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Bible de Jérusalem – Job 19

Le triomphe de la foi dans l’abandon de Dieu et des hommes.

19 Job prit la parole et dit :

2 Jusqu’à quand allez-vous me tourmenter
et m’écraser par vos discours ?
3 Voilà dix fois que vous m’insultez
et me malmenez sans vergogne.
4 Même si je m’étais égaré,
mon égarement resterait en moi seul.d

d Un égarement qu’excuserait la souffrance, cf. Job 6.24. Grec ajoute « en prononçant des mots qui ne conviennent pas, avec des paroles qui s’égarent et sont intempestives ».

5 Mais, en vérité, quand vous pensez triompher de moi
et m’imputer mon opprobre,
6 sachez que Dieu lui-même m’a fait du tort
et enveloppé de son filet.e

e Et non pas Job qui se prend lui-même au filet de ses fautes, cf. Job 18.8.

7 Si je crie à la violence, pas de réponse ;
si j’en appelle, point de jugement.
8 Il a dressé sur ma route un mur infranchissable,
mis des ténèbres sur mes sentiers.
9 Il m’a dépouillé de ma gloire,
ôté la couronne de ma tête.
10 Il me sape de toutes parts pour me faire disparaître ;
il déracine comme un arbre mon espérance.
11 Enflammé de colère contre moi,
il me considère comme son adversaire.
12 Ensemble ses troupes sont arrivées ;
elles ont frayé vers moi leur chemin d’approche,
campé autour de ma tente.

13 Mes frères, il les a écartés de moi,
mes relations s’appliquent à m’éviter.
14 Mes proches et mes familiers ont disparu,
les hôtes de ma maison m’ont oublié.f

f « les hôtes de ma maison » emprunté au début du v. 15.

15 Mes servantes me tiennent pour un intrus,
je suis un étranger à leurs yeux.
16 Si j’appelle mon serviteur, il ne répond pas,
quand de ma bouche je l’implore.
17 Mon haleine répugne à ma femme,
ma puanteur à mes propres frères.g

g Littéralement « les fils de mon ventre ». La formule est insolite pour désigner les enfants d’un père seule, l’expression « fruit du ventre » peut s’appliquer occasionnellement à ceux-ci (cf. Dt 28.53 ; Mi 6.7 ; Ps 132.11). Comme le poète suppose ailleurs la mort des fils de Job (cf. Job 8.4 ; 29.5), il s’agit plutôt de frères utérins et la formule s’éclaire en partie par Job 3.10 (cf. aussi Ps 69.9 « les fils de ma mère »).

18 Même les gamins me témoignent du mépris :
si je me lève, ils se mettent à dauber sur moi.
19 Tous mes intimes m’ont en horreur,
mes préférés se sont retournés contre moi.
20 Mes os sont collés à ma peau et à ma chair,
ah ! si je pouvais m’en tirer avec la peau de mes dents !h

h Peut-être, expression proverbiale.

21 Pitié, pitié pour moi, ô vous mes amis !
car c’est la main de Dieu qui m’a frappé.
22 Pourquoi vous acharner sur moi comme Dieu lui-même,
sans vous rassasier de ma chair ?

23 Oh ! je voudrais qu’on écrive mes paroles,
qu’elles soient gravées en une inscription,
24 avec un ciseau de fer et du plomb,
sculptées dans le roc pour toujours !
25 Je sais, moi, que mon Défenseuri est vivant,
que lui, le dernier, se lèvera sur la poussière.j

i Le mot go’el, imparfaitement rendu par « défenseur » est un terme technique du droit israélite, cf. Nb 35.19. On l’applique souvent à Dieu, sauveur de son peuple et vengeur des opprimés. Il fut appliqué au Messie par le judaïsme rabbinique, d’où sans doute la traduction de saint Jérôme « mon rédempteur ». — Job calomnié et condamné par ses amis attend un Défenseur qui, selon certains, n’est autre que Dieu lui-même ; mais le contexte de ce chap., où Dieu est plutôt l’adversaire de Job, ne favorise pas cette interprétation. Le go’el pourrait être ici le « cri du sang » personnifié, comme en Job 16.18-19, ou bien un médiateur céleste qui prendrait la défense de Job et le réconcilierait avec Dieu, cf. Job 16.19. Mais Job continue à croire son bonheur perdu et sa mort prochaine Dieu n’interviendra pour venger sa cause qu’après sa mort. Toutefois Job espère en être témoin, « voir » son vengeur. Il semble donc ici (après avoir imaginé, Job 14.10-14, la possibilité d’une attente au shéol durant le temps de la colère), dans un élan de foi au Dieu qui peut faire revenir du shéol (cf. 1 S 2.6 ; 1 R 17.17-24 ; Ez 37), escompter un retour passager à la vie corporelle, pour le temps de la vengeance.

j « se lèvera » terme juridique, appliqué souvent au témoin ou au juge, Job 31.14 ; Dt 19.16 ; Isa 2.19, 21 ; Ps 12.6. — « le dernier » rappelle Isa 44.6 ; 48.12.

26 Une fois qu’ils m’auront arraché cette peau qui est mienne,
hors de ma chair, je verrai Dieu.k

k Verset célèbre en exégèse pour ses difficultés de tous ordres. La trad. proposée suit l’hébr., quoiqu’il soit incertain ; en corrigeant, d’après les vss., on pourrait comprendre « Après mon réveil, il me dressera, près de lui ». La Vulgate a longtemps influencé l’exégèse catholique vers une traduction qu’une meilleure connaissance de l’évolution des idées théologiques d’Israël a rendue improbable « 25 Car je sais que mon Rédempteur est vivant, qu’au dernier jour je me lèverai de terre, 26 que de nouveau je serai entouré de ma peau et que dans ma chair, je verrai mon Dieu »

27 Celui que je verrai sera pour moi,
celui que mes yeux regarderont ne sera pas un étranger.
Et mes reins en moi se consument.
28 Lorsque vous dites : « Comment l’accabler,
quel prétexte trouverons-nous en lui ? »
29 Craignez pour vous-mêmes l’épée,
car la colère s’enflammeral contre les fautes,
et vous saurez qu’il y a un jugement.

l « s’enflammera » d’après le grec ; hébr. inintelligible.

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