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Bible de Jérusalem – Jean 6

3. LA PÂQUE DU PAIN DE VIE
  (NOUVELLE OPPOSITION À LA RÉVÉLATION)

La multiplication des pains.q

6 Après cela, Jésus s’en alla de l’autre côté de la mer de Galilée ou de Tibériade.

q Le récit de la tradition synoptique, repris par Jean, s’inspirait littérairement d’un récit analogue concernant Élisée, 2 R 4.42-44. De ce récit primitif, Jean a gardé la précision qu’il s’agissait de pains d’orge (vv. 9, 13). Mais il ajoute des détails qui évoquent l’épisode de Moïse nourrissant le peuple de Dieu durant l’Exode ; comparer 6.5 et Nb 11.13 ; 6.7 et Nb 11.22. Jésus agit comme un nouveau Moïse ; on l’acclame donc comme le Prophète par excellence, 6.14 ; cf. 2.11. Mais le pain que donne ici Jésus est le symbole de la Sagesse qu’il communique à l’humanité, comme l’expliquera le discours qui suit, cf. Dt 8.3.

2 Une grande foule le suivait, à la vue des signes qu’il opérait sur les malades. 3 Jésus gravit la montagne et là, il s’assit avec ses disciples.

4 Or la Pâque, la fête des Juifs, était proche.

5 Levant alors les yeux et voyant qu’une grande foule venait à lui, Jésus dit à Philippe : « D’où nous procurerons-nous des pains pour que mangent ces gens ? »

6 Il disait cela pour le mettre à l’épreuve, car lui-même savait ce qu’il allait faire. 7 Philippe lui répondit : « Deux cents deniers de pain ne suffisent pas pour que chacun en reçoive un petit morceau. » 8 Un de ses disciples, André, le frère de Simon-Pierre, lui dit : 9 « Il y a ici un enfant, qui a cinq pains d’orge et deux poissons ; mais qu’est-ce que cela pour tant de monde ? » 10 Jésus leur dit : « Faites s’étendre les gens. » Il y avait beaucoup d’herbe en ce lieu. Ils s’étendirent donc, au nombre d’environ cinq mille hommes. 11 Alors Jésus prit les pains et, ayant rendu grâces, il les distribua aux convives, de même aussi pour les poissons, autant qu’ils en voulaient. 12 Quand ils furent repus, il dit à ses disciples : « Rassemblez les morceaux en surplus, afin que rien ne soit perdu. » 13 Ils les rassemblèrent donc et remplirent douze couffins avec les morceaux des cinq pains d’orge restés en surplus à ceux qui avaient mangé.

14 À la vue du signe qu’il venait de faire, les gens disaient : « C’est vraiment lui le prophète qui doit venir dans le monde. » 15 Alors Jésus, sachant qu’ils allaient venir s’emparer de lui pour le faire roi, s’enfuitr à nouveau dans la montagne, tout seul.

r Var. « se retira ».

Jésus vient vers ses disciples en marchant sur la mer.

16 Quand le soir fut venu, ses disciples descendirent à la mer, 17 et, montant en bateau, ils se rendaient de l’autre côté de la mer, à Capharnaüm. Il faisait déjà nuit, Jésus n’était pas encore venu les rejoindre ; 18 et la mer, comme soufflait un grand vent, se soulevait. 19 Ils avaient ramé environ vingt-cinq ou trente stades, quand ils voient Jésus marcher sur la mer et s’approcher du bateau. Ils eurent peur. 20 Mais il leur dit : « C’est moi. N’ayez pas peur. »s

s La formule « c’est moi », litt. « Je suis », évoque le Nom divin, Ex 3.14-15, qui réside en Jésus, 8.24. C’est en vertu de ce Nom que Jésus est capable de vaincre les puissances du mal, 18.5, symbolisées par la mer déchaînée, Mt 14.22.

