19 Le troisième mois après leur sortie du pays d’Égypte, ce jour-là, les Israélites atteignirent le désert du Sinaï.
v Cette longue section contient surtout des matériaux de tradition ou rédaction sacerdotale, 19.1-2a ; 24.15—31.18 ; 34.29—40.38. Il faut mettre ensuite à part le Code de l’Alliance, 20.22—23.19, avec son appendice parénétique, 23.20-33. Le reste semble appartenir aux traditions yahviste et élohiste, mais avec beaucoup d’additions des rédactions récentes ; la distinction des différents éléments est difficile. Dans sa composition finale, l’alliance mosaïque scelle l’élection du peuple et les promesses qui lui furent faites, 6.6-8, de même que l’alliance avec Abraham, rappelée à 6.5, avait confirmé les premières promesses, Gn 17. Mais l’alliance avec Abraham était conclue avec un seul individu (bien qu’elle atteignît sa descendance) et ne comportait qu’une seule prescription, celle de la circoncision. L’alliance du Sinaï engage tout le peuple, qui reçoit une Loi le Décalogue et le Code de l’Alliance. Avec ses développements postérieurs, cette Loi deviendra la charte du judaïsme et Si 24.9-27 l’identifiera à la Sagesse. Mais elle est en même temps « un témoin contre le peuple », Dt 31.26, car sa transgression rend vaines les promesses et entraîne la malédiction de Dieu. Elle demeurera comme une instruction et une contrainte, préparant les âmes à la venue du Christ, qui scellera la Nouvelle Alliance. Saint Paul expliquera, contre les judaïsants, ce rôle temporaire de la Loi, Ga 3 ; Rm 7.
w La localisation du Sinaï est difficile. Depuis le IVe siècle de notre ère, la tradition chrétienne le place au sud de la péninsule qui en tire son nom, au djebel Mousa (2245 m). Mais une opinion actuellement répandue invoque les traits de caractère volcanique dans la description de la théophanie, 19.6, et l’itinéraire de Nb 33 (cf. 33.1) pour situer le Sinaï en Arabie où des volcans étaient encore en activité à l’époque historique. Ces arguments ne sont pas décisifs (cf. les notes mentionnées) et d’autres textes supposent une localisation plus proche de l’Égypte et du sud de la Palestine. En conséquence, une autre théorie situe le Sinaï près de Cadès, en s’appuyant sur les textes qui mettent Séïr, Édom et le mont Parân en rapport avec la manifestation divine, Jg 5.4 ; Dt 33.2 ; Ha 3.3. Mais Cadès n’est jamais associé au désert du Sinaï, et certains textes mettent clairement celui-ci loin de Cadès, Nb 11-13 ; 33 ; Dt 1.2, 19. La localisation dans le sud de la péninsule reste la plus vraisemblable. Malgré l’importance durable des événements et de la législation rattachés au Sinaï, 3.1—4.17 ; 18 ; 19-40 ; Nb 1-10, les Israélites semblent avoir vite oublié sa situation précise. L’épisode d’Élie, 1 R 19, cf. Si 48.7, est une exception. Pour saint Paul, Ga 4.24s, le Sinaï représente l’Ancienne Alliance.
3 Moïse alors monta vers Dieu. Yahvé l’appela de la montagne et lui dit : « Tu parleras ainsi à la maison de Jacob, tu déclareras aux Israélites :
x L’Alliance fera d’Israël le bien personnel et sacré de Yahvé, Jr 2.3, un peuple consacré, Dt 7.6 ; 26.19, ou saint (le mot hébreu signifie les deux choses) comme son Dieu est saint, Lv 19.2, cf. 11.44s ; 20.7, 26, un peuple de prêtres aussi, cf. Isa 61.6, car le sacré a un rapport immédiat avec le culte. La promesse trouvera sa pleine réalisation dans l’Israël spirituel, l’Église, où les fidèles seront appelés « saints », Ac 9.13, et, unis au Christ-Prêtre, offriront à Dieu un sacrifice de louange, 1 P 2.5, 9 ; Ap 1.6 ; 5.10 ; 20.6. — Les v. 3-6 ont un style et une phraséologie deutéronomique.
