« Usez d’un peu de vin à cause de votre estomac et de vos fréquentes maladies. » C’est ce que disait l’apôtre à son disciple Timothée, qui ne buvait que de l’eau. Ce conseil était convenable pour un homme dont le corps malade et languissant avait besoin de ce secours pour se rétablir. Mais l’apôtre engage son ami à user modérément de ce remède, dont l’excès lui serait nuisible et nécessiterait d’autres remèdes. La boisson naturelle à l’homme, la plus sobre et celle qui apaise le mieux la soif, c’est l’eau. C’est aussi de l’eau, unique et simple boisson de la tempérance, que le Seigneur fit jaillir du rocher pour désaltérer les Hébreux ; car leur vie errante exigeait surtout qu’ils fussent sobres. Plus tard, la sainte vigne produisit la grappe prophétique, c’est-à-dire le Verbe, dont le sang mêlé avec l’eau, suivant sa volonté, est le signe de ceux qui de l’erreur sont entrés dans le repos. Le sang entre en mélange avec le salut. Le sang du Seigneur est de deux natures, l’un charnel, qui nous rachète de la mort ; l’autre spirituel, qui nous purifie. Boire le sang de Jésus, c’est participer à l’incorruptibilité du Seigneur. L’esprit est la force du Verbe, comme le sang est la force de la chair. Comme le vin se mêle avec l’eau, l’esprit est mêlé avec l’homme. Ce mélange de l’un et de l’autre, je veux dire du Verbe et de la boisson, s’appelle Eucharistie, qui signifie actions de grâces ; et ce sacrement sanctifie l’âme et le corps de ceux qui y participent avec foi, lorsque la volonté divine a mystiquement mélangé, par l’Esprit et le Verbe, ce divin breuvage qui représente l’homme. L’esprit, en effet, s’y mêle à l’âme, et le Verbe à la chair. J’admire ceux qui choisissent un genre austère de vie, ne boivent que de l’eau, et fuient le vin comme ils feraient la menace du feu, et je recommande aux jeunes gens de l’un et de l’autre sexe de s’en abstenir absolument. Mêler les flammes du vin aux flammes de leur âge, ce serait joindre le feu au feu. De ce mélange naissent des appétits grossiers et sauvages, des désirs ardents, des mœurs brûlantes ; cette pernicieuse influence du vin apparaît même sur leur corps, dont il forme et mûrit avant le temps les organes destinés au plaisir ; leurs mamelles s’enflent, leurs parties naturelles grossissent, leur corps nourrit les blessures de leur âme et les force de s’enflammer. Ils se livrent avec fureur aux mouvements désordonnés qui les emportent et étouffent en eux toute modestie. La pudeur n’a plus de bornes que leur ivresse ne méconnaisse et ne franchisse. Il faut donc s’efforcer d’éteindre, par tous les moyens possibles, les désirs naissants des jeunes gens, en éloignant d’eux ce foyer de menaces bachiques et en leur donnant un remède contraire à l’ardeur qui les dévore, remède qui enchaînera leur âme trop ardente, retiendra dans de justes bornes la croissance des membres, et assoupira les flammes de la volupté qui commence à s’éveiller en eux.
Dans la fleur et la vigueur de l’âge, il faut prendre ses repas sans boire, afin que la sécheresse de l’aliment soit comme une éponge qui pompe le trop d’humeurs répandues dans le corps. Se moucher et cracher sans cesse est une marque d’intempérance, parce que l’intempérante est comme la mère des humeurs excessives qui nous affligent. Si la soif les presse, ils y remédieront avec un peu d’eau ; car il ne convient point d’en boire abondamment, de peur qu’elle n’affaiblisse les sucs nutritifs de l’aliment. Beaucoup d’eau nuit à la digestion, un peu la favorise.
L’excès du vin est incompatible avec la méditation des choses célestes ; ennemi de la tempérance, il étouffe et détruit toute sagesse. Le soir, on peut à son souper user d’un peu de vin, parce que d’ordinaire les occupations du soir sont moins sérieuses et demandent moins d’application. L’air devient plus froid et la chaleur naturelle qui s’affaiblit a plus de besoin d’une chaleur étrangère. Mais à cette heure même il n’en faut user qu’avec la plus grande modération, et prendre garde d’aller jusqu’à l’excès.
