a La distribution générale de la matière dans cet évangile ne peut différer beaucoup de celle que nous avons trouvée dans Matthieu. Comme le dit Renan (Les Evangiles, p. 114) : « les lignes générales, l’ordre du récit n’étaient plus à fixer. » Cet ordre s’imposait : C’était :
a – Je dois en commençant cette étude m’excuser de deux choses : premièrement, de devoir dans quelques cas citer plusieurs fois le même passage à l’occasion des différentes faces du sujet traité ; deuxièmement, de ne traiter ici qu’en passant les questions relatives à l’origine du second évangile, particulièrement celle du Proto – et du Deutéro-Marc. Ce sujet a sa place dans le Ve chapitre de cette partie où doit être discutée la question de la relation entre nos trois synoptiques.
- la préparation de l’avènement messianique par le ministère de Jean-Baptiste
- l’avènement messianique
- le ministère galiléen
- le voyage de Galilée à Jérusalem
- le ministère dans cette capitale
- la Passion
- la Résurrection.
Ce cadre de Matthieu, nous le retrouvons chez Marc, avec la différence que dans Matthieu ces six périodes sont précédées par les récits de l’enfance, de sorte que le premier évangile contient sept parties principales et le second six seulement.
Le commencement du livre est étrange et sans exemple ; c’est comme une exclamation : « Commencement de la prédication de la bonne nouvelle » (qui est maintenant arrivée jusqu’à vous, lecteurs de cet écrit) ! Le mot ἀρχή, commencement, me paraît être grammaticalement l’apposition anticipée du fait mentionné v. 4 : Jean parut. Le ministère de Jean a été, en effet, l’ouverture de la prédication de la bonne nouvelle dans le monde entrer. Ce terme : « commencement de la prédication évangélique, » est appliqué par plusieurs, entre autres Klostermann et Zahn, non au ministère de Jean-Baptiste, dont la mention suit immédiatement, mais à la prédication de Jésus, telle qu’elle est renfermée dans ce livre entier, en ce sens que Jésus n’a fait que commencer cette œuvre de la prédication évangélique, continuée ensuite par les apôtres ; comparez le ἤρξατο (Actes 1.1) et le ἀρχὴν λαβοῦσα (Hébreux 2.3). Contre l’application du mot commencement au ministère de Jean-Baptiste, Zahn cite Actes 10.37, passage d’après lequel la prédication évangélique n’aurait pas commencé avec, mais après le baptême de Jean. Mais le baptême de Jésus par Jean-Baptiste, point de départ de son œuvre, fait certainement encore partie du ministère de Jean ; il y a précisément en ce point simultanéité autant que succession. Il me paraît bien plus naturel d’appliquer le terme de commencement à ce qui suit immédiatement, c’est-à-dire au récit du ministère de Jean-Baptiste, qu’au livre entier. Comment les lecteurs auraient-ils pensé à la continuation de l’œuvre de Jésus par les apôtres ! C’est ce que confirment les deux prophéties qui sont immédiatement après alléguées par Marc et qui toutes deux se rapportent au ministère de Jean-Baptiste, et nullement à celui de Jésus. Elles signalent l’apparition du précurseur comme un fait perçu à l’avance par l’œil prophétique, par conséquent comme divinement ordonné et souverainement important. De ces deux prophéties Jean s’était publiquement appliqué lui-même l’une (Jean 1.23 ; comparez Matthieu 3.3) ; l’autre lui avait été, non moins publiquement, appliquée par Jésus-Christ (Matthieu 11.10 ; Luc 7.27). On comprend donc facilement qu’elles aient été réunies dès le commencement pour faire partie, selon l’expression de Weizsæcker (Unters., p. 24, note), « du procédé de démonstration messianique (messianisches Beweisverfahren) » usité dans la prédication apostolique. On les citait sans doute ensemble, puisque, comme l’a bien montré Klostermann, la voix qui crie dans le désert (v. 3) n’est autre que le messager divin lui-même annoncé au v. 2, et Marc les a réunies, comme si elles n’en formaient qu’une seule, soit par mégarde, soit qu’il jugeât inutile de nommer spécialement le moins connu des deux prophètesb. Cette citation prophétique est la seule qui se trouve dans l’évangile de Marc (celle d’Esaïe 53 dans le passage 15.28 est inauthentique), circonstance qui ne provient pas seulement de ce que cet évangile était destiné à des païens, étrangers aux Ecritures, mais peut-être tout autant de ce que dans le sentiment de l’auteur Jésus n’avait pas besoin d’autre signalement que sa propre personne. Pour que Jésus soit reconnu comme ce qu’il est, il suffit qu’il soit montré. Cette pensée est à elle seule tout l’écrit de Marc. L’avènement de Jésus au sein de son peuple s’est accompli par trois faits qui forment le contenu de cette première partie.
