Le ministère, nécessaire au christianisme, participant de la nécessité du christianisme, et, de plus, institué ou voulu par Jésus-Christ, ne peut qu’être selon l’expression de saint Paul (1 Timothée 3.1), une charge excellente.
Etudions-le néanmoins en lui-même, et indiquons les caractères principaux qui peuvent le relever à nos yeux.
Au premier coup d’oeil et selon les vues mondaines, l’art par excellence est celui du gouvernement des esprits (ars est artium regimen animarum), et quoique d’autres que le prédicateur y prétendent et y réussissent, il est certain que, quand il y réussit, c’est d’une manière plus définitive et plus profonde, à cause de la nature des motifs qu’il emploie. Il suscite ou fortifie dans l’homme les pensées qui doivent déterminer et dominer toute sa vie.
En élevant plus haut son point de vue, on sent que c’est, pour le prédicateur, une grande prérogative ou une grande mission que d’entretenir dans les âmes que les choses de la terre cherchent toujours à absorber, la foi aux choses invisibles, au monde spirituel, et d’être, parmi les hommes, l’homme de l’esprit et de l’éternité. Aux yeux de celui qui est préoccupé des intérêts sociaux, le ministre est le premier instrument de la civilisation, en tant qu’il est le premier agent de la moralisation générale. Affermissant et propageant, autant qu’il est en lui les maximes du bien vivre ; magistrat des consciences, conseiller de bienveillance et de paix, il représente l’élément de la plus haute sociabilité. Instituteur religieux du peuple, il ne peut rester étranger au soin de sa culture intellectuelle ; il en est le propagateur ; il est partout à la tête de l’école populaire ainsi que de l’Eglise ; et sous ce rapport encore, le ministre de l’Evangile est ministre de la civilisation[b]. — Le prophète et le prêtre du moyen âge, comme aujourd’hui le missionnaire chez les tribus sauvages, ont été ostensiblement et ouvertement les chefs de la société. Toute société fut plus ou moins théocratique à sa naissance. C’était le même temps où l’on apercevait peu les causes secondes, et où, pour toutes choses, on remontait directement à la cause première. Plus tard, on ne s’est pas donné la peine de remonter si haut. De même pour la conduite de la société. Ce n’est plus qu’indirectement et par son influence plus ou moins grande, que la religion a gouverné l’ordre civil. Le ministre a dès lors été placé dans une position analogue. La société ne le reconnaît pas pour son chef. Mais il ne se peut faire que les moments les plus graves et les plus solennels de la vie individuelle et de la vie publique n’appartiennent à la religion et par conséquent à lui ; qu’une multitude de grands intérêts ne lui soient forcément confiés ; que le dernier fond de l’âme humaine ne lui soit livré par la préoccupation religieuse, la plus forte de toutes. Son heure revient toujours, [et la religion pénètre avec lui au milieu des intérêts qui lui sont abandonnés. Là où les institutions religieuses sont faibles, où l’Eglise n’a plus de réalité, il ne reste que le pasteur ; c’est à lui qu’on regarde. Il en est du pasteur comme du sabbat. Heureux celui pour qui tous les jours sont des sabbats ; heureux le temps où l’importance du ministère décroîtra parce que tous les chrétiens seront ministres.] Sa vie de tous les jours, au lieu d’être triviale comme celle de la plupart des hommes, est solennelle. Ses fonctions se rattachent aux fondements et aux racines de la vie humaine. Il n’est mis en contact par son ministère qu’avec ce qu’elle a de sérieux et de touchant. Ces grandes pauses ou haltes, ces grands moments lui appartiennent, la naissance, le mariage, la mort.
[b] [Tout ceci s’applique spécialement au ministre, chrétien ; car hors du christianisme le ministre est souvent, et surtout aujourd’hui, le représentant de l’élément antisocial et de l’anarchie, le ministre des ténèbres ; mais, même dans les fausses religions, à leur point de départ, il n’en était pas ainsi. Quels que soient les mensonges qui se sont mêlés aux traditions religieuses, la vérité a toujours eu sa place, et la civilisation y trouve son compte. Le besoin de la religion est un noble besoin ; partout elle a été le berceau de la société.]
Sa vie est une vie de dévouement ; elle n’a sans cela aucun sens. [Sa carrière est un sacrifice perpétuel, dans lequel il entraîne tout ce qui lui appartient. Sa famille est consacrée ; elle appartient au ministère et participe à ses privations. Tout comme Jésus est venu dans le monde non pour être servi, mais pour servir, ainsi du ministre, et c’est là sa gloire : Servir Dieu, c’est régner. Il cherche la gloire de Dieu directement ; il la cherche encore en servant les hommes, car servir les hommes pour l’amour de Dieu, c’est servir Dieu. Le ministre est un homme de bienveillance et de compassion. Et personne ne s’y trompe : chacun, même l’homme naturel, demande au ministre de la charité ; chacun lui reprochera la dureté, l’avarice, la froideur, l’absence de bonté. Tout ceci appartient en propre au christianisme. Dans les nations non chrétiennes, même chez les Juifs, le prêtre n’a pas du tout ce caractère ; et quelquefois il est considéré comme un être redoutable et malfaisant. Mais maintenant l’homme le moins croyant croit que le christianisme est la religion de la bonté.] Un ministre est un homme à qui Dieu a dit : Consolez, consolez mon peuple. Il est, parmi les hommes, le représentant d’une pensée de miséricorde, et il la représente en la transportant dans sa propre vie. Secourir, c’est son ministère, c’est sa vie.
