Le procès de mortification que nous venons de décrire n’est que l’une des deux faces de l’œuvre de la sanctification ; car, en même temps que le régénéré se dépouille du vieil homme, il se revêt du nouveau. Il ne se sanctifie pas seulement dans la mort, mais dans la vie, dans la possession anticipée des biens de la vie éternelle (Jean 3.36). La caractéristique de l’état de grâce qui commence avec la régénération nous est donnée Romains 8.1, dans les mots : « Il n’y a plus maintenant aucune condamnation » ; car la condamnation qui est ici désignée comme détruite n’est pas seulement celle de la coulpe, enlevée par l’acte de justification, mais celle qui serait toujours prête à renaître de la puissance du péché. Cette puissance est désormais brisée ; l’affranchissement est opéré (v. 2), et, par la loi nouvelle de l’Esprit de vie qui est en Jésus-Christ, la justice que réclame la loi est maintenant accomplie dans le fidèle (v. 4). C’est là le côté positif de la sanctification, qui dans l’Ecriture touche déjà à la glorification ; par exemple, Romains 8.30. On est frappé de l’omission de la sanctification dans ce passage, et l’on peut être porté à la chercher soit dans le ἐδικαίωσεν (il a justifié), soit dans le ἐδόξασε (il a glorifié). Contre notre attente, M. Godet se décide dans son Commentaire pour la première alternative : « On pourrait être tenté de placer ici dans la glorification la sainteté ; car, comme on l’a dit, la sainteté est le côté intérieur de la gloire, qui en est la manifestation extérieure. Mais, quand nous nous rappelons les chapitres 6 à 8, il nous paraît plus naturel de faire de la sainteté la transition de la justification à la gloire, et de l’envisager comme implicitement renfermée dans la première. Une fois justifié, le croyant reçoit l’Esprit qui le sanctifie dans la mesure de sa docilité et le prépare ainsi pour la gloire. »
Beck, au contraire, qui eût trouvé son intérêt dans l’opinion précédente, voyait la sanctification impliquée ici dans la glorification, et nous sommes portés à nous ranger à cet avis. La raison pour laquelle Paul omet ici la sanctification, c’est qu’il considère les facteurs objectifs de l’œuvre du salut, plutôt que ses conditions subjectives ; or, la sanctification est un résultat mixte de la grâce et de la foi, tandis que la glorification est l’œuvre divine qui couronnera extérieurement et manifestera la sanctification accomplie (comp. v. 17)d.
d – S’il met ici l’aoriste au lieu du futur, c’est qu’il considère déjà notre glorification comme accomplie en Christ ; comp. Éphésiens 2.6.
En quoi peut consister la glorification du croyant à l’heure actuelle, sinon en ce que le principe de la vie nouvelle de Christ glorifié a été déposé en lui, et que, racheté de ses fautes et régénéré par le Saint-Esprit, il possède déjà dans l’Esprit les arrhes de son état futur ? Il n’y a donc pas de différence d’essence entre l’état présent du croyant régénéré et son état futur ; il n’y a qu’une différence de mode et de degré. Cette différence consiste d’abord en ce que l’état futur sera, dès son avènement, exempt de l’action du principe contraire, tandis que, dans l’état présent et jusqu’à la mort physique, la vie, même chez le chrétien le plus avancé, ne se dégage jamais que de la mort (2 Corinthiens 4.10-12 ; 12.8-12 ; Philippiens 3.10). L’état futur croîtra, comme cela aurait eu lieu dès l’origine sans le péché, de vie en vie, de force en force, de gloire en gloire. En outre, la gloire actuelle du croyant est tout entière intérieure et cachée ; celle de l’état accompli sera éclatante et manifeste (Colossiens 3.3-4 ; 1 Jean 3.1-2 ; Romains 8.16-17). Mais dès maintenant le croyant, possédant Christ par l’Esprit (1 Jean 5.20), possède en lui-même « la vie éternelle » (ζωὴν αἰώνιον, Jean 3.36).
Nous avons à décrire les degrés de la glorification du chrétien dans l’état actuel, et à indiquer dans quelles conditions ces divers degrés apparaissent. Ces conditions sont ce que l’on appellerait en langage philosophique les vertus, expression sur laquelle nous avons déjà fait toutes nos réserves dans nos Prolégomènes, en disant que toutes les vertus sont des biens, et que les biens sont encore des vertus.
La vertu unique qui conditionne la croissance de la vie spirituelle dès ses débuts, la régénération, jusqu’à son terme, la gloire, reste la foi : réceptive d’abord, productive ensuite, en sorte que toutes les manifestations de la vie nouvelle sont ou des manifestations de la foi, apparaissant dans des déterminations particulières, ou des produits de la grâce reçue dans le cœur par la foi (Galates 5.22). Et de même que la foi est la première œuvre, l’œuvre fondamentale, on peut dire que la dernière bonne œuvre est encore un effet de la foi, car jamais la vertu chrétienne, même dans sa plus grande productivité, ne devient autonome et ne se détache de la grâce, dont elle dépend constamment ; jamais la force spirituelle ne devient la propriété exclusive du sujet : le rapport de réceptivité de la part du fidèle persiste durant toute sa carrière spirituelle et jusqu’à la glorification finale. Que la foi, c’est-à-dire l’acceptation ou l’appropriation constante et croissante de la grâce, reste ainsi la condition des progrès et même du maintien de l’état nouveau, c’est ce que nous enseignent l’expérience de l’apôtre (2 Corinthiens 12.1-10) aussi bien que ses propres déclarations (2 Corinthiens 5.7).
Aussi longtemps que le chrétien est sur la terre, il ne peut arriver ni à la pleine possession des choses qu’il espère, ni à la perception immédiate des choses qu’il ne voit pas. Le premier point est établi en particulier Romains 8.18-23 : « Nous avons été sauvés en espérance », l’aoriste marquant le caractère historique du fait, et le datif, τῇ ἐλπίδι, son caractère futur. C’est là une des sublimes contradictions de la vie chrétienne.
Il est vrai que l’espérance ne confond point ; mais toujours est-il que c’est une espérance, l’attente d’une « gloire à venir », et non la possession d’une gloire présente.
La seconde vérité est établie 1 Corinthiens 13.8-13 ; comp. 1 Pierre 1.8.
La glorification complète du chrétien renfermant deux éléments principaux, la croissance en vie et la croissance en connaissance, nous considérerons ces deux procès successivement et dans l’ordre qui nous est constamment présenté dans l’Ecriture, et à raison duquel la priorité est toujours accordée à la vie sur la connaissance (ζωή et φῶς, Jean 1.1-5).
La vie est dans l’Ecriture une expression complexe, qui renferme à la fois une activité conforme à la volonté de Dieu et un état de sentiment répondant à cette activité. En d’autres termes : la vie est à la fois sainteté et félicité ; sainteté dans la félicité, et félicité dans la sainteté. Le terme ζωὴ αἰώνιος (vie éternelle) renferme tout cela, mais dans une synthèse harmonique où tous les termes se fondent, pour ainsi dire, les uns dans les autres, sans qu’aucun ressorte et fasse saillie. La vie du ciel sera toute sainteté dans la félicité et toute félicité dans la sainteté ; le dualisme même que nous énonçons en juxtaposant et coordonnant ces deux termes, n’existera plus, parce qu’il n’y aura plus d’accomplissement de la volonté de Dieu qui ne soit en même temps un bonheur, ni de bonheur qui ne soit en même temps une activité.
Mais ces deux termes, destinés à se rencontrer et à s’harmoniser un jour dans une synthèse finale parfaite, se distinguent encore pour notre pensée, parce qu’ils se distinguent encore dans la réalité. La sainteté et la félicité apparaissent dans l’état actuel l’une à côté de l’autre, souvent même séparées, nous allions dire opposées l’une à l’autre. Il peut y avoir ici-bas des activités toutes saintes sans félicité, accompagnées au contraire d’angoisse et de douleur, comme il y a des bonheurs réels, quoique passagers, sans sainteté.
Notre sujet se subdivisera dans les trois points suivants :
- Les actualisations intérieures de la foi ;
- La condition permanente de l’activité de la foi ;
- L’état du croyant dans la grâce.
Nous appelons « actualisations intérieures de la foi » les vertus morales produites par l’Esprit de Dieu dans le cœur du fidèle à l’occasion des différentes dispensations de Dieu à son égard. Ce sont les manifestations particulières de la foi dans ses différents rapports avec le Dieu révélé en Jésus-Christ. Car, ainsi que nous l’avons établi dans les Prolégomènes, c’est Christ qui reste le médiateur de la morale comme de la révélation chrétienne, et tous les rapports du chrétien à Dieu sont en même temps des rapports à Christ, comme tout rapport à Christ renferme un rapport à Dieu (Jean 14.1). Les actualisations dont nous parlons sont donc les actualisations de la foi en Christ.
Nous considérerons successivement la foi dans son rapport :
- à notre relation de dépendance à l’égard de Dieu ;
- à l’épreuve ;
- à l’accomplissement du salut ;
- à l’activité présente.
La foi du régénéré renferme d’abord l’humilité chrétienne ; car l’humilité est la reconnaissance, de la part du sujet, de la dépendance absolue dans laquelle il vit et demeure à l’égard de Celui qui l’a créé ; et nous avons reconnu que la foi, dans son acception la plus générale et à son degré fondamental, était l’acceptation d’une vertu, d’une justice et d’une force qui ne se trouvent point en moi.
L’humilité, telle que nous l’avons définie, est donc une disposition obligatoire pour toute créature de Dieu, pécheresse ou non ; c’est la constatation permanente de l’absolue dépendance de la créature envers Dieu. Ce sentiment de dépendance s’accentue en celui de son indignité chez la créature pécheresse. Cette disposition reste dès lors obligatoire pour le croyant dans tout le cours de sa carrière spirituelle ; car, si avancé qu’il soit, il ne doit pas cesser de croître dans le sentiment de l’insuffisance de ses forces propres pour réaliser sa destination et de l’indignité de sa personne pour satisfaire la justice de Dieu.
L’humilité ne consiste pas à méconnaître les talents que l’on possède, ni les œuvres bonnes que l’on a faites, ce qui serait une contre-vérité, mais à les rapporter à leur cause suprême.
L’humilité fut la disposition permanente de Christ envers son Père et s’exprima par sa bouche à plus d’une reprise, entre autres Jean 5.19,30. Tel est aussi le langage de Paul (1 Corinthiens 15.10 ; comp. Jean 15.5).
Mais, comme ce sentiment de dépendance acceptée est un des plus contraires aux dispositions naturelles du cœur de l’homme, il doit être constamment entretenu chez le fidèle par la discipline de la grâce, comme Paul nous en donne un exemple dans sa propre expérience ; et la devise qui lui fut donnée et qui reste le secret de toute force et de toute vertu chrétiennes réellement efficaces, jusqu’au terme de notre carrière, est celle-ci : « Ma grâce te suffit, car ma force s’accomplit dans l’infirmité » (2 Corinthiens 12.9).
A l’humilité, qui dérive de notre dépendance absolue et continue de Dieu, se rattachent le respect et la crainte de Dieu, à ses différents degrés. On peut dire que, si l’humilité est une certaine manière de se reconnaître soi-même, le respect et la crainte sont une certaine manière de reconnaître Dieu. Le respect s’oppose à la familiarité insolente ou triviale, interdite Ecclésiaste 5.1, et a pour objet plutôt la personne divine considérée dans sa grandeur et sa transcendance ; la crainte a pour objet plutôt les dispensations de la justice divine.