b – Le vrai texte est certainement : « dans Esaïe le prophète, » et non « dans les prophètes. »
- Le ministère de Jean-Baptiste qui, en appelant le peuple à la repentance et au baptême d’eau, s’efforce d’éveiller chez lui le besoin d’un salut spirituel, tel que celui que Jésus va lui apporter (v. 4 à 8) ;
- Le baptême de Jésus qui, par les signes extraordinaires qui l’accompagnent, sert à signaler à Jésus lui-même, puis à Jean, et, par le témoignage de Jean, à tout le peuple, qu’il est Fils de Dieu et Messie (v. 9 à 11) ;
- La tentation, racontée par Marc sous une forme très abrégée, mais en ajoutant cependant aux récits des deux autres synoptiques un trait particulier, le respect des animaux du désert pour la personne sacrée de Jésus (v. 12 et 13).
Marc commet ici la même inexactitude que Matthieu, en faisant de l’emprisonnement de Jean-Baptiste la raison du retour de Jésus en Galilée et du commencement de son activité publique. Il signale d’un mot le contenu essentiel de la prédication initiale de Jésus ; c’était une simple continuation et confirmation de la prédication de Jean (v. 15) ; puis il montre Jésus commençant sa propre œuvre en appelant quelques disciples, destinés à l’accompagner habituellement et à former le noyau du peuple particulier qui devait dès ce moment se grouper autour de sa personne (v. 16-20). L’exposé suivant du ministère galiléen se présente chez Marc sous la forme d’une succession de courses d’évangélisation, qui ont chaque fois pour point de départ et de retour la ville de Capernaüm.
A. Premier séjour à Capernaüm (1.21-38).
Ce moment correspond à Matthieu 4.12 et suiv., où Jésus quitte Nazareth pour venir fixer son domicile à Capernaüm. Au jour du sabbat a lieu une scène importante, omise dans Matthieu, la première prédication dans la synagogue et la guérison d’un démoniaque, qui produit une sensation immense. Suit la guérison de la belle-mère de Pierre dans la maison de celui-ci et le tableau des nombreuses guérisons opérées le soir même après la clôture du sabbat. Le lendemain matin, retraite de Jésus dans la solitude ; Pierre et les disciples le cherchent et le rappellent auprès de la foule déjà assemblée. Jésus leur déclare son intention d’évangéliser aussi la contrée d’alentour. Ces détails simples et précis proviennent certainement d’un témoin de ces premiers jours, par lesquels s’est ; ouvert le ministère de Jésus.
B. Première excursion et premier retour à Capernaüm (1.39 à 4.34).
De cette première course d’évangélisation dans les bourgades du voisinage, Marc ne nous raconte qu’un seul trait, la guérison du lépreux. Puis il décrit avec beaucoup d’entrain l’attroupement des multitudes, qui force Jésus à éviter les villes pour se tenir autant que possible dans des endroits écartés. Rentré à Capernaüm, Jésus est comme assiégé dans sa demeure par une foule qui en remplit les abords. Ainsi s’explique le récit de la guérison du paralytique, qui ne peut parvenir jusqu’à lui qu’en se frayant un chemin par le toit de la maison. Dès ce moment se déclare l’hostilité naissante du parti des chefs. Dans une course au bord de la mer Jésus jette hardiment le gant à ses adversaires en appelant à le suivre le péager Lévi ; celui-ci lui offre dans sa maison un banquet où il invite les autres péagers. Entretiens remarquables à cette occasion sur le jeûne, sur l’époux qui doit être bientôt enlevé et sur le caractère radicalement nouveau de l’œuvre qui commence. Deux scènes sabbatiques, l’une dans la campagne, à l’occasion de la liberté que prennent les disciples de froisser des épis et d’en manger les grains ; l’autre dans une synagogue, au sujet d’une guérison dont se scandalisent les adversaires de Jésus, au point qu’ils complotent déjà de le faire mourir. Retiré sur la montagne où il est suivi par les foules, Jésus s’entoure des douze apôtres, qu’il vient de choisir, puis il rentre à Capernaüm. L’hostilité s’accroît ; les pharisiens allèguent ses guérisons de possédés pour l’accuser de complicité avec Béelzébub. Discours justificatif de Jésus. Arrivée de sa mère et de ses frères qui veulent le ramener à la maison parce qu’on le fait passer pour fou. Commencement de l’enseignement en paraboles (semeur, épi, grain de sénevé) et explication sur le but de ce mode nouveau d’enseignement.
