Ce passage :
« Les époux qui, d’un consentement mutuel, vaquent pour un temps à la prière, »
est pour nous une règle de continence. Car l’apôtre ajoute ces mots d’un consentement mutuel, afin que personne ne soit tenté de rompre les liens du mariage ; pour un temps, de peur que le mari, lié par une continence forcée, ne tombe dans la prévarication, et qu’en épargnant la couche conjugale, il ne convoite celle d’autrui. Voilà pourquoi Paul dit ailleurs :
« Si quelqu’un croit qu’il est honteux pour lui de garder sa fille sans la marier, il peut la donner en mariage. »
Mais la résolution, soit de rester vierge, soit de s’engager dans les liens du mariage, une fois arrêtée, doit persévérer inébranlable, sans jamais incliner à la faiblesse. Si la chasteté parvient à se raidir contre la chair, dans le régime qu’elle a embrassé, elle croit en dignité auprès du Seigneur, par cette continence pleine de pureté et conforme à l’esprit du Verbe. Vient-elle, au contraire, à tomber des hauteurs de la règle, elle se relève dans les bras de l’espérance pour monter à une gloire plus belle. Ainsi que la virginité, le mariage a ses désirs et ses fonctions spéciales, honorables aux yeux du Seigneur, je veux dire, le soin et l’entretien de la femme et des enfants. Car les relations habituelles du lien conjugal font de l’époux parfait une sorte de providence qui veille à tous les besoins de la communauté. Voilà pourquoi il faut, dit l’apôtre, n’instituer évêques que ceux qui se sont préparés, par le gouvernement de la famille, au gouvernement de l’Église entière.
« Que chacun accomplisse donc son œuvre dans le ministère qu’il remplissait lorsqu’il a été appelé, »
afin qu’il devienne libre en Jésus-Christ, et qu’il reçoive la récompense due à son ministère. Et ailleurs, à l’occasion de la loi, l’apôtre dit encore par figure :
« Ainsi une femme mariée est liée par la loi à son mari, tant qu’il est vivant ; etc... »
Il dit encore :
« La femme est liée tant que son mari est vivant ; mais si son mari meurt, elle est libre de se marier, pourvu que ce soit selon le Seigneur. Néanmoins, elle sera heureuse si elle demeure veuve, et c’est ce que je lui conseille. »
Dans la première proposition, l’apôtre nous dit :
« Vous êtes morts à la loi, »
et non au mariage comme le veulent nos adversaires,
« pour être la fiancée et l’Église d’un autre qui est ressuscité d’entre les morts. »
Fiancée, Église qui doit fermer son cœur à toutes tes pensées contraires à la vérité ; ses oreilles, à toutes les hérésies qui nous poussent à délaisser notre époux unique, le Tout-Puissant, pour nous prostituer ailleurs ! Sans cette vigilance, trompés par les pièges de l’hérésie, comme autrefois Ève, surnommée la Vie, nous transgresserions les commandements. Le second verset prescrit le mariage unique ; mais, il ne faut pas croire, avec plusieurs, que l’apôtre ait voulu dire que le lien de la femme avec l’homme est l’union de la chair avec la mort. Nullement ; il s’élève contre l’opinion des Impies, qui osent attribuer au démon l’institution du mariage, et livrent le nom du législateur véritable aux blasphèmes des païens. Tatien de Syrie n’a pas craint de professer ces doctrines. Il écrit, dans son livre De la perfection selon le Sauveur :
« L’apôtre applique le consentement à la prière ; mais la communauté de la mort et de la corruption rompt tout commerce avec Dieu. Sa prudente concession n’est qu’un avertissement de nous abstenir. Car, en permettant aux époux de vivre encore ensemble, à cause de Satan et de l’incontinence, il déclare que profiter de cette permission c’est servir deux maîtres; Dieu, par le consentement ; l’incontinence, la fornication, le démon, par la dissidence. »
C’est ainsi que Tatien interprète les paroles de l’apôtre. Mais, en appelant ce qui n’est pas au secours de ce qui est, il nous donne des sophismes pour la vérité. Nous aussi, nous convenons que l’incontinence et la fornication sont des suggestions de Satan ; mais le consentement, intervenant dans un mariage pudique, porte les deux époux, ici, à la prière par la continence ; là, les rapproche réciproquement dans de chastes nœuds, pour la génération des enfants.