Bien que ces dispositions si souvent recommandées dans l’Ancien Testament constituent la note fondamentale de la morale israélite, elles sont loin d’être étrangères au Nouveau ; elles y sont au contraire rappelées avec une insistance d’autant plus forte que cette exhortation pourrait paraître superflue.
Le degré inférieur de la crainte, qui a pour objet la colère du juge et de l’arbitre des jugements éternels, est mentionné par le Seigneur à ses « amis », Luc 12.4, et cet avertissement est reproduit d’après l’Ancien Testament dans Hébreux 12.29.
La recommandation de travailler à notre salut « avec crainte et tremblement » (Philippiens 2.12) est motivée par la relation de dépendance absolue où nous sommes à l’égard de Dieu, que nous devons dès lors craindre d’offenser. Le degré que nous pourrions appeler la crainte filiale nous est recommandé 1 Pierre 1.17. La crainte ne sera abolie et résolue que dans l’accomplissement de la charité (1 Jean 4.18).
La foi dans l’épreuve s’appelle la patience : Romains 5.3-4. Dans ce passage, l’épreuve, désignée comme le résultat de la patience, ne peut désigner que la foi, lorsqu’elle a été « éprouvée » par l’affliction, et qu’elle a surmonté victorieusement la crise ; c’est la foi qui a fait ses preuves, la foi garantie, qui est vraiment maîtresse de l’avenir, parce qu’elle est maîtresse du passé. L’« épreuve » de Romains 5.3 est synonyme de l’« épreuve de la foi », 1 Pierre 1.7, où la foi est comparée à l’or placé dans le creuset jusqu’à ce que, dépouillé de toutes ses scories, il reflète l’image immaculée de l’ouvrier. Le passage Jacques 1.3 paraît en contradiction directe avec Romains 5.3 ; car là, la patience produit l’épreuve, tandis qu’ici c’est l’épreuve qui produit la patience. L’apparente contradiction se résout aisément si nous entendons par τὸ δοκίμιον chez Jacques, non pas le fait subjectif de la foi éprouvée, mais l’instrument extérieur de l’épreuve de la foi, le πειρασμός que traverse la πίστις. En comparant ces trois différents passages, nous établirions les deux équations suivantes :
- δοκιμή (Romains 5.4) = δοκίμιον (1 Pierre 1.7) = ὑπομονή (Jacques 1.3)
- δοκίμιον (Jacques 1.3) = θλῖψις (Romains 5.4)
La foi se rapportant à l’accomplissement du salut produit d’abord, lorsqu’elle a été éprouvée, l’espérance (Romains 5.3). L’espérance chrétienne, dans le langage du Nouveau Testament, ne désigne pas la disposition de confiance en Dieu (πίστις au sens étroit) qui a pour objet des grâces ou des délivrances renfermées dans les limites du temps présent ; elle se porte sur l’accomplissement final du salut, sur l’héritage éternel (1 Pierre 1.3) et tout spécialement sur le retour attendu de Christ, ou la parousie, si souvent mentionnée dans les épîtres (1 Corinthiens 1.7 ; Philippiens 3.20 ; Tite 2.13).
Quant à sa nature, l’espérance chrétienne n’est pas simplement un sentiment ou une aspiration nécessairement mêlée d’incertitude, comme c’est le cas chez l’homme naturel ; c’est une activité intérieure, une vertu, un acte de participation aux biens à venir, comme la foi, au sens étroit, est un acte de participation aux grâces du passé. (Comp. le passage déjà cité qui décrit la relation du croyant aux biens à venir, Hébreux 6.4.) Aussi est-elle qualifiée (1 Pierre 1.3) de ζῶσα « vivante », adjectif auquel nous rattachons le complément δὶ’ ἀναστάσεως Ἰησοῦ Χριστοῦ c’est-à-dire qu’elle est déclarée « vivante par la résurrection de Jésus-Christ », et qu’elle procède de l’acte même de la régénération : ἀναγεννήσας ἡμᾶς.
Aussi ne confond-elle point, selon saint Paul (Romains 5.5), parce qu’elle repose sur des faits objectifs et divins, l’amour pour Dieu, l’œuvre du Saint-Esprit au dedans de nous. De là l’expression ἐλπίδι ἐσώθημεν Romains 8.24. L’œuvre opérée en nous par le Saint-Esprit nous est un gage certain de celle qu’il opérera encore pour nous jusqu’au terme final de la rédemption de nos corps.
Dans son rapport à notre activité présente, la foi, qui est en elle-même et dans son essence générale une obéissance, ainsi que nous l’avons dit, soit dans l’ordre de la croyance (Romains 6.17), soit dans celui de l’action (Romains 1.5 ; Jean 6.36), s’appelle encore spécialement ὑπακοή), l’obéissance, en regard de toute tâche particulière à remplir dans la carrière spirituelle ; le fidèle est appelé à faire de jour en jour et d’instant en instant la volonté de Dieu, telle qu’elle se révèle à lui et aussitôt qu’elle se révèle à lui ; comp. 2 Corinthiens 2.9 ; 1 Pierre 1.14.
A la difficulté toujours inhérente au devoir de l’obéissance s’ajoute souvent celle de discerner ce devoir lui-même, de dégager la volonté de Dieu des circonstances multiples et toutes particulières qui semblent nous la dissimuler (Philippiens 1.10). Il faut apporter à cette recherche un tact spirituel dont il sera parlé plus tard, et dont la possession n’est pas de nature seulement, mais est le résultat de l’effort et la récompense de la fidélité. L’obéissance comprend donc tout ensemble le devoir de rechercher quelle est la volonté de Dieu à notre égard dans chaque circonstance et dans chaque moment, et le devoir de l’accomplir.
Ajoutons que quiconque désire sincèrement connaître son devoir pour l’accomplir fidèlement aura toujours, dans l’Ecriture sainte, dans les circonstances providentielles où il se trouve placé et dans les mouvements ou avertissements intérieurs du Saint Esprit, un concours de moyens suffisants pour qu’il ne puisse se tromper sans qu’il y ait de sa faute. Il reste entendu d’ailleurs que les impressions ou mouvements intérieurs doivent toujours être soumis à un contrôle sévère, de peur que nous ne prenions les impressions de notre propre nature pour celles de l’Esprit ; en général, nous serons plus sûrs de faire la volonté de Dieu, d’être dans la voie providentielle, dans la mesure où le parti que nous prendrons répondra moins à nos inclinations personnelles ; dans la mesure, au contraire, où il y répondra davantage, le contrôle des moyens extérieurs d’information deviendra plus nécessaire.
Nous avons dans la vie de saint Paul (Actes 16.7) l’exemple frappant d’un de ces mouvements intérieurs de l’Esprit, qu’il trouva d’ailleurs vérifié par les circonstances providentielles, cas d’autant plus remarquable qu’il s’agit ici de l’interdiction de prêcher l’Evangilea. Cet exemple nous montre que nous ne sommes pas appelés à faire tout le bien possible et concevable, mais seulement la partie que Dieu a placée devant nous ; non pas toutes les bonnes œuvres, mais celles « que Dieu nous a préparées », selon le vrai sens du passage Éphésiens 2.10. L’obéissance est donc avant tout un fait et un acte intérieur, et porte à la fois sur le choix, sur le mode, sur le temps et sur l’agent de l’action en cause. Elle peut même consister à ne rien faire, lorsque le mouvement naturel porterait à agir ; et, sous cette forme passive, elle peut être même le chef-d’œuvre de la foi (Exode 14.14 ; Ésaïe 30.7,15). L’obéissance dans les petites choses se nomme la fidélité (Luc 16.10), à laquelle le Seigneur assure comme récompense le privilège d’en accomplir de grandes.
a – Ce cas est à distinguer de celui mentionné 1 Thessaloniciens 2.18.
La notion d’obéissance renferme celle du zèle, et il y aurait même danger à les séparer. Le zèle n’est que l’obéissance considérée dans une relation aux circonstances particulières. D’une part, l’obéissance doit toujours être animée de zèle, c’est-à-dire de jalousie pour Dieu et pour sa cause, comme le modèle nous en a été donné en Jésus-Christ (Jean 2.17) ; d’un autre côté, le zèle sans l’obéissance n’est qu’une satisfaction de la chair, et il est qualifié d’amer (πικρός, Jacques 3.14), lorsque le but est bon, mais la disposition mauvaise ; ou bien il est appelé « sans connaissance » (comme celui des Juifs, Romains 10.3), lorsque cette disposition elle-même porte à faux, et alors le zèle est identifié avec la désobéissance.
L’obéissance parfaite se confond avec l’amour, dans lequel l’accomplissement du bien est en même temps une nécessité de nature et une détermination à la fois de la volonté et de la raison. Mais, à son premier degré, elle peut être un acte de soumission résignée et aveugle à la volonté de Dieu ; et si l’obéissance joyeuse et intelligente est le chef-d’œuvre, l’obéissance par devoir n’est point à mépriser, puisque l’exemple nous en a été donné par Jésus-Christ lui-même, qui lui aussi a dû obéir sans comprendre (Matthieu 26.39 ; Hébreux 5.7-9). Ce dernier passage nous enseigne également que l’obéissance, comme toute autre vertu, est déjà un produit, qu’elle est une première récompense d’un premier acte de fidélité dans la recherche de la vérité et du bien, puis qu’elle doit s’apprendre.
La devise de l’obéissance chrétienne nous est donnée par Jésus-Christ exprimant la règle et, mieux que cela, l’essence de sa vie terrestre, Jean 4.34 : « Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé. »
De même que la μετάνοια s’exprime dans la confession des péchés, qui est en même temps son auxiliaire, la prière (תפילה, προσευχή) est à la fois l’expression et l’auxiliaire de la foi ; c’est-à-dire que la foi qui s’exprime par la prière s’entretient et s’affermit aussi par elle, prenant dans cet acte toujours de nouveau conscience d’elle-même, en se formulant elle-même à elle-même. Nous avons cité déjà, à propos de la confession des péchés, l’analogie fondamentale du rapport du langage à la pensée qu’il exprime et sert en même temps à former. La prière se dégage de la foi proprement dite, comme l’acte de la nature ou la formule de la pensée qu’elle exprime.
La prière, mentale ou orale, étant l’expression immédiate de la foi, participe de sa nature et de ses caractères. Elle se distingue, d’une part, de la disposition intérieure s’exprimant dans la méditation religieuse et morale, qui trouve sa satisfaction en elle-même ou dans le sujet. La méditation ne suppose qu’un moi sujet ; la prière en suppose deux ; elle est la communication, à un sujet distinct de nous, d’un désir ou d’une volition cherchant sa satisfaction dans cet autre moi, auditeur ou interlocuteur du premier. Elle se distingue, d’autre part, du soupir inconscient ou inarticulé, de l’aspiration, de la contemplation, de l’extase elle-même, en ce que, s’il y a ici approximation d’un sujet vers un autre, il n’y a cependant pas pensée consciente et formulée. Ainsi, dans un cas, il y a langage, mais non pas mouvement ; dans le second, mouvement, mais non pas langage ; tandis que la prière réunit l’un et l’autre élément : c’est un ἔρχεσθαι πρὸς τὸν θεόν, ainsi que la définit Jacques : « Approchez-vous de Dieu » (Jacques 4.8).