C. Deuxième excursion et deuxième retour (4.35 à 5.43).
Jésus se rend sur la rive orientale du lac ; c’est le moment de quelques-uns de ses plus grands miracles, l’apaisement de la tempête et la guérison du démoniaque de Gadara. Retour sur la côte occidentale et nouveau séjour à Capernaüm : course au bord de la mer ; Jaïrus l’appelle auprès de sa fille mourante ; guérison d’une femme malade et résurrection de l’enfant.
D. Troisième excursion et troisième retour (6.1 à 7.23).
Jésus se dirige maintenant à l’ouest, sur les plateaux qui dominent la rive occidentale du lac. Il envoie les Douze deux à deux dans les districts environnants pour réveiller l’attention du peuple galiléen et en même temps pour préparer les apôtres eux-mêmes à leur mission future. Hérode entend parler de l’effet, produit par son ministère, et à cette occasion Marc intercale ici, ainsi que Matthieu, le récit du meurtre de Jean-Baptiste. Retour des Douze ; Jésus cherche la solitude, non par crainte d’Hérode, comme on l’a dit assez légèrement, puisque dès le lendemain il revient en Galilée. Multiplication des pains et marche sur les eaux ; nombreuses guérisons dans la plaine de Génézareth ; discussion (après le retour à Ca-pernaüm) sur la purification, avec les scribes venus de Jérusalem.
E. Quatrième excursion et quatrième retour (7.24 à 8.26).
Désireux de se trouver seul avec ses disciples, – désir qui avait été contrarié, lors de l’excursion précédente, par l’arrivée inattendue des troupes, – Jésus se rend vers l’extrémité nord-ouest de la Terre-Sainte, jusqu’en Phénicie. Mais il est obligé encore cette fois de céder à l’insistance de la femme cananéenne qui a découvert sa retraite, et qui fait connaître sa présence. Il revient à Capernaüm en passant par la contrée non encore visitée, située à l’orient du haut Jourdain et du lac de Génézareth ; guérison d’un sourd-muet ; seconde multiplication des pains ; demande d’un signe dans le ciel de la part des pharisiens ; malentendu des disciples à l’occasion de la mise en garde contre le levain des pharisiens ; reproche humiliant de Jésus à ce sujet ; guérison de l’aveugle de Bethsaïda.
F. Cinquième excursion et cinquième et dernier retour (8.27 à 9.50).
Bien décidé à trouver enfin le moment de s’entretenir intimement avec ses apôtres, afin de les instruire de l’état de son œuvre qui approche de sa fin et de les préparer à la catastrophe au-devant de laquelle ils marchent sans s’en douter, Jésus les conduit maintenant droit au nord, vers le district montagneux des sources du Jourdain, à l’extrémité septentrionale de la Terre-Sainte. Là, dans le voisinage de Césarée de Philippe (aujourd’hui Banias), a lieu l’entretien tant de fois désiré. Après les avoir invités à formuler l’opinion populaire sur son compte, puis leur propre sentiment au sujet de sa personne et de sa mission, et avoir constaté par la profession de Pierre la conviction qui s’est formée en eux de sa dignité messianique, il leur ouvre en quelque sorte un nouveau chapitre de son enseignement sur lequel il lui importait surtout de les éclairer ; ils ont foi en lui, comme étant le Christ ; il leur apprend maintenant de quelle manière et dans quel sens il doit l’être ; il leur révèle pour la première fois expressément le douloureux mystère du Christ souffrant, humilié, rejeté, crucifié. La sympathie, peut-être aussi l’orgueil de Pierre, se révoltent contre cette perspective imprévue et terrifiante. Jésus lui ferme la bouche par une réprimande sévère ; puis il profite de cette circonstance pour faire comprendre non seulement aux apôtres, mais encore aux autres personnes qui les accompagnent, que la vie à laquelle il appelle ceux qui veulent marcher à sa suite, n’est pas la participation à un règne glorieux, mais le crucifiement volontaire et journalier de soi-même. Les voyant tous consternés, Jésus, afin de combattre le découragement profond dans lequel menace de les plonger cette révélation, prend à part les trois principaux d’entre eux, ceux qui donnent le ton à tous les autres, et les conduit sur la montagne voisine, où il est transfiguré à leurs yeux et où