On peut permettre aux vieillards de boire un peu plus de vin pour réveiller leur vigueur que l’âge a ralentie, et rétablir, par ce remède innocent, leurs forces usées. Les naufrages de l’ivresse ne sont plus guère à craindre pour les vieillards. La raison et l’expérience sont comme des ancres qui les attachent au port, et ils surmontent facilement les tempêtes passionnées que l’ivresse excite et déchaîne. Il leur est même permis de plaisanter avec grâce et modestie durant le repas. Enfin, ils peuvent boire, mais de manière à conserver toujours, avec la mémoire et la raison, un corps droit et immobile qui ne chancelle point sous le poids du vin. Ne vaut-il pas mieux, en effet, s’arrêter avant de tomber ?
Artorius, si je m’en souviens, dans son livre de la Longue vie, pense qu’il faut boire seulement pour humecter les aliments, et que c’est le plus sûr moyen de s’assurer une longue vie. Le vin donc doit être employé par les uns comme remède, par les autres comme joie et délassement. Le vin rend un homme, qui a bu un peu plus qu’à l’ordinaire, d’une humeur égale, complaisant envers les conviés, doux et commode envers les domestiques, agréable à ses amis ; mais si on le choque, il repousse aussitôt l’injure par l’injure.
Comme le vin est naturellement chaud et plein d’un suc agréable, pris modérément, sa chaleur dissout les excréments grossiers, et sa bonne odeur corrige les humeurs acres et malignes. Aussi l’Écriture sainte dit-elle avec raison : « Le vin a été créé dès le commencement pour réjouir l’âme et le cœur ; mais il est bon de le mêler avec beaucoup d’eau, afin d’éviter la folie et l’imbécillité de l’ivresse. » L’eau et le vin étant deux ouvrages de Dieu, leur mélange est utile à la santé, parce que la vie consiste dans ce qui est nécessaire et ce qui est utile. Il faut donc mêler à ce qui est nécessaire un peu de ce qui est utile ; c’est-à-dire un peu de vin à beaucoup d’eau. L’excès du vin épaissit la langue, agite les lèvres, tourne et détourne les regards ; les yeux, humides, nagent dans leur orbite comme dans une fontaine ; tout tourne autour d’eux ; ils ne peuvent plus ni compter ni distinguer nettement les objets même les plus proches. Il me semble voir deux soleils, disait le vieillard thébain ivre. C’est que l’œil, agité par la chaleur du vin, multiplie pour lui le même objet en le saisissant plusieurs fois. Il importe peu que ce soit l’œil ou l’objet qui remue, l’effet est le même. C’est l’agitation qui ôte à l’œil la faculté de distinguer. Le pied tremble et fléchit sous le corps comme s’il marchait sur les vagues ; enfin les nausées et les vomissements achèvent et couronnent ces tristes plaisirs.
Le poète tragique l’a dit : l’homme ivre est vaincu par la colère et abandonné par la sagesse ; ses discours, pleins de folie, font plus tard le sujet de sa honte et de ses regrets. Le sage aussi avait dit avant le poète : « Le vin bu avec excès amène la colère, et l’emportement, et la ruine. » C’est pourquoi plusieurs pensent qu’il faut se relâcher un peu dans le festin, et remettre au lendemain les choses sérieuses. Mais moi je pense, au contraire, que la raison surtout y doit présider, afin de nous retenir si nous nous laissions imprudemment tomber, et, de peur que les joies de la table ne nous entraînent et ne nous fassent descendre jusqu’à la honte de l’ivresse. Si personne ne ferme les yeux avant de se mettre au lit, pourquoi bannir la raison avant de nous mettre à table ; la raison ne doit jamais nous quitter, ni cesser un instant de faire son office ; nous devons l’inviter même à notre sommeil. La parfaite sagesse, qui est la connaissance des choses divines et humaines, qui contient et embrasse tout, est la science et l’art de la vie, en tant qu’elle prend soin du troupeau des hommes, et par cette raison elle nous est toujours présente et accomplit sur nous son bienfaisant office tant que nous vivons. Mais les malheureux qui bannissent toute tempérance de leurs repas, se persuadent que les folles joies auxquelles ils se livrent constituent une vie heureuse, et cette vie n’est qu’une longue débauche dans le vin, l’ordure et l’oisiveté. Vous en pouvez voir quelques-uns, demi-morts, chancelants, couronnés de fleurs comme des amphores, et se passant l’un à l’autre de larges coupes de vin sous un vain prétexte de bienveillance ; d’autres, hébétés par la crapule, tout souillés, le visage pâle et livide, et ajoutant à l’ivresse de la veille encore une ivresse nouvelle. Il est bon, ô mes amis, il est bon que ce ridicule et misérable spectacle nous apprenne à détester ce vice et à régler et épurer nos mœurs, craignant de donner nous-mêmes aux autres ce même spectacle honteux.