C’est là l’élément essentiel qui faisait défaut aux prières des Pharisiens ; elles n’étaient en réalité que des monologues (Matthieu 6.5 ; Luc 18.11 : πρὸς ἑαυτόν). Le pharisien ne va pas à Dieu dans son temple ; il reste renfermé en lui-même.
La prière de la Nouvelle Alliance se distingue de celle de l’Ancienne par les deux caractères qu’indique Jésus-Christ dans l’entretien avec la Samaritaine, conformes tous deux à la révélation parfaite de Dieu aux hommes (Jean 4.24). Car πνεύματι (en esprit) s’oppose non pas à la prière formaliste, mais au symbolisme et au ritualisme qui caractérisaient les actes de l’ancien culte, à la prière attachée à certains temps et à certains lieux (« sur cette montagne », comp. Daniel 6.10). La prière en esprit, émanant du sanctuaire intérieur de l’âme et du contact immédiat de l’esprit de l’homme avec l’Esprit divin, est dégagée de toute condition de temps et de lieu, et par conséquent est faite « en vérité », ἐν ἀληθείᾳ, terme qui s’oppose non au mensonge, mais à l’imperfection : la prière en esprit est la prière accomplie, répondant pleinement désormais à la nature de Dieu et à la grandeur des intérêts de l’âme humaine.
L’acte même de proférer la prière ne peut avoir qu’une convenance occasionnelle, soit que le sujet soit incapable de fixer autrement sa propre pensée sur son objet intérieur (1 Samuel 1.13), soit qu’il prie devant d’autres (Matthieu 18.20).
Le geste, ou l’attitude extérieure, bien qu’étant évidemment aussi un élément accessoire de l’acte, n’y est pas absolument indifférent, en ce que non seulement il exprime, mais accentue les dispositions diverses dont le fidèle doit être animé envers Dieu. Saint Paul rappelle qu’il fléchit les genoux devant Dieu (Éphésiens 3.14), et Jésus leva les yeux au ciel (Jean 17.1).
Des deux gestes qui accompagnent généralement la prière, l’un, qui nous est le plus habituel, la jonction des mains, exprime et accentue plutôt la concentration, et répond mieux à la conception de l’immanence divine ; l’autre, plus familier à l’oriental, l’élévation des mains, exprime mieux l’adoration et l’admiration, et répond plutôt à la conception de la transcendance divine.
Dans ces conditions, la prière du fidèle doit être toujours prête à monter vers Dieu, de même que le discours est le vêtement toujours prêt de la pensée ; elle doit devenir le mouvement ou, dirions-nous, la palpitation naturelle de l’âme. Aussi saint Paul peut-il nous recommander la prière continuelle (1 Thessaloniciens 5.17), en appuyant le précepte de son propre exemple (Romains 1.9, où nous retrouvons le même qualificatif ἀδιαλείπτως). Ce terme, qui signifie sans relâche, ne signifie pas que la prière formulée doive occuper tous les instants de la vie, ce qui exclurait toute autre occupation, mais qu’elle doit monter à tout propos de l’âme vers Dieu, et qu’il ne doit pas y avoir une occasion ou un acte de la vie intérieure ou extérieure dont elle soit absente, qui soit incompatible avec elle ou qui, soit par négligence, soit par parti pris, manquerait de cette consécration toujours renouvelée. La prière ne peut et ne doit être empêchée que par l’infidélité morale, pesant comme un interdit sur l’âme (Matthieu 6.14-15 ; 1 Corinthiens 7.5 ; 1 Pierre 3.7). Nous sommes d’ailleurs exhortés dans d’innombrables passages à confier à Dieu tous nos besoins, tous nos intérêts, grands ou petits, puisque rien n’est grand et rien n’est petit devant lui (Luc 12.6-7 ; 1 Pierre 5.7).
La persévérance dans la prière, προσκαρτέρησις, se distingue du caractère incessant que nous venons de lui attribuer, en ce qu’il y ajoute l’idée de l’insistance à propos d’un objet particulier. Elle nous est souvent présentée comme la condition indispensable de l’exaucement ; non que le premier acte de prière sincère ne suffise pas pour Dieu, qui sait ce qu’il nous faut avant même que nous le lui demandions, — et c’est en cela que la προσκαρτέρησις se distingue des vaines redites ou de la πολυλογία (Matthieu 6.7) ; — mais Dieu trouve bon de suspendre quelquefois l’exaucement, soit qu’il y ait un obstacle moral ou matériel chez le sujet lui-même, soit qu’en mettant à l’épreuve la foi du fidèle, il veuille lui faire apprécier doublement la grâce qu’il lui fait.
Les principales illustrations de ce devoir de la persévérance dans la prière sont dans l’Ancien Testament la lutte de Jacob (Genèse 32.24-32), interprétée comme une victoire spirituelle et morale dans Osée 12.5 ; dans le Nouveau, l’histoire de la femme syro-phénicienne (Matthieu 15.21-28b) et les deux paraboles parallèles Luc 11.5-10 ; 18.1-8.
b – Chez cette femme, c’est la raison de race qui crée l’empêchement à l’exaucement immédiat. L’ère particulariste n’était pas encore close, et Jésus-Christ n’était envoyé « qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. » Il fait droit tout à la fois aux exigences du plan divin dans l’ordre du salut et à celles de sa charité, en exauçant après un premier refus. La femme païenne dut conquérir par un redoublement de foi et, pour ainsi dire, par une violence morale, sa qualité de fille d’Abraham.
Aussi la prière, comme la foi elle-même, nous est-elle souvent présentée comme un acte de violence, comme une lutte, comme une victoire à remporter sur Dieu même (Genèse 32.26 ; Matthieu 15.22 ; Luc 18.1-8 ; Philippiens 1.27 ; Colossiens 4.12). Dans les deux paraboles Luc 11.5 ; 18.1, nous rencontrons ce trait commun : Dieu comparé à un être malfaisant ; mais la comparaison n’est qu’apparente, et la leçon se tire par un a fortiori : Si un ami égoïste et un juge inique…, à plus forte raison Dieu, qui n’est ni l’un ni l’autre… !
Il est certain dès lors que, malgré le précepte de prier sans cesse et vu notre infirmité naturelle, il serait d’un spiritualisme exagéré d’exclure toute règle extérieure et toute méthode dans l’accomplissement du devoir de la prière ; vouloir se dispenser de la prière périodique, parce que l’on prétendrait prier sans cesse, équivaudrait à l’annulation de la prière elle-même, qui rentrerait bientôt dans le courant général des actes de la vie intérieure.
Dans l’intérêt donc du culte continu, tout chrétien doit sentir la nécessité de réserver, dans chacune de ses journées, certains instants périodiques à la prière et au culte individuel, jusqu’au moment où la prière sera accomplie dans la vie, parce que la vie tout entière se sera convertie en une communion personnelle, éternelle et vivante avec Dieu. Jésus lui-même nous en a donné l’exemple, en consacrant volontiers à la prière ses nuits, et les apôtres Pierre et Jean ne dédaignaient pas de se conformer à cet égard à la coutume juive, dans ce qu’elle pouvait avoir de salutaire.
La périodicité de la prière est une condition indispensable du culte collectif, dont il sera parlé dans le chapitre de l’Eglise.
L’âme de la prière étant la foi, et la foi étant tout d’abord un acte de renonciation à nous-mêmes et à notre volonté propre, le premier caractère de la prière est d’être un sacrifice du moi ; car, pour recevoir efficacement quelque chose, encore faut-il consentir à se dépouiller de ce que l’on a, s’il y a incompatibilité entre ce que l’on a et ce qu’on prétend recevoir. Cette condition de tout exaucement, ce caractère véritablement sacerdotal inhérent à tout acte de culte ou de prière, est mentionné 1 Samuel 15.22 ; Matthieu 12.7 ; Hébreux 13.15 ; mais, pas plus ici que dans la foi elle-même, le renoncement n’est la fin, ni n’a sa fin en lui-même ; il se transforme immédiatement en un acte de confiance en Dieu, en une certitude que tout ce qu’il nous faut nous sera accordé : Matthieu 6.8 ; 7.8-11 ; 17.20 ; Marc 11.23-24 ; Jacques 1.6.
Il résulte du caractère même de la prière de la foi qu’elle ne peut s’adresser qu’au Dieu véritable de la nature et de l’histoire, et ne saurait tenter d’aller à l’encontre des lois générales de son royaume : elle se renferme volontairement dans les limites tracées par ses plans. La prière qui demanderait des choses soit contraires au plan de Dieu, soit inutiles, soit irréalisables, comme par exemple le transport matériel d’une montagne, serait un acte de caprice ou de révolte. Ce caractère est précisément compris dans les mots : ἔχετε πίστιν θεοῦ, « ayez la foi en Dieu » (Marc 11.22).
Il résulte encore de cette relation de la prière avec la foi que, comme l’obéissance porte sur le mode, le temps et la nature de l’acte en même temps que sur le choix de l’acte lui-même, l’exaucement promis à la prière du croyant ne comprend pas le mode et le temps de la grâce demandée, —qui doivent être remis à la sagesse et à la miséricorde divines, et ne pourraient être compris dans la requête que par abus, — mais seulement la grâce temporelle ou spirituelle réellement salutaire ou nécessaire au bonheur et au salut.
Telle fut la prière de Jésus en Gethsémané (Matthieu 26.39), dont le résultat a été énoncé par l’auteur de l’épître aux Hébreux (Hébreux 5.7) en ces mots : εἰσακουσθεὶς ἀπὸ τῆς εὐλαβείας. Christ fut exaucé en étant délivré non de la cause matérielle de la crainte, la mort, mais de cette crainte elle-même.
Dans le cas de Paul, 2 Corinthiens 13.8, nous avons l’exemple d’un exaucement accordé dans le refus même de l’exaucement : « Ma grâce te suffit. » Cette réponse signifie qu’il doit suffire au croyant d’être aimé de Dieu, même après le refus de la délivrance matérielle.
Il y a donc à toute prière sincère un exaucement assuré et incontestable ; c’est ce que Paul appelle le bien, τὸ ἀγαθόν (Romains 8.28) ; et ce bien suprême, c’est la possession de la grâce, de la faveur divine, avec ou sans l’épreuve, avec ou sans la prospérité matérielle ; aussi dans le passage Luc 11.13 le terme ἀγαθά « des biens », du texte parallèle Matthieu 7.11, est-il traduit par πνεῦμα ἅγιον, le Saint-Esprit.
Dans les limites indiquées, les lois générales du Royaume de Dieu et les intérêts de l’ordre moral, nous dirons donc que toute prière vraie a une efficacité extérieure, transcendante à sa valeur propre, en ce qu’elle aura des résultats qui n’eussent point été produits sans elle. Cet effet de la prière se manifestera d’abord à l’égard du sujet lui-même : tout ce qui lui sera réellement bon, τὸ ἀγαθόν, soit pour le corps, soit pour l’âme, soit pour la vie présente, soit pour la vie éternelle, lui sera accordé, et Dieu fera concourir toutes choses ensemble à son bien (Romains 8.28). Cette certitude repose sur la raison que celui qui lui a donné le plus, lui donnera aussi le moins (Matthieu 6.33 ; Romains 8.32).