Enfin le ministère, du moins dans l’Eglise protestante [et chez les presbytériens], peut tout au plus être le terme, jamais le point de départ d’aucune ambition. [Un poste plus commode, des lieux plus agréables distinguent seuls un pasteur d’un autre. C’est une belle chose, de voir son ambition définitivement arrêtée, ses désirs impérieusement bornés. L’homme n’est que trop travaillé par ses désirs ; c’est un malade agité par la fièvre et qui ne sait de quel côté se tourner ; ce qui peut le calmer, c’est ce qui ferme la porte à ses désirs. — Le ministre n’est pas plus enfermé dans son ministère qu’un autre dans sa profession, et il peut satisfaire ce besoin de développement qui est un des caractères et des titres de notre nature. Mais ce qui le distingue, c’est qu’une fois ministre, il est tout ce qu’il peut être extérieurement ; la place est prise, il n’en sort plus.]
Elevons-nous maintenant au point de vue de la foi chrétienne. La dignité et l’excellence du ministère ressortira :
- De l’excellence de la doctrine qu’il prêche. C’est une sagesse entre les parfaits, (1 Corinthiens 2.6) c’est-à-dire une sagesse qui rend les hommes, aussi parfaits qu’ils peuvent l’être ; non une apparence, ou une partie de la vérité, mais la vérité même et tout entière. [Rien n’est plus grand que cette mission. Celui qui, sur un sujet quelconque, posséderait infailliblement la vérité, serait déjà un très grand personnage. Jésus-Christ associe, devant Pilate, la royauté et le témoignage rendu à la vérité. Il s’agit, en effet, de la vérité, de la vérité suprême, de celle qui explique la vie et la domine, de la vérité sur et dans les rapports de l’homme avec Dieu. Quelle œuvre est plus haute que celle de la prêcher ? Et c’est là la mission du pasteur.]
- De ce que cette doctrine est une révélation de Dieu ; les oracles lui ont été confiés. Ce sont des choses que l’œil n’a point vues, que l’oreille n’a point entendues, et qui n’étaient jamais montées au cœur de l’homme, et que Dieu avait préparées à ceux qui l’aiment. (1 Corinthiens 2.9) Le ministre est donc le messager immédiat de Dieu même. Qui vous reçoit me reçoit, et qui me reçoit reçoit celui qui m’a envoyé. (Matthieu 10.40)
- De ce que le ministre est ouvrier avec Dieu, (1 Corinthiens 3.15) Dieu se faisant solidaire avec lui, se portant caution pour lui, promettant de travailler pour lui et par lui.
- De ce qu’il annonce et offre le salut. Si ce ministère était de condamnation, si le pasteur prêchait, de la part de Dieu, la loi seulement, il remplirait sa charge avec angoisse et terreur, et sa charge néanmoins serait excellente. Mais comme Dieu a mis sa gloire à pardonner, il a mis de la gloire dans le ministère du pardon. C’est pourquoi saint Paul, parlant, non seulement des deux économies, mais des deux ministères, dit : Dieu nous a aussi rendus capables d’être ministres de la nouvelle alliance, non de la lettre, mais de l’esprit ; car la lettre tue, mais l’esprit donne la vie. Que si le ministère de mort, qui a été écrit et gravé sur des pierres, a été si glorieux que les enfants d’Israël ne pouvaient regarder fixement le visage de Moïse, à cause de l’éclat de son visage, bien que cet éclat dût s’évanouir ; combien le ministère de l’esprit ne sera-t-il pas plus glorieux ? Car si le ministère de condamnation a été glorieux, le ministère de la justice le surpasse de beaucoup en gloire. Et même ce premier ministère, qui a été si glorieux, ne l’a point été en comparaison du second, qui le surpasse de beaucoup en gloire. (2 Corinthiens 3.6-10) — Il est bien visible, d’ailleurs, que la gloire de la miséricorde de Dieu consistant en deux choses inséparables, la miséricorde, elle-même et ses fruits de justice, la gloire du ministère chrétien se compose des deux mêmes éléments. C’est ce qu’Esaïe paraît avoir eu en vue dans ces paroles : Oh ! qu’ils sont beaux, les pieds de celui qui apporte de bonnes nouvelles, et qui publie la paix sur les montagnes ; de celui qui apporte de bonnes nouvelles, qui publie le salut, et qui dit à Sion : Ton Dieu règne ! (Esaïe 52.7) Ces deux éléments ressortent dans le pouvoir conféré aux apôtres, et, après eux, à tous les ministres chrétiens, de délier et de lier. (Matthieu 18.18) [Le ministre ne peut lier qu’en déliant, et délier qu’en liant. Il lie quand il enchaîne la conscience par des chaînes de diamant et des liens mystiques à la loi parfaite ; il délie en nous détachant de la loi des préceptes, en proclamant l’abolition de la servitude et l’amnistie de Dieu. Ces deux choses sont deux pôles qui se correspondent toujours.]
Il est vrai que le ministre est odeur de mort à celui pour qui il n’est pas odeur de vie ; la maîtresse pierre de l’angle est aussi une pierre d’achoppement et de chute ; (1 Pierre 2.7) et la condamnation de celui qui l’a entendu sans croire est d’autant plus grande ; mais cette suite nécessaire de la nature du ministère qu’il exerce n’en diminue aucunement l’excellence.
Pour tout dire en un mot, transportons au ministère toute l’excellence du christianisme, imputons-lui tous les bienfaits du christianisme, puisqu’il les apporte et les perpétue ; ou, si l’on veut, mesurons son excellence à celle du christianisme, nous en aurons assez dit[c].
[c] Voyez Erasme, sur la dignité du ministère. Ce morceau a été traduit par Roques, dans le Pasteur évangélique, page 190. (Appendice, Note 6)