21 Ils étaient disposés à le prendre dans le bateau, mais aussitôt le bateau toucha terre là où ils se rendaient.

Discours dans la synagogue de Capharnaüm.t

22 Le lendemain, la foule qui se tenait de l’autre côté de la mer vit qu’il n’y avait eu là qu’une barque et que Jésus n’était pas monté dans le bateau avec ses disciples, mais que seuls ses disciples s’en étaient allés.

t Deux traditions johanniques sont fusionnées dans les dialogues qui vont suivre. Selon l’une, c’est le Père qui donne le pain véritable, à savoir Jésus-Sagesse ou Parole de Dieu, 6.28-51a ; 6.60s ; selon l’autre, plus récente, c’est Jésus qui donne ce pain, à savoir son corps, 6.26-27 ; 51-59. Les deux séquences ont même structure. Noter aussi le doublet que forment les vv. 22 et 24.

23 Cependant, de Tibériade des bateaux vinrent près du lieu où l’on avait mangé le pain.u

u Add. « après que le Seigneur eut rendu grâces ».

24 Quand donc la foule vit que Jésus n’était pas là, ni ses disciples non plus, les gens s’embarquèrent et vinrent à Capharnaüm à la recherche de Jésus. 25 L’ayant trouvé de l’autre côté de la mer, ils lui dirent : « Rabbi, quand es-tu arrivé ici ? » 26 Jésus leur répondit :

« En vérité, en vérité, je vous le dis,
vous me cherchez,
non pas parce que vous avez vu des signes,
mais parce que vous avez mangé du pain et avez été rassasiés.
27 Travaillez non pour la nourriture qui se perd,
mais pour la nourriture qui demeure en vie éternelle,
celle que vous donnerav le Fils de l’homme,
car c’est lui que le Père, Dieu, a marqué de son sceau. »w

v Var. « donne ».

w Le sceau de l’Esprit reçu au baptême, Mt 3.16 ; cf. Rm 4.11, puissance de Dieu pour effectuer les « signes ». Cf. Mt 12.28 ; Ac 10.38 ; Ep 1.13 ; 4.30 ; 2 Co 1.22.

28 Ils lui dirent alors : « Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » 29 Jésus leur répondit : « L’œuvre de Dieu,x c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. »

x Aux « œuvres » des Juifs, Jésus oppose la foi en l’envoyé de Dieu.

30 Ils lui dirent alors : « Quel signe fais-tu donc, pour qu’à sa vue nous te croyions ? Quelle œuvre accomplis-tu ? 31 Nos pères ont mangé la manney dans le désert, selon ce qui est écrit :

Il leur a donné à manger du pain venu du ciel. »

y La manne d’Ex 16.1 était regardée comme la nourriture du peuple messianique, Ps 78.23-24 ; 105.40 ; Sg 16.20-22.

32 Jésus leur répondit :

« En vérité, en vérité, je vous le dis,
non, ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain qui vient du ciel ;
mais c’est mon Père qui vous donne le pain qui vient du ciel, le vrai ;
33 car le pain de Dieu,
c’est celui qui descend du ciel
et donne la vie au monde. »

34 Ils lui dirent alors : « Seigneur, donne-nous toujours ce pain-là. »

35 Jésus leur dit :

« Moi, je suisz le pain de vie.
Qui vient à moi n’aura jamais faim ;
qui croit en moi n’aura jamais soif.a

z Première de sept (chiffre indiquant la totalité) formules par lesquelles Jésus se définit lui-même. Il est le vrai pain, 6.35, 48, 51, la vraie lumière, 8.12, la porte, 10.7, 9, le bon pasteur, 10.11, 14, la résurrection, 11.25, la route, 14.6, la vraie vigne, 15.1, 5.

a Comme la Sagesse, Pr 9.1s, Jésus invite les hommes à son repas. Pour Jean, Jésus est cette Sagesse de Dieu que la Révélation biblique tendait à personnifier, cf. 1.1. Cette conviction s’appuie sur l’enseignement du Christ, perceptible déjà dans les Synoptiques, Mt 11.19 ; Lc 11.31, mais beaucoup plus accentué ici d’origine mystérieuse, 7.27-29 ; 8.14, 19 ; cf. Jb 28.20-28, Jésus seul connaît les mystères de Dieu et les révèle aux hommes, 3.11-12, 31-32 ; cf. Mt 11.25-27 ; Sg 9.13-18 ; Ba 3.29-38, pain vivant qui apaise la faim, 6.35 ; cf. Pr 9.1-6 ; Si 24.19-22 ; Mt 4.4 (cf. Dt 8.3).