Cette efficacité se révélera en dehors du sujet, soit dans le règne de la nature (Jacques 5.16-18), soit dans l’humanité, ou à l’égard de tels ou tels individus, objets particuliers d’une prière d’intercession (1 Jean 5.15-10). Dans ce dernier passage est indiquée la limite à laquelle s’arrête l’efficacité de toute prière d’intercession : les droits de la justice divine et de la liberté humaine.
Cependant, nous ne sommes point autorisés, comme l’enseignaient les représentants du mouvement dit d’Oxford, à traiter l’exaucement futur comme s’il avait déjà eu lieu, et à remercier d’avance pour des grâces non encore reçues (Marc 11.23). Ce serait abandonner la réalité pour tomber dans la fiction. La prière de Jésus, rapportée Jean 11.41, ne rentre point dans ce cas, puisque Jésus ne rend pas grâces pour le miracle qui n’a pas encore eu lieu, mais de ce que le Père a déjà répondu intérieurement à sa prière.
La certitude de l’exaucement, comme l’assurance du salut, doit demeurer de nature morale, et ne saurait devenir un fait logique.
La forme la première en date de la prière, et qui doit se renouveler durant toute la carrière chrétienne, est la confession des péchés (Luc 18.13 ; 1 Jean 1.9). Puis vient la requête, ou demande de secours, se rattachant tout naturellement à l’exposé de la misère (προσευχὴ, δέησις, αἴτησις) catégorie à laquelle il faut joindre l’acte d’intercéder pour autrui (ὑπερεντυγχάνειν). Dans le passage Luc 11.9, nous avons les différents degrés de la requête elle-même : la demande dont l’objet n’est pas en ma possession (αἰτεῖτε) ; la recherche dont l’objet non seulement n’est pas en ma possession, mais est de plus invisible, étranger au monde des sens (ζητεῖτε) ; la démarche désignée par le terme « heurter », dont l’objet non seulement appartient à l’ordre invisible, mais est séparé de moi par un obstacle à renverser, par une porte à ouvrir (κρούετε). Une troisième forme de la prière est l’εὐχαριστία, l’expression de la reconnaissance pour les grâces reçues, qui nous est sans cesse recommandée dans l’Ecriture, comme d’ailleurs elle l’est aussi par la morale humaine dans les rapports des hommes entre eux. Enfin, nous nommerons comme la forme éminente de la prière l’adoration (προσκύνησις), ou la célébration béatifique de la gloire et des perfections divines (Apocalypse 4.10), qui se distingue, comme nous l’avons dit, de l’extase, en ce qu’elle est exprimée en paroles et laisse le sujet conscient de lui-même.
Aucune de ces formes ne doit faire défaut dans le culte intérieur du chrétien. Les degrés de la prière correspondent aux degrés de la foi ; d’abord imparfaite, s’attachant de préférence à des objets extérieurs et à des grâces temporelles, comme dans l’Ancienne Alliance, elle s’élève et se spiritualise de plus en plus avec ses objets, que le croyant apprend toujours mieux à subordonner à ses vrais et seuls intérêts. La réponse tant critiquée du catéchisme d’Ostervald : « Pour prier Dieu, il faut être homme de bien », se justifie dans ce sens. Pour prier efficacement, il suffit d’être sans fraude (Jean 9.31), et la prière normale précède la conversion et la nouvelle naissance, puisqu’elle les conditionne et que le Saint-Esprit n’est accordé qu’à la demande de l’homme.
Cependant la prière parfaite, celle qui est assurée d’un exaucement complet, parce qu’elle sera toujours, quant à son objet, à son esprit et à sa forme, selon la volonté de Dieu, ne peut se trouver que sur les lèvres du croyant régénéré par le Saint-Esprit, vivant et demeurant dans la communion avec Christ (Jean 15.7), et qui seul possède en tout temps, pour toutes choses, « l’accès auprès de Dieu » (Romains 5.2 ; Éphésiens 2.18). C’est celle qui est appelée la prière au nom de Jésus (Jean 16.26) et que les disciples ne seront capables de prononcer qu’après la Pentecôte : « En ce jour-là, vous demanderez en mon nom. » Ils auront le droit de s’adresser directement au Père, sans plus avoir besoin de l’intercession de Christ (v. 26b), parce qu’elle sera faite en Jésus, par Jésus et dans l’Esprit de Jésus, par conséquent avec la même certitude d’être exaucé que Jésus-Christ lui-même pourrait avoirc.
c – Il n’y a pas contradiction entre cette parole de Jésus, selon laquelle il ne priera plus pour ses disciples, et le texte 1 Jean 2.1, qui annonce que Christ intercédera pour eux, parce que cette dernière alternative se présentera en cas de chute : ἐάν τις ἁμάρτῃ.
Dans le cas où le croyant, pour une cause qui le domine, est devenu incapable d’articuler des paroles, l’Esprit intercède au dedans de lui par des soupirs inexprimables (ἀλαλήτοις), mais qui sont eux aussi entendus et exaucés. C’est l’extase dans la douleur ou dans la joie (Romains 8.26). Il y a sans doute ici une allusion au γλώσσαις λαλεῖν (parler « en langues »).
La prière du Seigneur, dont Luc nous indique l’occasion authentique (Luc 11.1 et suiv.), et que Matthieu reproduit dans le sermon sur la montagne (Matthieu 6.9 et suiv.), nous est donnée pour modèle, mais non pour formulaire, d’un usage servile. Dans la préface, qui marque une date dans la série des révélations de Dieu à l’homme, le fidèle est pour la première fois autorisé à appeler Dieu « notre Père » (1 Pierre 1.17) ; dans les six demandes sont renfermés tous les sentiments et toutes les requêtes élémentaires qui doivent figurer dans une prière agréable à Dieu. Je dis élémentaires, parce que, proposée à tous les disciples, elle devait plutôt rester en deçà des sentiments des plus avancés que dépasser le niveau des commençants ; et nous discernons ici une nouvelle preuve de la pédagogie du Seigneur, en ce que ni son rôle ni son nom n’y sont encore indiqués.
Les trois premières demandes sont relatives à la cause de Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. Le disciple qui les prononce se présente à Dieu comme le sacrificateur de l’humanité. Comparez les prières des psalmistes, s’élevant au-dessus de leurs cas particuliers, pour finir par embrasser l’humanité tout entière et tout l’avenir. Les trois dernières demandes se rapportent plus directement à nos propres intérêts, compris d’ailleurs déjà dans ceux du règne de Dieu : la quatrième, à nos intérêts temporels, réduits au strict nécessaire : la cinquième, portant sur le passé, au pardon des péchés, la première des grâces spirituelles nécessaires ; la sixième, portant sur le présent et l’avenir, à la délivrance non seulement du mal, mais sans doute du Malin (πονηροῦ au masculin, comme dépendant de ρῦσαι ἡμᾶς ἀπό, qui suppose un régime personnel) ; les premiers mots de cette demande : « Ne nous induis pas, » visent le châtiment d’endurcissement que Dieu opère sur ceux qui ont commencé à s’endurcir eux-mêmes. Nous lui demandons non seulement de ne pas être abandonnés, mais de ne pas être « livrés », comme ce fut le cas pour Israël (Ésaïe 6.9) et pour les païens (Romains 1.24). Mais il ne suffit pas que Dieu ne livre pas l’homme à la tentation ; il faut encore qu’il le délivre de la puissance du Malin. Ici est renfermée tacitement toute l’œuvre du Saint-Esprit, comme l’œuvre du Fils était renfermée dans la précédente demande.
Le terme ἐπιούσιος, qui est un ἅπαξ λεγόμενον, signifie probablement le pain nécessaire pour l’existence (ἐπί οὐσία), plutôt que le pain nécessaire pour le jour qui vient (ἐπί εῖμι). On sait que la doxologie est une interpolation, de même que la troisième demande et le deuxième membre de la sixième demande dans le texte de Luc.
Cette prière nous enseigne :
- que nous devons nous adresser à Dieu comme à une personne qui veut (notre Père) et qui peut nous exaucer (qui es aux cieux) ;
- que nous devons associer tous nos frères à nos demandes ;
- que nous devons faire des intérêts de Dieu les nôtres propres ;
- que des demandes pour des besoins temporels sont légitimes ;
- qu’elles doivent cependant être subordonnées à nos intérêts spirituels ;
- que la prière, pour être exaucée, ne doit pas être accompagnée d’interdit moral (sixième demande).
Nous avons dit que toute activité, soit bonne, soit mauvaise, dans l’ordre moral, tend à se consolider dans un état, à se transformer dans une nature qui ne sera que le résultat continu et de plus en plus nécessaire d’une série plus ou moins longue de déterminations d’abord volontaires, accidentelles et éventuelles. Cette nature est dans l’ordre du mal la punition, dans l’ordre du bien la récompense, le couronnement et la consommation des actualisations antérieures de la liberté humaine, exempte de plus en plus de la condition primitive de toute activité, l’effort et la lutte, et de plus en plus dégagée des chances attachées à l’activité libre.
Les actualisations de la foi dont nous avons parlé précédemment seront soumises à cette même loi de transformation et, disions-nous, de consolidation, et il sera conforme aux analogies du monde moral que les actualisations de la foi, sans cesser d’être des vertus, se convertissent de plus en plus en des biens, en des produits, et qu’à l’élément de l’activité, qui était prépondérant et peut-être unique au début, s’associe l’élément de la satisfaction ou de la félicité avec lequel il est destiné à se confondre et à s’identifier dans l’existence parfaite. C’est ainsi que la foi, sans cesser d’être elle-même, passe progressivement en vue, l’espérance en possession ; et, tout en mesurant toujours plus distinctement la distance qui sépare le présent de l’avenir, elle se crée, pour ainsi dire, un capital spirituel qui est tout ensemble bien et vertu. Mais, tandis que dans la vie du monde ou dans la religion des œuvres la grâce est accordée au mérite, dans la vie spirituelle toute grâce nouvelle s’ajoute à la grâce antérieure qui n’était que le gage des suivantes et plus excellentes ; l’alternance se fait non pas d’ἔργον à μισθός, selon la formule μισθὸς ἀντὶ ἔργου, mais de grâce reçue à grâce à recevoir, selon la norme exprimée par saint Jean (Jean 1.16 : χάριν ἀντὶ χάριτος) et par le Seigneur lui-même (Matthieu 25.29). Et, pour traduire en faits concrets cette loi générale, nous dirons, par exemple, qu’une foi plus grande sera la récompense d’une foi commençante, et que la félicité dans le bien sera la récompense de la fidélité dans le devoir.
L’union personnelle avec Christ : tel est l’état progressivement réalisé dans le cœur du croyant par la vie de la foi et la résultante incessante de son activité. Elle consiste dans l’échange constant entre Christ et le fidèle des pensées et des forces actives ; mais, en même temps que cet état est un produit, il nous est présenté aussitôt comme une cause, dont les effets nouveaux sont les fruits de l’Esprit ; car cet Esprit étant celui de Christ, pour les raisons énoncées déjà plus haut et qui se résument en ce que c’est Christ qui l’envoie et qui est en même temps l’objet de son opération intérieure, les fruits de l’Esprit sont aussi les fruits de la foi en Christ ou de l’union du croyant avec Christ, et ces différentes formules sont équivalentes l’une à l’autre.
