Il faut bannir des tables, où la raison préside, les excès de toute sorte, et ces longues veilles surtout, qui se plaisent et s’allongent encore dans la médisance et la calomnie, les troubles et les injures. Loin de nous les chaînes honteuses dont nous lient ces nocturnes débauches ! Loin de nous l’amour et l’ivrognerie, passions viles et aveugles ! Les chants libres et déshonnêtes règnent de concert avec l’insolence, dans les festins licencieux. La veille excite l’ivresse, allume les sens, et inspire ainsi l’audace des choses honteuses. Ceux qui se plaisent aux sons lascifs des instruments de musique, aux chœurs, aux danses, aux applaudissements, à tous ces bruits tumultueux et vains, ne se plairont plus à la modestie, à la pudeur, à aucune règle de sagesse et de discipline ; devenus sourds, pour ainsi dire, à tout autre bruit qu’à celui de ces cymbales et de ces tambours, qui résonnent et retentissent à leurs oreilles pour les tromper et les séduire. Ces festins dissolus sont à mon sens un théâtre d’ivrognerie. « Quittons donc les œuvres de ténèbres, et revêtons-nous des armes de lumière ; marchons avec pudeur comme durant le jour, et non dans la débauche et dans les festins, dans les impudicités et dans les dissolutions, dans les querelles et dans les jalousies. » Laissons le chalumeau aux bergers, et la flûte aux adorateurs impurs des idoles. Ces instruments doivent être bannis de nos tables ; ils ne conviennent qu’à des brutes ou à des hommes privés de raison. On raconte des biches, que le son d’une flûte les apprivoise, et que les chasseurs les attirent, au bruit du chant, dans leurs filets. Lorsque les chevaux se mêlent aux cavales, on leur chante sur la flûte comme une sorte de chant d’hymen, dont les musiciens ont même fait un genre de musique. Il ne faut ni rien regarder, ni rien écouter de honteux ; et pour tout dire, en un mot, nous devons fermer dans notre âme tout accès à l’intempérance, prendre garde à nos yeux, prendre garde à nos oreilles, de peur que la volupté ne les chatouille ; fuir les chansons lascives ou trop tendres, et cet art impur d’une musique dégénérée, qui corrompt les mœurs et redouble l’ardeur de la débauche. Nous devons employer les instruments de musique à chanter les louanges de Dieu. « Faites retentir ses louanges, nous dit l’Esprit saint, au son de la trompette, sur la lyre et sur la harpe. Chantez-le en chœur, au bruit des tambours ; chantez-le sur l’orgue et sur tous les instruments à corde ; que l’air résonne du bruit de vos cymbales. Louez le Seigneur. »
Ces instruments dont parle l’Esprit saint, ce sont la bouche, le cœur, les lèvres et l’esprit de l’homme ; car l’homme est un instrument vraiment pacifique. Mais voulez-vous approfondir davantage cette matière, vous trouverez des instruments guerriers qui enflamment les passions, qui allument l’amour, qui irritent et font jaillir la colère. Les Étrusques, dans leurs guerres, emploient la trompette ; les Arcadiens, la flûte ; les Siciliens, une sorte d’instrument qu’ils appellent pectis ; les Crétois, la lyre ; les Spartiates, la flûte ; les Thraces, la trompe ; les Égyptiens, le tambour ; les Arabes, la cymbale. Les Chrétiens n’ont qu’un instrument, qui est le Verbe pacifique que nous offrons à Dieu pour l’honorer, ne nous servant plus de harpe, de trompette, de tambour et de flûte, comme avaient coutume de le faire les peuples avides de guerre et de sang, qui méprisèrent la crainte de Dieu et se réunirent en tumultueuses assemblées, n’épargnant ni soin ni harangues pour exciter leur fureur, ou la rallumer quand elle s’éteignait.
Une double bienveillance doit nous animer dans le festin. Si vous aimez le Seigneur votre Dieu et votre prochain comme vous-mêmes, vous louerez Dieu, d’abord, et lui rendrez des actions de grâces, ensuite vous vous montrerez doux et aimable envers votre prochain. « Que la parole de Jésus-Christ demeure en vous avec plénitude, » nous dit l’apôtre. Cette parole s’accommode et se rend conforme aux temps, aux lieux, aux personnes, et maintenant même elle converse dans les festins. « Instruisez-vous, ajoute l’apôtre, et exhortez-vous les uns les autres par des psaumes, des hymnes et des cantiques spirituels, chantant de cœur, avec édification, les louanges de Dieu. Quelque chose que vous fassiez, soit en parlant ou en agissant, faites tout au nom du Seigneur Jésus-Christ, rendant grâces par lui à Dieu le père. » Tels doivent être nos festins, pleins de grâces et d’une joie sainte. Si vous savez jouer du luth ou de la harpe, vous le pourrez faire sans mériter de reproche ; car vous imiterez ainsi ce saint roi des Hébreux, si agréable et si cher à Dieu. « Justes, nous dit ce saint prophète, célébrez le Seigneur dans des transports de joie. C’est aux cœurs droits de chanter ses louanges. Chantez le Seigneur sur vos harpes ; célébrez le Seigneur sur la lyre à dix cordes. Chantez à sa gloire un cantique nouveau. » Ce nombre dix, qui est le principe de tous les nombres, ne prouve-t-il pas que cet instrument est la figure du Verbe ?
Avant de manger comme avant de boire, il est juste de louer Dieu, qui a créé et qui nous donne toutes le choses dont nous nous nourrissons. Avant de nous livrer au sommeil, il est pieux, il est saint de lui rendre grâces pour tous les bienfaits que nous en avons reçus, et afin de dormir paisiblement sous sa divine protection. Célébrez donc ses louanges ; son ordre a tout créé, et aucun de ses ouvrages n’est imparfait ni défectueux. Les anciens Grecs, au milieu de leurs festins et des vases pleins de vin, chantaient, à l’imitation des psaumes des Hébreux, des chansons qui avaient un nom particulier, et que tous répétaient ensemble et d’une seule voix, s’excitant encore à boire les uns les autres dans les intervalles de ce chant. Ceux d’entre eux qui étaient plus habiles dans l’art musical jouaient en même temps de la lyre. Mais loin de nous les chants amoureux ; nous ne devons chanter que les louanges de Dieu. « Qu’ils chantent son nom en chœur, nous dit le prophète ; qu’ils le proclament sur le tambour et la cithare ; que sa louange réside dans l’assemblée des saints ; qu’Israël se réjouisse dans son Créateur ; que les filles de Sion se réjouissent dans leur roi. » Et le prophète ajoute aussitôt : « Parce que le Seigneur se complaît dans son peuple. » Nous admettons donc une harmonie modeste et chaste ; mais nous tenons aussi loin que possible, de nos pensées fortes et généreuses, une musique molle et énervante dont les concerts, étudiés et artificieux, nous conduiraient bientôt à la honte d’une vie molle et désordonnée. Les sons graves et sévères bannissent l’impudence et l’ivrognerie. Ce sont ceux qu’il faut employer, et laisser les sons énervants de la musique chromatique aux débauchés qui se couvrent de fleurs et se vautrent dans l’insolence et dans le vin.