sur son propre sort.
5 Mon cœur crie en faveur de Moab :
car ses fuyards sont déjà à Çoar, vers Églat-Shelishiyya.f
La montée de Luhit, on la monte en pleurant,
sur le chemin de Horonayim, on pousse des cris déchirants.

f « Mon cœur » hébr. et cf. 16.11 ; mais grec et Targ. ont lu « son cœur ». — « ses fuyards » 1QIsa ; « ses verrous » hébr.

6 Les eaux de Nimrim sont un lieu désolé :
l’herbe est desséchée, le gazon a péri,
plus de verdure.
7 C’est pourquoi, ce qu’ils ont pu sauver et leurs réserves,
ils les portent au-delà du torrent des Saules.
8 Car ce cri a fait le tour du territoire de Moab,
jusqu’à Églayim on entend son hurlement,
jusqu’à Beer-Élim on entend son hurlement.
9 Car les eaux de Dimông sont pleines de sang,
et j’ajouterai sur Dimôn un surcroît de malheur :
un lion pour les survivants de Moab,
pour ceux qui restent sur son sol.

g « Dimôn » est peut-être une variante dialectale de « Dibôn », cf. v. 2, choisie parce qu’elle évoque l’idée de sang, hébr. dam.

La requête des Moabites.

16 Envoyez l’agneau du maître du pays,
de Séla, située vers le désert,
à la montagne de la fille de Sion.h

h Texte difficile et diversement interprété. Il semble que les Moabites, menacés par l’invasion, cherchent à se mettre sous la protection du roi de Juda ou à trouver chez lui un refuge. L’agneau envoyé serait un signe de soumission, cf. 2 R 3.4. En traduisant « Envoie, Seigneur, l’agneau souverain de la terre », S. Jérôme propose pour ce passage une interprétation messianique. — Séla (la Roche) a été parfois identifiée à l’actuelle Pétra, située au pays d’Édom, mais il devait y avoir d’autres « Roches » en Moab ou au désert environnant.

2 Elles seront semblables à l’oiseau qui s’enfuit,
à une nichée dispersée,
les filles de Moab, aux gués de l’Arnon.
3 « Tenez un conseil ;i prenez une décision.
En plein midi, étends ton ombre comme celle de la nuit,
cache les dispersés, ne trahis pas le fugitif ;

i Les vv. 3-4 rapportent la supplique des réfugiés de Moab qui demandent aux Judéens de les accueillir. Pour appuyer leur requête, ils expriment dans les vv. qui suivent, 4-5, leur confiance dans l’avenir d’Israël, notamment dans la stabilité du trône de David, fondée sur les promesses dont Isaïe s’est fait souvent le héraut.

4 qu’ils demeurent chez toi, les dispersés de Moab,
sois pour eux un asile contre le dévastateur.
Quand l’oppression aura cessé,j
que la dévastation aura pris fin,
que seront partis ceux qui foulent le pays,

j On est tenté de comprendre « jusqu’à ce que l’oppression... » et de lier cette proposition à la précédente, mais aucun des témoins du texte ne favorise cette interprétation.

5 le trône sera affermi dans la piété,
et sur ce trône, dans la fidélité, sous la tente de David,
siégera un juge, soucieux du droit et zélé pour la justice. »

6 Nous avons entendu parler de l’orgueil de Moab, le très orgueilleux,
de son arrogance, de son orgueil et de sa rage,
de ses bavardages ineptes.k

k Ce v. semble rapporter la réponse des Judéens aux Moabites.

Lamentation de Moab.

7 C’est pourquoi Moab se lamente sur Moab,
tout entier il se lamente.
Au sujet des gâteaux de raisin de Qir-Harésèt,l
vous gémissez, tout consternés.

l Qir-Harésèt, comme Qir-Hérès, v. 11, est à identifier avec Qir-Moab (Kérak), 15.1, cf. 2 R 3.25. — Les noms géographiques qui suivent, de Heshbôn à Éléalé, sont groupés dans la région nord de Moab, propice à la vigne.

8 Car les vignobles de Heshbôn dépérissent,
la vigne de Sibma,
dont les raisins vermeils terrassaient les maîtres des nations.
Elle atteignait jusqu’à Yazèr
et s’infiltrait au désert,
ses rejetons se multipliaient,
ils franchissaient la mer.
9 Aussi je pleure, comme pleure Yazèr,
la vigne de Sibma ;
je t’arrose de mes larmes,
Heshbôn et toi, Éléalé,
parce que sur ta récolte et sur ta moisson
le cri s’est éteint.m

m Littéralement « le cri est tombé ». Il s’agit du cri de joie des vendangeurs. D’autres comprennent « le cri (de guerre) s’est abattu », mais le parallélisme avec les vv. suivants est favorable à la première interprétation.

