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Bible de Jérusalem

Sagesse 2

2 Car ils disent entre eux, dans leurs faux calculs :

« Courte et triste est notre vie ;t
il n’y a pas de remède lors de la fin de l’homme
et on ne connaît personne qui soit revenuu de l’Hadès.

t Cette appréciation pessimiste de la vie se rencontre ailleurs dans la Bible, cf. Gn 47.9 ; Jb 14.1-2 ; Ps 39.5-7 ; 90.9-10 ; Qo 2.23 ; Si 40.1-2 ; on la retrouve aussi dans la littérature grecque, mais avec un désarroi plus profond ou une note mélancolique plus accentuée.

u Ou peut-être « qui ait délivré ». L’Hadès désigne ici, comme en Ap 1.18, le séjour des morts, Nb 16.33, d’où l’on ne peut remonter, Jb 7.9, et non plus la puissance de la mort personnifiée comme plus haut, 1.14. Les impies ne croient même pas à son existence et nient celle-ci à partir de l’expérience.

2 Nous sommes nés du hasard,v
après quoi nous serons comme si nous n’avions pas existé.
C’est une fumée que le souffle de nos narines,
et la pensée, une étincelle qui jaillit au battement de notre cœur ;

v Le concours fortuit d’éléments ou d’atomes explique l’origine de chaque individu et cet assemblage se défait entièrement à la mort. Ensuite (2c-d), le souffle vital est ramené à un phénomène d’échauffement et de combustion de l’air, la pensée, à une étincelle que fait jaillir « le battement du cœur ». Cette explication mécaniste durcit certaines théories grecques pour mieux pulvériser la réalité de l’âme ; en même temps elle prend le contre-pied de doctrines bibliques, avec une allusion ironique au « souffle des narines », Gn 2.7 ; Jb 27.3.

3 qu’elle s’éteigne, le corps s’en ira en cendre
et l’esprit se dispersera comme l’air inconsistant.
4 Avec le temps, notre nom tombera dans l’oubli,w
nul ne se souviendra de nos œuvres ;
notre vie passera comme les traces d’un nuage,
elle se dissipera comme un brouillard
que chassent les rayons du soleil
et qu’abat sa chaleur.

w Dans la Bible cet oubli est présenté souvent comme le châtiment des impies, cf. Dt 9.14 ; Jb 18.17 ; Ps 9.6-7 ; Si 44.9, etc., mais quelques textes l’appliquent à tous les morts sans distinction, Ps 31.13 ; Qo 2.16 ; 9.5.

5 Oui, nos jours sont le passage d’une ombre,
notre fin est sans retour,
le sceau est apposé et nul ne revient.x

x Ou « ne fait revenir ».

6 Venez donc et jouissons des biens présents,
usons des créatures avec l’ardeur de la jeunesse.
7 Enivrons-nous de vins de prix et de parfums,
ne laissons point passer la fleur du printemps,y

y « Du printemps » mss grecs, syr. hex., arm. ; « de l’air » texte reçu et syr.

8 couronnons-nous de boutons de roses, avant qu’ils ne se fanent,
9 qu’aucune prairiez ne soit exclue de notre orgie,
laissons partout des signes de notre liesse,
car telle est notre part, tel est notre lot !

z « Qu’aucune prairie » mèdeis leimôn conj. d’après lat. ; « qu’aucun de nous » mèdeis hèmôn grec.

10 Opprimons le juste qui est pauvre,a
n’épargnons pas la veuve,
soyons sans égards pour les cheveux blancs chargés d’années du vieillard.b

a Sarcasme :Le « juste » est « pauvre », malgré les promesses formelles de l’Écriture, Ps 37.25 ; 112.3 ; Pr 3.9-10 ; 12.21, etc.

b Ceux-là mêmes que l’Écriture prescrit de respecter et de protéger.

11 Que notre force soit la loi de la justice,c
car ce qui est faible s’avère inutile.

c Cette norme qui entraîne le mépris des faibles se substitue à la Loi qui trace le chemin de la justice. La Bible connaît ce primat de la force, Jb 12.6 ; Ha 1.7, 11, et le montre souvent à l’œuvre ; certaines théories grecques justifiaient le droit du plus fort comme étant conforme à la nature. Cf. par contre 12.16.

