32 Quand le peuple vit que Moïse tardait à descendre de la montagne, le peuple s’assembla auprès d’Aaron et lui dit : « Allons, fais-nous un dieu qui aille devant nous, car ce Moïse, l’homme qui nous a fait monter du pays d’Égypte, nous ne savons pas ce qui lui est arrivé. »
n Du point de vue de la critique littéraire, les chap. 32-34 sont complexes, si bien qu’il est pratiquement impossible d’en distinguer le détail. Si une partie du texte semble venir des traditions yahviste et élohiste, une autre — et elle est considérable — n’a été ajoutée que par des rédacteurs tardifs, ici et là avec des traits de style ou de phraséologie deutéronomiques. Le texte actuel présente la conclusion de l’alliance de la tradition yahviste, 34, comme un renouvellement de celle du chap. 24, rompue par une rébellion d’Israël l’adoration du veau d’or. On peut penser que cet arrangement est artificiel et que l’épisode du veau d’or a été mis à cette place pour séparer les deux récits d’alliance et permettre de les conserver. Mais la partie plus ancienne du chap. 32 avait bien une signification comme deuxième volet d’un tableau d’ensemble, le premier étant le récit de la conclusion de l’alliance au chap. 24.2-8, 11.
o Le « Veau » d’or, ainsi appelé par dérision, est en fait une image de jeune taureau, l’un des symboles divins de l’ancien Orient. Un groupe concurrent du groupe de Moïse, ou une fraction dissidente de ce groupe, a eu ou a voulu avoir comme symbole de la présence de son Dieu une figure de taureau au lieu de l’arche d’Alliance. Mais il s’agit toujours de Yahvé, v. 5, qui a fait sortir Israël d’Égypte, vv. 4 et 8. On a dit que ce récit reportait au désert les veaux d’or de Jéroboam, mais il semble plutôt que ce dernier ait voulu reprendre une tradition ancienne, cf. 1 R 12.28. Le récit contient une partie ancienne, probablement de tradition élohiste aux vv. 1-6, 15-16, mais peut-être avec des additions de tradition ou rédaction sacerdotale, 19-20 et 35. Les vv. 17-18 et l’épisode de 25-29 semblent appartenir à un autre contexte, mais on leur a donné un sens ici, surtout à l’épisode des Lévites. Les vv. 7-14 (Dieu dévoile à Moïse le péché du peuple ; celui-ci intercède et obtient le pardon inconditionnel), 20-24 (Aaron n’est pas coupable parce qu’il a agi sur la demande du peuple) et 30-34 (nouvelle intercession de Moïse ; cette fois le châtiment est remis à un futur indéterminé) viennent seulement des rédacteurs ; la troisième de ces sections prépare les développements, également tardifs, de 33.1-6, 12-23 ; 34.6-9.
p Ce taureau n’est pas une image de Yahvé ; d’après les parallèles orientaux il est le piédestal de la divinité invisible, comme est l’arche dont il doit assumer le rôle de guide, cf. v. 1.
6 Le lendemain, ils se levèrent de bon matin, ils offrirent des holocaustes et apportèrent des sacrifices de communion. Le peuple s’assit pour manger et pour boire, puis ils se levèrent pour se divertir.
7 Yahvé dit alors à Moïse : « Allons ! descends, car ton peuple que tu as fait monter du pays d’Égypte s’est perverti.
q Ce v., qui manque dans le grec, pourrait venir de Dt 9.13.
11 Moïse s’efforça d’apaiser Yahvé son Dieu et dit : « Pourquoi, Yahvé, ta colère s’enflammerait-elle contre ton peuple que tu as fait sortir d’Égypte par ta grande force et ta main puissante ?
r Moïse apparaît comme le grand intercesseur déjà lors des plaies d’Égypte, 5.22-23 ; 8.4 ; 9.28 ; 10.17 ; en faveur de sa sœur Miryam, Nb 12.13 ; mais surtout pour tout le peuple au désert, 5.22-23 ; 32.11-14, 30-32 ; Nb 11.2 ; 14.13-19 ; 16.22 ; 21.7 ; Dt 9.25-29. Ces textes appartiennent pour l’essentiel aux stades récents, rédactionnels, de la formation du Pentateuque. Ce rôle est rappelé par Jr 15.1 ; Ps 99.6 ; 106.23 ; Si 45.3. Cf. 2 M 15.14. Cette intercession de Moïse préfigure celle du Christ.