10 La joie et l’allégresse ont disparu des vergers,
dans les vignes, plus de liesse ni de cri joyeux ;
le fouleur ne foule plus le vin dans les pressoirs,
le cri a cessé.
11 C’est pourquoi mes entrailles, pour Moab,
frémissent comme une cithare,
et mon cœur pour Qir-Hérès.
12 On verra Moab se fatiguer sur le haut lieu
et entrer dans son sanctuaire pour supplier,
mais il ne pourra rien.

13 Telle est la parole qu’a adressée Yahvé à Moab jadis. 14 Et maintenant Yahvé a parlé en ces termes : dans trois ans, comme des années de mercenaire, la gloire de Moab sera humiliée, malgré sa grande multitude. Elle sera réduite à rien, un reste insignifiant.n

n Cette addition en prose peut être la confirmation d’un oracle ancien dont on annonce le très proche accomplissement, cf. 15.1. Les « années de mercenaire » sont comptées strictement.

Contre Damas et Israël.

17 Oracle sur Damas.o
Voici Damas qui cesse d’être une ville,
elle va devenir un tas de décombres ;

o Malgré ce titre, Damas est visée seulement dans la première strophe, et encore en parallèle avec Israël qui sera le sujet des strophes suivantes. L’oracle peut dater des environs de 735, où Damas et Israël étaient alliées contre Juda, cf. 7.1. Damas sera prise par Téglat-Phalasar en 732, et Samarie par Sargon en 721.

2 abandonnées pour toujours,
ses villesp appartiendront aux troupeaux,
ils s’y coucheront sans qu’on les effraie.

p On suit le grec. Au lieu d’« abandonnées pour toujours, ses villes... », hébr. a « abandonnées (seront) les villes d’Aroër »; mais on ne connaît que deux Aroër l’un en Moab, sur l’Arnon, l’autre dans le territoire de Gad, donc fort loin de Damas.

3 Plus de place-forte en Éphraïm,
plus de royauté à Damas,
et le reste d’Aram sera traité
comme la gloire des enfants d’Israël.
Oracle de Yahvé Sabaot.
4 Il arrivera, ce jour-là, que la gloire de Jacob faiblira,
et que son embonpoint deviendra maigreur ;
5 ce sera comme lorsque le moissonneurq récolte le blé,
que son bras moissonne les épis ;
ce sera comme lorsqu’on glane les épis au val des Rephaïm ;

q « le moissonneur » conj. ; « la moisson » hébr.

6 il ne restera que des grappillons,
comme au gaulage de l’olivier :
deux, trois baies en haut de la cime,
quatre, cinq aux branches de l’arbre.
Oracle de Yahvé, Dieu d’Israël.

7 Ce jour-là, l’homme regardera vers son créateur, et ses yeux se tourneront vers le Saint d’Israël. 8 Il ne regardera plus vers les autels, œuvres de ses mains, et ce qu’ont fait ses doigts, il ne le verra plus, ni les pieux sacrés ni les brûle-parfums.r

r Les vv. 7-8, qui annoncent une conversion, paraissent être une addition à cet oracle de malheur.

9 Ce jour-là, ses villes de refuge seront abandonnées,
comme le furent les bois et les maquis
devant les enfants d’Israël,s
et ce sera la désolation.

s Au lieu des bois et des maquis, le grec parle des Amorites et des Hivvites, vaincus par les Israélites lors de la conquête de Canaan. Il est possible que ce soit le texte primitif. En tout cas, l’invasion actuelle est mise en parallèle avec la glorieuse conquête du pays, sous Josué.

10 Tu as oublié le Dieu de ton salut,
tu ne t’es pas souvenu du Rocher, ton refuge,
c’est pourquoi tu plantes des plantations d’agréments,t
tu sèmes des semences étrangères ;

t Allusion aux « jardins d’Adonis », plantations éphémères que l’on faisait pousser en l’honneur du dieu de la végétation, Adonis-Tammuz, cf. Ez 8.14.

