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Bible de Jérusalem

Sagesse 11.1-14

11 Elle fit prospérer leurs entreprises par la main d’un saint prophète.j

j Moïse, cf. Nb 12.7 ; Dt 18.15.

2 Ils traversèrent un désert inhabité
et plantèrent leurs tentes en des lieux inaccessibles.
3 Ils tinrent tête à leurs ennemis et repoussèrent leurs adversaires.k

k La longue marche au désert est résumée en quelques phrases pour préparer un développement distinct. La sagesse n’est plus mentionnée, sauf 14.2, 5 et l’auteur s’adresse à Dieu dans une sorte de méditation sur les événements de l’Exode. Par ses libertés à l’égard des sources bibliques antérieures, tout ce développement s’apparente au midrash ou commentaire rabbinique de l’Écriture.

Le miracle de l’eau. Première antithèse.l

4 Dans leur soif, ils t’invoquèrent :
de l’eau leur fut donnée d’un rocher escarpé
et, d’une pierre dure, un remède à leur soif.

l Désormais l’auteur va opposer constamment le traitement des Israélites considérés comme un peuple de justes, cf. 10.15, et celui des Égyptiens, devenus symbole de l’endurcissement des impies. Cette comparaison, très grecque, se fonde sur deux principes, 11.5, 16. Sept antithèses vont ainsi se succéder. Cependant la deuxième et la troisième, cf. 16.1-14, céderont tout d’abord la place à deux digressions, 11.15, 12.27, 13:-15.

5 Ainsi ce par quoi avaient été châtiés leurs ennemis
devint un bienfait pour eux dans leurs difficultés.
6 Tandis que les premiers n’avaient que le cours intarissable
d’un fleuve que troublait un sang mêlé de boue,
7 en punition d’un décret infanticide,m
tu donnas aux tiens, contre tout espoir, une eau abondante,

m Selon Ex 7.14-25, c’est pour contraindre Pharaon à laisser partir les Israélites que Yahvé changea les eaux du Nil en sang. L’auteur fait ici de ce miracle le châtiment du décret de Ex 1.15s. Cf. aussi 18.5.

8 montrant par la soif qu’alors ils ressentirent
comment tu avais châtié leurs adversaires.
9 Par leurs épreuves, qui n’étaient pourtant qu’une correction de miséricorde,
ils comprirent comment un jugement de colère torturait les impies ;n

n La soif et peut-être aussi les autres souffrances que les Israélites endurèrent au désert devaient leur faire comprendre le châtiment des Égyptiens.

10 car eux, tu les avais éprouvés en père qui avertit,
mais ceux-là, tu les avais punis en roi inexorable qui condamne,
11 et de loin comme de près, ils se consumaient pareillement.
12 Car une double tristesse les saisit,
et un gémissement, au souvenir du passé ;o

o « au souvenir du passé » corr. d’après certains mss ; « des souvenirs passés » texte reçu.

13 lorsqu’ils apprirent, en effet, que cela même qui les châtiait
était un bienfait pour les autres,p ils reconnurent le Seigneur,q

p L’eau retirée aux Égyptiens, miraculeusement donnée aux Israélites, 11.4.

q De nombreux mss latins ajoutent ici « pleins d’admiration à l’issue des événements », addition qui provient de 14.

14 car celui que jadis, en l’exposant, ils avaient rejeté,r
ils l’admirèrent au terme des événements,
ayant souffert d’une soif bien différente de celle des justes.

r Moïse exposé sur les eaux, Ex 1.22 ; 2.3, rebuté par Pharaon, Ex 5.2-5 ; 7.13, 22, etc.