Cet élément de la doctrine chrétienne qui nous enseigne l’union personnelle avec Christ comme effet de la foi en même temps que comme cause et principe de produits et d’états supérieurs, est commun à saint Jean et à saint Paul, et si c’est là du mysticisme, il ne faut pas dire que saint Paul en soit exempt.
L’un des passages fondamentaux, dans la doctrine que nous exposons, est Jean 15.4-5 : « Demeurez en moi, et moi en vous… Celui qui demeure en moi, et moi en lui, porte beaucoup de fruit. » La seconde proposition est expliquée au v. 7 par les mots : « Si mes paroles demeurent en vous. » La double condition énoncée par les mots : « Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous », n’est donc que la continuation de l’acte de la foi à Christ, qui, comme nous l’avons dit déjà, renferme deux mouvements nécessaires l’un à l’autre, un mouvement pour ainsi dire centrifuge par rapport au moi, qui nous transporte en Christ, et un mouvement pour ainsi dire centripète par rapport à Christ, qui transporte Christ en nous. Le mode de cette translation réciproque nous sera décrit dans le passage Jean 16.14-15, auquel nous allons revenir.
Ce mouvement réciproque de nous à Christ et de Christ à nous, qui n’est que la continuation de l’acte initial de la foi, en diffère en ce qu’il est devenu une habitude, un état, une nature ; de là le verbe μένειν (demeurer), employé dans l’une et l’autre relation du fidèle à Christ et de Christ au fidèle, comme la cause d’une fécondité sainte, naturelle et nécessaire ; car il n’est pas même dit aux sarments : « Vous devez porter du fruit », mais : « Vous en porterez » ; et il n’est pas dit non plus : « Ces fruits seront portés en vous », mais : « Vous les porterez » ; et c’est en effet au croyant, arrivé à cet état de communion parfaite et permanente avec Christ, qu’est faite la promesse d’un exaucement certain et complet (v. 7). Voici comment M. Godet interprète le passage Jean 15.4 : « Demeurez en moi exprime l’acte constant par lequel le chrétien écarte tout ce qu’il pourrait tirer de sa sagesse, de sa force, de son mérite propres, pour puiser tout en Christ sous ces différents rapports, par l’intime aspiration de la foi. Et c’est tellement là l’unique condition posée à l’action de la vie de Christ en lui, que Jésus supprime le verbe dans la proposition suivante ; le : et moi en tous, apparaît ainsi comme la conséquence immédiate, nécessaire du premier de ces deux actes, de telle sorte que là où le premier s’accomplit, le second ne peut manquer de se réaliser. De cette manière, l’action de Christ est mise hardiment sous l’empire de notre liberté, non moins que la nôtre propre. »d
d – Commentaire sur l’évangile de saint Jean
Jésus a exposé ces mêmes mystères du monde spirituel dans les images en apparence si crues du chap. 6, dont l’intention était précisément de rebuter les auditeurs indignes. Dans l’obligation de boire le sang de Christ, nous trouvons l’obligation pour le disciple de se purifier toujours de nouveau et de la condamnation et de la souillure du péché en retournant incessamment à la croix où le sang a été répandu. C’est là la source de notre justification continue, et c’est aussi le principe de notre mortification. La manducation de la chair représente selon nous l’élément actif et positif de la carrière chrétienne, l’union avec le Christ glorifié, l’intussusception de sa sainteté, de ses vertus et de sa vie.
Cet élément transcendant de la morale chrétienne, qui se rapporte à l’union personnelle du croyant avec le Christ glorifié, se retrouve également dans l’enseignement de Paul, et tout d’abord dans sa propre expérience ; car qu’est-ce que la parole Galates 2.20, sinon le commentaire vivant de la parole de Jésus-Christ, Jean 15.4 ? Cette parole signifie que saint Paul s’était dépouillé non seulement de toute justice propre, mais de toute volonté, de toute force et de toute lumière propres, pour recevoir toutes ces choses de Christ.
Le fait que Paul nous a donné dans ce passage comme son expérience personnelle, il l’a exposé théoriquement à diverses reprises. La relation la plus générale du croyant à Christ est énoncée 1 Corinthiens 1.30, où Christ est présenté comme auteur et pour ainsi dire substance de notre salut, décomposé dans ses différents actes : « Christ est devenu pour nous sagesse… » !
Dans Romains 8.9-10, nous avons déjà remarqué avec quelle facilité il passe de l’expression πνεῦμα χριστοῦ ἐν ἡμῖν (l’Esprit de Christ en nous) à celle-ci : χριστὸς ἐν ἡμῖν (Christ en nous), qui y est évidemment équivalente, puisque l’Esprit de Christ n’est, comme nous venons de le voir, que l’agent de l’habitation de Christ en nous, et que cette habitation n’est pas substantielle, mais dynamique.
On peut citer encore à ce propos plusieurs passages des épîtres aux Colossiens et aux Ephésiens : Éphésiens 3.17 ; 4.15 ; Colossiens 2.7. Sur le premier de ces passages, voici les réflexions d’Adolphe Monod dans son Commentaire : « Ce n’est pas l’idée de Christ qui nous sauve, nous sanctifie ou nous console ; c’est Christ lui-même ; ce ne sont pas ses dons, c’est lui-même que nous avons besoin de recevoir. Voilà la vraie présence réelle, à laquelle nous croyons de tout notre cœur, mais elle s’accomplit par la foi. »
Ajoutons à ces réflexions que, pas plus ici qu’ailleurs, il ne s’agit d’une habitation substantielle, d’une fusion d’essence entre Christ et le croyant, chez qui il habite ; les mots « par la foi » écarteraient déjà cette interprétation.
De cette habitation de Christ chez le croyant par l’Esprit résultent des fruits ou plutôt un fruit, ὁ καρπὸς τοῦ πνεύματος un produit unique dans la diversité même de ses apparitions, qui s’oppose à ces deux égards, et comme produit et comme unique, à la multiplicité des manifestations désordonnées de la chair (Galates 5.19-20)e.
e – Sur celle opposition de la multiplicité propre à l’erreur et au mal, et de l’unité qui caractérise le domaine du bien, comp. Jean 6.29.
Ainsi les vertus chrétiennes, issues d’un seul et même principe, ne se détachent jamais les unes des autres, même quand elles apparaissent dans le monde ; elles restent unies entre elles par une force spirituelle, pour ne constituer toutes ensemble que l’épanouissement d’une vie unique, invisible et spirituelle.
Ordinem hunc tenet — remarque Bengel dans le Gnomon — ut enumeret peccata commissa adversus Deum, adversus proximum et circa se ipsum, cui ordini respondet enumeratio fructus Spiritus. Amor familiam ducit. Pauciora in bonis vocabula ponuntur, quia bonum est simplicius, et una sæpe virtus multa habet contraria.
Le premier de ces trois groupes comprend donc les réalisations intérieures de la vie spirituelle dans le rapport du sujet à Dieu, le second dans son rapport au prochain, le troisième dans son rapport à lui-même. Nous ne retenons pour le moment de cette énumération que les trois premières de ces dispositions ou opérations de l’Esprit dans le fidèle qui, placées en tête, sont les avant-coureurs de toutes les autres.
Ainsi, d’après Paul, l’amour et l’amour pour Dieu est le premier des fruits de l’Esprit de Christ reçu dans le cœur par la foi. Le passage Romains 5.5 n’a pas sa place ici, s’il est vrai, comme l’entend avec raison M. Godet, qu’il ne s’y agit pas de notre amour pour Dieu, mais de l’amour de Dieu pour nous.
Dans toute la morale paulinienne et scripturaire, nous pouvons constater que, si grand que soit le rôle du Christ, considéré comme médiateur suffisant entre Dieu et nous, toute relation du croyant à Christ nous reporte jusqu’à Dieu le Père, dont Christ n’est d’ailleurs que la révélation immédiate et parfaite (Jean 14.9).
Selon le grand commandement, déjà ratifié par Jésus-Christ (Deutéronome 6.5 ; Matthieu 22.37), l’amour de Dieu est la vertu suprême et éternelle dans laquelle toutes les déterminations particulières de la vertu et du bien sont destinées à se confondre, pour remplir enfin à elle seule la vie éternelle des élus, de même que l’amour trinitaire remplit la vie divine elle-même. Cette vertu est donc la dernière dans l’ordre des dates et la première dans celle des grandeurs.
C’est ainsi que, d’après la norme posée par Paul 1 Corinthiens 13.13, il n’y a que trois vertus qui demeurent, parce que seules elles ont une valeur salutaire : la foi, qui se rapporte au salut passé, l’espérance, qui se rapporte au salut à venir, et l’amour, plus excellent encore que l’une et l’autre ; toutes les qualités ou aptitudes naturelles ou surnaturelles passeront ; la connaissance et les langues entre autres, parce qu’elles n’ont pas d’effet pour l’éternité. Mais en quoi l’amour est-il plus excellent que la foi, qui est la seule œuvre justifiante, et que l’espérance, qui est encore la foi s’appropriant le salut futur ? C’est, nous semble-t-il, que la foi et l’espérance ne nous mettent encore en relation qu’avec les grâces et les paroles de Dieu, tandis que l’amour est une union personnelle avec l’Être lui-même.
La charité, issue de la foi, élève et féconde à son tour la foi elle-même, en la rendant plus énergique et plus efficace encore, en la portant à des activités toujours plus élevées et plus étendues (Galates 5.6).
Dans 1 Corinthiens 13, la foi séparée de la charité est déclarée vaine pour le salut, même quand elle aurait une efficacité miraculeuse, non pas que ce soit la charité qui nous sauve, mais parce que la foi qui ne produit pas la charité n’est plus la foi. La charité, soit qu’elle ait Dieu ou le prochain pour objet, est donc tout à la fois le degré culminant de la vie morale (ὁ συνδεσμὸς τῆς τελειότητος, Colossiens 3.14) et le terme de convergence nécessaire de toutes les activités et de toutes les vertus chrétiennes, comme l’exprime le refrain ἐν ἀγάπῃ, Éphésiens 4.15-16. — A ce titre, cette vertu demande à faire l’objet d’une tractation séparée, et nous la détacherons des autres fruits de l’Esprit pour la considérer à partf.
f – Voir le chap. IV de la présente section et la section IIIe
A la charité sont joints, au nombre des fruits de l’Esprit, la joie et la paix, qui, dans cette économie déjà, accompagnent nécessairement toute vie chrétienne bien ordonnée, et sont les arrhes de la vie éternelle. C’est la satisfaction goûtée dans la vie avec Christ et dans l’accomplissement de sa volonté par l’amour, et cela sous ses deux formes, expansive (χαρά) et intensive (εἰρήνη) ; l’une est la satisfaction dans l’appropriation constante et toujours renouvelée des grâces données (Philippiens 3.1) ou promises (Romains 12.12, passage où la joie est jointe à l’espérance) : la joie qui renferme la force (comp. Néhémie 8.10), la joie que procurent la sainte activité et la sainte initiative, la vertu surtout conquérante ; l’autre, la paix, la vertu surtout conservatrice, conséquence de la foi installée dans le cœur et plutôt consécutive à l’œuvre fidèlement accomplie. Dans Romains 5.1, elle désigne la sécurité dans la possession de la grâce, le sentiment calme et continu de l’ordre, la perception de l’harmonie rétablie entre toutes les parties de l’être, de la conformité assurée de l’état actuel de l’homme avec sa destination future, la satisfaction dans chaque moment et chaque tâche.
