6 Lorsque les hommes commencèrent d’être nombreux sur la face de la terre et que des filles leur furent nées,
h Tout n’est pas clair pour nous dans ce bref épisode de tradition yahviste, mais l’auteur reprend sans doute des éléments d’une tradition populaire à caractère mythologique. La difficulté vient d’abord de l’identité des « fils de Dieu » (cf. Dt 32.8), puis de la relation qu’il peut y avoir entre leur union avec les filles des hommes et les nephilîm du v. 4. On pourrait penser que ces derniers (on songe ici à Ez 32.17-32, où l’on parle précisément de ceux qui sont « tombés », signification de nephilîm, et qui ont été placés ou sont couchés, malgré leur vaillance, parmi les victimes de l’épée, de même que dans le mythe grec des Titans) sont le résultat de l’union des « fils de Dieu » avec les filles des hommes, mais le texte dit seulement que les nephilîm habitaient sur la terre à ce moment-là. Ils pourraient être les Géants (ou Titans) sémitiques, mais ailleurs on les nomme « fils d’Anaq » ou Anaqîm (cf. Nb 13.28.33 ; Dt 1.28). Sans se prononcer sur la valeur de cette croyance et en voilant son aspect mythologique, il rappelle seulement ce souvenir d’une race insolente de surhommes, comme un exemple de la perversité croissante qui va motiver le déluge. Le judaïsme postérieur et presque tous les premiers écrivains ecclésiastiques ont vu des anges coupables dans ces « fils de Dieu ». Mais, à partir du IVe siècle, en fonction d’une notion plus spirituelle des anges, les Pères ont communément interprété les « fils de Dieu » comme la lignée de Seth et les « filles des hommes » comme la descendance de Caïn.
i « ...ne soit pas indéfiniment responsable » (texte). La signification du verbe est inconnue c’est seulement d’après le contexte (cf. grec et Vulg.), qu’on lui donne le sens de « demeurer ».
j Durée maximale à laquelle, selon l’auteur sacré, Dieu réduisit alors la vie de l’homme. Il faut y voir un châtiment pour sa faute l’union des filles des hommes aux « fils de Dieu » aurait été pour les hommes le moyen de se procurer l’immortalité.
5 Yahvé vit que la méchanceté de l’homme était grande sur la terre et que son cœur ne formait que de mauvais desseins à longueur de journée.
k Il y a dans cet ensemble beaucoup de répétitions, à commencer par la motivation du déluge, 6.5-8 et 9-13, et des différences notables (comparer 6.19-20 et 7.15-17 avec 7.2, 3), y compris celle de la chronologie face à 7.12 et 8.13, 14 (avec certaines données intermédiaires, notamment les deux périodes de 150 jours), d’autres passages (7.4, 10, 12 ; 8.6-12) supposent une plus courte durée. En fait, il y a ici deux récits pratiquement complets, le plus ancien de tradition yahviste, le plus récent de tradition sacerdotale. Le récit yahviste est plein de couleur et de vie ; celui de la tradition sacerdotale est plus détaillé, notamment pour la chronologie, et plus réfléchi. Les éléments des deux traditions ont été réunis sans chercher à faire disparaître les différences qui existent entre eux. Ici ou là, surtout en 7.3, les rédacteurs ont cependant tenté de faire disparaître une différence trop accentuée. Les rédacteurs sont aussi les responsables du plus grand morcèlement de la narration yahviste, peut-être même de l’absence des données concernant les préparatifs et la sortie de l’arche. La narration sacerdotale semble complète ; elle a été même conservée en grands blocs homogènes au début, 6.9-22, et à la fin, 9.1-17. À titre d’indication de lecture on peut signaler les passages de tradition yahviste (6.5-8 ; 7.1-2, 3-5, 7 ,10, 12, 16, 17, 22-23 ; 8.2-3 ,6-12, 20-22) et sacerdotale (6.9-22 ; 7.6, 11, 13-16, 17, 18-21, 24 ; 8.1-2, 3-5, 13, 14-19 ; 9.1-17), de même que ceux qui trahissent plus clairement la présence des rédacteurs (7.3, 8-9 et, en partie, 6.7 ; 7.7, 23 ; 8.20). Le thème d’un déluge est présent dans toutes les cultures, mais les récits de l’ancienne Mésopotamie ont un intérêt particulier à cause des ressemblances avec le récit biblique. Celui-ci n’en dépend pas directement (mais tel passage peut trahir ce type d’influence ; ainsi 8.6-12 et la tablette XI de l’Épopée de Gilgamesh). L’auteur sacré a chargé ces traditions d’un enseignement éternel sur la justice et la miséricorde de Dieu, sur la malice de l’homme et le salut accordé au juste (cf. He 11.7). C’est un jugement de Dieu, qui préfigure celui des derniers temps, Lc 17.26s ; Mt 24.37s, comme le salut accordé à Noé figure le salut par les eaux du baptême, 1 P 3.20-21.