Sagesse 16-19

Seconde antithèse : grenouilles et cailles.v

16 Voilà pourquoi ils ont été châtiés justement par des êtres semblables,
et torturés par une multitude de bestioles.

v Après les deux digressions, la fin du livre, 16-19, reprend le parallèle entre Égyptiens et Israélites ; cf. 11.4. La deuxième et la troisième antithèse ont été préparées de loin par la mention générale des plaies causées par des animaux, 11.15-16 ; 12.23-27. L’auteur continue à ajouter maints détails aux récits bibliques anciens (ainsi v. 3), en les interprétant librement à la façon d’un midrash.

2 Au lieu de ce châtiment, tu as accordé un bienfait à ton peuple
pour satisfaire son ardent appétit,
c’est une nourriture d’une saveur extraordinaire que tu leur ménageas, des cailles !
3 si bien que, malgré leur désir de manger,
ceux-là, devant l’aspect repoussant des bêtes envoyées contre eux,
perdirent jusqu’à leur appétit naturel,
tandis que ceux-ci, après avoir été pour peu de temps dans la disette,
eurent en partage une saveur extraordinaire.
4 Car il fallait que sur ceux-là, les oppresseurs, s’abattît une irrémédiable disette ;
il suffisait à ceux-ci qu’on leur montrât comment leurs ennemis étaient torturés.

Troisième antithèse : sauterelles et serpent d’airain.

5 Et même lorsque s’abattit sur eux la fureur terrible de bêtes féroces,
et qu’ils périssaient sous les morsures de serpents tortueux,
ta colère ne dura pas jusqu’au bout ;
6 mais c’est par manière d’avertissement et pour peu de temps qu’ils furent inquiétés,
et ils avaient un signe de salutw pour leur rappeler le commandement de ta Loi,

w Au lieu de « signe » plusieurs mss importants ont « conseiller ».

7 car celui qui se tournait vers lui était sauvé, non par ce qu’il avait sous les yeux,
mais par toi, le Sauveur de tous.x

x L’auteur interprète Nb 21.4-9 dans le sens de la miséricorde. Il affirme aussi que le serpent d’airain n’avait aucun pouvoir par lui-même. Il y voit le rappel de la Loi et le signe d’un salut offert à tous par Dieu, ce qui ne ressort pas du texte ancien. — Serpent d’airain et dessein salvifique universel de Dieu figurent dans un même contexte en Jn 3.14-17.

8 Et par là tu prouvas à nos ennemis
que c’est toi qui délivres de tout mal ;y

y Les ennemis sont supposés informés de ces événements, cf. 11.13, à moins que l’auteur ne songe à un enseignement toujours valable dans le présent.

9 eux, en effet, les morsures de sauterelles et de mouches les tuèrent,
sans qu’on trouvât de remède pour leur sauver la vie,
car ils méritaient d’être châtiés par de telles bêtes,z

z À la plaie des sauterelles, Ex 10.4-15, l’auteur semble vouloir associer par un terme assez vague les taons, Ex 8.16-20, et les moustiques, Ex 8.12-15. L’idée de leur prêter une action meurtrière peut résulter d’une amplification d’Ex 10.17 (« fléau meurtrier ») et de Ps 78.45 (« des taons qui dévoraient ») ; on rapproche aussi, pour une transposition apocalyptique de ces plaies, Ap 9.3-12.

10 tandis que tes fils, même les dents de serpents venimeux n’en eurent pas raison ;
car ta miséricorde leur vint en aide et les guérit.
11 Ainsi tes oracles leur étaient rappelés par des coups d’aiguillon, bien vite guéris,
de peur que, tombés dans un profond oubli,
ils ne fussent exclus de ta bienfaisance.a

a Ou « ils ne devinssent insensibles à tes bienfaits ».