Du reste, ces différents termes reçoivent des acceptions plus ou moins étendues, selon qu’ils sont associés entre eux ou isolés, ou selon les associations dans lesquelles ils se trouvent. La paix est associée à la vie dans Romains 8.6, où l’apôtre oppose l’aspiration de l’Esprit (φρόνημα τοῦ πνεύματος), qui est vie et paix (ζωὴ καὶ εἰρήνη), à celle de la chair, qui est inimitié contre Dieu et par là même mort, c’est-à-dire à la fois ruine et troubleg. La vie paraît se restreindre ici à l’activité sainte associée à la félicité sainte, représentée par εἰρήνη (la paix).
g – Comme le fait remarquer Philippi, dans son Commentaire sur ce passage, il ne faut ni dans un cas, ni dans l’autre, sous-entendre un membre de phrase comme : qui conduit à, ou qui a pour conséquence ; mais le φρόνημα lui-même est d’une par ζωὴ καὶ εἰρήνη, de l’autre θανατός.
Romains 14.17, la joie et la paix sont également associées l’une à l’autre dans la définition du Royaume de Dieu.
Dans plusieurs salutations (1 Timothée 1.2 ; 1 Pierre 1.2 ; Apocalypse 1.4), la grâce comme don divin est également associée à la paix, qui représente la possession de cette grâce par l’homme.
Ailleurs encore, les différentes prérogatives de la vie spirituelle nous sont présentées isolément, mais accompagnées l’une et l’autre des qualificatifs les plus éminents. Ainsi la joie, 1 Pierre 1.8 ; la paix, Philippiens 4.7.
Mais, de même que l’activité sainte renferme en elle-même sa joie et sa récompense, la joie et la paix sont présentées aussi, par une sublime contradiction, comme des objets d’obligation ; c’est ainsi que, jusque dans les états de sentiment qui semblent être des affections pures et simples, s’affirment les lois de l’ordre moral, qui soumettent tout état et toute nature aux conditions de la liberté et de la responsabilité humaines (Romains 12.12 ; 2 Corinthiens 13.11 ; Philippiens 3.1 ; 4.4, 7 ; 1 Thessaloniciens 5.16 ; Colossiens 3.15 ; Jacques 1.2 ; 1 Pierre 1.8 ; 4.13).
Nous avons dit que l’assurance du salut peut accompagner déjà la conversion et la justification du pécheur. C’est la certitude joyeuse d’avoir échappé à la condamnation de Dieu ; c’est l’assurance du pardon. La joie et la paix, dont il vient d’être question, renferment sans doute cette assurance et la supposent ; mais il s’y ajoute un élément de richesse, de continuité et de fermeté qui ne pouvait encore appartenir aux débuts de la carrière chrétienne. La joie grandit avec les motifs d’espérance et de confiance, avec la perspective d’activités nouvelles au service de Dieu, et la paix s’affermit au souvenir croissant des expériences du passé. Il est vrai que l’assurance du pardon peut acquérir aussitôt une grande vivacité d’expansion ; mais le bonheur du chrétien accompli gagne en intimité et en profondeur ce qu’il perd peut-être en éclat extérieur et en force juvénile. La joie devient habituelle (Philippiens 4.4), la paix règne (Colossiens 3.15), et l’une et l’autre sont un sujet de gloire du chrétien dans le Seigneur (Romains 5.2.11 ; Philippiens 3.3 ; comp. 1 Corinthiens 1.31).
L’union personnelle du chrétien avec Christ, la communauté des biens, des joies et des forces entre le Sauveur glorifié et le croyant sur la terre, est ce que l’ancienne dogmatique appelait unio mystica. Ce terme avait le tort de prêter à l’idée d’une fusion du moi fini avec l’infini. La communion est féconde ; la fusion serait stérile ; dans la fusion, le moi humain se perd ; dans la communion, il abdique, mais pour se retrouver, se renouveler, se vivifier incessamment. L’école de Ritschl a opéré une réaction excessive contre cet élément de la doctrine, et elle l’a fait avec une sorte de passion : elle ne prétend admettre que les faits historiques, transmis par l’organe de l’Eglise ; le Saint-Esprit n’est pour elle, comme pour Schleiermacher, que l’esprit collectif des membres de l’Eglise.
C’est le côté de la morale chrétienne, trop méconnu par le Réveil, que l’école d’Oxford a eu raison de vouloir relever. Peut-être, dans certains milieux, s’en était-on tenu trop exclusivement au premier élément du salut : la justification par la foi au Christ crucifié. La croix de Christ est le fondement de notre salut, mais elle n’en est pas le terme ; et quand saint Paul écrivait la parole 1 Corinthiens 2.2, il ne faut pas oublier le ἐν ὑμῖν (parmi vous) ; car Paul savait bien autre chose, et il l’a montré dans les épîtres aux Ephésiens et aux Colossiens. Il ne faut donc pas parler au chrétien avancé seulement du sang de Christ, mais de l’Esprit ; ni seulement du Christ expiant les péchés, mais du Christ glorifié, vivant par l’Esprit dans le croyant réconcilié par sa mort, établissant son règne dans les cœurs et dans le monde et préparant ainsi son retour.
En ceci, le mouvement d’Oxford était dans le vrai ; mais on a eu tort de faire passer ces enseignements pour des découvertes ; les éléments sains et bibliques de ces doctrines, dégagés des alliages qui en ont altéré les effets, avaient toujours été reconnus dans le sein de l’Eglise.
Ce que nous devons affirmer enfin, en opposition à certaines erreurs, c’est que cette union de Christ et du croyant, cette transformation de la foi en communion personnelle avec Christ, ne sera jamais achevée sur la terre, pas plus que la mortification du fidèle, et que, par conséquent, la foi demeure la condition permanente de la vie spirituelle jusqu’au moment de la consommation absolue du salut.
Il y a en matière spirituelle une connaissance élémentaire et préliminaire qui précède ou tout au moins conditionne toute vie et toute expérience spirituelles, parce qu’elle donne à l’intelligence la notion de l’objet et que sans elle l’expérience resterait inconsciente et la vie demeurerait instinctive.
Il y a aussi une connaissance scientifique, logique et intellectuelle de l’objet spirituel, qui consiste à analyser toutes les parties de cet objet et à concevoir les rapports qu’elles ont entre elles ainsi qu’avec les autres objets.
Ce n’est ni de cette connaissance élémentaire, ni de cette connaissance scientifique ou logique, que nous traitons ici, mais de celle que nous appelons la connaissance expérimentale et vivante de l’objet spirituel parce qu’elle ne saurait s’acquérir que par la voie de l’expérience et qu’elle procède incessamment de la pratique ou de la communion avec l’objet.
Cette connaissance est celle qui est issue de l’illumination du Saint-Esprit et de l’expérience chrétienne : son objet ne saurait être toute vérité et toute idée quelconques ; ce n’est ni la réalité purement physique, ni une idée morale ; il est donné par la révélation particulière et il est renfermé dans le système du salut ; cette connaissance porte donc sur Christ, sur Dieu et spécialement sur les rapports de Christ au fidèle. C’est la connaissance appelée γνῶσις (Colossiens 2.3), ἐπίγνωσις (Éphésiens 1.17-18). Dans Hébreux 6.4, cette illumination intérieure est considérée comme un acte historique, coïncidant sans doute avec la nouvelle naissance (aoriste), tandis que dans Éphésiens 1.17 il est désigné par le parfait comme un état permanent, dont les déterminations plus particulières seront indiquées tout à l’heure.
Il est si vrai que la connaissance véritable procède de la pratique ou de la vie, que, dans l’état parfait, ces deux formes de l’être se pénétreront absolument l’une l’autre (Jean 17.3).
Nous avons constaté déjà des degrés correspondants dans la connaissance du péché. Il y a une notion formelle, logique ou historique du péché qui consiste à le constater comme tout autre fait. Une connaissance déjà supérieure à celle-là, et qui se développe dans le travail de la μετάνοια, perçoit le péché dans son essence intime, comme objet de réprobation morale. Mais il existe une connaissance supérieure du péché, qui ne peut être que l’œuvre du Saint-Esprit dans le cœur du croyant, et dans laquelle le péché est à la fois perçu dans son caractère absolument anormal et répréhensible, et suivi jusque dans les ramifications les plus déliées, les plus subtiles de son essence, qui est l’égoïsme. Il n’y a que le Saint-Esprit, faisant revivre dans le cœur du fidèle l’image de Christ, qui puisse révéler à la conscience et soumettre au jugement intérieur tout mouvement d’amour-propre ou de recherche du moi qui eût passé absolument inaperçu dans l’état de nature, même chez l’honnête homme.
C’est cette dépendance de l’intelligence par rapport à la foi que les grands docteurs du moyen-âge ont voulu exprimer dans ces formules célèbres : Credo ut intelligam, — fides præcedem ou quærens intellectum, — en opposition à l’ordre institué par tous les rationalismes, depuis Platon qui plaçait la sagesse en tête de toutes les vertus, jusqu’à Abélard qui voulait comprendre pour croire.
Cet ordre de succession de la vie et de la connaissance est enseigné dans toute l’Ecriture, parce qu’il préside à l’ordre des révélations divines elles-mêmes. Jean 1.4,9 : « La vie était la lumière des hommes. » Il était déjà reconnu dans la psychologie et la morale de l’Ancien Testament (Proverbes 1.7), et il préside à toutes les relations de l’homme avec la vérité. Il est des choses que l’homme naturel, c’est-à-dire privé des lumières du Saint-Esprit, n’est point en état de comprendre (1 Corinthiens 2.14-15), et l’expérience de tous les jours nous montre en effet que toutes les doctrines vitales qui se rattachent à la croix de Christ sont jusqu’à aujourd’hui folie et scandale pour l’homme non éclairé par l’Esprit. Le mystère de la croix et la gratuité du salut, supposant la misère et la culpabilité de l’homme, froissent et exaspèrent aujourd’hui encore la sagesse du monde (1 Corinthiens 1.18).
N’a-t-on pas vu à toutes les époques des prédicateurs même de Jésus-Christ, hommes intelligents et pieux, priant et lisant l’Ecriture, rester étrangers à la doctrine de la justification par la foi, et passer pendant toute une vie à côté de la croix de Christ sans y reconnaître le monument de l’amour divin offrant gratuitement le salut aux pécheurs, faute d’une illumination intérieure du Saint-Esprit ? Toutefois, il est permis d’affirmer que quiconque cherche sincèrement et sans coupable réserve la vérité tout entière, tout en pratiquant le bien qui est à sa portée, est sur la voie qui conduit inévitablement à la connaissance véritable, selon la norme posée dans le passage classique sur ce sujet : Jean 7.17.