12 Tendons des pièges au juste, puisqu’il nous gêned
et qu’il s’oppose à notre conduite,
nous reproche nos fautes contre la Loi
et nous accuse de fautes contre notre éducation.

d Influence littéraire d’Isa 3.10 (LXX), à moins que la dépendance ne se soit exercée en sens inverse.

13 Il se flatte d’avoir la connaissance de Dieue
et se nomme enfant du Seigneur.

e Non seulement la connaissance du Dieu unique, mais celle de ses volontés, Rm 2.17-20, mises en pratique, peut-être aussi celle de ses desseins mystérieux sur l’homme (cf. 2.22).

14 Il est devenu un blâme pour nos pensées,
sa vue même nous est à charge ;
15 car son genre de vie ne ressemble pas aux autres,
et ses sentiers sont tout différents.f

f Les impies reprennent les griefs formulés souvent contre le peuple juif, séparé du reste des hommes par ses croyances et ses pratiques.

16 Il nous tient pour chose frelatée
et s’écarte de nos chemins comme d’impuretés.
Il proclame heureux le sort final des justesg
et il se vante d’avoir Dieu pour père.

g Allusion possible à l’histoire de Job, Jb 42.12-15, si l’horizon reste limité aux rétributions temporelles. Mais l’expression évoque peut-être, de la part du juste, l’assurance d’une récompense dans l’au-delà, et les impies en déformeraient la portée.

17 Voyons si ses dires sont vrais,
expérimentons ce qu’il en sera de sa fin.h

h Lat. ajoute « et nous saurons quel sera son sort final ». C’est une seconde traduction du texte grec.

18 Car si le juste est fils de Dieu,i Il l’assistera
et le délivrera des mains de ses adversaires.

i Dans la Bible, l’expression « fils de Dieu » désigne souvent Israël ou les Israélites, Ex 4.22-23 ; Dt 14.1 ; Isa 1.2 ; Os 11.1. Mais on note ensuite la tendance à la réserver aux seuls justes ou au peuple de l’avenir, cf. déjà Os 2.1. Elle reçoit parfois une application individuelle, 2 S 7.14 ; Ps 2.7 ; Si 4.10. Mais s’il arrive à un Israélite d’invoquer Dieu comme père, Si 23.1, 4 ; 51.10 ; cf. aussi Ps 89.27, aucun ne se désigne de lui-même comme « son fils ». Dans le reste du livre, le titre est attribué aux Israélites du passé membres d’un peuple saint, 9.7 ; 12.19, 21 ; 16.10, 26 ; 18.4, 13.

19 Éprouvons-le par l’outrage et la torture
afin de connaître sa sérénité
et de mettre à l’épreuve sa résignation.
20 Condamnons-le à une mort honteuse,
puisque, d’après ses dires, il sera visité. »j

j Littéralement « il y aura une visite (de Dieu) pour lui ». Sur cette « visite » cf. 3.7. — Les correspondances avec la Passion du Christ condamné à une « mort honteuse » parce qu’il se déclarait « fils de Dieu » ont frappé les premières générations chrétiennes, cf. Mt 27.43, et nombre de Pères ont considéré ce passage comme prophétique. L’auteur a directement en vue les Juifs fidèles d’Alexandrie, raillés et persécutés par les renégats et leurs alliés païens. Mais il est amené à décrire une persécution idéale ou typique. Aussi son texte convient-il éminemment au Juste par excellence, He 12.3.

Erreur des impies.

21 Ainsi raisonnent-ils, mais ils s’égarent,
car leur malice les aveugle.
22 Ils ignorent les secrets de Dieu,k
ils n’espèrent pas de rémunération pour la sainteté,
ils ne croient pas à la récompense des âmes pures.

k Les secrets desseins de Dieu concernant la destinée immortelle de l’homme.