12 Et de fait, ce n’est ni herbe ni émollient qui leur rendit la santé,
mais ta parole, Seigneur, elle qui guérit tout !
13 Oui, c’est toi qui as pouvoir sur la vie et sur la mort,
qui fais descendre aux portes de l’Hadès et en fais remonter.b

b L’auteur enseigne ici le pouvoir absolu de Dieu sur la vie et la mort, non seulement en ce sens qu’il peut tirer qui il lui plaît du péril de mort, cf. Ps 9.14 ; 107.17-19 ; Isa 38.10-17, mais encore, semble-t-il, en ce sens plus profond qu’il peut rendre à la vie corporelle l’âme descendue au shéol, cf. 1 R 17.17-23 ; 2 R 4.33-35 ; 13.21.

14 L’homme, dans sa malice, peut bien tuer,
mais il ne ramène pas le souffle une fois parti,
et ne libère pas l’âme que l’Hadès a reçue.c

c « Hadès » n’est pas exprimé (litt. « l’âme qui a été reçue ») mais le sens ne fait pas de doute.

Quatrième antithèse : la grêle et la manne.

15 Il est impossible d’échapper à ta main.
16 Les impies qui refusaient de te connaître
furent fustigés par la force de ton bras ;
pluies insolites, grêle, averses inexorables les assaillirent,
et le feu les consuma.d

d Tous les traits de cette énumération renvoient à la plaie de la grêle, Ex 9.13-35, mais l’auteur exploite à la manière du midrash toutes les indications bibliques :pour les « pluies » cf. Ex 9.29 (LXX), 33, 34 ; pour « le feu » cf. Ex 9.23-24 ; Ps 78.47-49 ; 105.32 (où l’on trouve aussi la « pluie »).

17 Car voici le plus étrange : dans l’eau, qui éteint tout,
le feu n’avait que plus d’ardeur ;
l’univers en effet combat pour les justes.
18 Tantôt en effet la flamme s’apaisait,
de peur de brûler complètement les animaux envoyés contre les impies,e
et pour leur faire comprendre, à cette vue, qu’ils étaient poursuivis par un jugement de Dieu ;

e L’auteur semble penser que les premières plaies durent encore quand la septième, celle de la grêle (Ex 9.13-35) s’abat sur l’Égypte.

19 tantôt, au sein même de l’eau, elle brûlait avec plus de force que le feu,
pour détruire les produits d’une terre inique.
20 Au contraire, c’est une nourriture d’anges que tu as donnée à ton peuple,
et c’est un pain tout préparé que du ciel tu leur as fournif sans fatigue,
un pain capable de procurer toutes les délices et de satisfaire tous les goûts ;g

f Var. attestée par de bons mss « tu leur as envoyé ».

g La manne, « pain des anges », Ps 78.25, ou « pain du ciel », Ps 105.40, qui avait le « goût d’un gâteau de miel », Ex 16.31, devient une nourriture susceptible de se plier à tous les goûts et de prendre toutes les saveurs désirables — symbole même de la douceur de Dieu (v. 21). Ce trait trouve des parallèles très concrets dans les textes rabbiniques et atteste déjà l’existence d’une légende juive sur la manne. La liturgie chrétienne a appliqué ce passage à l’Eucharistie.

21 Et la substance que tu donnais manifestait ta douceur envers tes enfants,
et, s’accommodant au goût de celui qui la prenait,
elle se changeait en ce que chacun voulait.
22 Neige et glaceh supportaient le feu sans fondre :
on saurait ainsi que c’était pour détruire les récoltes des ennemis
que le feu brûlait au milieu de la grêle et flamboyait sous la pluie,

h C’est encore la manne, qu’Ex 16.14 compare à la rosée, et Nb 11.7 (LXX) à la glace, cf. 19.21.

23 tandis qu’au contraire, pour respecter la nourriture des justes,
il oubliait jusqu’à sa propre vertu.

24 Car la création qui est à ton service, à toi, son Créateur,
se tend à fond pour le châtiment des injustes
et se détend pour faire du bien à ceux qui se confient en toi.i

i « se tend... se détend », image empruntée aux instruments à cordes cf. 19.18.

