Ici, la perfection, à mon avis du moins, peut s’entendre de plusieurs manières, selon la nature de la vertu dans laquelle on excelle. Il y a la perfection de la piété, de la patience, de la chasteté, de la tempérance, des bonnes œuvres, du martyre et de la connaissance. Mais, être à la fois parfait dans chacune de ces vertus, je ne sais s’il est donné à aucun homme, du moins aussi longtemps qu’il est homme, excepté à celui qui a revêtu notre humanité, de réaliser cette sublime prérogative, même aux yeux de la loi considérée isolément. Quel sera donc l’homme parfait ? celui qui fait profession de s’abstenir de tout mal. Telle est la voie qui mène à l’Évangile et à la pratique du bien. Mais la perfection gnostique, pour tout homme qui vit sous la loi, c’est de croire en outre à l’Évangile. Par lui, l’homme de la loi s’élève à la perfection. Moïse, qui vivait sous l’empire de la loi ancienne, a prédit qu’il fallait écouter avec ces dispositions, afin que nous recevions, suivant le langage de l’apôtre, le Christ, qui est l’accomplissement et la plénitude de la loi. Or, le Gnostique avance à grand pas dans l’Évangile, non pas seulement parce que la loi lui a servi d’échelon pour arriver au code nouveau, mais parce qu’il a entendu et compris la loi telle que l’a transmise aux apôtres, le Seigneur, qui est l’auteur des deux Testaments. Que s’il a réglé sagement sa vie, comme cela n’est point douteux, puisqu’il est impossible que la gnose marche péniblement dans le bien ; que si en outre, après un témoignage irrépréhensible rendu à Dieu, il est martyr, et martyr par amour, acquérant par cette confession la plus grande gloire que l’on puisse obtenir parmi les hommes, avec tous ces mérites, il ne sera pas encore proclamé parfait, tant qu’il sera dans la prison du corps. Ce titre auguste est réservé exclusivement au dernier acte de la vie, lorsque le martyr gnostique sera enfin parvenu à manifester au grand jour la perfection de ses œuvres dans leurs dernières conséquences ; lorsque, soutenu par la charité, éclairé par la sagesse, il aura consommé le sacrifice de son sang, et rendu à Dieu cet esprit qu’il en avait reçu. C’est à partir de ce moment qu’il est bienheureux, et qu’il est proclamé de droit consommé dans Injustice,
« afin que ce qu’il y a de sublime parmi nous soit attribué à la puissance de Dieu, et non pas à nous, »
suivant l’apôtre. Seulement conservons la liberté et la charité.
« Nous subissons toute sorte d’afflictions, mais nous n’en sommes point accablés ; nous nous trouvons dans de grandes difficultés, mais nous n’y succombons pas. Nous sommes persécutés, mais nous ne sommes pas abandonnés ; nous sommes renversés, mais nous ne sommes pas perdus. »
Il faut, poursuit l’apôtre que ceux qui tendent à la perfection évitent de donner aucun scandale, et qu’ils se rendent recommandables en toutes choses, non aux hommes, mais à Dieu ; ajoutez : et qu’ils obéissent aussi aux hommes. La raison le veut, à cause des violences et des malédictions qu’entraînerait le refus.