Il n’en faut point douter ; l’Écriture donne au temps de la procréation le nom de connaissance, lorsque nous lisons :
« Adam connut Ève, sa femme, laquelle conçut et enfanta un fils, en disant : Le Dieu m’a donné un autre fils au lieu d’Abel. »
Comprenez-vous maintenant à qui s’attaquent les blasphémateurs qui ont en abomination les chastes relations de la chair, et qui attribuent au démon l’œuvre de la génération ? Moïse ne dit pas simplement Dieu ; mais en faisant précéder ce mot de l’article le, il désigne celui auquel appartient la toute-puissance. Ces mots ajoutés par l’apôtre :
« Et de nouveau vivez ensemble comme auparavant, à cause de Satan, »
n’ont pour objet que de retrancher d’avance dans notre cœur toute convoitise étrangère. Car ce consentement pudique de se refuser pour un temps l’un à l’autre, ne repousse pas à tout jamais comme honteux les appétits de la nature, puisque c’est par le consentement que l’apôtre rapproche de nouveau les deux époux, non pour qu’ils se livrent à l’incontinence, à la fornication et aux œuvres du démon, mais de peur qu’ils ne succombent à l’incontinence, à la fornication, aux attaques du démon.
Tatien distingue encore l’homme ancien de l’homme nouveau, mais dans un autre sens que nous. D’accord avec lui, nous entendons par l’homme ancien, la loi de Moïse ; par l’homme nouveau, l’Évangile. Mais où nous différons, c’est quand il abroge la loi ancienne comme émanant d’un autre Dieu. Selon nous, l’Homme-Dieu, renouvelant ce qui était suranné, ne permet plus la polygamie que Dieu lui-même exigeait, quand elle était nécessaire à ses desseins pour l’accroissement et la multiplication des hommes. Mais le Seigneur, en conservant le mariage pour la propagation de l’espèce, et pour le soin de la maison où la femme apporte son assistance, établit qu’on ne se mariera qu’une fois, bien que la condescendance de l’apôtre, afin d’empêcher quelques-uns de brûler ou de tomber dans l’incontinence, leur accorde la faveur d’un second mariage. Toutefois, l’homme qui contracte une seconde union, ne pèche pas aux termes de la nouvelle alliance ; la loi ne la lui interdit pas ; seulement il n’atteint pas à cette haute perfection que propose l’Évangile. Au contraire, quelle gloire n’acquiert-on pas dans les cieux, lorsque, renfermé en soi-même, on conserve pur le lien qu’a brisé la mort, et qu’on accepte résolument et avec reconnaissance cette viduité qui consacre toutes les facultés de l’homme au sacerdoce du Seigneur ?
La divine sagesse n ordonne pas davantage, par la bouche du Seigneur, que l’époux, au sortir du lit conjugal, recoure à la coutume des ablutions antiques ; car le Seigneur ne contraint pas les fidèles à s’abstenir de la génération. Par un baptême unique, il purifie pour toute la durée des rapprochements charnels les serviteurs qui lui appartiennent, renfermant dans une seule immersion les nombreuses ablutions de Moïse. La loi ancienne, qui cachait dès l’origine le symbole de notre régénération future sous la génération charnelle, associait son baptême à la faculté génératrice de la semence humaine, comme pour attester qu’elle n’avait pas la procréation en horreur. En effet, l’homme tout entier est contenu dans le germe primordial. Ce qui constitue la génération, ce n’est pas le nombre des actes de la chair, mais la fécondation du laboratoire de la nature où la semence s’épaissit en embryon. Je le demande, comment le mariage institué par la loi serait-il le seul mariage ? Comment celui de Moïse et celui du Christ seraient-ils en opposition puisque nous avons conservé le même Dieu ? L’homme n’a point autorité pour dissoudre ce que Dieu a joint. À plus forte raison le fils maintiendra-t-il les institutions du père. Et si la loi et l’Évangile émanent du même législateur, il est donc d’accord avec lui-même ; car la loi vit, spirituelle qu’elle est et comprise dans son sens mystique. Mais nous, nous sommes morts à la loi par te corps de Jésus-Christ, pour être à un autre maître qui est ressuscité d’entre les morts, et dont l’avènement a été prédit par la loi, afin que nous portions des fruits pour Dieu. Voilà pourquoi la loi est sainte et le commandement saint, juste et bon. Nous sommes donc morts à la loi, qu’est-ce à dire ? morts au péché que manifeste la loi, que la loi n’engendre pas, mais qu’elle met en lumière, ici, par le précepte, là, par la prohibition, reprenant le péché présent, afin qu’il nous apparaisse comme prévarication.