9 Yahvé dit à Moïse : « Je vais venir à toi dans l’épaisseur de la nuée, afin que le peuple entende quand je parlerai avec toi et croie en toi pour toujours. » Et Moïse rapporta à Yahvé les paroles du peuple.y
y La fin des vv. 8 et 9 est identique, mais la répétition est un indice de l’origine différente des passages (7s et 9s respectivement).
z Transcendance et sainteté sont inséparables et la sainteté implique une séparation du profane. Les lieux où Dieu se rend présent sont interdits, Gn 28.16-17 ; 3.5 ; 40.35 ; Lv 16.2 ; Nb 1.51 ; 18.22. De même l’arche sera intouchable, 2 S 6.7. Cette conception primitive du sacré comporte un enseignement permanent sur la grandeur inacessible et la majesté redoutable de Dieu.
a La deuxième partie du verset contient une indication qui reste énigmatique dans le contexte immédiat, mais elle pourrait être hors contexte et se rapporter à 24.9-11 c’est le seul passage qui parle de plusieurs qui montent au Sinaï.
14 Moïse descendit de la montagne et vint trouver le peuple qu’il fit se sanctifier, et ils lavèrent leurs vêtements.
b Les relations sexuelles rendent impropre à tout acte sacré. Cf. 1 S 21.5.
16 Or le surlendemain, dès le matin, il y eut des coups de tonnerre, des éclairs et une épaisse nuée sur la montagne, ainsi qu’un très puissant son de trompe et, dans le camp, tout le peuple trembla.
c Même si nos attributions restent conjecturales, les traditions yahviste, 19.18, sacerdotale, 24.15-17, et deutéronomiste, Dt 4.11-12a ; 5.23-24 ; 9.15, décrivent la théophanie du Sinaï dans le cadre d’une éruption volcanique. La tradition élohiste la décrit comme un orage, 19.16, cf. v. 19. Ce sont deux présentations inspirées des plus impressionnants spectacles de la nature une éruption volcanique comme les Israélites en avaient entendu parler par les visiteurs d’Arabie du Nord, ou comme ils avaient pu en observer de loin, dès le temps de Salomon (expédition d’Ophir) ; un orage de montagne comme ils pouvaient en voir en Galilée ou sur l’Hermon. On comprend que la première tradition soit celle du Yahviste, originaire du Sud, et que la seconde soit celle de l’Élohiste, originaire du Nord. Ces images expriment la majesté et la gloire de Yahvé, cf. 24.16, sa transcendance et la crainte religieuse qu’il inspire, cf. Jg 5.4s ; Ps 29 ; 68.8 ; 77.18-19 ; 97.3-5 ; Ha 3.3-15.
d Littéralement « dans (ou par) une voix ». Ce mot désigne toujours le tonnerre quand il est employé au pluriel, cf. v. 16. Au singulier, il peut aussi signifier le « tonnerre », mais il peut exprimer ici la voix intelligible de Dieu qui « répond » à Moïse.
e Les vv. 21-24 sont une addition qui se réfère aux vv. 12-13, et fait mention des prêtres qui, d’après la tradition sacerdotale, la seule qui en parle et longuement (28.1—29.35 ; 39.1-32 ; Lv 8-10), ne sont pas encore institués.
f La phrase est inachevée ; le récit a été interrompu par l’insertion du Décalogue à sa place actuelle. En 20.18-21 nous retrouvons le thème de la théophanie, mais ces versets ne sont pas la suite logique du récit de ce chapitre ils nous informent de la crainte du peuple, Moïse étant dans le campement.
33 Yahvé dit à Moïse : « Va, monte d’ici, toi et le peuple que tu as fait monter du pays d’Égypte, vers la terre dont j’ai dit par serment à Abraham, Isaac et Jacob que je la donnerais à leur descendance.
y Le chap. 33 rassemble des éléments dont le lien est le thème de la présence de Yahvé au milieu de son peuple. La partie la plus considérable du chapitre, vv. 1-6 et 12-23, semble être le prolongement de 32.7-14, 30-34 ; son dénouement se trouve seulement en 34.6-9. Le style est deutéronomisant.
z Les vv. 1-6, de style deutéronomisant, ne sont pas unifiés. Ici Yahvé commande au peuple de faire ce qu’il avait déjà fait de lui-même, vv. 2-3.