ils reçoivent par la voix de Dieu lui-même l’ordre de le suivre avec confiance, quel que soit le chemin par lequel il les conduit. – Suivent la guérison de l’enfant lunatique, le lendemain, au pied de la montagne, puis le retour au sud, avec une nouvelle confirmation de l’annonce de la Passion. Une altercation s’élève entre les disciples, remplis encore, malgré toutes les leçons de leur Maître, de leurs espérances de grandeur terrestre. Arrivée à Capernaüm. Interrogation de Jésus au sujet de la dispute que les disciples ont eue en chemin ; silence plein de confusion de ceux-ci ; Jésus leur présente un enfant comme le type de la vraie grandeur dans son royaume, et leur fait envisager l’amour des plus petits comme le vrai chemin de la première place. Puis il leur reproche la dureté avec laquelle ils avaient traité un inconnu qui chassait les démons en son nom et dont ils ont peut-être scandalisé la foi naissante. Il les exhorte à tourner désormais contre eux-mêmes la sévérité qu’ils ont déployée envers cet homme et les uns envers les autres. C’est par le sacrifice de leurs penchants naturels qu’ils doivent apprendre à exercer l’énergie sainte qu’ils sont appelés à déployer. – Il y a là un épisode très remarquable et instructif de l’histoire évangélique ; on ne peut en effet reconstruire complètement l’ensemble de cette scène qu’en rapprochant du récit de Marc les faits relatifs à cette même circonstance dont quelques traces sont demeurées dans les deux autres évangiles ; à comparer avec soin Matthieu 18.21-35 et Luc 9.46- 50.
Ce voyage se présente dans le second évangile comme la grande excursion finale à laquelle devaient aboutir toutes les pérégrinations précédentes de plus en plus lointaines. Dans ce voyage Jésus parcourt d’abord la Galilée méridionale, jusqu’ici laissée de côté ; puis il traverse du nord au sud la Pérée qu’il n’avait fait encore qu’effleurer. Marc ne mentionne que les faits suivants : L’entretien sur le divorce ; l’accueil plein de tendresse accordé aux petits enflants ; l’entretien avec le jeune riche ; une nouvelle confirmation de la Passion prochaine ; la prière des fils de Zébédée, suivie d’une nouvelle instruction sur la vraie grandeur ; l’arrivée à Jéricho, avec la guérison de l’aveugle Bartimée. Du contenu de Matthieu sont omis les traits suivants : l’objection des apôtres à l’interdiction du divorce et la réponse de Jésus ; la promesse faite aux apôtres d’une position glorieuse dans la rénovation attendue et la parabole des ouvriers successivement appelés et également rétribués.
D’après Marc, l’entrée royale de Jésus à Jérusalem ne doit avoir eu lieu qu’assez tard dans la journée appelée « Jour des Rameaux ; » car Jésus se borne ce jour-là à contempler silencieusement le temple et ce qui s’y passe, à la dernière lueur du soir ; puis il s’en retourne avec les Douze à Béthanie où il passe la nuit. Le lendemain, au matin, en rentrant à Jérusalem, il maudit le figuier chargé de feuilles, mais dépourvu de fruits. A son arrivée au temple, il chasse les vendeurs et fait cesser le scandale causé par ceux qui traversaient le parvis pour leurs affaires particulières, en rappelant que c’est là le lieu d’adoration expressément réservé pour les païens, mais qui, par la permission des chefs, est changé en une caverne de voleurs. C’est ici que Marc, d’accord avec Matthieu et Luc, place l’expulsion des vendeurs qui d’après Jean aurait marqué l’ouverture du ministère de Jésus à Jérusalem (Jean 12.1 et suiv.). Poussés à bout par cet acte hardi, les chefs cherchent comment ils pourraient faire mourir Jésus ; mais ils sont embarrassés par l’admiration que témoigne pour lui le peuple. Le lendemain de ce jour où Jésus a fait en quelque sorte la police du temple, les disciples, en revenant de Béthanic, lui font remarquer la dessication du figuier, maudit le matin précédent, et Jésus leur révèle à cette occasion la puissance de la foi. Cette troisième journée de Jésus dans le temple est riche en faits de la plus haute gravité : Interrogatoire officiel auquel procèdent les délégués du Sanhédrin touchant la compétence que s’arroge