25 C’est pourquoi, alors aussi, en se changeant en tout,j
elle se mettait au service de ta libéralité, nourricière universelle,
selon le désir de ceux qui étaient dans le besoin ;k

j L’auteur tente d’expliquer cette particularité de la manne, cf. vv. 20c, 21c, à l’aide de la physique de l’époque, par une mutation des éléments ou un échange de leurs propriétés. Mais il insiste moins sur ce fait extraordinaire que sur l’enseignement qui s’en dégage.

k Ou « de ceux qui demandaient », ou « priaient ».

26 ainsi tes fils que tu as aimés, Seigneur, l’apprendraient :
ce ne sont pas les diverses espèces de fruits qui nourrissent l’homme,
mais c’est ta parole qui conserve ceux qui croient en toi.
27 Car ce qui n’était pas détruit par le feu
fondait à la simple chaleur d’un bref rayon de soleil,
28 afin que l’on sache qu’il faut devancer le soleil pour te rendre grâce,
et te rencontrer dès le lever du jour ;l

l Cette leçon, appuyée sur une interprétation très libre d’Ex 16.21, enregistre l’usage de faire coïncider la prière du matin avec l’aurore ou les premiers rayons du soleil.

29 l’espoir de l’ingrat fond, en effet, comme le givre hivernal,
comme une eau inutile, il s’écoule.

Cinquième antithèse : ténèbres et colonne de feu.m

17 Oui, tes jugements sont grands et difficiles à saisir !
C’est pourquoi des âmes sans instruction se sont égarées.

m À la plaie des ténèbres, Ex 10.21-23 ; Ps 105.28, l’auteur oppose la lumière qui continuait d’éclairer le monde entier et les Israélites, v. 18 et 18.1, puis la lumière de la Loi, 18.4, mais l’antithèse proprement dite fait intervenir la « colonne de feu » 18.3.

2 Alors que des impies s’imaginaient tenir en leur pouvoir une nation sainte,
devenus prisonniers des ténèbres, dans les entraves d’une longue nuit,
ils gisaient enfermés sous leurs toits, s’étant exclus de la providence éternelle.
3 Alors qu’ils pensaient demeurer cachés avec leurs péchés commis dans le secret,
sous le sombre voile de l’oubli,
ils furent dispersés, en proie à de terribles frayeurs,
épouvantés par des hallucinations.n

n L’auteur va dramatiser étrangement la plaie des ténèbres. La description qui suit amplifie en divers sens le récit biblique et s’apparente au midrash hellénistique, utilisant peut-être des légendes juives et des spéculations rabbiniques qu’on retrouve chez Philon d’Alexandrie. On relèvera en même temps l’orientation apocalyptique de l’ensemble :les ténèbres d’Égypte deviennent l’anticipation ou l’image des ténèbres infernales, cf. surtout vv. 14, 21. L’auteur s’en prend à la magie, 17.7 et aux mystères du milieu alexandrin. Il analyse aussi la psychologie de la peur, surtout 17.12 ; cf. 5.2, et les discours des impies, 2 ; 5, sont à l’arrière-plan.

4 Car l’antre qui les détenait ne les préservait pas de la peur ;
des bruits en se répercutant résonnaient autour d’eux,
et des spectres lugubres, au visage morne, leur apparaissaient.
5 Aucun feu n’avait assez de force pour les éclairer,
et l’éclat étincelant des étoiles
ne parvenait pas à illuminer cette nuit infernale.
6 Ils n’entrevoyaient
qu’un bûcher qui s’allumait de lui-même, semant la peur.
Terrifiés par cette vision qu’ils distinguaient mal,
ils tenaient pour pire ce qu’ils venaient de voir.

7 Les artifices de l’art magique demeuraient impuissants,o
et le démenti infligé à la prétention de savoir était humiliant ;

o Après une réussite temporaire, Ex 7.11, 22 ; 8.3, ils avaient échoué, Ex 8.14, et même porté malheur à leurs auteurs, Ex 9.11. Il semble bien qu’à travers les magiciens du Pharaon, l’auteur s’en prenne aux magiciens de son temps. Cf. 12.4 ; 18.13.