On l’a dit avec grâce et justesse : le vin éprouve le cœur des hommes superbes comme l’eau brûlante de la fournaise éprouve le fer. L’excès du vin produit l’ivresse, qui enfante à son tour l’impudence crapuleuse, les dégoûts pesants et pénibles à eux-mêmes, et ces mouvements imprévus de la tête et des membres que la raison ne gouverne plus. La sagesse divine, méprisant cette vie, (si l’on peut appeler vie cette habitude oisive et lâche d’une passion qui éteint toutes les lumières de l’âme), recommande à ses enfants : « Ne sois pas parmi ceux qui s’enivrent de vin et qui se remplissent de viande ; car ceux qui se livrent au vin et qui apprêtent des banquets seront chassés de l’héritage de leurs pères ; la paresse sera vêtue de haillons. Le paresseux est celui qui ne veille point dans la sagesse, et que l’ivresse ensevelit dans le sommeil. Le débauché sera vêtu de haillons et deviendra à tous les yeux un objet de dégoût et de mépris. » Le pécheur, en effet, dont le corps est comme ouvert et déchiré par les passions, laisse voir à travers la honte de son âme, et les désirs impurs qui le dévorent et l’éloignent de plus en plus du salut. Voilà pourquoi le sage ajoute : À qui les désirs effrénés ? à qui l’emportement ? à qui les débats ? à qui les regrets inutiles ? Voyez le débauché déchirant lui-même son âme et son corps, mépriser la raison et s’abandonner à l’ivresse. Écoutez les nombreuses et terribles menaces que l’Esprit de Dieu leur adresse. Mais l’Écriture ajoute encore à ces menaces : « À qui les yeux livides ? » N’est-ce point à ceux qui passent leur vie dans les débauches du vin ? à ceux qui les aiment et les cherchent partout ? Ces yeux livides, signes de mort, témoignent qu’ils sont déjà morts devant Dieu. Car l’oubli des choses qui appartiennent à la véritable vie, cet oubli conduit à la mort. De là vient que le Pédagogue, plein de soin pour notre salut, nous crie avec force : « Ne buvez point jusqu’à l’ivresse. » Car comment prierez-vous, si vous êtes ivres ? « Votre bouche ne sait que des paroles impures, et vous ressemblez à un pilote couché et enseveli dans les profondes vagues de la mer. » Le vin, ajoute un poète, est comme un feu qui dévore le cœur de l’homme ; il le trouble, il l’agite, il le soulève avec la même fureur que les vents soulèvent les flots irrités. Il tire ses secrets du fond de son âme, et les répand sur ses lèvres par une maligne influence à laquelle il ne peut résister. Vous le voyez, c’est un naufrage prochain et inévitable. Le cœur est accablé par l’ivresse ; la force du vin est comparée à celle de la mer. Le corps y demeure enseveli comme un navire dans les vagues. La profondeur de sa honte égale la profondeur des flots. Le pilote, c’est-à-dire l’âme, enveloppé et jeté çà et là par la violence de la tempête, se trouve plongé dans de profondes ténèbres qui l’aveuglent, et il s’éloigne de plus en plus du port de la vérité, jusqu’à ce que, donnant contre des rochers cachés sous les flots, il s’y brise, et se perde lui-même dans le gouffre des voluptés.