23 Oui, Dieu a créé l’homme pour l’incorruptibilité,
il en a fait une image de sa propre nature ;l

l Littéralement « de sa propre propriété »; var. « de sa propre éternité » ou : « de sa propre ressemblance ». — L’auteur reprend ici d’une façon originale le thème de l’homme créé à l’image de Dieu, Gn 1.26, avec une expression recherchée qui semble insister sur l’éternité divine.

24 c’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde :m
ils en font l’expérience, ceux qui lui appartiennent !

m « Diable » traduit, dans les LXX, l’hébreu satan, cf. Jb 1.6. L’auteur interprète ici Gn 3, cf. Jn 8.44 ; 1 Jn 3.8 ; Ap 12.9 ; 20.2. La mort que le diable a fait entrer dans le monde est la mort spirituelle, avec sa conséquence la mort physique, cf. 1.13 ; Rm 5.12s.

Sagesse 5

5 Alors le justep se tiendra debout, plein d’assurance,
en présence de ceux qui l’opprimèrent,
et qui, pour ses labeurs, n’avaient que mépris.

p Le terme doit avoir la même portée qu’en 2.12s, cf. 2.20. Il semble même généraliser davantage. Cependant certains critiques relèvent ensuite des correspondances avec le Serviteur, Isa 53, voire même avec le Maître de justice des textes de Qumrân. Le développement fait penser à une figure exemplaire, représentant tous ceux qui subissent des épreuves semblables et connaîtront la même revanche dans l’au-delà.

2 À sa vue, ils seront troublés par une peur terrible,
stupéfaits de le voir sauvé contre toute attente.
3 Ils se diront entre eux, saisis de regrets
et gémissant,q le souffle oppressé :

q « gémissant » lat., copte ; « ils gémiront » grec.

4 « Le voilà, celui que nous avons jadis tourné en dérision
et dont nous avons fait un objet d’outrage, nous, insensés !
Nous avons tenu sa vie pour folie,
et sa fin pour infâme.
5 Comment donc a-t-il été compté parmi les fils de Dieu ?
Comment a-t-il son lot parmi les saints ?r

r « fils de Dieu » et « saints » peuvent désigner les anges :cf. d’une part Jb 1.6 ; Ps 29.1 ; 82.1 ; 89.7 ; d’autre part Jb 5.1 ; 15.15 ; Ps 89.6, 8 ; Si 42.17 ; Dn 4.14 ; Za 14.5. Mais à cause de 2.18, plusieurs identifient les « fils de Dieu » avec les élus qui partagent dans le ciel l’intimité de Dieu et qui sont susceptibles également d’être appelés « saints » cf. Ps 16.3 ; 34.10 ; Isa 4.3 ; Dn 7.18, 21, 22 ; 8.24.

6 Oui, nous avons erré hors du chemin de la vérité ;
la lumière de la justice n’a pas brillé sur nous,
le soleil ne s’est pas levé pour nous.
7 Nous nous sommes rassasiés dans les sentiers de l’iniquité et de la perdition,
nous avons traversé des déserts sans chemins,
et la voie du Seigneur, nous ne l’avons pas connue !
8 À quoi nous a servi l’orgueil ?
Que nous ont valu richesse et jactance ?
9 Tout cela a passé comme une ombre,
comme une nouvelle fugitive.
10 Tel un navire qui parcourt l’onde agitée,
sans qu’on puisse découvrir la trace de son passage
ni le sillage de sa carène dans les flots ;
11 tel encore un oiseau qui vole à travers les airs,
sans que de son trajet on découvre un vestige ;
il frappe l’air léger, le fouette de ses plumes,
il le fend en un violent sifflement,
s’y fraie une route en remuant les ailes,
et puis, de son passage on ne trouve aucun signe ;
12 telle encore une flèche lancée vers le but ;
l’air déchiré revient aussitôt sur lui-même,
si bien qu’on ignore le chemin qu’elle a pris.
13 Ainsi de nous : à peine nés, nous avons disparu,s
et nous n’avons à montrer aucune trace de vertu ;
dans notre malice nous nous sommes consumés ! »t

s Entre ces deux extrêmes aucune valeur durable n’a rempli leur existence.

t La plupart des mss latins ajoutent « Voilà ce que disent dans l’enfer ceux qui ont péché ». Cette glose ancienne, passée dans le texte, est comptée par la Vulgate comme v. 14.