l Ce repentir de Dieu exprime sous un mode humain l’exigence de sa sainteté, qui ne peut pas supporter le péché. 1 S 15.29 écartera une interprétation trop littérale. Beaucoup plus fréquemment, le « repentir » de Dieu signifie l’apaisement de sa colère et le retrait de sa menace, voir Ex 32.11-14 et Jr 26.3.
9 Voici l’histoire de Noé :
Noé était un homme juste, intègre parmi ses contemporains, et il marchait avec Dieu.
13 Dieu dit à Noé : « La fin de toute chair est arrivée, je l’ai décidé, car la terre est pleine de violence à cause des hommes et je vais les faire disparaître de la terre.
m La traduction latine porte arca (« coffre »), d’où le français « arche ». — « bois résineux » trad. approximative. — « roseaux » (comme la nacelle de Ex 2.3) conj. ; « nids » (cabines ?) hébr.
n Sens incertain. D’après la traduction adoptée, le toit aurait une pente d’une coudée pour l’écoulement des eaux du ciel, 7.11.
17 « Pour moi, je vais amener le déluge, les eaux, sur la terre, pour exterminer de dessous le ciel toute chair ayant souffle de vie :o tout ce qui est sur la terre doit périr.
o Le mot ruah désigne l’air en mouvement, soit le souffle du vent, Ex 10.13 ; Jb 21.18 ; soit celui qui sort des narines, 7.15, 22, etc. Il désigne donc la force vitale et les pensées, sentiments ou passions où elle s’exprime, 41.8 ; 45.27 ; 1 S 1.15 ; 1 R 21.5, etc. Chez l’homme il est un don de Dieu, 6.3 ; Nb 16.22 ; Jb 27.3 ; Ps 104.29 ; Qo 12.7. Il est aussi la puissance par laquelle Dieu agit, Ex 31.3 ; Jb 33.4 ; Ps 104.29-30, en particulier par l’organe des prophètes, Jg 3.10 ; Ez 36.28, et du Messie, Isa 11.2. Cf. Rm 1.9.
p Non pas un pacte bilatéral, mais un engagement gracieux que Dieu prend vis-à-vis de ceux qu’il a discernés. D’autres alliances suivront celle-ci, avec Abraham, 15 ; 17, avec tout le peuple, Ex 19.1 en attendant la « nouvelle alliance » conclue à la plénitude des temps, Mt 26.28 ; He 9.15.
q Les êtres non raisonnables sont associés, pour le châtiment et pour le salut, à la destinée de l’homme dont la méchanceté a corrompu toute la création, 6.13 ; nous sommes déjà proches de saint Paul, Rm 8.19-22.
7 Yahvé dit à Noé : « Entre dans l’arche, toi et toute ta famille, car je t’ai vu seul juste à mes yeux parmi cette génération.
4 Car encore sept jours et je ferai pleuvoir sur la terre pendant quarante jours et quarante nuits et j’effacerai de la surface du sol tous les êtres que j’ai faits. »
5 Noé fit tout ce que Yahvé lui avait commandé.
6 Noé avait six cents ans quand arriva le déluge, les eaux sur la terre.
r Addition qui combine les deux récits, distinguant animaux purs et impurs avec la tradition yahviste, comptant une paire de chacun avec la tradition sacerdotale.