8 car ceux qui promettaient de bannir de l’âme malade les terreurs et les troubles
étaient eux-mêmes malades d’une appréhension ridicule.
9 Même si rien d’effrayant n’avait à leur faire peur,
effarouchés aux passages de bestioles et par les sifflements de reptiles,
10 ils tremblaient à en mourir,
et refusaient même de regarder cet air, que d’aucune manière on ne peut fuir.
11 Car la perversité s’avère singulièrement lâche et se condamne elle-même ;
pressée par la conscience, toujours elle grossit les difficultés.p

p Première mention de la « conscience » dans la Bible grecque, cf. Ac 23.1 ; le mot désigne ici la conscience morale reprochant les péchés commis. — La réflexion élimine les causes imaginaires de la peur. Mais la conscience chargée la trouble et l’empêche d’accomplir son œuvre.

12 La peur en effet n’est rien d’autre
que la défaillance des secours de la réflexion ;q

q Cette définition de la peur, unique dans la Bible, s’inspire de textes hellénistiques qui soulignent eux aussi combien alors la raison défaille et trahit ; l’originalité de l’auteur consiste à relier la peur à la mauvaise conscience et, plus encore, à la méconnaissance de Dieu, 17.1.

13 moins on compte intérieurement sur eux,
plus on trouve grave d’ignorer la cause qui provoque le tourment.r

r On peut comprendre aussi « L’incapacité de prévoir intérieurement (les maux) exagère l’ignorance de la cause... ».

14 Pour eux, durant cette nuit sortie des antres de l’Hadès impuissant,
endormis d’un même sommeil,
15 ils étaient tantôt poursuivis par des spectres monstrueux,
tantôt paralysés par la défaillance de leur âme ;
car une peur subite et inattendue les avait inondés.s

s « avait inondés » mss ; « s’était abattue » texte reçu.

16 Ainsi encore, celui qui tombait là, quel qu’il fût,
se trouvait emprisonné, enfermé dans cette geôle sans verrous.
17 Qu’on fût laboureur ou berger,
ou qu’on fût occupé à peiner dans le désert,
surpris, on subissait l’inéluctable nécessité ;
18 car tous avaient été liés par une même chaîne de ténèbres.
Le vent qui siffle,
le chant mélodieux des oiseaux dans les rameaux touffus,
le bruit cadencé d’une eau coulant avec violence,
19 le rude fracas des pierres dégringolant,
la course invisible d’animaux bondissants,
le rugissement des bêtes les plus sauvages,
l’écho se répercutant au creux des montagnes,
tout les terrorisait et les paralysait.
20 Car le monde entier était éclairé par une lumière étincelante
et vaquait librement à ses travaux ;
21 sur eux seuls s’étendait une pesante nuit,
image des ténèbres qui devaient les recevoir.
Mais ils étaient à eux-mêmes plus pesants que les ténèbres.

18 Cependant pour tes saints il y avait une très grande lumière.
Les autres, qui entendaient leur voix sans voir leur figure,t
les proclamaient heureux de n’avoir pas eux-mêmes souffert,u

t Les Hébreux sont supposés ici mêlés aux Égyptiens, cf. Ex 11.4-7 ; 12.12-13, 29-36.

u « de n’avoir pas » mss, lat. « quoiqu’ils aient (eux-mêmes souffert) » texte reçu.

2 ils leur rendaient grâce de ne pas sévir, après avoir été maltraités,
et leur demandaient pardon pour leur attitude hostile.v

v On pourrait aussi traduire « leur demandaient en grâce de partir », cf. Ex 10.24 ; 11.8 ; 12.33 ; 19.2.