11 le jour où tu les plantes, tu les vois pousser,
et dès le matin, tes semences fleurissent ;
mais la récolte échappe au jour de la maladie,
du mal incurable.
12 Malheur ! Rumeur de peuples immenses,u
rumeur comme la rumeur des mers !
grondement de peuples, qui grondent comme grondent les eaux puissantes !

u Les vv. 12-14 doivent se rapporter à l’invasion de Sennachérib et à la délivrance de Jérusalem en 701, comparer 29.5-7 et 37.36.

13 (Des peuples qui grondent comme grondent les grandes eaux.)
Il les menace, et elles s’enfuient au loin,
chassées comme la bale des montagnes par le vent,
comme un tourbillon par l’ouragan.
14 Quand vient le soir c’est l’effroi,
au matin tout a disparu.
Tel est le partage de ceux qui nous pillent,
le sort de nos dévastateurs.

Contre Kush.v

18 Malheur ! pays du grillon ailé,
au-delà des fleuves de Kush,

v Kush, ancien nom de la Nubie (nord du Soudan), désigne peut-être ici l’Égypte passée au temps d’Isaïe sous le gouvernement d’une dynastie nubienne.

2 toi qui envoies par mer des messagers,
dans des nacelles de jonc, sur les eaux.
Allez, messagers rapides,w vers une nation élancée et bronzée,
vers un peuple redouté ici comme au loin,
une nation puissante et dominatrice,
au pays sillonné de fleuves.

w Les messagers du pharaon, que le prophète invite à rentrer chez eux et à cesser d’intriguer en faveur d’une coalition contre l’Assyrie.

3 Vous tous, habitants du monde,
vous qui peuplez la terre,
quand on lèvera un signal sur les montagnes, vous verrez,
quand on sonnera du cor, vous entendrez.
4 Car ainsi m’a parlé Yahvé :x
Je veux rester ici impassible et regarder,
comme la chaleur brûlante en pleine lumière,
comme un nuage de rosée au plus chaud de la moisson.

x Le prophète annonce qu’une invasion va ravager l’Égypte. De fait, celle-ci sera envahie, pillée et soumise sous Asarhaddon et Assurbanipal, dans la première moitié du VIIe s.

5 Car avant la moisson, quand prend fin la floraison,
quand la fleur devient grappe mûrissante,
on taille les pampres à la serpe,
on ôte les sarments, on élague.
6 Tout est abandonné aux rapaces des montagnes
et aux bêtes du pays ;
les rapaces s’y vautreront pendant l’été,
toutes les bêtes du pays pendant l’automne.

7 Alors, on apportera une offrande à Yahvé Sabaot de la part d’un peuple élancé et bronzé, de la part d’un peuple redouté ici comme au loin, d’une nation puissante et dominatrice, d’un pays sillonné de fleuves ; on l’apportera au lieu où réside le nom de Yahvé, au mont Sion.y

y Conclusion en prose annonçant la conversion de la Nubie qui, frappée par ces événements, envoie ses présents au Temple de Jérusalem.

Contre l’Égypte.

19 Oracle sur l’Égypte.z
Voici que Yahvé, monté sur un nuage léger,
vient en Égypte.
Les faux dieux d’Égypte chancellent devant lui
et le cœur de l’Égypte défaille en elle.

z Isaïe est opposé à toute alliance avec l’Égypte, cf. 30.1s ; 31.1s ; il la décrit ici comme déchirée par l’anarchie qui peut conduire à une dictature ou à une domination étrangère (v. 4). On ne peut donc rien attendre d’elle.

2 J’exciterai l’Égypte contre l’Égypte,
ils se battront, chacun contre son frère,
chacun contre son prochain,
ville contre ville, royaume contre royaume.
3 L’esprit de l’Égypte s’évanouira en elle,
et je confondrai son conseil.
On consultera les faux dieux et les enchanteurs,
les spectres et les devins.
4 Je livrerai l’Égypte
aux mains d’un maître impitoyable,
un roi cruel les dominera.
Oracle du Seigneur Yahvé Sabaot.

5 Les eaux disparaîtront de la mer,a
le fleuve tarira et se desséchera ;

a Aux vv. 5-10, le prophète annonce une nouvelle « plaie d’Égypte » l’assèchement du Nil qui fait la richesse du pays.