« Or, on se recommande par une grande patience dans les maux, dans les nécessités, dans les afflictions, sous les coups, dans les prisons, dans les séditions, dans les travaux, dans les veilles, dans les jeûnes, par la pureté, par la connaissance, par une douceur persévérante, par la bonté, par les fruits du Saint-Esprit, par une charité sincère, par la parole de vérité, par la force de Dieu, afin que nous soyons des temples consacrés à Dieu et purifiés de tout ce qui souille le corps et l’esprit. Et je vous recevrai ; et je serai votre père, et vous serez mes fils et mes filles, dit le Seigneur tout-puissant. Achevons donc, dit l’apôtre, l’œuvre de notre sanctification dans la crainte de Dieu. »
Car, bien que la crainte engendre la tristesse,
« je me réjouis, non de ce que vous avez eu de la tristesse, mais de ce que votre tristesse vous a portés à la pénitence. La tristesse que vous avez éprouvée a été selon Dieu, de sorte qu’en cela nous ne vous avons fait aucun tort. La tristesse qui est selon Dieu produit pour le salut une pénitence stable, au lieu que la tristesse de ce monde produit la mort. Voyez, en effet, ce qu’a produit en vous cette tristesse selon Dieu que vous avez ressentie, quelle sollicitude ! quel soin de vous justifier! quelle indignation ! quelle crainte ! quel désir ! quel zèle ! quelle ardeur pour punir le crime ! Vous avez montré par toute votre conduite que vous étiez purs et irréprochables en cela. »
Tels sont les exercices préparatoires avant d’entrer dans la carrière gnostique. Mais, puisque le Tout-Puissant lui-même
« a fait les uns apôtres, les autres prophètes ; ceux-ci évangélistes, ceux-là pasteurs et docteurs, afin qu’ils travaillent à la perfection des saints, aux fonctions de leur ministère, à l’édification du corps de Jésus-Christ, jusqu’à ce que nous parvenions tous à l’unité d’une même foi et d’une même connaissance du fils de Dieu, à l’âge de l’homme parfait et de la plénitude de Jésus-Christ ; »
il faut nous efforcer de devenir hommes par la connaissance, de nous approcher le plus possible de la perfection, quoique retenus encore dans la chair. Nous y parviendrons si, unis ici-bas de cœur et de pensée avec Dieu, nous nous conformons à sa volonté, pour reconquérir le privilège de notre noblesse et de notre parenté sublimes, dans la plénitude du Christ en qui réside toute perfection absolue et consommée.
Nous comprenons déjà pourquoi, comment, quand on est parfait aux yeux de l’apôtre, et quelles sont les différences qu’il établit entre les hommes parfaits.
« Les dons du Saint-Esprit qui se manifestent au dehors, dit-il ailleurs, sont départis à chacun pour l’utilité de l’Église. L’un reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse, l’autre reçoit du même Esprit le don de parler avec science, un autre reçoit le don de la foi par le même Esprit ; un autre reçoit du même Esprit le don de guérir les maladies ; un autre, le don des miracles ; un autre, le don des prophéties ; un autre, le don de discerner les esprits ; un autre, le don de parler diverses langues ; un autre le don de les interpréter. Or, c’est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons selon qu’il lui plait. »
Puisque les choses se gouvernent ainsi, les prophètes sont parfaits dans la prophétie, les justes dans la justice, les martyrs dans le témoignage du sang, les autres dans la prédication. Nous ne voulons pas dire qu’ils soient étrangers à la pratique des vertus ordinaires ; mais ils excellent dans les vertus à la manifestation des quelles Dieu les a destinés. Je le demande, où est l’homme sensé qui dira, par exemple, que le prophète ne pratique pas la justice ? Et les justes, tels qu’Abraham, n’ont-ils pas eu aussi le don de prophétie ?
« À l’un, dit Homère, Dieu a donné la science des combats, à l’autre, l’art de la danse; à celui-ci, la cithare et la douceur des chants. »
Oui, chacun a son don particulier, selon qu’il l’a reçu de Dieu, l’un d’une manière, l’autre d’une autre. Toutefois les apôtres furent accomplis en tout. Parcourez leurs actions ; ouvrez leurs écrits, vous trouverez, si vous le voulez, la science, la vertu, la prédication, la chasteté, la prophétie. Il est bon de savoir néanmoins que Paul, bien qu’il appartienne à une époque plus rapprochée de nous, puisqu’il n’a paru dans l’apostolat qu’après l’ascension du Seigneur, se rattache par ses écrits à l’ancien Testament. C’est là qu’il s’inspire ; c’est par là qu’il parle. La foi en Jésus-Christ et la connaissance de l’Evangile, voilà l’exposition et l’accomplissement de la loi. C’est pour cela qu’il a été dit aux Hébreux :
« Si vous ne croyez pas mes paroles, vous ne comprendrez pas. »
Qu’est-ce à dire ? Si vous n’avez pas foi en celui dont l’avènement a été prédit et figuré par la loi, vous ne comprendrez pas l’ancien Testament que le sauveur explique par son incarnation.