Il nous est enjoint d’honorer et d’adorer celui-là même que nous reconnaissons pour le Verbe, pour le Sauveur, pour le modérateur universel, et par lui, le Père, non point à des jours choisis, comme le pratiquent quelques-uns, mais assidûment pendant toute la durée de la vie, et par toutes les voies possibles. « Seigneur, je vous louerai sept fois le jour, » s’écrie avec le Psalmiste la race des Élus que justifie l’accomplissement du précepte. Voilà pourquoi le Gnostique ne loue pas Dieu dans une enceinte circonscrite, dans un temple privilégié, il l’honore pendant toute sa vie; tous les lieux lui sont indifférents. Qu’il soit seul, qu’il se trouve au milieu d’hommes qui ont embrassé la même foi, n’importe, il adore Dieu, c’est-à-dire qu’il lui rend grâces de lui avoir fait connaître quelle est la vie véritable. Si la présence habituelle de l’homme de bien, par le respect et la vénération qu’il inspire, élève la pensée et le cœur de quiconque vit auprès de lui, comment le Chrétien, à qui Dieu est toujours présent par la connaissance, le plan de conduite, et l’action de grâces, ne deviendrait-il pas chaque jour meilleur qu’il n’était la veille dans toutes ses actions, dans toutes ses paroles, dans toutes ses affections ? Tel est celui qui croit fermement que Dieu est partout, et non que des lieux fixes et limités peuvent le renfermer, afin que s’estimant une fois loin de ses regards, il se plonge sans remords, la nuit comme le jour, dans l’intempérance et la volupté. Pour nous, la vie tout entière est un long jour de fête. Nous voyons Dieu partout : à la campagne, nous publions ses louanges en cultivant la terre ; sur la mer, nous chantons des hymnes en naviguant. Quelque soit enfin notre occupation, nous savons toujours la concilier avec la gloire de Dieu.
Le Gnostique toutefois se rapproche plus immédiatement de Dieu, en montrant dans chacune de ces actions la gravité et la gaité. La gravité, parce qu’il se tourne vers Dieu, la gaité parce qu’il regarde les présents de Dieu comme les biens de l’homme.
Il semble que le prophète a voulu nous manifester, dans les mots qui suivent, l’éminente dignité de la connaissance. « Découvrez-moi quelle est la bonté, la sagesse et la science, » dit-il, glorifiant ainsi par cette gradation ce que la perfection a de plus relevé. Voilà l’homme vraiment royal ! voilà le saint pontife de la Divinité ! Au reste, les plus éclairés d’entre les Barbares demeurent, même encore sous nos yeux, fidèles à la coutume de porter au trône les membres de la race sacerdotale. Ne demandez point à un pareil homme de livrer sa personne au tumulte de la multitude qui s’agite et règne dans les théâtres. Paroles, actions, spectacles, tout ce qui a pour but d’amorcer les passions, il n’y ouvre jamais son âme, pas même en songe. Éloignez de lui les voluptés qui séduisent les yeux ! Bannissez la foule des plaisirs qui flattent les autres sens ! qu’en ferait-il ? Il ne veut connaître ni les somptueux parfums qui charment l’odorat, ni les assaisonnements des mets ou les mille vins délicats dont l’arôme flatte le goût, ni ces guirlandes de fleurs diverses qui énervent l’âme par l’excitation des sens. Il rapporte constamment à Dieu le légitime usage de toutes choses, nourriture, boisson, parfums ; il en offre les prémices à celui qui a tout donné ; il lui rend de continuelles actions de grâces, et par ses dons et par ses biens, et par le Verbe intérieur dont il l’a doté. Il assiste rarement aux banquets, à moins que le repas, en lui promettant une réunion de frères confondus dans le même esprit, ne le décide à s’y trouver. Que Dieu sache et entende toutes choses, il en est profondément convaincu. Le langage n’a pas plus de mystères que la pensée pour le Tout-Puissant. En effet, ce n’est point par une faculté particulière au corps, mais par une intelligence et une sorte de compréhension physique que l’ouïe, dont nos organes sont l’instrument, recueille des mots qui ont une signification. Dieu donc n’entend point à la manière de l’homme : il n’a pas besoin de sens, comme il a plu aux Stoïciens de l’imaginer, « principalement de la vue et de l’ouïe. Il est impossible de saisir les objets autrement que par ces deux voies, » disent-ils. Ils se trompent Il y a encore la merveilleuse facilité de l’air à se déplacer ; les rapides sensations qui sont le privilège commun de la milice angélique ; puis enfin l’énergie de la conscience, qui, d’accord avec la pensée, par une puissance inexplicable et sans le secours d’organes physiques, connaît tout ce qui se passe.