6 les rivières deviendront infectes,
les fleuves d’Égypte baisseront et tariront,
le roseau et le jonc noirciront.
7 Les herbes du Nil sur les bords du Nil,
toute la verdure du Nil,
sera desséchée, dispersée, anéantie.
8 Les pêcheurs gémiront, ce sera le deuil
pour tous ceux qui lancent l’hameçon dans le Nil,
ceux qui jettent le filet sur les eaux seront désolés.
9 Ils seront déçus, ceux qui travaillent le lin cardé
et ceux qui tissent des étoffes blanches ;
10 ses tisserands seront consternés,
tous les salariés seront attristés.
11 Oui, insensés sont les princes de Çoân,b
les plus sages conseillers du Pharaon forment un conseil stupide.
Comment osez-vous dire à Pharaon :
« Je suis fils des sages, fils des rois de jadis ? »

b C’est-à-dire Tanis, ville du Delta.

12 Où sont-ils donc, tes sages ?
Qu’ils t’annoncent et que l’on sache
ce qu’a décidé Yahvé Sabaot contre l’Égypte !
13 Ils déraisonnent, les princes de Çoân,
ils s’abusent, les princes de Noph,c
et l’élite de ses nomes a fait divaguer l’Égypte.

c Memphis, proche du Caire, capitale de la Basse-Égypte.

14 Yahvé a répandu au milieu d’eux
un esprit de vertige ;
ils ont fait divaguer l’Égypte dans toutes ses entreprises,
comme divague un ivrogne en vomissant.
15 On ne fait plus rien pour l’Égypte
de ce que faisaient tête et queue, palme et jonc.

Conversion de l’Égypte.d

16 Ce jour-là, l’Égypte sera comme les femmes, tremblante et terrorisée devant la menace de la main de Yahvé Sabaot, lorsqu’il la lèvera contre elle.

d Ce morceau en prose est tardif ; il suppose une installation juive en Égypte, vv. 18-19, cf. Jr 44.1. Il annonce une conversion de l’Égypte et sa réconciliation avec Assur et Israël ; les trois peuples seront bénis de Yahvé, et l’Égypte et Assur auront les mêmes privilèges qu’Israël, cf. v. 24-25. Ce large universalisme ne se retrouve pas avant le second Isaïe.

17 Le territoire de Juda deviendra la honte de l’Égypte : chaque fois qu’on le lui rappellera, elle sera terrorisée à cause du dessein que Yahvé Sabaot a formé contre elle. 18 Ce jour-là, il y aura cinq villes au pays d’Égypte qui parleront la langue de Canaan et prêteront serment à Yahvé Sabaot ; l’une d’elles sera dite « ville du soleil ». 19 Ce jour-là, il y aura un autel dédié à Yahvé au milieu du pays d’Égypte, et près de la frontière une stèle dédiée à Yahvé. 20 Ce sera un signe et un témoin de Yahvé Sabaot au pays d’Égypte. Quand ils crieront vers Yahvé par crainte des oppresseurs, il leur enverra un sauveur et un défenseur qui les délivrera. 21 Yahvé se fera connaître des Égyptiens, et les Égyptiens connaîtront Yahvé, en ce jour-là. Ils offriront sacrifices et oblations, ils feront des vœux à Yahvé et les accompliront. 22 Et si Yahvé frappe les Égyptiens, il frappera et guérira, ils se convertiront à Yahvé qui accueillera leurs demandes et les guérira. 23 Ce jour-là, il y aura un chemin allant d’Égypte à Assur. Assur viendra en Égypte et l’Égypte en Assur. L’Égypte servira avec Assur. 24 Ce jour-là, Israël viendra en troisième avec l’Égypte et Assur, bénédiction au milieu de la terre, 25 bénédiction que prononcera Yahvé Sabaot : « Béni mon peuple l’Égypte, et Assur l’œuvre de mes mains, et Israël mon héritage. »

À propos de la prise d’Ashdod.e

20 L’année où le général en chef envoyé par Sargon, roi d’Assur, vint à Ashdod pour l’attaquer et s’en emparer,

e Ashdod, ville philistine, fut prise par Sargon II en 711. La ville s’était révoltée à l’instigation de l’Égypte, et cet événement aurait donné à Isaïe l’occasion d’annoncer une victoire assyrienne sur l’Égypte. Ce passage est une tradition sur Isaïe, comme les chap. 36-39, mais on ne la retrouve pas dans le livre des Rois.