Jésus ; celui-ci leur fait sentir par une contre-question relative à son précurseur leur propre incompétence à juger de ce fait ; puis il leur dévoile par la parabole des vignerpns la vraie cause de leur hostilité contre lui, et il leur met par avance sous les yeux le tableau saisissant du crime qu’ils se préparent à commettre. D’autres pièges savamment combinés se succèdent. Les pharisiens arrivent avec une question politico-religieuse, celle du tribut à payer à l’empereur, question dont la réponse ne peut, semble-t-il, que perdre Jésus, en le compromettant absolument soit auprès du peuple, soit vis-à-vis de l’autorité romaine. Suit l’interrogation moqueuse et profane des Sadducéens au sujet de la résurrection des corps ; enfin une question plus sérieuse lui est adressée par un scribe bien disposé, au sujet du commandement le plus important. A cette espèce d’examen qu’il vient d’avoir à subir de divers côtés, Jésus répond en adressant lui-même aux scribes une question : ils donnent au Messie le titre de fils de David ; cornent cela s’accorde-t-il avec le Psaume 110, où David lui-même appelle le Messie son Seigneur ? Les adversaires se taisent ; la seule réponse possible aurait été un démenti donné à l’accusation de s’être arrogé le titre de Fils de Dieu, au moyen de laquelle ils se préparent à le condamner. Le silence des adversaires occasionne de la part de Jésus quelques paroles sévères adressées au peuple sur le caractère orgueilleux, cupide et hypocrite des scribes. Après toutes ces scènes, Jésus s’assied dans le parvis en face des troncs où la piété israélite dépose ses offrandes et fait ressortir la supériorité morale de la faible aumône d’une veuve indigente sur les gros dons des autres Juifs.
Puis, après avoir annoncé dans le temple même la destruction prochaine de ce sanctuaire indignement profané, il en sort pour la dernière fois. C’est le soir ; retiré sur la montagne des Oliviers, il initie ses quatre disciples les plus intimes, Pierre, Jacques et Jean, auxquels cette fois est adjoint André, à l’état des choses par lequel passera le monde entre sa mort prochaine et son retour futur (ch. 13). Son départ sera suivi d’une période troublée par des guerres, des famines, des pestes, des tremblements de terre, enfin par des persécutions qui atteindront les croyants de la part des Juifs et des païens ; mais tout cela n’empêchera pas l’Eglise d’accomplir sa mission et de rendre témoignage à l’Evangile dans tout le monde. Au milieu de ces temps d’angoisse surviendra l’événement terrible au sujet duquel ils l’ont interrogé, la destruction du peuple d’Israël, de sa capitale et du temple. Rien cette fois ne pourra prévenir cette catastrophe ; il ne restera aux croyants qu’à chercher à y échapper à temps par la fuite. A la suite de ce jugement viendront, des temps caractérisés par deux traits : attente anxieuse du Messie absent ; séductions exercées par de faux prophètes et de faux Christs qui, au moyen de prétendus miracles, s’efforceront d’entraîner après eux les fidèles. Enfin, au terme de cet état de luttes religieuses et d’attente anxieuse, aura lieu avec grand éclat l’apparition du Fils de l’homme. Il importe de se préparer dès maintenant à ce retour, dont l’époque est inconnue de Jésus lui-même, par une vie de prière, de vigilance et de tempérance. Le jour de cette venue du Christ, qui reste le secret du Père, pourra tarder longtemps, comme tarde le retour d’un maître que les siens espèrent déjà le soir, mais dont l’arrivée attendue en vain durant les veilles de la nuit n’a lieu qu’au matin, lorsque déjà on commence à désespérer (13.34-37)c. – Malgré les nombreux détails par lesquels ce discours diffère de celui de Matthieu ch. 24, la marche générale est la même. La différence est beaucoup plus grande avec Luc, chez lequel ce discours est partagé en deux enseignements complètement distincts, et qui se trouvent placés dans des situations et amenés par des circonstances tout à fait différentes, comparez 18.-20 et suiv. (sur la Parousie seule) et 21.7 et suiv. la ruine de Jérusalem et la Parousie réunies).
c – Sur ce discours, ⇒.