Mais la voix, me dira-t-on, se perd dans les couches inférieures de l’air, sans monter jusqu’à Dieu. Les pensées des saints, répondrai-je, traversent non seulement l’air, mais le monde tout entier. La puissance divine ressemble à la lumière : elle n’est pas plutôt tombée sur une âme, qu’elle la manifeste et l’illumine de toutes parts. Mais que dis-je ? Les projets que forme une âme ne parviennent-ils pas jusqu’à Dieu ? N’ont-ils pas une voix qui les précède ? Ne sont-ils pas transmis par le cri de la conscience lui-même ? Et d’ailleurs, pourquoi faudrait-il donc qu’il attendit les avertissements de la voix, celui qui, dans l’éternité de ses conseils, et longtemps avant la formation de l’élu, le contemplait d’avance et lisait dans l’avenir comme si l’avenir était déjà présent ? Serait-il possible que le rayon de la puissance divine ne portât point sa lumière dans les profondeurs de l’âme, lorsque, suivant le langage de l’Écriture, « le flambeau de la puissance pénètre les lieux les plus secrets ? » Dieu est tout ouïe, il est tout œil, si je puis me servir de ces expressions.
Une opinion mal sonnante au sujet de Dieu, loin de conserver aux chants, aux discours, aux Écritures et aux dogmes leur caractère de sainteté, descend à des notions vulgaires et à des pensées inconvenantes. De là vient que « la bénédiction du plus grand nombre ne diffère en rien du blasphème, » parce qu’ils ignorent la vérité. Les choses vers lesquelles se portent l’appétit, le désir, et, pour le dire en un mot, toutes les impulsions de l’âme, la prière les sollicite. De même que l’on ne soupire point après la boisson en elle-même, mais qu’on veut boire le breuvage ; après l’héritage en lui-même, mais qu’on veut hériter, de même aussi l’on ne veut pas la connaissance, mais connaître ; on ne veut pas une administration régulière, mais administrer régulièrement : on prie conséquemment pour obtenir ce que l’on demande, et l’on demande ce que l’on désire. Prière ! désir ! ils s’enchainent et se succèdent alternativement pour obtenir les biens et les avantages qui leur sont attachés. Celui qui ne fait encore qu’élever l’édifice de la connaissance supplie Dieu de lui envoyer les biens véritables, à savoir les biens de l’âme, pendant qu’il travaille lui-même à s’établir dans un état permanent de bonté, de manière à ne plus posséder à l’avenir les biens comme des acquisitions étrangères, mais à s’identifier avec la bonté elle-même. La prière convient donc surtout à ceux qui connaissent Dieu comme il veut être connu : point de vertu raisonnable et bien entendue sans l’obligation de savoir quels sont les biens véritables, ce qu’il faut demander, quand et comment il faut demander chaque objet. N’est-ce pas, en effet, le comble de l’extravagance, que d’aller porter ses prières à des dieux menteurs comme s’ils étaient des dieux réels, ou de solliciter, sons l’apparence de biens, des maux qui tourneraient à la ruine du solliciteur ? Voilà pourquoi, persuadés qu’il n’y a qu’un seul Dieu en qui réside toute bonté, nous demandons, les anges et nous, mais à des titres divers, tantôt que les biens nous soient octroyés, tantôt qu’il nous demeurent. Car, supplier Dieu de nous conserver ses dons, ou bien travailler dès l’origine à nous en rendre dignes, n’est pas la même chose. Il y a mieux. La détestation du mal et l’acte par lequel nous le repoussons est une sorte de prière, mais il faut se garder qu’elle devienne jamais sur nos lèvres un instrument de dommage contre les hommes, à moins que le Gnostique, sagement fidèle aux exigences de la justice, n’applique sa demande aux méchants qui ont dépouillé tout sentiment du bien. Parlons avec plus de hardiesse. La prière est un entretien avec le Seigneur. Nous avons beau nous exprimer à voix basse, ou méditer en nous-mêmes sans remuer les lèvres, nous avons crié du fond du cœur. Dieu a entendu cette parole intérieure qui arme toujours jusqu’à lui.