14 Oui,u l’espoir de l’impie est comme la bale emportée par le vent,
comme l’écumev légère chassée par la tempête ;
il se dissipe comme fumée au vent,
il passe comme le souvenir de l’hôte d’un jour.

u L’auteur conclut maintenant cette confession des damnés avec d’autres images :l’impie voit son espoir de bonheur (cf. 3.11, 18) frustré à jamais, car il s’est attaché à des biens inconsistants.

v « écume » lat., syr. ; « givre » grec (sauf quelques mss qui lisent « toile d’araignée »).

Destinée glorieuse des justes et châtiment des impies.w

15 Mais les justes vivent à jamais,x
leur récompense est auprès du Seigneur,y
et le Très-Haut a souci d’eux.

w L’auteur évoque, par contraste, la vie des justes, assurés d’une récompense éternelle, vv. 15-16-b, protégés par Dieu, v. 16c-d, contre les fléaux déchaînés pour le châtiment final des impies, vv. 17-23. Ce châtiment est décrit en termes d’apocalypse, avec la reprise des images d’un grand combat, Ez 38-39 ; Isa 24-26, et de bouleversements cosmiques, Am 8.8-9. Cette section fait peut-être allusion à un événement eschatologique distinct.

x De la vraie vie dans l’intimité avec Dieu. Commencée sur terre, cette vie ne finit jamais.

y Ou « leur récompense est dans le Seigneur », qui est leur « part », Ps 16.5-6 ; 73.26.

16 Aussi recevront-ils la couronne royale magnifique
et le diadème de beauté, de la main du Seigneur ;
car de sa droite il les protégera,
et de son bras, comme d’un bouclier, il les couvrira.

17 Pour armure,z il prendra son ardeur jalouse,
il armera la création pour repousser ses ennemis ;

z Cette « armure », inspirée d’Isa 59.16-17, symbolise les attributs du Dieu justicier qui s’enferme dans sa volonté de châtier et la met à exécution en déchaînant les éléments.

18 pour cuirasse il revêtira la justice,
il mettra pour casque un jugement irrévocable,
19 il prendra pour bouclier la sainteté invincible ;
20 de sa colère inexorable il fera une épée tranchante,a
et l’univers ira au combat avec lui contre les insensés.b

a Sur cette « épée » divine, cf. Dt 32.41 ; Isa 66.16 ; Ez 21.

b Dans la Bible, Dieu utilise souvent la nature pour exercer ses jugements. L’auteur accentue ici cette idée et il le fera davantage encore en revenant sur les événements de l’Exode (cf. en particulier 16 et 19). La description suivante reprend divers motifs anciens, transposés déjà en contexte eschatologique.

21 Traits bien dirigés, les éclairs jailliront,c
et des nuages, comme d’un arc bien bandé, voleront vers le but ;

c L’orage est la représentation traditionnelle de l’intervention divine, cf. Ex 19.16. Sur les « traits », cf. Ps 18.15 ; Ha 3.11 ; Za 9.14.

22 une baliste lancera des grêlonsd chargés de courroux,
les flots de la mer contre eux feront rage,
les fleuves les submergeront sans merci,e

d Comme au temps de l’Exode, Ex 9.23-25, et de Josué, Jos 10.11, et comme dans les jugements de Dieu annoncés par les prophètes, Isa 28.17 ; Ez 13.13 ; 38.22 ; cf. Ap 8.7 ; 11.19 ; 16.21.

e Comme la mer des Roseaux engloutit les Égyptiens, Ex 14.26s, et comme le Qishôn roula les cadavres des soldats de Sisera, Jg 5.21. Le déchaînement des eaux est le symbole des grandes calamités, Ps 18.5.

23 un souffle puissant se lèvera contre eux
et les vannera comme un ouragan.
Ainsi l’iniquité dévastera la terre entière
et la malfaisance renversera des trônes de puissants.