15 Moïse se retourna et descendit de la montagne avec, en main, les deux tables du Témoignage, tables écrites des deux côtés, écrites sur l’une et l’autre face.
17 Josué entendit le bruit du peuple qui poussait des cris et il dit à Moïse : « Il y a un bruit de bataille dans le camp ! »
« Ce n’est pas le bruit de chants de victoire,
ce n’est pas le bruit de chants de défaite,
c’est le bruit de chants alternés que j’entends. »
19 Et voici qu’en approchant du camp il aperçut le veau et des chœurs de danse. Moïse s’enflamma de colère ; il jeta de sa main les tables et les brisa au pied de la montagne.
s L’eau est ainsi devenue une « eau de malédiction », cf. Nb 5.11-31. C’est une ordalie, ce qui veut dire que Yahvé lui-même frappera les coupables tous ne le seraient pas ou ne le seraient pas au même degré, le châtiment par la main des Lévites, vv. 25-29, n’étant pas de ce contexte. C’est le v. 35 qui rapporterait le dénouement de l’affaire. Dt 9.21 élimine l’ordalie.
21 Moïse dit à Aaron : « Que t’a fait ce peuple pour l’avoir chargé d’un si grand péché ? »
25 Moïse vit que le peuple s’était déchaîné — car Aaron les avait abandonnés à la honteu parmi leurs adversaires —
t L’épisode, probablement hors contexte, présente les prétentions des Lévites au sacerdoce, v. 29, en raison de leur zèle pour Yahvé.
u Le mot hébreu est de sens incertain.
27 Il leur dit : « Ainsi parle Yahvé, le Dieu d’Israël : ceignez chacun votre épée sur votre hanche, allez et venez dans le camp, de porte en porte, et tuez qui son frère, qui son ami, qui son proche. »
v La Vulg. porte « vingt-trois mille », peut-être d’après 1 Co 10.8, qui peut s’être inspiré de Nb 25.1-9.
w « Vous vous êtes conféré l’investiture » (Littéralement « vous vous êtes rempli les mains », cf. 28.41) grec ; « conférez-vous l’investiture » hébr.
30 Le lendemain, Moïse dit au peuple : « Vous avez commis, vous, un grand péché. Je m’en vais maintenant monter vers Yahvé. Peut-être pourrai-je expier votre péché ! »
x Le livre qui contient les actions des hommes et décrit leur destinée, cf. Ps 69.29 ; 139.16, etc.
33 Yahvé dit à Moïse : « Va, monte d’ici, toi et le peuple que tu as fait monter du pays d’Égypte, vers la terre dont j’ai dit par serment à Abraham, Isaac et Jacob que je la donnerais à leur descendance.
y Le chap. 33 rassemble des éléments dont le lien est le thème de la présence de Yahvé au milieu de son peuple. La partie la plus considérable du chapitre, vv. 1-6 et 12-23, semble être le prolongement de 32.7-14, 30-34 ; son dénouement se trouve seulement en 34.6-9. Le style est deutéronomisant.
z Les vv. 1-6, de style deutéronomisant, ne sont pas unifiés. Ici Yahvé commande au peuple de faire ce qu’il avait déjà fait de lui-même, vv. 2-3.