11 En l’an six cent de la vie de Noé, le second mois, le dix-septième jour du mois, ce jour-là jaillirent toutes les sources du grand abîme et les écluses du ciel s’ouvrirent.s
s Les eaux d’en bas et les eaux d’en haut rompent les digues que Dieu leur avait posées, 1.7 c’est le retour au chaos. D’après le récit yahviste, le déluge est causé par une pluie torrentielle, 7.4, 12.
13 Ce jour même, Noé et ses fils, Sem, Cham et Japhet, avec la femme de Noé et les trois femmes de ses fils, entrèrent dans l’arche,
Et Yahvé ferma la porte sur Noé.
17 Il y eut le déluge pendant quarante jours sur la terre ; les eaux grossirent et soulevèrent l’arche, qui fut élevée au-dessus de la terre.
23 Ainsi disparurent tous les êtres qui étaient à la surface du sol, depuis l’homme jusqu’aux bêtes, aux bestioles et aux oiseaux du ciel : ils furent effacés de la terre et il ne resta que Noé et ce qui était avec lui dans l’arche.
8 Alors Dieu se souvint de Noé et de toutes les bêtes sauvages et de tous les bestiaux qui étaient avec lui dans l’arche ; Dieu fit passer un vent sur la terre et les eaux désenflèrent.
6 Au bout de quarante jours, Noé ouvrit la fenêtre qu’il avait faite à l’arche
13 C’est en l’an six cent un,t au premier mois, le premier du mois, que les eaux séchèrent sur la terre.
Noé enleva la couverture de l’arche ; il regarda, et voici que la surface du sol était sèche !
t Grec « de la vie de Noé », addition probablement faite en fonction de 7.6-13.
14 Au second mois, le vingt-septième jour du mois, la terre fut sèche.
15 Alors Dieu parla ainsi à Noé :
20 Noé construisit un autel à Yahvé, il prit de tous les animaux purs et de tous les oiseaux purs et offrit des holocaustes sur l’autel.
u Littéralement « l’odeur apaisante ». Cet anthropomorphisme passera dans le langage technique du rituel, cf. Ex 29.18, 25 ; Lv 1.9, 13 ; Nb 28.1, etc.
v Le cœur est l’intérieur de l’homme distingué de ce qui se voit et surtout de la « chair », 2.21. Il est le siège des facultés et de la personnalité, d’où naissent pensées et sentiments, paroles, décisions, action. Dieu le connaît à fond, quelles que soient les apparences, 1 S 16.7 ; Ps 17.3 ; 44.22 ; Jr 11.20. Le cœur est le centre de la conscience religieuse et de la vie morale, Ps 51.12, 19 ; Jr 4.4 ; 31.31-33 ; Ez 36.26. C’est dans son cœur que l’homme cherche Dieu, Dt 4.29 ; Ps 105.3 ; 119.2, 10 ; qu’il l’écoute, 1 R 3.9 ; Si 3.29 ; Os 2.16 ; cf. Dt 30.14 ; qu’il le sert, 1 S 12.20, 24, le loue, Ps 111.1, l’aime, Dt 6.5. Le cœur simple, droit, pur, est celui que ne divisent aucune réserve ou arrière-pensée, aucun faux-semblant, à l’égard de Dieu ou des hommes. Cf. Ep 1.18. Ce passage signale un tournant décisif dans la conduite de Dieu envers l’homme Yahvé, qui avait maudit la terre à cause de la désobéissance de l’homme et de la femme, 3.17, s’engage maintenant à ne plus détruire la terre par le déluge. Et, si le péché de l’homme était la raison du châtiment exemplaire, 6.5, maintenant il explique pourquoi Yahvé s’engage à ne plus jamais maudire la terre. Il y a là une transition pour que la malédiction du sol se change en bénédiction pour Abraham et, en lui, pour sa descendance et pour tous les clans de la terre, 12.1-3.
22 Tant que durera la terre, semailles et moisson, froidure et chaleur, été et hiver, jour et nuit ne cesseront plus. »w
w Les lois du monde sont rétablies pour toujours. Dieu sait que le cœur de l’homme reste mauvais mais il sauve sa création et, malgré l’homme, la conduira où il veut.