Le mariage établi par la loi est un péché, dites-vous ? — Se ne sais plus, dès-lors, comment on peut se glorifier de connaître Dieu, puisque cela revient à dire que Dieu commande le péché. Si la loi est sainte, saint aussi est le mariage. L’apôtre applique donc ce sacrement à l’union mystique de Jésus-Christ et de l’Église :
« De même que ce qui est né de la chair est chair, ainsi ce qui est né de l’esprit est esprit, »
dans le double enfantement soit de la chair, soit de l’intelligence. Conséquemment, ce sont des enfants saints et agréables à Dieu, que les paroles du Seigneur, par lesquelles ont été consommées les fiançailles de notre âme. Bien donc de commun entre la fornication et le mariage, puisqu’il y a loin de Satan à Dieu.
« C’est pourquoi vous êtes vous-mêmes morts à la loi par le corps de Jésus-Christ, pour être à un autre, qui est ressuscité d’entre les morts. »
Mais, en même temps, il est entendu par là : Si vous avez été obéissants ; puisque, d’après la vérité de la loi, nous obéissons au même Seigneur qui nous a parlé dans les deux Testaments. L’Esprit saint a donc raison quand il désigne ouvertement ces docteurs de mensonges :
« Dans la suite des temps, plusieurs abandonneront la foi pour suivre des esprits d’erreur, des doctrines de démons et des « imposteurs pleins d’hypocrisie, qui auront la conscience cautérisée, qui interdiront le mariage et l’usage des viandes que Dieu a créées pour être mangées avec actions de grâces par les fidèles et par ceux qui connaissent la vérité. Tout ce que Dieu a créé est bon, et l’on ne doit rejeter aucune des choses qui peuvent être prises avec actions de grâces, parce qu’elles sont sanctifiées par la parole de Dieu et par la prière. »
Il n’est donc pas nécessaire de prohiber le mariage, les viandes et le vin ; car il est écrit :
« Il est bon de ne point manger de chair, ni de boire de vin, si on le fait avec scandale ; et il est bon de demeurer dans l’état où je suis moi-même. »
Toutefois, que celui qui ne s’abstient pas rende grâces au Seigneur comme celui qui s’abstient, usant du mariage avec tempérance et dans l’esprit du Verbe. En somme, toutes les épîtres où l’apôtre nous enseigne la modération et la continence, renferment sur le mariage, sur la procréation des enfants, sur le gouvernement de la famille, une foule de préceptes. Nulle part je ne les vois prohiber l’union conjugale que règle la chasteté. Loin de là ! fidèles à l’harmonie qui règne entre la loi et l’Évangile, elles admettent également, et celui qui use du mariage avec tempérance, en rendant grâces à Dieu, et celui qui s’impose la continence que désire le Seigneur, chacun selon qu’il a été appelé, irréprochable et pur dans son choix.
« La terre de Jacob était louée au-dessus de toute autre, dit le prophète, pour glorifier le sanctuaire de l’esprit qui l’inspirait. »
« Ne me parlez pas de la génération, dit je ne sais quel hérétique. Elle donne le jour à des enfants qui naissent pour la corruption et la mort. »
Et ici, par une interprétation forcée, il veut que le Sauveur ait fait allusion à la procréation des enfants quand il a dit :
« N’amassez pas des trésors sur la terre, où la rouille et les vers les dévorent. »
Il ne rougit pas d’attribuer le même sens à ces paroles du prophète :
« Vous tous, vous vieillirez comme un vêtement et vous serez la pâture des vers. »
Assurément nous n’imaginons pas de contredire les Écritures, en niant que nos corps soient d’une nature corruptible et caduque; mais ne serait-il pas possible que le prophète adressât cette menace aux pécheurs avec lesquels il s’entretenait ? Quant au Seigneur, loin de songer à condamner la procréation des enfants, il avait en vue d’exhorter à l’aumône et à la charité ceux qui ne s’occupent que d’amasser, sans vouloir secourir les indigents.
« Travaillez, dit-il, non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure dans la vie éternelle. »
On s’arme encore de cette parole du Christ sur la résurrection des morts :
« Les enfants de ce siècle n’épousent pas de femmes, ni les femmes de maris. »
Mais qu’on se rappelle et la nature de l’interrogation et le caractère de ceux qui interrogeaient, on reconnaîtra que, loin de rejeter le mariage, le Seigneur guérit ceux qui le questionnent du grossier espoir qu’ils se plaisaient à nourrir jusqu’après la résurrection. Ces mots :
« Les enfants de ce siècle, »
le Christ ne les a pas prononcés pour les appliquer spécialement aux enfants de quelque autre siècle ; c’est comme s’il avait dit :
« Ceux qui sont nés dans ce siècle, fils de la génération, engendrent et sont engendrés, puisque nul, sans la génération ne peut franchir les limites de cette vie ; mais la faculté de se reproduire, périssable comme l’homme, lui est refusée une fois que l’existence lui a échappé. »
Nous n’avons donc qu’un seul père qui est dans les cieux ; mais qui, par la création, est lui-même le père de toutes choses.