De là vient que nous élevons la tête et les mains vers le ciel ; que nous agitons les pieds dans la dernière acclamation de la prière. Il semble que le Chrétien, par ce symbole, poursuive avec les élans de l’esprit l’essence qui n’est perceptible qu’à l’intelligence. Détachant en quelque sorte de la. terre son corps avec ses paroles qui montent vers les cieux, il soulève son âme, qui, portée sur l’aile des pieux et saints désirs, plane dans les régions célestes et pénètre jusque dans le sanctuaire de Dieu, d’où elle regarde avec dédain la prison de la chair. Nous le savons, en effet, le Gnostique sort de la captivité de ce monde avec non moins de joie que l’Hébreu, quand il quitta la servitude de l’Égypte, afin de prouver qu’il est toujours prêt à se rapprocher le plus possible de son Dieu.
Quelques-uns assignent à l’oraison certaines heures particulières, par exemple, la troisième, la sixième et la neuvième. Le Gnostique, lui, consume sa vie dans la prière, désireux de vivre par elle dans l’intimité de Dieu. Parvenu à ce point, il a laissé, pour le dire en un mot, tout ce qui n’est pas utile, afin de puiser dans cet auguste commerce la consommation de l’homme qui n’agit que par amour. Cette triple division des heures, honorées par autant de prières, est connue de ceux qui n’ignorent pas que les célestes demeures renferment trois degrés différents.
Ici me reviennent à la mémoire certains hérétiques qui, attachés à l’opinion de Prodicus, proclamaient l’inutilité de la prière. De peur qu’ils ne viennent nous exalter leur sagesse impie comme une nouveauté dont ils seraient les inventeurs, apprenons aux sectaires qu’ils l’ont empruntée à l’école de Cyrène. Nous repousserons en leur temps les blasphèmes de ces prétendus Gnostiques. Mêlée à ce commentaire, cette longue dissertation Interromprait la démonstration présente, où nous établissons qu’il n’y a point d’autre fidèle et religieux adorateur de Dieu, que le Gnostique véritable, éclairé par la doctrine de l’Église, et que Dieu lui accorde à lui seul tout ce qu’il demande conformément à la volonté de Dieu, qu’il le sollicite par la parole ou par In pensée. Oui, Dieu peut tout ce qu’il veut. De même tout ce que demande le Gnostique, le Gnostique l’obtient. C’est que Dieu connaît jusqu’au fond de leur cœur quels sont les hommes dignes ou indignes de ses dons. De là vient qu’il accorde à chacun ce qui lui est expédient. Que les indignes le sollicitent, sa main reste fermée : il se plait, au contraire, à l’ouvrir pour tous ceux qui méritent ses largesses. Il les octroiera même sans qu’on les lui demande. Ne nous imaginons pas toutefois que la prière soit superflue.