Ce n’est pas seulement à l’entrée de la carrière spirituelle que s’affirme la priorité de la vie par rapport à la connaissance ; c’est durant tout son cours : c’est ce que Jésus enseigne entre autres dans les deux passages Jean 8.12 : « Je suis la lumière du monde ; celui qui me suit (communion vivante) ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie (connaissance morale, dans laquelle le φῶς procède de la ζωή), » et Jean 14.21 : « Celui qui a mes commandements et qui les garde, c’est celui-là qui m’aime (condition morale) ; et celui qui m’aime sera aimé par mon Père (première conséquence), et je l’aimerai (seconde conséquence) et je me ferai connaître à lui (troisième conséquence : la connaissance spirituelle). » Dans 1 Corinthiens 13.12, saint Paul annonce que la connaissance parfaite est réservée à l’avenir, au moment de l’accomplissement final du salut. Dans 1 Jean 2.20,27, la connaissance apparaît comme la conséquence naturelle de l’onction de l’Esprit, et dans 1 Jean 3.2 la vision immédiate et parfaite est également réservée au moment de l’accomplissement du salut, où nous serons semblables à Christ.
C’est ainsi qu’à l’entrée de la carrière spirituelle, les pensées de Dieu nous étaient encore étrangères, et les plans de Dieu à notre égard nous paraissaient souvent illogiques et contradictoires : c’est ce qu’enseignait déjà le prophète (Ésaïe 55.8). La sagesse de Dieu nous paraissait souvent folie, en ce qui concernait du moins la direction particulière de notre vie, comme à l’homme inconverti le plan général du salut (1 Corinthiens 1.27-31). Il s’agit au début, et à plus forte raison avant la conversion même à l’Evangile, de changer de point de vue et par conséquent d’organe dans l’aperception du vrai, dans l’appréciation des réalités, de substituer dans l’édifice de nos connaissances une nouvelle base, une nouvelle donnée, une nouvelle prémisse à l’ancienne. 1 Corinthiens 2.5 : « Afin que votre foi ne repose pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. » Mais peu à peu, par la pratique vivante de ces vérités, par le commerce personnel avec l’éducateur suprême qui le conduit, le croyant cesse de croire seulement implicitement ; d’accepter aveuglément et tacitement les pensées de Dieu ; il se les approprie et les conçoit désormais au point de vue de cette raison et de cette logique supérieure qui leur est propre, et qui lui était jusqu’ici restée cachée. Ces pensées deviennent les siennes ; la conduite de Dieu, telle qu’elle se révèle à lui soit dans l’économie générale du salut, soit dans celle de sa propre vie, commence à se justifier à ses yeux ; il entre dans les décrets de Dieu (Psaumes 25.14) ; les procédés de la pédagogie divine lui deviennent familiers, et il acquiert même ce tact supérieur qui lui permet de prévoir et de pressentir avec plus ou moins de sûreté les dispensations futures ou éventuelles de cette sagesse divine. C’est ce que Jésus appelait, dans son entretien avec Marthe, « voir la gloire de Dieu » (Jean 11.40) ; récompense dont la condition est encore et toujours la foi : « si tu crois. » C’est ainsi qu’à la πίστις s’ajoute la γνῶσις ; la foi, qui est l’acte primitif et élémentaire, passe en une connaissance supérieure, qui est déjà une vue, εῖδος ; le croyant se range alors au nombre des τέλειοι (parfaits, 1 Corinthiens 2.6-16), qui ne s’en tiennent pas seulement aux premiers éléments de la vérité, mais parviennent à contempler, dans la société des intelligences célestes, la sagesse de Dieu dans la richesse et la variété infinie de ses plans (Éphésiens 3.10).
Alors s’accomplit à l’égard de tout disciple la promesse que Jésus a faite à ses apôtres, Jean 16.13 : « Il vous conduira dans toute la vérité. » Et si des révélations surnaturelles ne lui sont plus accordées comme aux premiers témoins de Christ, il lui est donné du moins de s’identifier toujours plus intimement avec le contenu du témoignage apostolique, pour autant qu’il est la reproduction de la révélation de la grâce de Dieu en Jésus-Christ.
Hors de cette origine morale, ou en l’absence de cet élément d’expérience et de pratique, la connaissance prétendument spirituelle se fausse, se détériore, s’égare dans la vanité, dégénère en logomachie (1 Corinthiens 8.1-3 ; Colossiens 2.18 ; 1 Timothée 6.20). C’est le vice et le châtiment de toute théologie qui ne se préoccupe pas avant tout des intérêts de l’Eglise.
S’il est vrai qu’en Christ sont renfermés « tous les trésors de la sagesse et de la science » (Colossiens 2.3), la connaissance spirituelle, dont Christ est à la fois l’auteur et le premier objet, doit s’étendre, de ce centre unique du domaine spirituel, jusqu’à tous les points de la périphérie ; et cette connaissance est en effet désignée dans le Nouveau Testament par différents noms, selon les objets particuliers auxquels elle se rapporte ou les caractères qu’elle revêt dans l’un ou l’autre de ces rapports.
En tant que se rapportant aux objets transcendants, aux vérités générales et spéculatives, comprises dans l’ordre spirituel, la connaissance porte les noms de γνῶσις, ἐπίγνωσις, σύνεσις, σοφία ; en tant qu’elle se rapporte à des cas concrets, à des vérités morales dans le domaine particulier et individuel, qu’elle se meut dans le cours ordinaire de la vie terrestre pour l’apprécier et la régler spirituellement, elle est désignée par les mots αἴσθησις, φρόνησις, σωφροσύνη.
Mais ces différents termes doivent se distinguer à leur tour les uns des autres dans l’intérieur de chacun de ces deux groupesh.
h – Voir Trench, Synonymes du Nouveau Testament.
Γνώσις s’oppose, selon nous, en même temps à la foi, comme la connaissance s’oppose à l’activité dont elle dérive, et à la connaissance tout à fait élémentaire qui conditionne, — nous l’avons vu, — la formation de la foi elle-même. Comp. 1 Corinthiens 12.8-9 : ἄλλῳ δὲ λόγος γνώσεως…, ἑτέρῳ πίστις (la foi décrite 1 Corinthiens 13.2, où se retrouve d’ailleurs la même association de γνῶσις et de πίστις). Comp. encore Éphésiens 4.13.
L’ἐπίγνωσις est la γνῶσις dans un sens intensif ou cumulatif, et pour autant qu’elle porte sur un objet déterminé (Matthieu 11.27 ; Romains 1.28 ; 3.20 ; 10.2 ; Éphésiens 4.13 ; Philippiens 1.9 ; 1 Timothée 2.4 ; 2 Timothée 2.25).
La γνῶσις est associée à la σοφία Colossiens 2.3 (« les trésors cachés de la sagesse et de la science »), au λόγος 1 Corinthiens 1.5. Γνῶσις étant le terme général pour désigner la vertu intellectuelle, par opposition aux vertus pratiques, la σοφία sera essentiellement selon nous la faculté de suivre avec amour et approbation les plans de Dieu dans l’histoire, en en reconnaissant la raison intime et la logique profonde. Comme il y a en effet une sagesse de Dieu supérieure à celle de l’homme et qui, par cette raison même, passe pour folie auprès de celui-ci, il y a une vertu dans l’homme qui répond à cet attribut divin, et c’est précisément celle que Paul appelle σοφία (1 Corinthiens 1.30 ; 2.6 ; comp. Colossiens 2.3 ; 3.16). Voir Éphésiens 3.10 la mention de la σοφία πολυποίκιλος τοῦ θεοῦ dont la σοφία humaine doit retrouver les traces.
Dans Jacques 1.5, ce mot n’a plus le sens transcendant qu’il a chez Paul, et il désigne sans doute la vertu de l’homme consistant à se proposer les meilleurs buts et à choisir les meilleurs moyens pour y parvenir. — La qualité de sage est mentionnée avec le régime εἰς τὸ ἀγαθόν, Romains 16.19.
La σοφία est associée à la σύνεσις, Colossiens 1.9 ; 2.2 ; et celle-ci nous paraît désigner plutôt l’intelligence compréhensive des pensées de Dieu. Aussi dans la σοφία prédomine l’idée de la logique intérieure et supérieure de ces plans ; dans la σύνεσις, celle de leur plénitude et de leur ensemble. Comp. surtout Colossiens 2.2.
La σοφία est également associée à l’ἀποκάλυψις dans Éphésiens 1.17 ; et tandis que la σοφία est la faculté humaine qui permet de reconnaître la sagesse des plans de Dieu, le πνεῦμα ἀποκαλύψεως est le don surnaturel d’en découvrir de nouveaux, non encore révélés à l’homme.
Au dessous de ces vertus de connaissance transcendante, nous avons nommé les aptitudes de discernement moral dans les cas particuliers et concrets. C’est la vertu qui consiste à a discerner la volonté de Dieu » (Romains 12.2 ; comp. Éphésiens 5.10), à « apprécier la différence des choses » (Philippiens 1.9-10 : δοκιμάζειν τὰ διαφέροντα), c’est-à-dire, dans la multitude des cas semblables et divers, et sous les apparences multiples dont sont revêtus dans la vie le bien et le mal, distinguer les unes des autres les quantités morales opposées sous le masque de similitudes extérieures. Il y faut un tact qui devient naturel et instinctif, mais qui ne s’acquiert que par une longue expérience de la vie chrétienne ; comp. Hébreux 5.14. C’est ce tact, à ce qu’il nous paraît, que Paul désigne par le mot αἴσθησις (Philippiens 1.9-10 ; comp. une expression analogue, Hébreux 6.4).
Les termes qui se rattachent à la racine φρήν désigneront cette même aptitude de discernement avec cette différence que l’élément du raisonnement remplacera ici l’aperception immédiate et instinctive (Éphésiens 5.17 ; comp. 1 Corinthiens 14.20).
La φρόνησις est associée à la σοφία Éphésiens 1.8.
La qualité désignée par φρόνιμος (Matthieu 10.16 ; Luc 16.8) n’est sans doute pas simplement la prudence qui se garde de faux pas, mais aussi l’habileté dans le choix des moyens d’agir.
La σωφροσύνη (Actes 26.25 ; 1 Timothée 2.9, 15) sera la domination exercée par l’âme sur ses propres désirs, en vue de maintenir toutes les parties de l’être dans un juste équilibre.
Bien qu’occupant un rang secondaire par rapport aux vertus directement pratiques et morales, la connaissance n’en est pas moins considérée dans l’Ecriture, non seulement comme un privilège dont il ne saurait être permis de faire fi, au nom d’un certain empirisme moral, mais comme un objet direct d’obligation, qui ne sera pas négligé sans préjudice pour la vie spirituelle, à raison de la constante réciprocité d’action de la connaissance et de la vie.
Paul s’attribue cette supériorité de connaissance, en y attachant une grande importance (2 Corinthiens 11.6 ; 12.7 ; Philippiens 3.8) ; il félicite sincèrement les Corinthiens de posséder dans une large mesure ces avantages, encore qu’ils eussent tourné à piège à plusieurs (1 Corinthiens 1.5), et il ne cesse d’exhorter les croyants, surtout dans les deux épîtres aux Ephésiens et aux Colossiens, à croître dans cette connaissance spirituelle déjà acquise. Nous constatons de nouveau ici le caractère profondément moral de la doctrine chrétienne, selon laquelle toute aptitude, même intellectuelle, comme toute affection du sentiment, est soumise jusqu’à un certain degré aux lois de la volonté, d’où résulte la responsabilité du sujet même dans ces ordres de l’existence qui semblaient dominés par la passivité pure.