2 en ce temps-là, Yahvé parla par le ministère d’Isaïe fils d’Amoç ; il dit : « Va, dénoue le sac que tu as sur les reins, et ôte les sandales de tes pieds. » Et il fit ainsi, allant nu et déchaussé.f

f C’est la seule prophétie en action qui soit attribuée à Isaïe ; au contraire, Jérémie et Ézéchiel emploient fréquemment ce mode de prédication, cf. l’Introd. p. 1072. — Sur le sac, vêtement de pénitence, cf. 3.24.

3 Et Yahvé dit : « De même que mon serviteur Isaïe a marché nu et déchaussé pendant trois ans, pour être un signe et un présage contre l’Égypte et contre Kush, 4 de même le roi d’Assur emmènera les captifs d’Égypte et les déportés de Kush, les jeunes et les vieux, nus, déchaussés et fesses découvertes, à la honte de l’Égypte. 5 Ils seront pris d’épouvante et de honte à cause de Kush leur espérance et de l’Égypte leur fierté. 6 Et l’habitant de ce rivageg dira en ce jour-là : « Voici ce qu’est devenue notre espérance, ceux vers qui nous avons fui pour chercher un secours, pour échapper au roi d’Assur. Et nous, comment nous sauverons-nous ? » »

g Les Philistins ou les Israélites, toujours tentés de s’appuyer sur l’Égypte et de nouer avec elle des coalitions contre l’Assyrie.

La chute de Babylone.h

21 Oracle sur le désert de la mer.i
Comme des ouragans qui passent dans le Négeb,
il vient du désert, d’un pays redoutable.

h Comme ceux des chap. 13-14, cet oracle annonce la ruine de Babylone, v. 9, par les Perses et les Mèdes de Cyrus en 539, cf. v. 2. Il reste possible qu’il reprenne, en le modifiant, un poème plus ancien dirigé contre Assur. Il pourrait s’agir alors de la chute de Ninive en 612, sous l’attaque conjuguée des Mèdes et des Babyloniens ; ce poème ne serait donc pas d’Isaïe, même sous sa forme primitive.

i L’expression traduit peut-être l’assyrien mât tâmti, « pays de la mer », qui désigne le sud de la Babylonie.

2 Une vision sinistre m’a été révélée :
« Le traître trahit et le dévastateur dévaste.
Monte, Élam, assiège, Mède ! »j
J’ai fait cesser tous les gémissements.

j L’Élam est le pays situé à l’est de la Mésopotamie, d’où sortirent les Mèdes et les Perses qui, au VIe s., renversèrent l’Empire babylonien.

3 C’est pourquoi mes reins sont remplis d’angoisse,
des convulsions m’ont saisi comme les convulsions de la femme qui enfante ;
je suis trop bouleversé pour entendre, trop troublé pour voir.
4 Mon cœur s’égare, un frisson me terrifie ;
le crépuscule auquel j’aspirais devient ma terreur.
5 On dresse la table, on met la nappe ; on mange, on boit.k
Debout, chefs ! Graissez le bouclier !

k D’après une tradition rapportée par Daniel (chap. 5) et par Hérodote, c’est au cours d’une nuit d’orgie que Babylone tomba aux mains des Perses.

6 Car ainsi m’a parlé le Seigneur :
« Va, place un guetteur ! Qu’il annonce ce qu’il voit !
7 Il verra de la cavalerie, des cavaliers deux par deux,
des hommes montés sur des ânes, des hommes montés sur des chameaux ;l
qu’il observe avec attention, avec grande attention. »

l Non l’armée des envahisseurs, mais les messagers rapides puis les caravanes qui viennent annoncer la nouvelle, cf. v. 9.

8 Et le guetteurm a crié :
« Sur la tour de guet, Seigneur, je me tiens tout le long du jour,
à mon poste de garde, je suis debout toute la nuit.

m « le guetteur », litt. « celui qui regarde », haro’eh 1QIsa ; « le lion » ’aryeh TM.

9 Et voici que vient la cavalerie, des cavaliers deux par deux. »
Il a repris la parole et dit :
« Elle est tombée, Babylone, elle est tombée,
et toutes les images de ses dieux, il les a brisées à terre. »
10 Toi que j’ai foulé, grain de mon aire,n
ce que j’ai appris de Yahvé Sabaot, Dieu d’Israël,
je te l’annonce.

n Littéralement « mon écrasé, fils de mon aire ». Ces mots désignent les Israélites exilés à Babylone et dont la délivrance est proche.