L’action de grâces et la supplication pour tout ce qui se rattache à la conversion du prochain, sont encore dans les attributions du Gnostique. Aussi voyons-nous le Seigneur rendre grâces à son Père de ce que son ministère est accompli, et lui demander que le plus grand nombre possible de fidèles parviennent à la connaissance, afin que Dieu soit glorifié dans la personne de ses élus, par le salut, qui est le fruit de la vérité, et que le Dieu, seul bon, seul sauveur, soit connu, par l’intermédiaire du Fils, de génération en génération. La foi par laquelle nous espérons obtenir l’objet de nos demandes est elle-même une sorte de prière intellectuellement déposée au fond du cœur. Du reste, si la prière est une occasion de converser avec Dieu, point de doute qu’il ne faille négliger aucune occasion de se rapprocher de Dieu. La sainteté du véritable Gnostique en harmonie avec la bienheureuse Providence manifeste, par la confession spontanée, la perfection du bienfait divin. Car la pureté du Gnostique et la bienveillance réciproque de Dieu pour son serviteur, sont les deux extrémités correspondantes du gouvernement providentiel. Dieu n’est pas bon malgré lui, comme le feu, qui possède, sans le vouloir, la vertu d’échauffer. Il dispense ses biens par un acte de sa volonté, même quand il prévient les demandes. D’autre part, l’élu n’est pas sauvé malgré lui, puisqu’il a reçu une âme qui peut choisir ; mais il marche au salut dans la direction qu’il a embrassée par une détermination spontanée. Telle est la raison pour laquelle les commandements ont été donnés à l’homme, créature qui se meut librement et par elle-même, afin qu’elle puisse se déterminer librement pour le bien ou pour le mal. Dieu ne fait donc pas le bien par une nécessité qui l’enchaîne : il exerce dans la plénitude de sa volonté sa munificence à l’égard de ceux qui se jettent volontairement entre ses bras. La Providence qui descend d’en haut jusqu’à nous n’est point une puissance aveugle, fatalement occupée à servir les créatures en remontant progressivement de l’être le moins bon à celui qui l’est le plus. Non sans doute. Pleines de compassion pour notre néant, les dispensations non interrompues de la Providence s’exercent envers nous comme celles d’un pasteur à l’égard de son troupeau, d’un monarque à l’égard de ses sujets, comme notre obéissance à l’égard des préposés qui nous gouvernent, d’après les ordres qui leur ont été transmis par Dieu.
Quels sont donc les serviteurs et les adorateurs de Dieu ? Ceux qui lui rendent, par la piété non moins que par la connaissance, le culte véritablement magnifique et royal. Par là même tous les lieux, tous les temps où notre esprit conçoit la pensée de Dieu, sont réellement sacrés. Mais lorsque l’homme dont les dispositions sont vertueuses et le cœur reconnaissant demande par la voix de la prière, il contribue en quelque façon à s’investir lui-même de ce qu’il sollicite, puisque la prière est l’attestation qu’il recevra volontiers l’objet de son désir. Le dispensateur suprême de tous les dons n’a pas plutôt reçu l’expression de ce souhait, qu’il la fait suivre du trésor de ses largesses. Il est constant que la prière manifeste au dehors les dispositions intérieures que nous apportons à l’accomplissement du devoir. Si la parole et le langage nous ont été donnés pour nous comprendre mutuellement, comment Dieu n’entendrait-il pas notre âme, puisque sous nos yeux une âme comprend tous les jours une urne, un esprit un autre esprit ? J’en conclus que Dieu n’a pas besoin d’attendre, comme les interprètes des hommes, que la bouche articule des paroles : il connaît, pour le dire en un mot, les plus secrètes conceptions de tous. Ce que la voix exprime à nos oreilles, notre pensée le déclare à Dieu, qui savait même, avant la création, que cette pensée nous viendrait à l’esprit. Il est donc possible de prier sans articuler aucun mot, pourvu que, par une attention inséparablement attachée à Dieu, le fidèle applique à cette voix de l’intelligence toutes les facultés spirituelles de son être.
L’Orient est le symbole de celui qui est notre Jour. De l’Orient est partie la lumière qui jaillit pour la première fois des ténèbres. De l’Orient s’est levé le flambeau de la vérité sur la tête de ceux qui étaient plongés dans l’ignorance, à peu près comme le soleil se lève sur le monde sensible. Voilà pourquoi nous nous tournons vers le Levant quand nous prions. C’est encore pour cette raison que les temples, dans la plus haute antiquité, regardaient l’Occident, afin que ceux qui sacrifiaient debout et le visage tourné vers les simulacres des dieux, apprissent à se tourner vers l’Orient. « Que ma prière s’élève comme l’encens en votre présence ; que l’oblation de mes mains soit comme le sacrifice du soir, » disent les Psaumes.
