5 Voyant les foules, il gravit la montagne,y et quand il fut assis, ses disciples s’approchèrent de lui.
x Jésus a exposé l’esprit nouveau du Royaume de Dieu, 4.17, dans un discours inaugural, que Mc a omis, Mc 3.19, et dont et Lc (Lc 6.20-49) présentent deux rédactions différentes. Luc a supprimé, comme moins intéressant pour ses lecteurs, ce qui concernait les lois ou pratiques juives, 5.17—6.18 ; au contraire a inséré des paroles prononcées en d’autres occasions (voir leurs parallèles dans Lc), afin d’obtenir un programme plus complet. La structure de base : 1° introduction 5.1-16, 2° nouvelle interprétation de la Loi morale biblique (le Décalogue, les grands commandements d’amour de Dieu et du prochain, les devoirs de piété) 5.17—7.12, 3° conclusion 7.13-29. Cette interprétation nouvelle représente un approfondissement et une intériorisation.
y Une des collines proches de Capharnaüm.
3 « Heureuxz ceux qui ont une âme de pauvre,a car le Royaume des Cieux est à eux.
z L’AT employait parfois des formules de félicitations comme celles-ci, à propos de piété, de sagesse, de prospérité, Ps 1.1-2 ; 33.12 ; 127.5-6 ; Pr 3.3 ; Si 31.8 ; etc. Des béatitudes similaires de caractère sapientiel ont été découvertes à Qûmran. Jésus rappelle, dans l’esprit des prophètes, que les pauvres aussi ont part à ces « bénédictions » les trois premières « béatitudes », 5.3-5, Lc 6.20-21, déclarent que des hommes considérés d’ordinaire comme malheureux et maudits sont heureux, puisqu’ils sont aptes à recevoir la bénédiction du Royaume. Les béatitudes suivantes intéressent plus directement l’attitude morale de l’homme. Autres béatitudes de Jésus, 11.6 ; 13.16 ; 16.17 ; 24.46 ; Lc 11.27-28 ; etc. Voir aussi Lc 1.45 ; Ap 1.3 ; 14.13 ; etc.
a Le Christ reprend le mot « pauvre » avec la nuance morale déjà perceptible chez Sophonie, cf. So 2.3, explicitée ici par l’expression « en esprit », absente de Lc 6.20. Démunis et opprimés, les « pauvres » ou les « humbles » sont disponibles pour le Royaume des Cieux, tel est le thème des Béatitudes, cf. Lc 4.18 ; 7.22 = 11.5 ; Lc 14.13 ; Jc 2.5. La « pauvreté » va de pair avec l’« enfance spirituelle » nécessaire pour entrer dans le Royaume, 18.1s = Mc 9.33s, cf. Lc 9.46 ; 19.13s ; 11.25s (le mystère révélé aux « petits » nèpioi, cf. Lc 12.32 ; 1 Co 1.26s). Aux « pauvres », ptôchoi, correspondent encore les « humbles », tapeinoi, Lc 1.48, 52 ; 14.11 ; 18.14 ; 23.12 ; 18.4, les « derniers » opposés aux « premiers », Mc 9.35, les « petits » opposés aux « grands », Lc 9.48 ; cf. 19.30 ; 20.26 (cf. Lc 17.10). Bien que la formule de 5.3 souligne l’esprit de pauvreté, chez le riche comme chez le pauvre, ce que le Christ envisage généralement est une pauvreté effective, en particulier pour ses disciples, 6.19s, cf. Lc 12.33s ; 6.25 ; 4.18s (cf. Lc 5.1s) ; 9.9 ; 19.21 ; 19.27 (cf. Mc 10.28) ; cf. Ac 2.44s ; 4.32s. Lui-même donne l’exemple de la pauvreté, Lc 2.7 ; 8.20, et de l’humilité, 11.29 ; 20.28 ; 21.5 ; Jn 13.12s ; cf. 2 Co 8.9 ; Ph 2.7s. Il s’identifie aux petits et aux malheureux, 25.45, cf. 18.5s.
4 Heureux les doux,b
car ils posséderont la terre.
b Ou « les humbles ». Repris du Ps selon le grec. Le v. 4 pourrait n’être qu’une glose du v. 3 ; son omission ramènerait le nombre des béatitudes à sept, cf. 6.9.
5 Heureux les affligés,
car ils seront consolés.
6 Heureux les affamés et assoiffés de la justice,
car ils seront rassasiés.
7 Heureux les miséricordieux,
car ils obtiendront miséricorde.
8 Heureux les cœurs purs,
car ils verront Dieu.
9 Heureux les artisans de paix,
car ils seront appelés fils de Dieu.
10 Heureux les persécutés pour la justice,
car le Royaume des Cieux est à eux.
11 Heureux êtes-vous quand on vous insultera, qu’on vous persécutera, et qu’on dira faussement contre vous toute sorte d’infamie à cause de moi.
c Les disciples sont les successeurs des prophètes, cf. 10.41 ; 13.17 ; 23.34.
13 « Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel vient à s’affadir, avec quoi le salera-t-on ? Il n’est plus bon à rien qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds par les gens.