Le récit de Marc marche ici parallèlement à celui de Matthieu, lors même qu’il en diffère par un certain nombre de traits. Il commence par la trahison de Judas ; puis, comme dans le récit de Matthieu, est placé ici, par un retour en arrière (voir Jean 12.1), le repas de Béthanie où eut lieu l’onction de Marie. Suivent les récits du dernier souper et de l’institution de la Cène, de l’angoisse de Gethsémané et de l’arrestation de Jésus. Ici est mentionné l’épisode du jeune homme qui échappe nu aux mains des huissiers. Suivent, comme dans Matthieu, la comparution de Jésus devant le Sanhédrin et sa condamnation, le reniement de saint Pierre, la confirmation de la sentence de mort arrachée à la faiblesse de Pilate, le crucifiement et l’inhumation. Pas une prophétie n’est citée à l’occasion de ces faits. Les principales différences entre Marc et Matthieu dans cette partie sont celles-ci : Marc omet la parole significative : « Mon temps est proche, » et la menace contre « ceux qui frapperont par l’épée ; » il omet encore le récit du désespoir et de la mort de Judas, le message de la femme de Pilate, l’ablution des mains de celui-ci et les apparitions des ressuscités. En échange, il a seul l’interrogatoire du centenier par Pilate avant de livrer le corps à Joseph. Il distingue entre les deux chants du coq et entre les deux servantes dans le récit du reniement.
Le premier jour de la semaine, de grand matin, mais après le lever du soleil, les femmes se rendent au tombeau. Un ange leur annonce la résurrection et leur promet qu’elles reverront Jésus en Galilée, en les chargeant d’annoncer cette nouvelle aux disciples, et en ajoutant expressément : et à Pierre. Elles s’enfuient effrayées, et dans leur tremblement et leur extase, elles gardent le silence vis-à-vis des disciples. – Marc omet ici plusieurs traits mentionnés par Matthieu : la fermeture du sépulcre par les chefs, l’ange roulant la pierre du sépulcre, l’apparition de Jésus lui-même aux femmes, enfin la corruption des gardiens par les sacrificateurs. Il désigne par son nom de Salomé la mère de Jacques et de Jean. Me trompé-je en pensant que la plupart de ces différences sont à l’avantage du récit de Marc ? On sent que les faits qu’il omet sont plutôt des additions au récit traditionnel primitif que des omissions de la part de Marc. La conservation de la parole : « Mon temps est proche, » dans Matthieu, est la seule supériorité de celui-ci.
Avec 16.8, se termine le second évangile dans les deux plus anciens manuscrits, le Vaticanus et le Sinaïticus, dans la plupart des Mss. de l’ancienne traduction latine d’autres documents encore. Mais il est bien évident que ce ne peut avoir été là la fin du récit, dans l’intention de l’auteur. Il avait annoncé une apparition de Jésus aux femmes et aux disciples, et il ne pouvait raisonnablement terminer sans l’avoir racontée ou mentionnée, ou du moins sans avoir expliqué pourquoi elle n’aurait pas eu lieu. Cependant il est clair aussi que l’emploi public de notre évangile dans les églises ne permettait pas de laisser le récit ainsi suspendu, et c’est pourquoi de très bonne heure, dès le commencement du second siècle, une fin de notre évangile aurait été ajoutée. Bien des apparences feraient penser que l’on s’est servi pour cela des autres récits évangéliques. En effet le morceau 16.9-20, qui forme pa conclusion actuelle, a le caractère d’une compilation. Le v. 9 n’a aucun rapport avec le v. 8 et forme un commencement tout nouveau dans lequel il est aisé de reconnaître un emprunt fait à Jean 20.1 et suiv. Dans ce qui suit, v. 12-13, on reconnaît un extrait du récit de l’apparition aux deux disciples d’Emmaüs (Luc 24.13-33). La troisième apparition, mentionnée v. 14-18, qui eut lieu le jour de la Résurrection devant les disciples réunis pour le repas du soir, rappelle celle qui est racontée 24.36 et suiv. et Jean 20.19 et suiv., non sans quelques traits particuliers à Marc, comme l’annonce des vertus miraculeuses qui confirmeront la prédication des disciples. Le v. 15 rappelle l’ordre de Matthieu 28.19 ; le v. 16, l’institution du baptême, plus détaillée dans Matthieu v. 19-20, ainsi que la parole Jean 3.18. – Le dernier fragment, v. 19-20, résume le récit de l’Ascension et le départ des disciples, après la Pentecôte, d’après la fin de Luc et le commencement des Actes.
Malgré cela, ce morceau n’en forme pas moins un tout bien gradué et bien lié, comme nous le verrons. Sur l’origine de cette conclusion, que présente le texte reçu, ainsi que sur celle de deux autres qui se lisent dans quelques documents, voir à la section sur l’intégrité de notre évangile.
Il s’agit surtout ici de la marche du ministère galiléen, car pour les autres parties l’ordre général est déterminé suffisamment dans les trois récits par le cours même des événements.