La prière des méchants n’est point seulement funeste aux autres, elle est encore fatale à eux-mêmes. En effet, qu’ils viennent à recevoir les prétendus biens qu’ils ont demandés, ils se perdent par les dons même qu’ils obtiennent, puisqu’ils en ignorent le légitime usage. Envoyez-nous les biens que nous n’avons pas, s’écrient-ils ; et ils demandent ce qui leur paraît bon et non pas ce qui l’est véritablement. Mais le Gnostique, lui, demande la stabilité de ce qu’il possède, l’aptitude pour les biens qu’il attend et l’éternité pour ceux qu’il recevra. Les biens véritables, c’est-à-dire, les trésors de l’âme, il en sollicite l’obtention et la permanence. Aussi ne désire-t-il rien au-delà de ceux qu’il possède, satisfait de ceux qu’il a. Peut-on dire qu’il est dénué de biens personnels, quand il se suffit à lui-même par la grâce divine et par les richesses de la connaissance ?
Content de ce qui lui appartient, ne soupirant après rien de ce qui est à autrui, sachant à fond qu’elle est la volonté du Tout-Puissant, voyant ses vœux accomplis aussitôt que formés, attaché surtout à la puissance dans laquelle réside toute force, en travaillant à devenir spirituel, il s’identifie avec l’Esprit par une charité sans bornes. Ainsi plein de hautes pensées, cet homme, qui possède par la connaissance le trésor inestimable et le plus excellent de tous les biens, s’applique aisément à la contemplation, et porte au dedans de lui-même la faculté permanente de la contemplation, je veux dire le coup d’œil rapide et clairvoyant de la science. Ses efforts se dirigent principalement vers l’acquisition de cette faculté. Maître de tous les mouvements qui combattent l’esprit, établi dans l’indéfectible habitude de la contemplation, exercé de longue main à s’abstenir de ce qui est agréable, et à gouverner l’ensemble de sa conduite d’après les lois de la raison, que dirai-je encore ? riche des trésors de l’expérience, sous le rapport de la doctrine non moins que sous le rapport de la vie, il se distingue par la liberté de son langage. Ne croyez point qu’il tombe pour cela dans un débordement de paroles violentes et sans frein. Non ; son discours est simple. Jamais il ne dissimule, ni par complaisance ni par crainte, la vérité, toutes les fois qu’elle peut se dire en temps convenable, quelles que soient les personnes devant qui le devoir lui fait une loi de parler.
Celui donc qui a reçu du chœur mystique de la vérité elle-même la science de ce qui concerne Dieu ; qui, de plus, démontre avec la dignité que réclame la matière, et l’excellence de la vertu, et la nécessité de tout ce qui se rattache au culte divin, puise l’élévation de son âme dans la prière, et s’unit par un lien intellectuel aux choses de l’intelligence et de l’esprit. De là vient qu’il est toujours bienveillant, plein de mansuétude, d’un abord facile, patient, affable, reconnaissant, ne recevant de sa conscience que d’honorables témoignages.
Le Gnostique s’arme encore d’une austère rigidité, non pas seulement pour échapper à la corruption, mais afin qu’on n’essaie pas même de le corrompre. Jamais il n’ouvre son âme ni à la volupté ni à la douleur : encore moins se laisse-t-il subjuguer par elles. Assis sur le tribunal du juge, si le Verbe l’appelle à ces fonctions, il demeure impassible, sans rien accorder aux mouvements des passions, marchant d’un pas immuable dans la route que lui trace la justice, avec la conviction que la plus haute sagesse préside au gouvernement de ce monde, et que les âmes qui ont embrassé librement la vertu gravitent incessamment vers le bien, jusqu’à ce qu’elles touchent au bien par essence, arrivées déjà, pour ainsi-dire, dans les vestibules du Père, quand elles sont rapprochées du grand Pontife de la loi nouvelle.
Le Gnostique fidèle est donc celui qui est persuadé de cette vérité : Les choses de ce monde sont gouvernées pour le mieux. Avec cette pensée, il supporte sans plainte et sans murmure tous les événements qui surviennent. Ce qui est nécessaire aux besoins journaliers de la vie matérielle, il ne le demande pas. Pourquoi le ferait-il ? N’a-t-il pas l’invincible conviction que le Dieu à la providence duquel rien n’échappe, fournit à l’homme de bien ce qui lui est utile, sans attendre même ses sollicitations ? L’artisan est nourri par son art, le Gentil reçoit l’aliment qui convient au Gentil. Il en est de même du Gnostique : il reçoit par la gnose tout ce dont il a besoin. Le païen qui se convertit implore le don de la foi, celui qui monte les degrés de la connaissance soupire après la perfection de la charité. Mais le Gnostique qui est parvenu au faite de la science divine demande l’accroissement et la permanence de la contemplation, à peu près comme l’homme vulgaire fait des vœu pour que sa santé demeure toujours florissante.
