Catherine de Médicis reprit la régence qu'elle n'avait jamais sérieusement abdiquée, et tâcha de négocier avec le parti calviniste et les mal-contents, en attendant l'arrivée de son second fils que nous appellerons maintenant Henri III.
Il s'évada de la Pologne comme d'une prison. Pendant son voyage, il reçut de sages avis de l'empereur Maximilien, du doge de Venise, et même des ducs de Savoie, qui l'engagèrent à rétablir la paix dans son royaume par des édits équitables et fidèlement observés ; mais il ne tira aucun profit de ces conseils.
Arrivé en France au mois de septembre 1574, Henri III fut rejoint par sa mère à Bourgoin, et fit avec elle une entrée triomphale à Lyon. Le duc d'Alençon et le roi de Navarre les suivaient, libres en apparence, captifs en réalité. C'est là que fut examiné le plan de conduite à suivre envers les calvinistes et les politiques. Quelques membres du conseil, Pibrac, Bellegarde, Christophe de Thou, Paul de Foix, inclinaient vers les voies de douceur et d'accommodement ; mais Catherine et ses confidents italiens, Retz, Nevers, Birague, avaient des sentiments contraires, et leur opinion entraîna celle de Henri III.
Ce prince de vingt-trois ans avait donné quelques marques de courage avant le traité de 1570. Il ne manquait pas d'habileté dans les affaires, ni de dignité et de grâce quand il paraissait en public. Malheureusement il s'était abâtardi dans les voluptés de la cour. Il passait de longues heures à se parer comme une femme, et déshonorait sa dignité d'homme, sa majesté de roi par des débauches effrénées. Les mignons dont il était entouré l'entretenaient dans une lâche et honteuse indolence, et il ne savait égaler la bassesse de ses vices que par l'extravagance de ses superstitions.
Dès son retour en France, il s'affilia à la confrérie des Flagellants ou Frères- Battus d'Avignon ; et dans une procession solennelle, le roi conduisit les Battus blancs, Catherine les noirs, le cardinal d'Armagnac les bleus. Ils parcoururent la ville pieds nus, tête découverte, des chapelets d'os de mort à la ceinture, et se faisant jaillir le sang des épaules avec des cordes. Quelques historiens ont voulu trouver sous ces ignobles mascarades une pensée politique. A quoi bon chercher si loin ce qui est si près ? Entre l'excès de la dépravation et l'excès de la bigoterie, il y a des affinités singulières et profondes.
C'était au mois de décembre. Le cardinal de Lorraine y prit une fièvre dont il mourut. La reine mère, que l'histoire accuse d'avoir eu avec lui bien des intimités, ne put se couvrir en cette circonstance de sa dissimulation habituelle. En se mettant à table, le même soir, comme on lui eut donné son verre, elle commença à trembler tellement qu'il faillit lui tomber des mains, et elle s'écria : « Jésus ! voilà Monsieur le cardinal que je vois. » La nuit, pendant plusieurs mois, elle refusa de rester seule, étant sans cesse poursuite de cette lugubre apparition, et disant à ses femmes : « Chassez ce cardinal ! ne voyez-vous pas qu'il me fait signe et m'appelle du doigt ? Que s'était-il donc passé entre elle et ce prêtre pour qu'une femme-telle que Catherine de Médicis fût si effrayée de sa mort ?
A Paris, Henri III continua ses pratiques dévotes : c'était une religion, non de roi, mais de moine hébété. Il fit faire dans les églises des oratoires, autrement nommés paradis, où il allait prendre place tous les jours, le long du carême ; Il suivait aussi les processions avec une fausse perruque[b], en costume ridicule, et en compagnie d'un fou appelé Sibillot, « le plus vilain garnement, dit Jean de Serres, que l'on eût su trouver en France, lequel marchait entre son maître et le cardinal de Ferrare ; et tandis que les prêtres chantaient avec leur refrain : Ora pro nobis, ce fol, avec ses grimaces, étalait ses badineries et jouait des farces. » Puis Henri III allait en coche, avec la reine sa femme, par les rues et les maisons de Paris, acheter de petits chiens, des singes et autres animaux rares, qu'on lui faisait payer au poids de l'or.