« Ne vous livrez pas, dit l’apôtre, aux excès du vin d’où naît la dissolution. » L’ivresse et la luxure sont inséparables. Le fils de Dieu changea, il est vrai, l’eau en vin aux noces de Cana, mais il ne permit pas aux conviés de s’enivrer. Le mélange de l’eau et du vin dans le sacrement de l’Eucharistie représente l’union de la loi nouvelle et de la loi ancienne, union qui forme aujourd’hui le vrai culte offert par le Christ, et agréable à Dieu. L’eau est l’ancienne loi, le vin est le sang du Christ qui est le fondement de la loi nouvelle. Les soins de Dieu pour l’homme se sont suivis sans interruption depuis Adam jusqu’à nous. « Le vin est tumultueux et l’ivresse turbulente ; quiconque s’y livre ne sera jamais sage, » nous dit l’Écriture. Cependant on en peut boire en hiver contre le froid, et dans les autres saisons comme remède aux maladies de l’estomac. On mange pour apaiser la faim, ainsi on ne doit boire que pour se désaltérer. Enfin, il faut user du vin avec les plus grandes précautions, de peur de tomber, car il n’est rien de plus glissant et de plus dangereux que cet usage. Ainsi notre âme sera pure, sobre et lumineuse. La sobriété de l’âme en fait la sagesse et la force ; en cet état elle conserve toutes ses facultés contemplatives ; elle n’est point souillée des vapeurs malignes que le vin exhale, ni resserrée et épaissie, si je l’ose dire, en une masse inerte et flottant au hasard, comme les nuages. Pourquoi rechercher les vins de prix ? Est-il besoin, pour apaiser la soif, d’un vin ardent et fumeux ? Ces vins délicieux qu’on transporte à grands frais sur mer, de Lesbos, de Crète, de Syracuse, ou de quelques contrées de l’Égypte et de l’Italie, il les faut laisser à ces insensés, à qui le désordre de leurs désirs ôte la raison avant même que l’ivresse la leur ait ôtée. Les diverses qualités de ces vins sont innombrables comme leurs noms. Un homme modéré doit se contenter d’une seule espèce de vin. Le vin que produit son pays ne peut-il pas suffire à chacun ? Ou faut-il encore imiter ces rois insensés qui envoyaient, jusques dans l’Inde, chercher de l’eau du fleuve Choaspe, eau qui paraît, dit-on, aussi bonne à ceux qui en boivent que le meilleur vin aux ivrognes. L’Esprit saint, par la bouche du prophète Amos, proclame le malheur des riches. « Malheur à vous, leur dit-il, qui buvez un vin exquis dans de larges coupes, et qui vous étendez mollement sur des lits d’ivoire. » Il faut surtout respecter la pudeur et la bienséance.
La fable nous dit de Minerve qu’elle cessa de jouer de la flûte, parce qu’on n’en peut jouer sans que le visage s’enfle et se défigure. Quelle qu’ait été réellement cette Minerve, les païens en avaient fait la déesse de la bienséance. Il faut tenir la tête ferme en buvant, et ne pas la tourner de côté et d’autre ; avaler doucement et sans avidité, et prendre garde de rien répandre sur soi en buvant d’un seul trait. Quand on boit trop brusquement, on fait un bruit désagréable comme si l’on versait quelque liqueur dans un vase d’argile ; c’est donner aux assistante le spectacle le plus ridicule et le plus honteux. Rien, d’ailleurs, n’est plus nuisible que cette avidité. Pourquoi donc vous hâter de vous faire du mal ? on ne vous ôte point le verre, vous pouvez boire, il vous attend ; mais ne vous jetez point dessus, prenez-le posément, et buvez à votre aise. Votre soif s’apaise d’autant mieux par cette sage lenteur, que la boisson a le temps de descendre et de circuler librement dans tous vos membres ; et puis, en buvant ainsi, vous vous conduisez avec bienséance. Ce qu’on ôte à l’intempérance n’est pas perdu. « Ne mettez point votre force, dit le sage, à boire beaucoup. » L’excès du vin abrutit l’homme et le rend inutile. Les Scythes, les Celtes, les Ibères et les Thraces, nations belliqueuses, s’adonnent à l’ivrognerie, et croient que ce vice est honorable, et qu’il