9 Dieu bénit Noé et ses fils et il leur dit : « Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre.
x L’homme est de nouveau béni et consacré roi de la création, comme aux origines, mais ce n’est plus un règne pacifique. Le nouvel âge verra la lutte des animaux avec l’homme et des hommes entre eux. La paix paradisiaque ne refleurira qu’aux derniers temps, Isa 11.6.
6 Qui verse le sang de l’homme, par l’homme aura son sang versé. Car à l’image de Dieu l’homme a été fait.y
y Tout sang appartient à Dieu, cf. Lv 1.5, mais éminemment le sang de l’homme fait à son image. Dieu le vengera, voir déjà 4.10, et il délègue à cet effet l’homme lui-même la justice d’État, et aussi les « vengeurs du sang », Nb 35.19.
7 Pour vous, soyez féconds, multipliez, pullulez sur la terre et la dominez. »z
z « dominez » redû conj., cf. 1.28 ; « multipliez » rebû hébr.
8 Dieu parla ainsi à Noé et à ses fils :
a L’alliance « noachique », dont le signe est l’arc-en-ciel, s’étend à toute la création ; l’alliance avec Abraham, dont le signe sera la circoncision, n’intéresse plus que les descendants du Patriarche, 17 ; sous Moïse, elle se limitera au seul Israël, avec, en contrepartie, l’obéissance à la loi, Ex 19.5 ; 24.7-8 ; 34.27-28 et, notamment, l’observance du sabbat, Ex 31.16-17.
12 Et Dieu dit : « Voici le signe de l’alliance que j’institue entre moi et vous et tous les êtres vivants qui sont avec vous, pour les générations à venir :
17 Dieu dit à Noé : « Tel est le signe de l’alliance que j’établis entre moi et toute chair qui est sur la terre. »
18 Les fils de Noé qui sortirent de l’arche étaient Sem, Cham et Japhet ; Cham est le père de Canaan.
b Ensemble formé par une notice généalogique, vv. 18-19, un récit plus développé, vv. 20-27, et des indications chronologiques sur la durée de la vie de Noé après le déluge, vv. 28-29, qui pourraient être le début de la table des nations, 10. Ces deux derniers versets sont de tradition sacerdotale, le reste de tradition yahviste. Les noms des trois fils de Noé, Sem, Cham et Japhet, et l’ordre même semblent une donnée fixe de la tradition ; cf. 5.32 ; 6.10 ; 7.13 ; 10.1. L’incise « Cham, père de Canaan », v. 19 (cf. 22), de la notice initiale prépare le récit de 20-27 et donc finalement sa malédiction, v. 25.
20 Noé, le cultivateur, commença de planter la vigne.
c Cham ne sera plus nommé et Canaan sera le sujet de la malédiction des vv. 25-27. Probablement son nom figurait seul dans le récit traditionnel. D’après le récit, v. 24, Canaan était le plus jeune des trois fils de Noé, si bien que l’ordre aurait dû être Sem, Japhet et Canaan.
« Maudit soit Canaan ! Qu’il soit pour ses frères l’esclave des esclaves ! »
d Les bénédictions et les malédictions des Patriarches, cf. 27 et 49, sont des paroles efficaces qui atteignent un chef de lignée et se réalisent en ses descendants la race de Canaan sera soumise à Sem, ancêtre d’Abraham et des Israélites, placés sous la protection spéciale de Yahvé, et à Japhet dont les descendants s’étendront aux dépens de Sem. La situation à partir de laquelle le récit s’est développé a pu être celle du règne de Saül et du début du règne de David, où Israélites et Philistins dominaient sur Canaan, et où les Philistins avaient envahi une partie du territoire d’Israël. Beaucoup de Pères ont vu ici l’annonce de l’entrée des Gentils (Japhet) dans la communauté chrétienne issue des Hébreux (Sem).
26 Il dit aussi :
« Béni soit Yahvé, le Dieu de Sem, et que Canaan soit son esclave !
27 Que Dieu mette Japhet au large,e qu’il habite dans les tentes de Sem, et que Canaan soit son esclave ! »
e L’hébreu joue sur les mots Yaphet et yapht « qu’il mette au large ».
28 Après le déluge, Noé vécut trois cent cinquante ans.