Seigneur, que ma vertu ne défaille jamais, dira-t-il encore, pendant qu’il contribue de son coté à l’asseoir sur un fondement inébranlable. Il sait bien que la négligence précipita de leurs trônes quelques anges infidèles qui n’avaient pas su encore arrêter les inconsistantes fluctuations de leur volonté dans l’équilibre d’une nature unique. Mais êtes-vous parvenu des degrés inférieurs au point culminant de la connaissance ? Vous êtes-vous comme exercé aux sublimités de la perfection ? dès-lors, et le temps et le lieu, tout vient en aide à qui embrasse avec fermeté d’âme un régime de vie immuable et travaille à s’établir dans la constante uniformité du bien. Si vous laissez, au contraire, dans l’édifice quelque angle ruineux et penché vers la terre, les matériaux que vous avez déjà dressés en l’air avec le levier de la foi, vont crouler eux-mêmes dans une ruine commune. Ainsi, le fidèle qui a conquis dans l’exercice de la gnose une vertu inamissible, a transformé l’habitude de la vertu en une seconde nature. La pesanteur est inséparable de la pierre : de même, sa science lui devient une propriété inaliénable, et cela, non pas malgré lui, mais dans la plénitude de son choix, par la puissance combinée de la raison, de la gnose et de la prévoyance.
La vigilance, en effet, le conduit à cet état inamissible. Gardé par une précaution sévère, il ne pèche pas; retenu par la prudence et le bon conseil, il conserve le fruit de ses efforts. Or, la Gnose fournit, ce me semble, à qui la possède le bon conseil, en lui apprenant à discerner tout ce qui peut l’aider à se maintenir dans la vertu. La connaissance de Dieu, voilà donc le plus précieux de tous les trésors. Par conséquent, elle veille à l’inamissibilité de la vertu. Connaître Dieu, c’est être saint et pieux. Donc le véritable Gnostique, ainsi que nous l’avons établi précédemment, possède seul la piété. Sans doute, les biens présents le réjouissent ; mais les biens promis le transportent d’allégresse, comme s’ils étaient déjà présents. Ne dites pas : L’absence les lui cache : il connaît d’avance tout ce qu’ils sont. Persuadé par la gnose que l’avenir sera de telle et telle manière, il est déjà en possession de l’avenir. Ce qu’il y a d’incomplet et de défectueux doit se mesurer sur le degré de ses forces. S’il est vrai qu’il possède la sagesse et que la sagesse proprement dite, soit un attribut divin, celui qui participe de l’être auquel rien ne manque, ne manquera de rien lui-même. Car, dans la communication de la sagesse, l’être qui distribue et celui qui participe, ne se meuvent ni ne se retiennent mutuellement. Le premier ne s’appauvrit pas de ce que le second lui a enlevé. Par conséquent, l’abondance de celui qui donne ne s’épuise pas dans la fréquence de la communication.
Le Gnostique a donc tous les biens imaginables, virtuellement sinon en réalité, par ce qu’autrement il serait déjà investi sans retour des tabernacles par où l’âme passe de degrés en degrés, ainsi que des dispensations divines qui l’attendent.