3 Au lieu de ces ténèbres, tu donnas aux tiens une colonne flamboyante,
pour leur servir de guide en un voyage inconnu,
de soleil inoffensif en leur glorieuse migration.
4 Mais ceux-là méritaient bien d’être privés de lumière et d’être prisonniers des ténèbres,
qui avaient gardé enfermés tes fils,
par qui devait être donnée au monde l’incorruptible lumière de la Loi.

Sixième antithèse : mort des premiers-nés et fléau mortel écarté.w

5 Comme ils avaient résolu de tuer les petits enfants des saints,
et qu’un seul enfant exposé avait été sauvé,
tu leur enlevas, pour les châtier, une multitude d’enfantsx
et tu les fis périr tous ensemble dans l’eau impétueuse.y

w En alléguant un autre exemple de la correspondance entre faute et châtiment, cf. 11.16, l’auteur annonce à la fois l’extermination des premiers-nés et le désastre de la mer Rouge (v. 5). Mais son attention se fixe ensuite sur le premier épisode ; celui-ci est placé dans son cadre de la nuit pascale, 18.6-19, avant d’être comparé à l’intercession d’Aaron qui arrêta le fléau mortel sévissant contre le peuple hébreu en révolte au désert, 18.20-25.

x Cette correspondance s’appuie peut-être sur Ex 4.22-23. Précédemment, 11.6-7, le décret infanticide était invoqué pour justifier la plaie du Nil changé en sang.

y Cet autre épisode, développé en 19.1-9, est mis également en relation avec le décret infanticide par le livre des Jubilés (48.14) et un commentaire rabbinique.

6 Cette nuit-là fut à l’avance connue de nos pères,z
pour que, sachant d’une manière sûre à quels serments ils avaient cru, ils se réjouissent.

z Soit les Israélites du temps de l’Exode, Ex 11.4-7, soit plutôt les patriarches, à qui Dieu avait promis de délivrer leurs descendants de la servitude d’Égypte, Gn 15.13-14 ; 46.3-4. Cf. 18.23-24.

7 Ton peuple l’attendit,
salut des justes et perte des ennemis ;
8 car, par la vengeance même que tu tiras de nos adversaires,
tu nous glorifias en nous appelant à toi.a

a L’extermination des premiers-nés d’Égypte, la célébration de la Pâque et l’Exode désignaient définitivement Israël comme le peuple de Dieu, cf. Dt 7.6.

9 Aussi les saints enfants des bonsb sacrifiaient-ils en secret,
et ils établirent d’un commun accord cette loi divine,
que les saints partageraient également biens et périls ;
et ils entonnaient déjà les cantiques des Pères.c

b C’est-à-dire les descendants de bonne souche, d’une lignée sainte ; on peut aussi traduire « les saints enfants des biens », c’est-à-dire les héritiers des biens promis aux Pères. — La Pâque est appelée sacrifice, Ex 12.27 ; Dt 16.2, 5. Ce sacrifice est dit « secret » parce que célébré à l’intérieur des maisons, Ex 12.46.

c L’auteur interprète le repas pascal comme on le faisait de son temps. Pâque et alliance sont liées, cf. Jr 31.32 ; 2 Ch 30.1-27 ; 34.31—35.1 ; Lc 22.20. La solidarité entre les participants, les « saints », se fonde probablement sur la circoncision exigée par Ex 12.43-49 ; cf. Jn 13.34. Le repas pascal s’achève par le chant du Hallel, Ps 113-118 ; cf. Mt 26.30.