Hilgenfeld distingue sept sections dans le récit du ministère galiléen :
- débuts favorables (1.14-45)
- premiers conflits (2.1 à 3.6)
- lumière et ombres (3.7-35)
- paraboles (4.1-34)
- crainte produite par les grands miracles (4.35 à 5.43)
- inintelligence des disciples (6.1 à 7.26)
- victoire de la connaissance (8.27 à 9.50).
Il est aisé de voir combien cette classification est contraire à la simplicité et à la naïveté du récit ; elle est en elle-même très artificielle. Comment faire rentrer naturellement sous la rubrique lumière et ombres, les miracles qui précèdent l’élection des Douze, et cette élection elle-même ? Comment ranger sous la notion de la crainte inspirée par les miracles de Jésus la guérison opérée à Gadara, celle de la femme malade et la résurrection de la fille de Jaïrus ? Le titre : inintelligence des disciples, ne s’applique qu’à quelques-uns des faits compris sous ce thème. Enfin, est-il possible de rapporter à la notion de victoire de la connaissance l’attitude des disciples en face de l’annonce répétée de la Passion, et leur discussion sur la question de savoir lequel d’entre eux sera le plus grand ?
Weiss propose un plan plus simple et un peu plus conforme aux faits :
- admiration pure, au début (1.21-45)
- naissance du conflit (2.1 à 3.6)
- séparation des éléments opposés (3.7 à 6.13)
- accroissement de l’hostilité (6.14 à 8.26)
- Jésus commence à se retirer pour se consacrer à l’instruction de ses disciples, dont il a constaté l’inintelligence (8.27 à 10.45).
Tel a bien été sans doute le cours des choses, mais la question est de savoir si ce cadre était bien celui qui était présent à l’esprit de l’auteur quand il écrivait son récit. Comment ranger des faits comme la guérison du démoniaque de Gadara, la résurrection de la fille de Jaïrus, la mission des Douze, sous ce titre : séparation des éléments opposés ? Ou qu’a à faire la guérison de l’aveugle de Bethsaïda avec l’inintelligence des disciples ? La guérison de l’enfant lunatique, l’entretien avec les Pharisiens sur le divorce, l’histoire du jeune homme riche, tous ces faits, malgré les enseignements que Jésus y rattache, se succèdent naturellement à un point de vue purement historique, sans qu’on puisse les réunir logiquement en certains groupes rationnels. Mais l’erreur capitale de Weiss dans l’analyse du second évangile, aussi bien que dans celle du premier, me paraît être la négation du point d’arrêt qui, à la fin du chapitre 9, marque chez Marc, tout comme à la fin du chapitre. 18 chez Matthieu, le terme du récit de l’activité galiléenne et ouvre la période finale de l’œuvre de Jésus, en Pérée d’abord, puis en Judée. Le plan tracé par Weiss peut convenir à une vie de Jésus, mais ne s’adapte pas à un récit aussi simplement historique que celui de Marc.
Le groupement proposé par Ritschl, grâce à sa plus grande généralité, s’accorde plus aisément avec la succession des faits :
- débuts favorables (1.1-39) ; après quoi, se dessinent deux courants distincts :
- la relation avec le peuple prenant le caractère d’un conflit toujours croissant (1.40 à 3.12)
- la relation avec les disciples devenant toujours plus intime (3.13 à 9.50).
Ces trois idées dominent sans doute la narration, mais il serait difficile de montrer qu’elles aient déterminé d’une manière quelconque l’ordre des récits particuliers.
D’après Klostermann, notre évangile comprend deux parties qui commencent chacune par la personne de Jean-Baptiste et aboutissent toutes deux à une mission des apôtres. Le premier (1.2 à 6.13) s’ouvre par le ministère du Baptiste et aboutit à la mission des Douze en Galilée ; le second (6.14 à 16.8) s’ouvre par la mort, non suivie de résurrection, du Baptiste, récit auquel correspond celui de la mort de Jésus, suivie de résurrection, et la mission des disciples dans le monde entier. Ce plan ingénieux a le tort de l’être trop.