Sur Édom.o

11 Oracle sur Duma.
Vers moi on crie depuis Séïr :
« Veilleur, où en est la nuit ? Veilleur, où en est la nuit ? »

o Il est douteux que ce petit oracle sur Séïr=Édom soit d’Isaïe. — À la question posée, aucune réponse claire n’est donnée ; la fin peut être un appel à la conversion. La mention de Duma fait difficulté c’est une oasis du nord de l’Arabie, en dehors d’Édom ; le nom reparaît parmi ceux des fils d’Ismaël, Gn 25.14. Mais le mot signifie aussi « silence » et peut être une allusion à l’obscurité de cet oracle, cf. les titres des oracles du même chap., vv. 1 et 13.

12 Le veilleur répond :
« Le matin vient, puis encore la nuit.
Si vous voulez interroger, interrogez !
Revenez ! Venez ! »
Contre les Arabes.

Contre les Arabes.

13 Oracle dans la steppe.p
Dans les taillis, dans la steppe, vous passez la nuit,
caravanes de Dédanites.

p Le titre « dans la steppe » donné à cet oracle est simplement emprunté à son premier vers. Il s’agit de tribus arabes victimes d’une invasion qui ne peut venir que du Nord. Les habitants de Téma (l’actuelle Teima), Gn 25.15 ; Jr 25.23, sont invités à accueillir les fugitifs de Dédân (l’actuelle oasis d’El Ela), Gn 10.17 ; Jr 49.8 ; Ez 25.13 ; 27.20. Qédar est un nom plus vague pour les mêmes régions, Gn 25.13 ; Jr 49.28 ; Ez 27.21. En 715, Sargon poussera jusque dans le nord-ouest de l’Arabie, à la suite de sa campagne en Transjordanie ; Juda pouvait se sentir alors menacé.

14 À la rencontre de l’assoiffé, apportez de l’eau !
Les habitants du pays de Téma sont allés
avec du pain au-devant du fugitif.
15 Car ils ont fui devant des épées,
devant l’épée nue et devant l’arc tendu,
devant l’acharnement du combat.

16 Car ainsi m’a parlé le Seigneur :

Encore une année comme des années de mercenaire, et c’en est fait de toute la gloire de Qédar. 17 Et du nombre des vaillants archers, des fils de Qédar, il ne restera presque rien, car Yahvé, Dieu d’Israël, a parlé.

Contre la joie à Jérusalem.q

22 Oracle sur la vallée de la Vision.r
Qu’as-tu donc à monter tout entière aux terrasses,

q Cet oracle se situe après la délivrance de Jérusalem en 701, qui mit fin à la campagne jusque-là victorieuse de Sennachérib, cf. 2 R 18.13 ; 19.9 ; 36.1s ; 37.8s. Isaïe, qui avait annoncé cette délivrance, proteste contre la joie exagérée qu’elle a suscitée et rappelle que le châtiment reste menaçant.

r Le titre est emprunté au v. 5, comparer 21.11. On ne connaît aucune vallée de ce nom aux environs de Jérusalem. La corr. « vallée de Hinnom » (la Géhenne) a été proposée, mais elle n’a aucun appui dans les versions.

2 pleine de tumulte, ville bruyante, cité joyeuse ?
Tes tués ne sont pas victimes de l’épée,
ni morts à la guerre.
3 Tous tes chefs ensemble ont pris la fuite,
sans arc, ils ont été capturés,
tous ceux qu’on a trouvés ont été capturés ensemble,
ils s’étaient enfuis au loin.
4 C’est pourquoi j’ai dit :
« Détournez-vous de moi, que je pleure amèrement ;
n’essayez pas de me consoler
de la ruine de la fille de mon peuple. »
5 Car c’est un jour de déroute, de panique et de confusion,
œuvre du Seigneur Yahvé Sabaot, dans la vallée de la Vision.
On sape la muraille, on lance des appels vers la montagne.
6 Élam a pris le carquois,
avec chars montés et cavaliers,
et Qir a sorti son bouclier.s

s Les Élamites et les Araméens (? Qir, cf. Am 1.5 ; 9.7) sont peut-être mentionnés ici comme alliés ou mercenaires de Sennachérib.

