Si vous ne vous lassez point de mener une vie frugale et de résister à la volupté, habitué par un combat de tous les jours à vous imposer des peines volontaires, vous en serez plus fort pour supporter le poids de celles qui vous frapperont contre votre gré ; et lorsque les craintes et les douleurs inséparables de cette vie vous viendront assaillir, elles ne vous trouveront jamais ni faible, ni désarmé. Pourquoi nous dit-on que notre patrie n’est pas de ce monde, si ce n’est pour nous apprendre à mépriser les biens qui en sont ? De tous ces biens, le seul qui soit solide et réel, c’est la frugalité, parce qu’elle restreint nos besoins au strict nécessaire, et qu’elle mesure nos dépenses dans une juste proportion à nos besoins ainsi restreints.
Nous avons déjà expliqué, dans le livre où nous avons traité du mariage, comment les femmes doivent vivre avec leurs maris, comment elles doivent administrer leur famille, et à quels usages il leur est permis d’employer leurs domestiques. Nous avons dit quelles occupations leur sont propres ; de quelle manière il faut qu’elles agissent envers les autres et envers elles-mêmes ; quel temps enfin est convenable pour songer à se marier. Maintenant à ces instructions il en faut ajouter de nouvelles, et dans notre dessein de décrire exactement toutes les règles de la vie chrétienne, ne point négliger de montrer combien est grande la puissance des exemples pour faire le salut des hommes. Télémaque, nous dit Euridipe, dans sa tragédie d’Oreste, Télémaque ne mit point à mort sa mère Pénélope qui, fidèle à son mari, avait conservé chaste le lit nuptial. Le poète compare ici la destinée différente de deux femmes, Clytemnestre et Pénélope, dont l’une fut adultère et homicide, l’autre chaste et fidèle à son époux. Les Lacédémoniens, qui avaient une juste horreur du vice de l’ivrognerie, forçaient leurs esclaves à s’enivrer et à paraître devant eux dans cet état, afin que les actions basses et ridicules que l’ivresse leur faisait commettre fussent pour les maîtres un salutaire enseignement qui les empêchât de tomber dans le même vice et de se couvrir de la même honte. Il est des hommes qui ont besoin, pour se bien conduire, de l’influence des exemples ; il en est d’autres d’une nature plus forte et plus généreuse qui embrassent et suivent la vertu, de leur propre mouvement. Ceux-ci sont les plus vertueux. Tel fut Abraham, qui chercha Dieu sans autre secours que lui-même. Le second degré de vertu, c’est d’être sensible aux bons conseils et de les suivre. Tels furent les disciples du Christ, qui crurent en lui et à sa parole. Aussi voyons-nous qu’Abraham fut honoré du nom d’ami de Dieu, et les disciples du nom d’apôtres. C’était un même et unique Dieu qu’Abraham cherchait et que les disciples annonçaient au monde. Les deux peuples qu’ils ont formés et instruits ont atteint le même salut et trouvé le même Dieu par des moyens différents. Mais ceux qui, ne sachant rien par eux-mêmes, ne veulent rien apprendre de ceux qui savent, sont des membres inutiles de la grande famille humaine. Tels sont les Gentils, peuples indociles, qui ignorent la loi du Christ et ne la veulent point apprendre. Cependant notre divin maître, bon et clément envers tous les hommes, ne se lasse point de leur être utile et de les aider. Il persuade, il reproche, il console. Il nous montre la honte dont se couvrent les pécheurs, et le supplice éternel qui suit cette honte ; mais il nous la montre pour nous détourner d’une voie funeste, et cet effroi légitime qu’il s’efforce de nous inspirer est la plus grande preuve de sa bienveillance et de son amour. Par ces images frappantes et multipliées qu’il met sous nos yeux, il nous détourne du vice, il nous assure dans la vertu. Sommes-nous sur le point de tomber, il nous rappelle la chute des autres. Sommes-nous près de commettre un crime, il nous montre le châtiment. Sommes-nous enfin dans la bonne voie, il nous y affermit par l’espoir d’obtenir la récompense que ceux qui nous ont précédé ont déjà reçue. Tous ces moyens sont admirables de sagesse et d’efficacité. Quel est, en effet, celui de nous qui, marchant dans une route ouverte, n’évitera point de tomber dans un fossé où celui qui le précède vient de tomber à ses yeux ? Quel est encore l’athlète, amoureux de la gloire et témoin du succès d’un rival, qui ne s’efforcera point de limiter, pour obtenir les mêmes couronnes ?
Toute la divine Écriture est pleine d’exemples dont on peut retirer de semblables fruits. Mais je n’en choisirai qu’un seul, et rendrai compte, en aussi peu de mots que je le pourrai, du crime et du supplice des Sodomites, dont l’histoire renferme, pour tous ceux qui l’écoutent, une instruction admirable. Ces peuples avaient poussé le vice de la volupté et de l’intempérance jusqu’à ses dernières limites ; ils commettaient l’adultère avec une effroyable sécurité ; ils brûlaient pour les hommes d’un amour infâme et contre-nature. Le Verbe alors, qui voit tout, et aux yeux duquel aucun crime ne peut échapper, le Verbe, dis-je, les regarda. Vigilant protecteur de l’homme, il ne vit point tranquillement de si détestables désordres, et comme il punit les pécheurs pour nous empêcher de les imiter, comme il a soin de nous conduire à la vertu par l’horreur du vice, il fit descendre sur ces peuples un feu vengeur qui les dévora, eux et leur ville, de peur que si ces impudiques restaient impunis, toute impudicité ne fût désormais sans frein sur la terre. Les flammes qu’il versa du haut du ciel sur cette ville corrompue furent des flammes prévoyantes, qui dévoraient à la fois la volupté présente et les voluptés à venir. À travers ces flammes terribles, nous apercevons les voies du salut. C’est comme si Dieu nous disait : ne péchez point comme ces peuples, vous ne serez point punis comme eux ; en évitant le crime, vous éviterez le supplice. « Or, je veux vous avertir, dit saint Jude, qu’après que Jésus eut sauvé le peuple en le tirant de l’Égypte, il fit mourir ceux qui furent incrédules, et qu’il réserva dans des chaînes éternelles et de profondes ténèbres, pour le jugement du grand jour, les anges qui n’ont pas conservé leur première dignité et qui ont abandonné leur propre demeure. » Le même apôtre applique un peu plus loin, en ces termes, le châtiment des pécheurs à notre instruction : « Malheur à eux, s’écrie-t-il, parce qu’ils suivent la voie de Caïn ; qu’ils se laissent séduire, comme Balaam, par l’avarice, et qu’imitant la rébellion de Coré, ils périront comme lui ! » La crainte, en effet, retient dans le devoir ceux qui sont trop faibles pour supporter la généreuse liberté des enfants d’adoption de Dieu. Ces menaces et ces supplices qui nous effraient, nous effraient pour notre salut. Dieu n’a pas seulement puni les crimes de l’impudicité et de l’adultère, il a puni aussi l’amour des ornements frivoles et la recherche de la vaine gloire. Je pourrais vous en citer de nombreux exemples. Je pourrais vous effrayer des terribles malédictions prononcées contre ceux que leurs richesses entraînent loin de Dieu et précipitent dans le crime, malédictions prévoyantes et salutaires pour vous empêcher de vous perdre vous-mêmes ; mais dans la crainte d’être trop long, je les passerai sous silence et me hâterai d’arriver au terme de cet ouvrage en continuant l’explication des préceptes du divin maître.