La croissance dans la connaissance nous est présentée comme une obligation, aussi bien que la possession de la joie, de la paix et de l’amour, parce que c’est la volonté qui fait l’essence du moi et qui a la primauté réelle sur toutes nos facultés, toutes nos aptitudes, toutes nos affections et tous nos états.
Dans la morale chrétienne, et ceci constitue un de ses caractères distinctifs, à la différence des morales philosophiques de l’antiquité, il n’y a pas de place pour une aristocratie morale qui se réserverait la prérogative d’une connaissance ésotérique, en laissant la simple foi au commun des fidèles, réunis dans une caste inférieure. Les vérités spirituelles, étant, comme nous l’avons dit, toutes pratiques par leur tendance, appartiennent aussi à tous, parce que la fin suprême du bien est commune à tous les hommes, et la connaissance est dès lors accessible à tous selon le degré de la capacité morale de chacun.
Ce droit de tous à la vérité tout entière n’exclut pas le discernement pédagogique dans la distribution qui en est faite aux individualités diverses ; c’est ici encore qu’il est vrai de dire que toute vérité n’est pas bonne à dire à tous, et Christ le premier nous a donné l’exemple de ce discernement dans l’enseignement de la vérité (Jean 16.12). Mais les réticences intentionnelles qu’il est permis et obligatoire d’observer, sont toutes motivées par l’intérêt de l’auditeur, et n’ont pas pour but de satisfaire l’orgueil du maître, comme c’était le cas dans les écoles de philosophie antique.
D’après Éphésiens 1.17-18, l’apôtre demande sans cesse pour les chrétiens d’Ephèse le don de l’Esprit de sagesse et de révélation (les conditions objectives de la connaissance), et des organes subjectifs qui soient appropriés à de si hautes fonctions, « les yeux de votre cœur éclairés », pour connaître les vérités les plus hautes, entre autres « quelle est l’espérance à laquelle il vous a appelés et quelle est la richesse de son héritage parmi les saints. » Même pensée Colossiens 2.2-3 : l’apôtre intervenant par ses prières pour faire obtenir aux chrétiens des grâces supérieures et des connaissances correspondantes.
La perfection de la connaissance marquera le terme de notre croissance spirituelle (Éphésiens 4.13 ; Colossiens 1.9-10). Dans Colossiens 3.9-10, les progrès de la connaissance, renfermés dans ceux du nouvel homme lui-même, sont conditionnés par la fidélité dans la conduite morale ; Colossiens 3.16, il s’agit de la place nécessaire de cet élément dans l’enseignement chrétien.
Si le fidèle doit aspirer à la connaissance des vérités supérieures, à plus forte raison doit-il s’efforcer d’acquérir le discernement de la volonté de Dieu dans les cas ordinaires, et serait-il inexcusable de négliger cette partie de sa vocation de chrétien (Romains 12.2 ; Philippiens 1.9-10 ; Éphésiens 5.10,17).
Non seulement il doit croître dans la connaissance pour lui-même ; il doit devenir et il devient nécessairement, par sa présence même, un foyer de lumière autour de lui, φῶς ἐν κυρίῳ un luminaire dans le monde (Éphésiens 5.8) ; sa vie et son activité sont comme les rayons prolongés de Celui qui s’est appelé la lumière du monde ; lumière divine sans doute, mais non indépendante ; tout croyant est dans le monde un satellite de l’astre central qui est Christ ; et les fruits qu’il porte dans cette œuvre d’illumination sont nommés, dans la parenthèse Éphésiens 5.9, « le fruit de la lumière » (καρπὸς τοῦ φωτός plutôt que τοῦ πνεύματος, qui paraît emprunté à Galates 5.22), qui est « bonté (ἀγαθωσύνη, bienveillance dans la répréhension ; comp. ce mot Galates 5.22 ; Romains 15.14 ; 2 Thessaloniciens 1.11), justice (pour n’imputer à chacun que ce qu’il a fait), vérité (pour ne lui rien voiler dans l’expression de la réprobation qu’il mérite). » Notre langage ordinaire s’est approprié cette tournure biblique et appelle « lumière » un chrétien fidèle dans le milieu qu’il habite. En effet, la présence sur un point quelconque d’une vie chrétienne conséquente à ses principes, fait ressortir le contraste qui existe entre elle et les ténèbres environnantes, rend pour ainsi dire ces ténèbres visibles et, les manifestant, les juge et les condamne (ἐλέγχετε, Éphésiens 5.11) au nom de la norme posée v. 13 : « Toutes choses, étant condamnées par la lumière, sont manifestées… » (τὰ πάντα, ἐλεγχόμενα ὑπὸ τοῦ φωτὸς, φανεροῦται. πᾶν γὰρ τὸ φανερούμενον φῶς ἐστι, qu’il faut traduire, non pas : « la lumière est ce qui manifeste tout, » mais : « tout ce qui est manifeste est lumière, » car le mal ne saurait être que caché : τὰ κρυφῆ, v. 12, et en présence de la lumière le méchant fuit ou change).
De même que la vie spirituelle ne peut se renouveler de son propre fonds et de sa propre substance, mais que son entretien réclame une communication constante de la vie de Christ par l’organe de l’Esprit, de même la connaissance spirituelle ne peut être entretenue que par une communication constante, au sujet, de la source même de la vérité. Mais comment cette source de connaissance, ces trésors de sagesse et de science, qui sont en Christ, l’image sainte et parfaite de Christ elle-même, ont-ils pu être conservés intacts jusqu’à nous ? Comment la doctrine et l’exemple de Christ ont-ils pu être présentés toujours de nouveau à travers les siècles à la foi du monde et de l’Eglise, dans leur intégrité primitive ou du moins avec une intégrité suffisante, et préservés d’altérations qui, en les rendant méconnaissables, les eussent rendus aussi inefficaces pour le salut des hommes ?
Pour que le souvenir du Christ historique, objet de la foi de l’Eglise, ou cette foi elle-même, eût pu se perpétuer jusqu’à nous sans l’intervention d’un instrument extérieur, il eût fallu un miracle continuel de l’Esprit dans le cœur de l’homme, consistant soit en ce que l’Esprit eût ranimé et réveillé sans interruption et par une sorte de contrainte surnaturelle ce souvenir dans des organes même impropres ou indignes, soit en ce qu’il eût créé et communiqué des révélations nouvelles concernant le salut et non renfermées dans la première révélation historique en Christ.
Or la première de ces alternatives ne se fût pas réalisée sans préjudice pour la liberté humaine, ainsi que nous l’avons remarqué précédemment ; la seconde eût été contraire à l’analogie des fonctions de l’Esprit, telles que nous les avons définies plus haut, et selon lesquelles il ne nous apporte rien de soi-même, et n’agit que comme organe de transmission de la substance du Christ à nous (Jean 16.14). Cette opération eût été contraire à l’essence même du christianisme, selon laquelle le salut est tout entier en Christ, dans son œuvre expiatoire et rédemptrice, et ne se trouve qu’en lui, d’où il suit qu’il ne saurait y avoir de vérité intéressant actuellement le salut des hommes qui ne se rattache pas à la révélation historique de Christ dans sa première venue. Cette considération condamne les mystiques, qui enseignent une révélation de l’Esprit continue, progressive et indépendante de celle du Christ historique.
Ce que l’Esprit saint ne pouvait faire à lui seul, assurer l’intégrité du contenu de la foi à travers les siècles, la conscience chrétienne collective le pouvait moins encore, puisqu’elle concourt elle-même à la formation de cette tradition sujette à tant et de si grandes chances d’altération et de corruption.
Il a donc fallu un instrument extérieur, par le moyen duquel l’objet de la foi chrétienne, conservé intact à travers les siècles, pût être remis sans cesse dans cette intégrité primitive à la portée de tout croyant et de tout homme et pût servir ainsi à la fois de source, de règle et de norme, et au besoin de correctif à la croyance individuelle.
Cet instrument est la Parole écrite, l’Ecriture sainte ; mais de même que la substance et la vie de Christ nous est communiquée par l’Esprit, la vérité sur Christ, renfermée dans l’Ecriture, ne peut nous être dévoilée également que par l’Esprit. L’Esprit sans le livre serait la lumière sans l’aliment, la force sans la substance ; le livre sans l’Esprit serait la substance sans la force.
Ces deux témoignages, surnaturels tous les deux, rendus à la vérité, l’un extérieur et objectif, l’autre intérieur et invisible, doivent donc s’accompagner constamment et se seconder l’un l’autre dans l’œuvre de la propagation de la vérité dans le monde, dans l’Eglise et dans les cœurs. Ils se trouvent réunis en effet (Jean 15.26-27 ; comp. 1 Pierre 1.22-23), et il en résulte pour chaque individu l’obligation de les faire valoir l’un et l’autre et l’un par l’autre.
Or l’Ecriture se prête dans tous les temps à deux rôles, nécessaires tous les deux à la propagation de la vérité et de la connaissance spirituelle. L’Ecriture Sainte peut être prêchée et elle peut être lue ; et nous ajoutons que la parole parlée et la parole écrite sont à leur tour toutes les deux nécessaires l’une à l’autre ; l’une comme agent de communication et de conquête de la vérité, l’autre comme élément de conservation de cette même vérité. C’est par la parole parlée, en effet, que la vérité fait ses conquêtes, soit sur des terrains nouveaux, soit dans les parties encore réfractaires des domaines qu’elle a déjà occupés : « La foi vient de l’ouïe », dit saint Paul (Romains 10.17).
Mais pour que cette parole parlée conserve sa pure efficacité spirituelle, il faut qu’elle émane sans cesse du trésor de la parole écrite, et qu’elle soit toujours contrôlée par celle-ci (Actes 17.11). Voyez dans les Actes les prédications apostoliques adressées aux Juifs, qui prennent leur point de départ dans les Ecritures.
Des considérations qui précèdent résultent pour le croyant deux obligations : celles de l’audition et de la lecture régulière de l’Ecriture, et, ajouterons-nous, de l’Ecriture dans toutes ses parties. Ce n’est point à dire que toutes les portions de l’Ecriture soient en tout temps utiles à tous ; toutes sont utiles en leur temps et à telles ou telles catégories des membres de l’Eglise. Le rejet ou la négligence systématique de l’une ou l’autre d’entre elles ne saurait avoir lieu impunément, et l’histoire de l’Eglise nous montre chaque secte donnant satisfaction par son avènement à l’une des parties de la révélation biblique méconnue par l’Eglise, et par sa chute à toutes les autres.
La lecture de l’Ancien Testament, entre autres, s’impose au membre de la Nouvelle Alliance pour les raisons développées dans les Prolégomènes, et qui ne peuvent être que corroborées par l’exemple et les recommandations de Christ et des apôtres. Christ, en recourant pour lui-même à ce livre dans ses tentations et ses luttes (voir l’emploi qu’il fait du Pentateuque dans la tentation et des Psaumes sur la croix), a illustré pour tous les temps les déclarations de Paul qui y sont relatives (1 Corinthiens 10.11 ; 2 Timothée 3.16).
Sur la lecture des livres du Nouveau Testament, comp. Colossiens 4.16 ; Apocalypse 1.3 ; sur l’utilité enfin et la nécessité de la parole parlée pour l’édification mutuelle des membres de l’Eglise, voir Colossiens 3.16.