« N’appelez sur la terre personne votre père, dit le Seigneur ; »
c’était nous dire :
« N’imaginez pas que l’homme, par qui vous avez été engendrés selon la chair, soit l’auteur de votre être; il n’a été que l’auxiliaire, ou plutôt le ministre de votre naissance. »
Ainsi donc, il veut que, convertis au Seigneur, nous redevenions comme des enfants qui reconnaissent leur véritable père, régénérés qu’ils sont par l’eau du baptême, autre création dans la création.
Mais l’apôtre dit :
« Celui qui n’est point marié s’occupe du soin des choses du Seigneur, celui qui est marié, au contraire, s’occupe de plaire à sa femme. »
— Quoi donc ? Celui qui plait, selon le Seigneur, à sa femme, ne peut-il pas rendre grâces à Dieu ? Tout marié qu’il est, ne peut-il pas vaquer eu même temps an soin de la famille et aux œuvres du Seigneur ? Or, de même qu’une
« femme qui n’est point mariée s’occupe du soin des choses du Seigneur, afin d’être sainte de corps et d’esprit, »
ainsi celle qui a un époux s’occupe dans le Seigneur du soin des choses qui regardent son époux, et du soin des choses du Seigneur, afin d’être sainte de corps et d’esprit. Toutes les deux sont saintes dans le Seigneur, l’une comme épouse, l’autre comme vierge.
L’apôtre, pour la honte et la répression de ceux qui ont du penchant aux secondes noces, s’écrie d’une voix haute, mais juste :
« Tout péché est hors du corps ; mais celui qui commet la fornication pèche contre son propre corps. »
Soutenir encore que le mariage est une fornication, je le répète, c’est blasphémer la loi et le Seigneur ; car, de même qu’on nomme fornication la soif des richesses, parce qu’elle est l’ennemie d’une sage modération ; de même que l’idolâtrie consiste à partager l’unité divine en plusieurs dieux, ainsi la fornication passe d’un seul mariage à plusieurs mariages. N’avons-nous pas déjà vu l’apôtre distinguer trois sortes de fornication et d’adultère ? Le prophète y fait allusion dans ces mots :
« Vous avez été vendus à vos péchés ; »
et encore :
« Vous vous êtes souillés sur une terre étrangère, »
réputant criminelle toute union de la chair avec une femme autre que celle qui est donnée à l’homme par le mariage pour en avoir des enfants. De là aussi ce langage de l’apôtre :
« J’aime mieux que les jeunes filles se marient, qu’elles aient des enfants, qu’elles soient mères de famille, et qu’elles ne fournissent à nos ennemis aucune occasion de parler de nous ; car il y en a déjà quelques unes qui se sont égarées pour suivre Satan. »
Il y a mieux. L’apôtre accueille avec faveur quiconque ne s’est marié qu’une fois, prêtre, diacre, laïque, usant du mariage d’une manière irréprochable :
« Il se sanctifiera par les enfants qu’il mettra au monde. »
Quand le Seigneur nomme les Juifs génération mauvaise et adultère, il nous enseigne qu’au lieu de comprendre la loi comme la loi veut être entendue,
« ils suivaient la tradition des anciens et les commandements des hommes, »
se prostituant à une loi étrangère, et infidèles à celle qui leur avait été donnée comme maîtresse et gardienne de leur virginité. Peut-être aussi le Seigneur les voit-il asservis aux désirs étrangers par lesquels ils passaient de l’esclavage du péché a la captivité chez les nations étrangères. La législation juive, en effet, loin d’admettre la communauté des femmes, défendait l’adultère. Cette parabole qui dit :
« J’ai épousé une femme ; je ne puis aller au banquet divin, »
est un exemple bien fait pour condamner ceux que leurs plaisirs éloignent de l’observation des commandements. Si la vérité était du côté de nos adversaires, ni les justes qui précédèrent l’avènement du Seigneur, ni ceux qui se marièrent depuis, ne seraient sauvés, fussent-ils apôtres. Que s’ils s’appuyaient enfin sur cette parole du prophète :
« Je me suis consumé au milieu de mes ennemis, »
répondons-leur que ces ennemis sont les péchés. Oui, il y a un péché, ce n’est pas le mariage, mais la fornication ; si je me trompe, qu’ils continuent d’appeler péché la génération et l’auteur de la génération !