7 Dès lors, tes plus belles vallées sont remplies de chars,
et les cavaliers ont pris position aux portes :
8 c’est ainsi qu’est tombée la protection de Juda.
Tu as tourné les yeux, ce jour-là,
vers les armes de la Maison de la Forêt ;
9 et les brèches de la cité de David, vous avez vu comme elles sont nombreuses !
Vous avez collecté les eaux de la piscine inférieure ;
10 vous avez compté les maisons de Jérusalem,
vous avez démoli les maisons pour fortifier le rempart.
11 Vous avez fait un réservoir entre les deux murs,
pour les eaux de l’ancienne piscine.t
Mais vous n’avez pas eu un regard pour l’auteur de ces choses,
celui qui en fit le dessein depuis longtemps, vous ne l’avez pas vu.

t Travaux d’Ézéchias en prévision de l’attaque de Sennachérib, ou entre ses deux campagnes si on accepte cette hypothèse. — Sur la « Maison de la Forêt », cf. 1 R 7.2 ; sur la réparation des remparts, cf. 2 R 20.20 ; sur le réservoir, cf. 2 R 20.20 ; Si 48.17.

12 Et le Seigneur Yahvé Sabaot vous a appelés, en ce jour-là,
à pleurer et à vous lamenter,
à vous tondre et à ceindre le sac.
13 Mais voici la joie et l’allégresse,
on tue les bœufs et on égorge les moutons,
on mange de la viande et on boit du vin :
« Mangeons et buvons, car demain nous mourrons ! »
14 Alors Yahvé Sabaot s’est révélé à mes oreilles :
« Jamais cette faute ne sera pardonnée, jusqu’à votre mort »,
dit le Seigneur Yahvé Sabaot.

Contre Shebna.u

15 Ainsi parle le Seigneur Yahvé Sabaot :
Va trouver cet intendant,
Shebna, le maître du palais :

u Seul oracle d’Isaïe concernant un particulier. Ce Shebna était un parvenu, peut-être un étranger, qui avait accédé à la plus haute charge, celle de maître du palais d’Ézéchias. Isaïe est seul à mentionner sa destitution et son remplacement par Élyaqim, mais le livre des Rois donne le résultat de cette mesure Élyaqim est maître du palais et Shebna n’est plus que secrétaire, 2 R 18.26, 37 ; 19.2 = 36.3, 11, 22 ; 37.2. Il est possible que sa tombe ait été retrouvée, dans l’une des nécropoles de Jérusalem, à Siloé.

16 « Que possèdes-tu ici, de qui te réclames-tu
pour t’y tailler un sépulcre ? »
Il se taille un sépulcre surélevé,
il se creuse une chambre dans le roc.
17 Voici que Yahvé va te rejeter, homme !
t’empoigner avec poigne.
18 Il te roulera comme une boule,
une balle vers un vaste espace.
C’est là que tu mourras, avec tes chars splendides,
déshonneur de la maison de ton maître.
19 Je vais te chasser de ton poste,
je vais t’arracherv de ta place.

v « je t’arracherai » versions ; « il t’arrachera » hébr.

20 Et le même jour, j’appellerai mon serviteur
Élyaqim fils d’Hilqiyyahu.
21 Je le revêtirai de ta tunique,
je le ceindrai de ton écharpe,
je lui remettrai tes pouvoirs,
il sera un père pour l’habitant de Jérusalem
et pour la maison de Juda.
22 Je mettrai la clé de la maison de David sur son épaule,
s’il ouvre, personne ne fermera,
s’il ferme, personne n’ouvrira.w

w L’ouverture et la fermeture des portes de la « maison du roi » était une fonction du vizir égyptien, dont le maître du palais est l’équivalent en Israël. Ce sera la fonction de Pierre dans l’Église, royaume de Dieu, Mt 16.19. Ce texte sera cité par Ap 3.7 et appliqué au Messie, comme le fait la liturgie dans l’antienne du Magnificat aux vêpres du 20 décembre « O clavis David et sceptrum domus Israël ».

23 Et je l’enfoncerai comme un clou en un lieu solide ;
il deviendra un trône de gloire
pour la maison de son père.
24 On y suspendra toute la gloire de la maison paternelle, les descendants et les rejetons, et tous les objets de petite taille, depuis les coupes jusqu’aux jarres.

25 Ce jour-là, oracle de Yahvé Sabaot, il cédera, le clou enfoncé dans un lieu solide, il s’arrachera et tombera ; alors se détachera la charge qui pesait sur lui. Car Yahvé a parlé.x

x Cette addition en prose annonce la disgrâce d’Élyaqim lui-même, entraînant dans sa chute toute sa famille qui avait profité de son élévation.

Contre Tyr.