Nösgen, dans le Kurzgefasster Commentar zum N.T. de Strack et Zöckler, trouve le commencement de la seconde partie de l’évangile de Marc dans 8.31, qui répondrait à 1.14, commencement de la première. Mais le ἤρξατο, il commença, de 8.31, n’est pas l’indice suffisant d’une grande division réfléchie ; car ce terme est fréquemment employé par Marc, une douzaine de fois (par exemple 1.45 ; 4.1 ; 5.17,20, etc.), sans qu’il ait une valeur aussi décisive ; et en particulier dans le passage 8.31, il existe une liaison étroite entre ce qui suit et ce qui précède immédiatement, la transition de l’idée de Χριστός (v. 30) à celle du χριστὸς παθητός ; (v. 31). Néanmoins, je pense que si l’on veut absolument placer quelque part une division rationnelle, ce serait bien à cette manière de voir qu’il faudrait se rattacher.
Zahn (Einl. II, 223 et suiv.) indique la division suivante :
- 1.14-15, le programme
- 1.16-45 : première section
- 2.1 à 3.16 : seconde ;
- 3.7 à 6.13 : troisième
- 6.14 à 10.52 : quatrième
- 11.1 à 16.8 : cinquième.
Cependant il reconnaît lui-même que la matière de cette dernière section n’est plus dominée par l’idée de l’ensemble : la parole du Christ à porter au monde entier (1.1). Le caractère purement historique de tout l’ouvrage ressort clairement dans cette partie.
Tous ces essais d’imposer au récit de Marc un plan rationnel contrastent tellement avec le caractère simplement historique de cette narration que nous nous trouvons ramenés par là avec plus de conviction au maintien de la marche à laquelle nous a conduit l’étude du livre lui-même, du moins pour le tableau de l’œuvre galiéenne dont il s’agit surtout ici. L’œuvre de Jésus, après avoir commencé à Capernaüm, s’est développée dans une série de courses d’évangélisation partant de ce centre et l’y ramenant chaque fois, courses de plus en plus lointaines ; la première, dans les environs de cette ville ; la seconde, sur la côte orientale de la mer de Tibériade ; la troisième, sur les hauteurs du plateau occidental ; la quatrième, vers limite nord-ouest de la Terre-Sainte ; la cinquième et dernière, vers l’extrémité septentrionale du pays. Il ne restait plus à Jésus après cela qu’à étendre son évangélisation à la Pérée d’abord (à l’est de la Galilée), et enfin à la Judée, au sud. Les excursions en Galilée, qui se terminent toutes par un retour à Capernaüm, forment la première partie du livre (ch. 1 à 9) ; le voyage par la Pérée et le séjour à Jérusalem forment la seconde (10.1 à 16.8). On voit comment dans Marc la seconde partie se rattache naturellement, comme dernière pérégrination, à la première dans laquelle avait été retracée l’extension progressive de l’œuvre galiléenne.
C’est sous cette forme d’une évangélisation ambulante et bienfaisante que Pierre contemplait l’œuvre de son Maître quand il prononçait chez Corneille ces paroles (Actes 10.37-38) : « Vous savez ce qui est arrivé dans toute la Judée et qui a commencé par la Galilée… : comment Dieu a oint du Saint-Esprit et de puissance Jésus de Nazareth, qui allait de lieu en lieu faisant du bien et guérissant ceux qui étaient opprimés par le diable, parce que Dieu était avec lui. »
Ce n’est pas à dire assurément que dans le cadre si simple et si naïvement historique dans lequel l’auteur replace les faits, il n’ait pas contemplé et décrit l’œuvre spirituelle qui s’accomplissait et dont on constate clairement, chez lui aussi, les diverses phases : l’enthousiasme populaire des premiers jours, la décroissance lente et graduelle de ce premier élan dans la masse du peuple, la haine croissante des adversaires, la maturité progressive de la foi chez les disciples par la vue journalière des œuvres de Jésus et l’audition de ses enseignements ; enfin, comme point culminant, la profession des disciples par la bouche de Pierre à Césarée de Philippe. L’ordre donné aux disciples de garder actuellement le silence sur la messianité de Jésus forme le terme de l’œuvre galiléenne, comme plus tard celui de proclamer dans le monde entier la foi au Messie ressuscité formera le terme de l’œuvre entière ; mais tout cela est dans la nature même des choses. Quant à une marche rationnelle et systématique que l’auteur se serait tracée et qui aurait déterminé l’ordre et le groupement des faits, il n’y en a pas le moindre dans le récit lui-même. La narration suit du commencement à la fin une marche simplement historique : elle se distingue ainsi complètement de celle du premier évangile. Hilgenfeld croit pouvoir affirmer que c’est sur le fondement de l’évangile de Matthieu que devient compréhensible la disposition de celui de Marc (Einl., p. 51). La vérité est juste le contraire. La marche générale du récit de Marc n’a rien de commun avec celle du premier évangile.