Dieu lui vient aussi en aide en l’honorant d’un soin plus immédiat. L’ensemble des êtres n’a-t-il point été créé pour que l’homme vertueux en use et les possède, disons mieux, afin que les créatures servent au salut de l’homme vertueux ? Comment croire après cela que la Providence enlève les auxiliaires de la vertu à celui pour qui elle a tout opéré ? Nul doute qu’en soutenant la bonne nature et la sainteté du régime qu’ils ont embrassé, la divine sagesse ne communique à ceux qui ont résolu de bien vivre des forces pour consommer l’œuvre de leur salut, ici, en leur parlant par la voie de la simple exhortation, là, en tendant une main secourable à ceux qui l’ont mérité par leurs efforts personnels. Tout bien de cette espèce va donc naturellement chercher le Gnostique dont la fin est de savoir, et d’agir en toutes choses avec une parfaite connaissance. Regardez le médecin. Il rend la santé aux malades qui, par leur énergie intérieure, concourent avec lui au rétablissement de leur santé. Dieu se conduit de même vis-à-vis de nous. Il accorde le saint éternel à ceux qui travaillent concurremment avec lui à l’édifice de la connaissance et des bonnes œuvres. Oui, la promesse divine ne se réalise que par l’action de l’homme, puisque l’accomplissement des obligations imposées par le précepte est laissé en notre pouvoir. Aussi ne puis-je refuser mon admiration à ce mot de la Grèce. Un athlète qui n’était pas sans gloire dans l’antiquité avait longtemps exercé ce misérable corps pour l’accoutumer à la valeur. Il va combattre aux jeux olympiques. Tout à coup il aperçoit la statue de Jupiter qu’adoraient les Pisans : « Père des dieux, s’écria-t-il, si je n’ai rien omis pour me préparer au combat, donne-moi la victoire ! Tu me la dois. »
Il se passe quelque chose de semblable pour le Gnostique. Après qu’il a rempli, dans la mesure de ses forces, sans reproche et avec le témoignage d’une bonne conscience, tout ce qui concerne la doctrine, l’exercice, les œuvres et le désir de plaire à Dieu, il est sûr d’avoir conduit à terme dans toutes ses parties l’affaire de son salut. Dieu n’exige donc de nous que ce qu’il nous est possible de faire, c’est-à-dire, dans les biens absents ou présents qui intéressent notre salut, la détermination volontaire, le désir, la possession, l’usage, la persévérance.
Voilà pourquoi l’homme qui converse avec Dieu doit avoir une âme pure et sans tache, condition imprescriptible, s’il travaille à posséder en lui-même la perfection de la bonté. Sinon, qu’il cherche du moins à s’élever à la connaissance ; qu’il soupire après elle, mais surtout qu’il se tienne bien loin du mal.
Il convient encore au Gnostique de n’adresser à Dieu que des prières vertueuses et dans la compagnie des hommes vertueux. La communication avec les péchés d’autrui est contagieuse. Avec ceux dont la foi est récente encore, le Gnostique ne priera que sur les points ou la publicité de la demande est permise. Quant à sa vie entière, nous l’avons dit, c’est un long jour de fête. Ses sacrifices ordinaires sont ses prières elles-mêmes, les louanges de Dieu qu’il répète, les saintes Écritures qu’il lit avant ses repas, les psaumes et les hymnes qu’il chante, soit pendant qu’il est à table, soit avant de s’endormir, et enfin les prières de la nuit. Grâce à elles, enrôlé qu’il est déjà dans l’indéfectible contemplation qui lui rend Dieu toujours présent, il s’unit à tout le chœur divin par la constante application de sa pensée. Mais quoi ! le Gnostique ne connaît-il pas d’autres sacrifices encore ? Ne fait-il pas à l’indigent l’aumône des salutaires vérités et des biens matériels qu’il possède ? Oui, sans doute, et dans une mesure abondante. Mais comme il tient de la bouche du Seigneur lui-même quels sont les biens qu’il faut demander, jamais il ne recourt à ces longues et verbeuses prières que la voix articule. Il priera donc en tout lieu, mais non pour attirer sur lui les regards de la multitude. Sa promenade, sa conversation, son repos, ses lectures, les œuvres que dirige la raison, c’est toujours la prière sous mille formes différentes. Qu’il descende seulement par la pensée dans le sanctuaire de son âme, et qu’il invoque le Père avec des gémissements inénarrables, il n’a point encore achevé de parler que le Tout-Puissant l’a exaucé. Toutes les actions de l’homme sont déterminées par trois fins principales. La chose est-elle bonne et utile ? Voilà quel est le but de tout ce qu’entreprend le Gnostique. Il laisse le mobile du plaisir à ces âmes qui suivent à travers les misères et les angoisses la vie la plus commune.