[b] Il ne s'agit pas d'un pléonasme : perruque signifiait autrefois simplement chevelure ; l'expression fausse perruque ne fut abrégée que plus tard. (ThéoTEX)
Au bout de six mois, il fut méprisé même de la lie du peuple et de ses domestiques. On fit courir dans toute la ville un placard en ces termes : « Henri, par la grâce de sa mère, inerte roi de France, concierge du Louvre, marguillier de Saint-Germain-l'Auxerrois, bateleur des églises de Paris, gauderonneur[c] des collets de sa femme et friseur de ses cheveux, gardien des Quatre Mendiants, père conscrit des Blancs-Battus, et protecteur des Capucins. »
[c] De l'ancien français godron, amidon ; le godronneur (ou gauderonneur) était l'ouvrier qui empesait les cols. (ThéoTEX)
Le nombre des mal-contents s'en augmenta, et ils firent des propositions plus directes d'alliance aux calvinistes. Ceux-ci furent partagés sur la conduite qu'ils devaient tenir. D'un côté étaient les réformés consistoriaux, comme on les appelait ; de l'autre les gentilshommes, les grands seigneurs, les magistrats et les conseillers des villes. On avait déjà fait cette distinction dans les premières guerres ; elle devint plus tranchée dans les suivantes.
Les consistoriaux, soutenus de la plupart des pasteurs, s'inquiétaient principalement des intérêts de la foi, et ne demandaient qu'à célébrer tranquillement leurs offices. Gens de métier et de négoce en majorité, considérant les questions sous leur aspect le plus simple, et les décidant au point de vue religieux, ils éprouvaient plus de répugnance que les autres à prendre les armes, et ne le faisaient qu'à la dernière extrémité, lorsqu'on les empêchait absolument de servir Dieu selon leur conscience ; mais aussi, une fois sur le champ de bataille, ils ne voulaient accepter la paix qu'avec de suffisantes garanties pour la liberté des Églises. Les gentilshommes, au contraire, toujours prompts à faire des levées de boucliers, transigeaient plus facilement sur les conditions religieuses, et se préoccupaient avant tout de leur position dans l'Etat. Les consistoriaux étaient plus forts par le nombre, mais plus faibles par le rang ; ils furent habituellement contraints de subir la domination de la noblesse calviniste, et d'en partager la fortune.
C'est ce qui arriva pour l'alliance avec les mal-contents. Elle fut conclue dans le Languedoc, malgré l'opposition des consistoriaux, et les suites s'en firent bientôt apercevoir. « Les dissolutions et scandales étranges des politiques mêlés parmi ceux de la religion, dit un contemporain, achevèrent d'éteindre ce feu d'affection à la piété et de discipline qui leur restait. Le maréchal Damville se souvenait peu de l'observation des conditions par lui promises et contenues en l'association. Cependant il entretenait de bonnes paroles les ministres et autres, mais on voyait les débauches s'avancer et se déborder au long et au large comme un torrent. Les exactions et brigandages croissaient à vue d'œil[d]. »
[d] Recueil de choses mémorables, p. 546.
La guerre se poursuivit avec des résultats divers, sans bataille décisive. On cite l'héroïque défense de la bourgade de Livron, en Dauphiné. Lorsque Henri III se présenta devant ses portes, au mois de janvier 1575, les assiégés crièrent du haut des remparts : « Ah ! massacreurs, vous ne nous poignarderez pas dans nos lits, comme vous avez fait de l'amiral et des autres. Amenez-nous ces mignons goudronnés et parfumés ; qu'ils viennent voir s'ils peuvent tenir tête, même à nos femmes ! Henri III fut forcé de dévorer cet affront ; les deux tiers de sa petite armée périrent devant cette bourgade, et le siège fut levé.
Le prince de Condé et le roi de Navarre, qui avaient été retenus à la cour depuis la Saint-Barthélemy, réussirent à s'en échapper, et abjurèrent, l'un à Strasbourg, l'autre à Tours, la foi catholique qu'on leur avait imposée le poignard sur la gorge. Le duc d'Alençon lui-même s'était réfugié dans son apanage de Dreux, et avait publié un manifeste où il prenait sous sa sauvegarde les Français des deux religions.