7 Moïse prenait la Tente et la plantait pour luib hors du camp, loin du camp. Il la nomma Tente du Rendez-vous, et quiconque avait à consulter Yahvéc sortait vers la Tente du Rendez-vous qui se trouvait hors du camp.
a C’est ici l’un des rares textes anciens qui parlent de la Tente, elle est le lieu du « Rendez-vous » de Yahvé avec Moïse et le peuple, Nb 11.16s ; 12.4-10 ; cf. 29.42-43 ; Lv 1.1.
b Ce pronom peut représenter Moïse, ou Yahvé, ou l’arche (nom masculin en hébreu) qui aurait été mentionnée auparavant dans le récit dont provient ce passage. Il est vraisemblable en effet que la Tente du désert était le sanctuaire de l’arche, et Josué y était attaché d’après le v. 11.
c C’est-à-dire demander un oracle, par l’intermédiaire de Moïse qui, dans la Tente, s’entretient seul avec Dieu ; sur ce rôle de Moïse, cf. déjà 18.15. Plus tard, on « consultera » Yahvé auprès d’un homme de Dieu ou d’un prophète, 1 R 14.5 ; 22.5, 8 ; 2 R 3.11 ; 8.8, etc., ou bien par le moyen des sorts sacrés, cf. 1 S 2.28 ; 14.41.
12 Moïse dit à Yahvé : « Vois, tu me dis : « Fais monter ce peuple », et tu ne me fais pas connaître qui tu enverras avec moi. Tu avais pourtant dit : « Je te connais par ton nom et tu as trouvé grâce à mes yeux. »
d Thème deutéronomiste, cf. Dt 3.10 ; 12.10 ; 25.19 ; Jos 1.13 ; 22.4 ; 23.1 ; cf. encore Ps 95.11. C’est l’accomplissement des promesses.
18 Il lui dit : « Fais-moi de grâce voir ta gloire. »e
e Voir note sur 24.16.
f En prononçant son nom, Dieu se révèle de quelque manière à Moïse, voir 3.13-15.
g Il y a un tel abîme entre la sainteté de Dieu et l’indignité de l’homme, voir Lv 17.1, que l’homme devrait mourir de voir Dieu, 19.21 ; Lv 16.2 ; Nb 4.20, cf. 6.25, ou seulement de l’entendre, 20.19 ; Dt 5.24-26 ; cf. 18.16. C’est pour cela que Moïse, 3.6, Élie, 1 R 19.13, et même les Séraphins, Isa 6.2, se voilent la face devant Yahvé. De rester en vie après avoir vu Dieu, on éprouve un étonnement reconnaissant, Gn 32.31 ; Dt 5.24, ou une crainte religieuse, Jg 6.22-23 ; 13.22 ; Isa 6.5. C’est une rare faveur que Dieu fait, 24.10-11, Dt 5.4, particulièrement à Moïse, comme à son « ami », 33.11 ; Nb 12.7-8 ; Dt 34.10, et à Élie, 1 R 19.11s, qui seront témoins de la Transfiguration du Christ, cette théophanie du Nouveau Testament, Mt 17.3, et resteront, dans la tradition chrétienne, comme les représentants éminents de la grande mystique (avec saint Paul, 2 Co 12.1s). Dans le Nouveau Testament, la « gloire » de Dieu, cf. ici v. 18 et 24.16, se manifeste en Jésus, Jn 1.14 ; 11.40 ; cf. 2 Co 4.4, 6, mais Jésus seul a contemplé Dieu son Père, Jn 1.18 ; 6.46 ; 1 Jn 4.12. Pour les hommes, la vision face à face est réservée à la béatitude du ciel, Mt 5.8 ; 1 Jn 3.2 ; 1 Co 13.12.
34 Yahvé dit à Moïse : « Taille deux tables de pierre semblables aux premières,i et j’écrirai sur les tables les paroles qui étaient sur les premières tables que tu as brisées.
h Le chap. 34.1-28 est le récit de tradition yahviste de la conclusion de l’alliance, mais des gloses aux vv. 1 et 4, cf. note en tête du ch. 32, en font seulement le renouvellement. En dehors de ces gloses et des vv. 6-9, il y a des additions des rédacteurs.
i Le texte grec ajoute ici « et monte vers moi sur la montagne » (peut-être par souci de cohérence avec la suite).