7 Moïse prenait la Tente et la plantait pour luib hors du camp, loin du camp. Il la nomma Tente du Rendez-vous, et quiconque avait à consulter Yahvéc sortait vers la Tente du Rendez-vous qui se trouvait hors du camp.
a C’est ici l’un des rares textes anciens qui parlent de la Tente, elle est le lieu du « Rendez-vous » de Yahvé avec Moïse et le peuple, Nb 11.16s ; 12.4-10 ; cf. 29.42-43 ; Lv 1.1.
b Ce pronom peut représenter Moïse, ou Yahvé, ou l’arche (nom masculin en hébreu) qui aurait été mentionnée auparavant dans le récit dont provient ce passage. Il est vraisemblable en effet que la Tente du désert était le sanctuaire de l’arche, et Josué y était attaché d’après le v. 11.
c C’est-à-dire demander un oracle, par l’intermédiaire de Moïse qui, dans la Tente, s’entretient seul avec Dieu ; sur ce rôle de Moïse, cf. déjà 18.15. Plus tard, on « consultera » Yahvé auprès d’un homme de Dieu ou d’un prophète, 1 R 14.5 ; 22.5, 8 ; 2 R 3.11 ; 8.8, etc., ou bien par le moyen des sorts sacrés, cf. 1 S 2.28 ; 14.41.
12 Moïse dit à Yahvé : « Vois, tu me dis : « Fais monter ce peuple », et tu ne me fais pas connaître qui tu enverras avec moi. Tu avais pourtant dit : « Je te connais par ton nom et tu as trouvé grâce à mes yeux. »
d Thème deutéronomiste, cf. Dt 3.10 ; 12.10 ; 25.19 ; Jos 1.13 ; 22.4 ; 23.1 ; cf. encore Ps 95.11. C’est l’accomplissement des promesses.
18 Il lui dit : « Fais-moi de grâce voir ta gloire. »e
e Voir note sur 24.16.
f En prononçant son nom, Dieu se révèle de quelque manière à Moïse, voir 3.13-15.
g Il y a un tel abîme entre la sainteté de Dieu et l’indignité de l’homme, voir Lv 17.1, que l’homme devrait mourir de voir Dieu, 19.21 ; Lv 16.2 ; Nb 4.20, cf. 6.25, ou seulement de l’entendre, 20.19 ; Dt 5.24-26 ; cf. 18.16. C’est pour cela que Moïse, 3.6, Élie, 1 R 19.13, et même les Séraphins, Isa 6.2, se voilent la face devant Yahvé. De rester en vie après avoir vu Dieu, on éprouve un étonnement reconnaissant, Gn 32.31 ; Dt 5.24, ou une crainte religieuse, Jg 6.22-23 ; 13.22 ; Isa 6.5. C’est une rare faveur que Dieu fait, 24.10-11, Dt 5.4, particulièrement à Moïse, comme à son « ami », 33.11 ; Nb 12.7-8 ; Dt 34.10, et à Élie, 1 R 19.11s, qui seront témoins de la Transfiguration du Christ, cette théophanie du Nouveau Testament, Mt 17.3, et resteront, dans la tradition chrétienne, comme les représentants éminents de la grande mystique (avec saint Paul, 2 Co 12.1s). Dans le Nouveau Testament, la « gloire » de Dieu, cf. ici v. 18 et 24.16, se manifeste en Jésus, Jn 1.14 ; 11.40 ; cf. 2 Co 4.4, 6, mais Jésus seul a contemplé Dieu son Père, Jn 1.18 ; 6.46 ; 1 Jn 4.12. Pour les hommes, la vision face à face est réservée à la béatitude du ciel, Mt 5.8 ; 1 Jn 3.2 ; 1 Co 13.12.
34 Yahvé dit à Moïse : « Taille deux tables de pierre semblables aux premières,i et j’écrirai sur les tables les paroles qui étaient sur les premières tables que tu as brisées.
h Le chap. 34.1-28 est le récit de tradition yahviste de la conclusion de l’alliance, mais des gloses aux vv. 1 et 4, cf. note en tête du ch. 32, en font seulement le renouvellement. En dehors de ces gloses et des vv. 6-9, il y a des additions des rédacteurs.
i Le texte grec ajoute ici « et monte vers moi sur la montagne » (peut-être par souci de cohérence avec la suite).
Il invoqua le nom de Yahvé.
j On ne sait pas si le sujet du verbe est Yahvé ou Moïse, mais, si ce qui suit semble une confession de foi, Yahvé avait promis de proclamer son nom. Le mieux est de voir ici la réalisation de la promesse de 33.19-23. La citation de Nb 14.17-18 le confirme.