36 Mais je vous l’ai dit :
vous me voyez et vous ne croyez pas.
37 Tout ce que me donne le Père viendra à moi,
et celui qui vient à moi,b
je ne le jetterai pas dehors ;

b « Venir à Jésus » équivaut à croire.

38 car je suis descendu du ciel
pour faire non pas ma volonté,
mais la volonté de celui qui m’a envoyé.
39 Or c’est la volonté de celui qui m’a envoyé
que je ne perde rien
de tout ce qu’il m’a donné,
mais que je le ressuscite au dernier jour.
40 Oui, telle est la volonté de mon Père,
que quiconque voit le Filsc et croit en lui
ait la vie éternelle,
et je le ressusciterai au dernier jour. »

c « Voir » le Fils, c’est discerner qu’il est réellement le Fils envoyé par le Père, cf. 12.45 ; 14.9 ; 17.6.

41 Les Juifs alors se mirent à murmurer à son sujet,d parce qu’il avait dit : « Moi, je suis le pain descendu du ciel. »

d Comme les Hébreux au désert, cf. Ex 16.2s ; 17.3 ; Nb 11.1 ; 14.27 ; 1 Co 10.10.

42 Ils disaient : « Celui-là n’est-il pas Jésus, le fils de Joseph, dont nous connaissons le père et la mère ? Comment peut-il dire maintenant : Je suis descendu du ciel ? » 43 Jésus leur répondit :

« Ne murmurez pas entre vous.
44 Nul ne peut venir à moi
si le Père qui m’a envoyé ne l’attire ;
et moi, je le ressusciterai au dernier jour.
45 Il est écrit dans les prophètes :
Ils seront tous enseignés par Dieu.
Quiconque s’est mis à l’écoute du Père
et à son école
vient à moi.
46 Non que personne ait vu le Père,
sinon celui qui vient d’auprès de Dieu :
celui-là a vu le Père.
47 En vérité, en vérité, je vous le dis,
celui qui croit a la vie éternelle.
48 Moi, je suis le pain de vie.
49 Vos pères, dans le désert, ont mangé la manne et sont morts ;
50 ce pain est celui qui descend du ciel
pour qu’on le mange et ne meure pas.
51 Moi, je suis le pain vivant, descendu du ciel.
Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra pour toujours.e
Et le pain que je donnerai,
c’est ma chairf pour la vie du monde. »

e Reprend Gn 3.22 « ... n’en mange et ne vive pour toujours ». Par son enseignement, le Christ-Sagesse nous donne à nouveau accès à l’arbre de vie dont Adam avait été privé, Pr 3.18. Nous ne serons plus jetés hors du paradis, 6.37 ; cf. Gn 3.23.

f Sous-entendu « donnée » ou « livrée » (comme le précisent beaucoup de mss). Cette tournure concise rappelle 1 Co 11.24 « Ceci est mon corps qui est pour vous », cf. Lc 22.19. Allusion à la Passion. Mais Jean remplace le mot « corps » par « chair » qui désignait l’homme dans sa condition de faiblesse et de mortalité, 1.14. Dans le judaïsme, l’expression plus complexe « la chair et le sang » avait même signification, Mt 16.17 ; 1 Co 15.50 ; Ep 6.12. Comparer alors les vv. 56 et 57.