Il invoqua le nom de Yahvé.
j On ne sait pas si le sujet du verbe est Yahvé ou Moïse, mais, si ce qui suit semble une confession de foi, Yahvé avait promis de proclamer son nom. Le mieux est de voir ici la réalisation de la promesse de 33.19-23. La citation de Nb 14.17-18 le confirme.
10 Il dit : « Voici que je vais conclure une alliance : devant tout ton peuple je ferai des merveilles telles qu’il n’en a été accompli dans aucun pays ni aucune nation. Le peuple au milieu duquel tu te trouves verra l’œuvre de Yahvé, car c’est chose redoutable, ce que je vais faire avec toi.
k L’Alliance comporte à la fois des promesses et des commandements il n’y a pas d’opposition entre « grâce » et « loi ». On appelle parfois les vv. 14-26 le « Décalogue cultuel » (bien qu’on ne s’entende guère pour y distinguer dix commandements), ou le Code yahviste de l’Alliance, dont il fixe les conditions outre l’interdiction de l’idolâtrie et le sabbat qui se retrouvent dans le Décalogue d’20, ce sont des prescriptions cultuelles ; fêtes, prémices, sacrifices.
l Pour les stèles, voir 23.24. Le pieu sacré, ashera, était l’emblème de la déesse de l’amour et de la fécondité, Ashéra (grec Astarté), d’où il tire son nom.
m Par opposition au culte de Yahvé, comparé à un mariage légal, le culte des faux dieux est assimilé à une prostitution. Cf. Ez 16 et 23 ; Os 1-3 ; Ap 17.
17 Tu ne te feras pas de dieu de métal fondu.
18 Tu observeras la fête des Azymes. Pendant sept jours tu mangeras des azymes, comme je te l’ai ordonné, au temps fixé du mois d’Abib, car c’est au mois d’Abib que tu es sorti d’Égypte.
19 Tout être ouvrant le sein maternel est à moi : ainsi de tout ton troupeau, que ce soit un premier-né mâle de ton petit ou de ton gros bétail, tu feras l’occasion d’un mémorial.n
n Texte obscur, souvent corrigé d’après grec.
21 Pendant six jours tu travailleras, mais le septième jour, tu chômeras, que ce soient les labours ou la moisson, tu chômeras.
22 Tu célébreras la fête des Semaines, prémices de la moisson des blés, et la fête de la récolte au retour de l’année.
23 Trois fois l’an, toute ta population mâle se présentera devant le Seigneur Yahvé, Dieu d’Israël.
24 Je déposséderai les nations devant toi et j’élargirai tes frontières, et nul ne convoitera ta terre quand tu monteras te présenter devant Yahvé ton Dieu, trois fois l’an.
25 Tu n’offriras pas avec du pain levé le sang de ma victime, et la victime de la fête de Pâque ne sera pas gardée jusqu’au lendemain.
26 Le meilleur des prémices de ton terroir, tu l’apporteras à la maison de Yahvé ton Dieu et tu ne feras pas cuire un chevreau dans le lait de sa mère. »
27 Yahvé dit à Moïse : « Mets par écrit ces paroles car selon ces clauses, j’ai conclu mon alliance avec toi et avec Israël. »
28 Moïse demeura là, avec Yahvé, quarante jours et quarante nuits. Il ne mangea ni ne but, et ilo écrivit sur les tables les paroles de l’alliance, les dix paroles.
o Moïse, cf. v. 27, ou Yahvé, cf. 34.1 ; Dt 10.4. — « les dix paroles » est probablement une glose. Cf. Dt 4.13 ; 10.4.
29 Lorsque Moïse redescendit de la montagne du Sinaï, les deux tables du Témoignage étaient dans la main de Moïse quand il descendit de la montagne, et Moïse ne savait pas que la peau de son visage rayonnait parce qu’il avait parlé avec lui.
p Les vv. 29-35 sont d’origine incertaine. Ils rapportent une tradition sur le rayonnement du visage de Moïse, exprimé par le verbe qaran , dérivé de qeren , « corne », d’où la traduction littérale de la Vulg. « son visage avait des cornes ». Les vv. 29-33 utilisent cette tradition pour décrire Moïse à sa descente de la montagne ; les vv. 34-35 la rattachent à la Tente du Rendez-vous, dans la tradition de 33.7-11.