14 « Vous êtes la lumière du monde. Une ville ne se peut cacher, qui est sise au sommet d’un mont.
d Dans l’Antiquité, le boisseau était un petit meuble à trois ou quatre pieds. Il ne serait donc question ici que de cacher la lampe sous ce meuble, un peu comme sous le lit de Mc 4.21, non de l’éteindre en la couvrant d’un boisseau moderne.
17 « N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir.e
e Jésus ne vient ni détruire la Loi, Dt 4.8 (et toute l’économie ancienne) ni la consacrer comme intangible, mais lui donner par son enseignement et son comportement une forme nouvelle et définitive, où se réalise enfin en plénitude ce vers quoi la Loi acheminait. C’est vrai en particulier de la « Justice », v. 20, cf. 3.15 ; Lv 19.15 ; Rm 1.16, justice « parfaite », v. 42, dont les sentences des vv. 21-48 donnent plusieurs exemples marquants. Le précepte ancien devient intérieur et porte jusqu’au désir et au motif secrets, cf. 12.34 ; 23.25-28. Aucun détail de la Loi ne doit donc être omis à moins d’avoir été ainsi conduit à son achèvement, vv. 18-19 ; cf. 13.52. Il s’agit moins d’allègement que d’approndissement, 11.28. L’amour, où déjà se résumait la Loi ancienne, 7.12 ; 22.34-40, devient le commandement nouveau et inépuisable de Jésus, Jn 13.34, et accomplit toute la Loi, Rm 13.8-10 ; Ga 5.14 ; cf. Col 3.14.
f En introduisant par Amen, Ps 41.14 ; Rm 1.25, certaines de ses paroles, Jésus en marque l’autorité 6.2, 5, 16, etc. ; Jn 1.51, etc. Le mot hébreu qui désignait à l’origine la fermeté a évolué dans deux directions celle de vérité et celle de fidélité. Ici cela signifie simplement « en vérité ».
g Littéralement « pas un iota, pas un menu trait ».
20 « Car je vous le dis : si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux.
21 « Vous avez entenduh qu’il a été dit aux ancêtres : Tu ne tueras point ; et si quelqu’un tue, il en répondra au tribunal.
h L’enseignement traditionnel était donné oralement, surtout dans les synagogues.
i Le mot Raqa, traduit de l’araméen, signifie tête vide, sans cervelle.
j Ici le Grand Sanhédrin, qui siégeait à Jérusalem, par opposition aux simples « tribunaux », vv. 21-22, répandus dans le pays.
k Au sens premier du terme grec « insensé », l’usage juif ajoutait une nuance beaucoup plus grave d’impiété religieuse.
27 « Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu ne commettras pas l’adultère.
31 « Il a été dit d’autre part : Quiconque répudiera sa femme, qu’il lui remette un acte de divorce.
33 « Vous avez encore entendu qu’il a été dit aux ancêtres : Tu ne te parjureras pas, mais tu t’acquitteras envers le Seigneur de tes serments.
35 ni par la Terre, car c’est l’escabeau de ses pieds ; ni par Jérusalem, car c’est la Ville du grand Roi.
l Cette formule apparemment bien connue, cf. 2 Co 1.17 ; Jc 5.12, peut s’expliquer de diverses façons : 1° Véracité si c’est oui, dites oui ; si c’est non, dites non. 2° Sincérité que le oui (ou le non) de la bouche corresponde au oui (ou au non) du cœur. 3° Solennité la répétition du oui ou du non serait une forme solennelle d’affirmation ou de négation qui doit suffire et dispenser de recourir à un serment engageant la divinité.
38 « Vous avez entendu qu’il a été dit : Œil pour œil et dent pour dent.
m Jésus fait allusion à ce qu’on appelle la « loi du talion ». En proportionnant la punition au tort causé, celle-ci représentait une restriction de la vengeance (cf. Gn 4, 23-24). Avec cette injonction de Jésus, on franchit une nouvelle étape de l’évolution des mœurs, dont on retrouve d’ailleurs l’écho dans des textes rabbiniques ultérieurs. On notera que tous les exemples concernent un mal par lequel on est soi-même lésé. Jésus n’interdit, ni de s’opposer dignement aux attaques injustes, cf. Jn 18.22s, ni, encore moins, de combattre le mal dans le monde.
n À titre de gage, cf. Ex 22.25s ; Dt 24.12s. Le tour volontairement paradoxal de la pensée est manifeste ; cf. 19.24.
43 « Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.o
o La deuxième partie de ce commandement ne se trouve pas telle quelle dans la Loi, et ne saurait s’y trouver. Cette expression forcée d’une langue pauvre en nuances (l’original araméen) équivaut à « Tu n’as pas à aimer ton ennemi. » Comparer Lc 14.26 et son parallèle 10.37. On trouve toutefois en Si 12.4-7 et dans les écrits de Qumrân (1 QS 1.10, etc.) une détestation des pécheurs qui n’est pas loin de la haine, et à laquelle Jésus a pu songer.
p Add. « faites du bien à ceux qui vous haïssent ».
q Add. « et pour ceux qui vous maltraitent », cf. Lc 6.27s.
r Percepteurs d’impôts (et donc souvent coupables d’extorsions), que leur profession vouait au mépris public ; cf. 9.10 ; 18.17.