constitue le véritable bonheur de la vie ; mais nous, qui sommes une nation pacifique, nous éloignons de nous le tumulte et les injures, et nous buvons avec décence et sobriété, donnant à nos festins un nom convenable, image de la sainte amitié qui nous unit. Comment pensez-vous que le Seigneur a bu, étant homme ? Avec impudence, comme nous, ou avec honnêteté, tempérance et circonspection ? Sans doute, il a fait usage de vin ; car il l’a béni lui-même et il a dit : « Prenez, et buvez, ceci est mon sang, » le sang de la vigne. Le Verbe, répandu pour plusieurs et pour la rémission des péchés, est le symbole de la joie. Par la sobriété qu’il a montrée, il nous montre qu’elle doit être la nôtre. C’est bien le vin lui-même qu’il a béni, ses paroles le prouvent. En effet, il dit à ses disciples : « Je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai tout nouveau avec vous, dans le royaume de mon Père. » C’est bien du vin qu’il buvait, puisqu’il disait de lui-même, en reprochant aux Juifs la dureté de leur cœur : « Le fils de l’Homme est venu, mangeant et buvant, et ils disent : C’est un homme insatiable et adonné au vin, ami des publicains et des pécheurs. » Ces passages sont des preuves irréfragables contre les erreurs des Encratites.
Que les femmes surtout, se souvenant toujours de la pudeur et de la modestie convenables à leur sexe, ne plongent pas leurs lèvres dans de vastes coupes, et ne baissent pas indécemment la tête sur leur verre de manière à découvrir aux hommes ce qu’elles peuvent de leur cou et de leur sein, imitant leurs débauches et consumant leur vie dans les folles délices du luxe et de la table. Rien de ce qui est honteux et blâmable ne convient à l’homme, à plus forte raison à la femme, à qui la seule pensée de ce qu’elle est, doit inspirer la pudeur. « La femme qui s’enivre excite une grande colère, dit le sage. » Pourquoi ? Parce que sa honte et son ignominie ne seront point cachées. Pour elle, en effet, de la volupté au crime il n’y a qu’un pas. Nous ne défendons point l’usage des coupes d’albâtre, mais toute manière orgueilleuse de s’en servir. Nous voulons qu’on se serve des choses simplement et sans vanité, et qu’on prenne toutes sortes de précautions pour ne jamais rien faire contre la bienséance. Il ne faut en aucune manière permettre aux femmes de montrer nue aux hommes quelque partie que ce soit de leur corps, de peur que tous deux ne tombent, les uns en regardant avec avidité ; les autres en attirant avec plaisir ces regards avides. Il faut toujours agir, parler et se conduire comme en la présence de Dieu, de peur encore que l’apôtre, s’irritant contre nous comme autrefois contre les Corinthiens, ne nous dise : « Lors donc que vous vous assemblez comme vous faites, ce n’est plus manger la Cène du Seigneur. » On peut dire, il me semble, des gourmands, des impudiques et des ivrognes, que ce sont des monstres sans tête. Car leur raison ne siège plus dans leur cerveau ; mais dans leur ventre, où elle sert de jouet et d’esclave à la colère et à la cupidité. Semblables à cet Elpénor qui se cassa la jambe dans une chute qu’il fit étant ivre, leur cervelle, obscurcie par les fumées du vin, tombe dans le cœur et dans le foie ; c’est-à-dire dans la colère et dans la volupté avec plus de rapidité et de force que Vulcain, selon le dire des poètes ne fut précipité par Jupiter du ciel sur la terre. La fatigue, la veille, la colère, les tourments de toute sorte habitent avec l’homme insatiable. L’Écriture sainte nous apprend l’indécence que commit Noé dans l’ivresse, afin de nous détourner, par un exemple frappant, de ce vice honteux. Elle nous apprend aussi, dans le même but, que ceux qui couvrirent sa honte furent bénis de Dieu. Enfin Salomon a renfermé en un seul mot tout ce qu’on peut dire sur cette matière : « Un peu de vin suffit à un homme sensé et il dormira d’un sommeil paisible. »