23 Oracle sur Tyr.y
Hurlez, vaisseaux de Tarsis, car tout a été détruit :
plus de maison et plus d’entrée.
Du pays de Kittim,z la nouvelle leur est parvenue.

y Oracle difficile qui annonce la ruine inattendue et spectaculaire de la ville imprenable de Tyr, et décrit l’effet produit par cet événement. Tyr, construite sur une île à peu de distance du rivage, fut attaquée ou assiégée par de nombreux conquérants, Salmanasar, Sennachérib, Nabuchodonosor (siège de 13 ans !), cf. Ez 26-28. Elle sera détruite par Alexandre en 322. Il est difficile de dire quel événement précis le prophète a en vue ici. — La mention de Sidon, vv. 2, 4, 12, ne signifie pas nécessairement que deux oracles aient été combinés ; le nom de Sidon peut désigner la Phénicie en général, cf. 1 R 16.31.

z L’île de Chypre, où les Phéniciens avaient des colonies. — Sur Tarsis, cf. 1 R 10.22.

2 Soyez stupéfaits, habitants de la côte,
marchands de Sidon, toi dont les messagersa passent les mers,

a « dont les messagers » mal’akayk 1QIsa ; « t’emplissaient » mil’ûk TM.

3 aux eaux immenses.
Le grain du Canal, la moisson du Nil, était sa richesse.
Elle était le marché des nations.
4 Rougis de honte, Sidon (la citadelle des mers),b
car la mer a parlé en ces termes :
« Je n’ai pas souffert et je n’ai pas enfanté,
ni élevé de garçons, ni fait grandir de filles. »

b Glose destinée à Sidon et accidentellement déplacée dans l’hébr. après « la mer ».

5 Quand la nouvelle parviendra en Égypte,
on tremblera en apprenant le sort de Tyr.
6 Passez à Tarsis et hurlez, habitants de la côte.
7 Est-ce là votre fière cité
dont l’origine remontait au lointain passé,
elle que ses pas conduisaient au loin
pour s’y établir ?

8 Qui a décidé cela contre Tyr qui distribuait des couronnes,
dont les marchands étaient des princes,
et les trafiquants des grands de la terre ?
9 C’est Yahvé Sabaot qui l’a décidé,
pour flétrir l’orgueil de toute beauté,
pour abaisser tous les grands de la terre.
10 Cultivec ton pays comme le Nil, fille de Tarsis,
car il n’y a plus de chantier maritime.

c « cultive » grec 1QIsa ; « traverse » TM. — « Fille de Tarsis » est difficile à expliquer on attendrait « fille de Tyr », en parallèle à « fille de Sidon » du v. 12.

11 Il a tendu la main contre la mer,
il a fait trembler les royaumes ;
Yahvé a décrété pour Canaan de ruiner ses forteresses.
12 Il a dit : Cesse de faire la fière,
toi, la maltraitée, vierge fille de Sidon !
Lève-toi, passe à Kittim,
là non plus, pas de repos pour toi.
13 Voici le pays des Chaldéens, ce peuple qui n’existait pas ;
Assur l’a constitué pour les bêtes du désert ;
ils y ont dressé leurs tours,
ils ont démoli ses bastions,
ils l’ont réduit en ruine.d

d Tout le v. paraît corrompu et sa traduction est très incertaine.

14 Hurlez, navires de Tarsis, car votre forteresse est détruite.
15 Et il arrivera, en ce jour-là, que Tyr sera oubliée, soixante-dix ans, le temps de vie d’un roi. Mais au bout de soixante-dix ans, il en sera de Tyr comme dans la chanson de la prostituée :

16 « Prends une cithare, parcours la ville,
prostituée délaissée !
Joue de ton mieux, répète ta chanson,
qu’on se souvienne de toi ! »

17 Et il arrivera, au bout de soixante-dix ans, que Yahvé visitera Tyr. Elle recevra de nouveau son salaire, et se prostituera avec tous les royaumes du monde, sur la face de la terre. 18 Mais son gain et son salaire seront consacrés à Yahvé. Ils ne seront ni amassés ni thésaurisés ; mais c’est à ceux qui habitent devant Yahvé qu’ira son gain, pour qu’ils aient nourriture à satiété et vêtement magnifique.e

e Ces vv. en prose (sauf la chanson citée au v. 16) sont une addition tardive, comparable à celles de 18.7 et 19.16-25. Tyr retrouvera sa prospérité ; et le fruit de son commerce, de ses « prostitutions », offert jadis aux faux dieux sera désormais consacré à Yahvé.