52 Les Juifs alors se mirent à discuter fort entre eux ; ils disaient : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » 53 Alors Jésus leur dit :

« En vérité, en vérité, je vous le dis,
si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme
et ne buvez son sang,
vous n’aurez pas la vie en vous.
54 Qui mange ma chair et boit mon sang
a la vie éternelle
et je le ressusciterai au dernier jour.
55 Car ma chair est vraiment une nourriture
et mon sang vraiment une boisson.
56 Qui mange ma chair et boit mon sang
demeure en moi
et moi en lui.g

g « Être dans », et plus encore « demeurer dans », c’est, avec bien des variantes dans les sujets et compléments, l’un des traits propres du langage johannique. La relation de présence intérieure qui s’exprime ainsi est évidemment déterminée par la nature des réalités ou des personnes en cause l’une est toujours plus grande que l’autre, et surtout s’il s’agit d’une personne divine. La chose est à observer en particulier si la relation est réciproque, comme ici, 10.38 ; 14.10, 20 ; 15.4-7 ; 17.21-23, 26 ; 1 2.24 ; 3.24 ; 4.12-16.

57 De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé
et que je vis par le Père,
de même celui qui me mange,
lui aussi vivra par moi.h

h L’Eucharistie communique aux fidèles la vie que le Fils tient du Père.

58 Voici le pain descendu du ciel ;
il n’est pas comme celui qu’ont mangé les pèresi
et ils sont morts ;
qui mange ce pain vivra pour toujours. »

i Add. « la manne » ou « dans le désert ».

59 Tel fut l’enseignement qu’il donna en synagogue à Capharnaüm.

60 Après l’avoir entendu,j beaucoup de ses disciples dirent : « Elle est dure, cette parole ! Qui peut l’écouter ? »

j C’est ici que reprend le dialogue sur Jésus-Sagesse, interrompu par l’insertion de la section proprement eucharistique. Le scandale des disciples vient de ce que Jésus a affirmé être descendu du ciel, 6.51a ; cf. 6.41 ; Jésus répond en annonçant son ascension qui prouvera sa véritable origine (v. 62).

61 Mais, sachant en lui-même que ses disciples murmuraient à ce propos, Jésus leur dit : « Cela vous scandalise ? 62 Et quand vous verrez le Fils de l’homme monter là où il était auparavant ? ...

63 C’est l’esprit qui vivifie,
la chair ne sert de rien.
Les paroles que je vous ai dites sont esprit
et elles sont vie.k

k Les paroles de Jésus sur le pain céleste révèlent une réalité divine dont seul l’Esprit, cf. 1.33, peut donner l’intelligence, cf 14.26, et qui est source de vie pour l’homme.

64 Mais il en est parmi vous qui ne croient pas. » Jésus savait en effet dès le commencement qui étaient ceux qui ne croyaient pas et qui était celui qui le livrerait. 65 Et il disait : « Voilà pourquoi je vous ai dit que nul ne peut venir à moi, si cela ne lui est donné par le Père. » 66 Dès lors, beaucoup de ses disciples se retirèrent, et ils n’allaient plus avec lui.

La confession de Pierre.

67 Jésus dit alors aux Douze : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » 68 Simon-Pierre lui répondit : « Seigneur, à qui irons-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. 69 Nous, nous croyons, et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu. »l

l C’est-à-dire l’envoyé et l’élu de Dieu, consacré et uni à lui de façon éminente, le Messie, cf. 10.36 ; 17.19 ; Mc 1.24. — Var. « Tu es le Christ, le Fils de Dieu » ou « le Fils du Dieu vivant », cf. Mt 16.16.

70 Jésus leur répondit : « N’est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous, les Douze ? Et l’un d’entre vous est un diable. » 71 Il parlait de Judas, fils de Simon Iscariote ; c’est lui en effet qui devait le livrer, lui, l’un des Douze.m

m Cette annonce anticipée de la trahison de Judas doit être de même tradition johannique que le dialogue eucharistique des vv. 51-59, cf. Lc 22.14-23.

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