10 Il dit : « Voici que je vais conclure une alliance : devant tout ton peuple je ferai des merveilles telles qu’il n’en a été accompli dans aucun pays ni aucune nation. Le peuple au milieu duquel tu te trouves verra l’œuvre de Yahvé, car c’est chose redoutable, ce que je vais faire avec toi.
k L’Alliance comporte à la fois des promesses et des commandements il n’y a pas d’opposition entre « grâce » et « loi ». On appelle parfois les vv. 14-26 le « Décalogue cultuel » (bien qu’on ne s’entende guère pour y distinguer dix commandements), ou le Code yahviste de l’Alliance, dont il fixe les conditions outre l’interdiction de l’idolâtrie et le sabbat qui se retrouvent dans le Décalogue d’20, ce sont des prescriptions cultuelles ; fêtes, prémices, sacrifices.
l Pour les stèles, voir 23.24. Le pieu sacré, ashera, était l’emblème de la déesse de l’amour et de la fécondité, Ashéra (grec Astarté), d’où il tire son nom.
m Par opposition au culte de Yahvé, comparé à un mariage légal, le culte des faux dieux est assimilé à une prostitution. Cf. Ez 16 et 23 ; Os 1-3 ; Ap 17.
17 Tu ne te feras pas de dieu de métal fondu.
18 Tu observeras la fête des Azymes. Pendant sept jours tu mangeras des azymes, comme je te l’ai ordonné, au temps fixé du mois d’Abib, car c’est au mois d’Abib que tu es sorti d’Égypte.
19 Tout être ouvrant le sein maternel est à moi : ainsi de tout ton troupeau, que ce soit un premier-né mâle de ton petit ou de ton gros bétail, tu feras l’occasion d’un mémorial.n
n Texte obscur, souvent corrigé d’après grec.
21 Pendant six jours tu travailleras, mais le septième jour, tu chômeras, que ce soient les labours ou la moisson, tu chômeras.
22 Tu célébreras la fête des Semaines, prémices de la moisson des blés, et la fête de la récolte au retour de l’année.
23 Trois fois l’an, toute ta population mâle se présentera devant le Seigneur Yahvé, Dieu d’Israël.
24 Je déposséderai les nations devant toi et j’élargirai tes frontières, et nul ne convoitera ta terre quand tu monteras te présenter devant Yahvé ton Dieu, trois fois l’an.
25 Tu n’offriras pas avec du pain levé le sang de ma victime, et la victime de la fête de Pâque ne sera pas gardée jusqu’au lendemain.
26 Le meilleur des prémices de ton terroir, tu l’apporteras à la maison de Yahvé ton Dieu et tu ne feras pas cuire un chevreau dans le lait de sa mère. »
27 Yahvé dit à Moïse : « Mets par écrit ces paroles car selon ces clauses, j’ai conclu mon alliance avec toi et avec Israël. »
28 Moïse demeura là, avec Yahvé, quarante jours et quarante nuits. Il ne mangea ni ne but, et ilo écrivit sur les tables les paroles de l’alliance, les dix paroles.
o Moïse, cf. v. 27, ou Yahvé, cf. 34.1 ; Dt 10.4. — « les dix paroles » est probablement une glose. Cf. Dt 4.13 ; 10.4.
29 Lorsque Moïse redescendit de la montagne du Sinaï, les deux tables du Témoignage étaient dans la main de Moïse quand il descendit de la montagne, et Moïse ne savait pas que la peau de son visage rayonnait parce qu’il avait parlé avec lui.
p Les vv. 29-35 sont d’origine incertaine. Ils rapportent une tradition sur le rayonnement du visage de Moïse, exprimé par le verbe qaran , dérivé de qeren , « corne », d’où la traduction littérale de la Vulg. « son visage avait des cornes ». Les vv. 29-33 utilisent cette tradition pour décrire Moïse à sa descente de la montagne ; les vv. 34-35 la rattachent à la Tente du Rendez-vous, dans la tradition de 33.7-11.