N'ayant plus ni hommes ni argent pour s'opposer aux confédérés qui menaçaient de marcher sur Paris, la cour tâcha de gagner les chefs du tiers-parti par des avantages personnels ; et offrit aux calvinistes des articles de paix très favorables : Libre exercice de la religion dans tout le royaume, excepté à Paris et dans un rayon de deux lieues ; admission à tous les emplois publics ; des chambres mi-parties dans les parlements ; huit places de sûreté ; droit d'ouvrir des écoles et de convoquer des synodes ; réhabilitation de la mémoire de Coligny ; enfin, rétablissement du roi de Navarre, du prince de Condé et des seigneurs de la religion dans leurs apanages et gouvernements. Ce traité, appelé la paix de Monsieur, parce qu'il avait été conclu sous la garantie du frère du roi, fut signé à Chastenoy, le 6 mai 1576.
Catherine-et Henri III ne s'étaient proposé, en y mettant leur signature, que de dissoudre l'alliance des politiques avec les calvinistes. Cela fait, le traité fut considéré comme non avenu. On autorisa secrètement les catholiques de Picardie à repousser le prince de Condé qui venait prendre possession de son gouvernement, et les persécutions ne discontinuèrent pas un seul jour.
Les réformés de Paris, pour n'en rapporter qu'un exemple, obéissant à l'édit qui leur prescrivait de célébrer leur culte à deux lieues de la ville, firent une assemblée à Noisy-le-Sec. La populace, à leur retour, en tua plusieurs, et en blessa un plus grand nombre. Plainte fut portée au roi, qui en ce moment courait la bague, vêtu en amazone, dit l'Estoile, et il ne s'en soucia pas plus que si ces meurtres eussent été commis dans une autre partie du monde.
Un article du traité avait ordonné la prochaine convocation des Etats généraux. Ils se réunirent effectivement à Blois, au mois de décembre 1576 ; mais ce n'était plus l'esprit des Etats d'Orléans. Une grande partie de la noblesse était rentrée dans l'Église catholique, et les malheurs du royaume avaient ulcéré le cœur de la bourgeoisie. Les députés des trois ordres s'accordèrent à demander l'unité de religion. Ils prièrent le roi d'enjoindre aux ministres, diacres, surveillants, maîtres d'école et autres dogmatisants, de vider le royaume, à défaut de quoi il serait procédé contre eux comme coupables de crime capital.
L'unité ainsi étendue, c'était la guerre. Or, pour faire la guerre, il fallait de l'argent ; et quand on en vint à cet article, chacun des trois ordres s'excusa. Le clergé déclara qu'il avait été fort appauvri par les désordres du royaume, et ne pouvait rien donner ; la noblesse n'offrit que son épée, et le tiers chargea son orateur de dire qu'il entendait la réunion de tous les sujets du roi par des moyens doux et sans guerre : grande et puérile moquerie.
Les calvinistes cependant, à la nouvelle de ces résolutions, avaient repris les armes. Mais, privés de l'appui des mécontents du parti catholique et désunis entre eux, leurs affaires allèrent mal. Les consistoriaux, pour cette fois, étaient les plus déterminés, parce qu'il s'agissait de tout sauver ou de tout perdre dans l'exercice de la religion. De vives remontrances furent adressées aux gentilshommes par le consistoire de La Rochelle. Théodore de Bèze écrivit de Genève : « Je ne puis voir comment, en bonne conscience, nous pouvons consentir à limiter l'esprit de Dieu à certains lieux, surtout à le forclore des villes, qui ne meurent et ne changent point comme les cœurs et les maisons des princes. Il ne peut entrer en mon entendement que Dieu puisse ni veuille bénir de tels accords, de sorte que je conseillerais plutôt de mettre la tête sur le bloc, et souffrir toutes choses sans résistance, s'il fallait en venir là, que d'approuver de telles conditions. »
Ces plaintes des consistoriaux ne furent pas écoutées, et les seigneurs du parti signèrent la paix à Bergerac, au mois de septembre 1577. Le 8 octobre suivant, parut l'édit de Poitiers, qui n'accordait à la masse des réformés que la simple liberté de conscience avec l'admission aux emplois publics. L'exercice de la religion était limité aux endroits où il se pratiquait au moment de la signature du traité. Henri III se glorifiait de cet édit comme de son œuvre personnelle ; il aimait à dire : mon édit, mon traité ; mais on ne l'observa guère mieux que les précédents.