10 La clameur discordante de leurs ennemis faisait écho,
et les accents plaintifs de ceux qui se lamentaient sur leurs enfants se répandaient au loin.
11 Un même châtiment frappait esclave et maître,
l’homme du peuple endurait les mêmes souffrances que le roi.
12 Tous donc pareillement, frappés d’un même trépas,
eurent des morts innombrables.
Les vivants ne suffisaient plus aux funérailles,
car, en un instant, leur plus précieuse descendance avait été détruite.
13 Ainsi, ceux que des sortilèges avaient rendus absolument incrédules
confessèrent, devant la perte de leurs premiers-nés, que ce peuple était fils de Dieu.d

d Dans leur foi aux sortilèges, les Égyptiens avaient espéré jusque-là que leurs magiciens finiraient par l’emporter sur Moïse, cf. Ex 7.11-13 ; 8.3, 14 ; 9.11, qui semblait mettre en œuvre une magie rivale. Cette fois, Dieu frappe directement.

14 Alors qu’un silence paisible enveloppait toutes choses
et que la nuit parvenait au milieu de sa course,
15 du haut des cieux, ta Parole toute-puissante s’élança du trône royal,
guerrier inexorable, au milieu d’une terre vouée à l’extermination.e
Portant pour glaive aigu ton irrévocable décret,

e La mort des premiers-nés, attribuée directement à Dieu par Ex 11.4s ; 12.12, 23, 27, 29, accompagné de l’Exterminateur, Ex 12.23, devient l’œuvre de la Parole divine. Celle-ci était représentée déjà comme exécutant les jugements par Isa 11.4 ; 55.11 ; Jr 23.29 ; Os 6.5. Dans cette évocation dramatique, l’auteur s’inspire, au v. 16 de 1 Ch 21.15-27, et peut-être aussi d’Homère (Iliade IV, 443). L’ensemble prend une signification apocalyptique et la Parole de jugement préfigure, non l’Incarnation du Verbe (contrairement à l’usage que la liturgie a fait de ce texte), mais l’aspect redoutable de son second avènement. On rapproche 1 Th 5.2-4 ; Ap 19.11-21.

16 elle s’arrêta et remplit de mort l’univers ;
elle touchait au ciel et se tenait sur la terre.
17 Alorsf brusquement des apparitions en des songes terribles les épouvantèrent,
des peurs inattendues les assaillirent.

f Ce qui suit n’a aucune attache avec le récit de l’Exode.

18 Jetés à demi morts, l’un d’un côté, l’autre de l’autre,
ils faisaient savoir pour quelle raison ils mouraient,
19 car les songes qui les avaient troublés les en avaient avertis d’avance,
afin qu’ils ne périssent pas sans savoir pourquoi ils subissaient le mal.

Menace d’extermination au désert.

20 Cependant l’expérience de la mort atteignit aussi les justesg
et une multitude fut massacrée au désert.
Mais la Colère ne dura pas longtemps,

g En punition de la révolte qui suivit le châtiment de Coré, Datân et Abiram, Nb 17.6-15.

21 car un homme irréprochableh se hâta de les défendre.
Prenant les armes de son ministère,
prière et encens expiatoire,i
il affronta le Courroux et mit un terme au fléau,
montrant qu’il était ton serviteur.

h Aaron, « irréprochable » parce que, choisi par Yahvé, il lui est demeuré fidèle.

i Littéralement « le sacrifice expiatoire de l’encens ». En ajoutant la « prière » non mentionnée par le récit biblique, le texte transforme le grand prêtre en intercesseur, cf. 2 M 3.31 ; 15.12 ; Ps 99.6 ; He 7.25.

22 Il vainquit l’Animosité,j non par la vigueur du corps,
non par la puissance des armes ;
c’est par la parolek qu’il eut raison de celui qui châtiait,
en rappelant les serments faits aux Pères et les alliances.

j « l’Animosité » ton cholon conj. ; « la foule » ton ochlon texte reçu.

k Parole liturgique d’intercession, dont la suite de la phrase indique les motifs. Cette parole qui sauve de l’Exterminateur contraste avec la Parole qui frappait, 18.15.

23 Alors que déjà par monceaux les morts étaient tombés les uns sur les autres,
il s’interposa, arrêta la Colère,
et lui barra le chemin des vivants.
24 Car sur sa robe talaire était le monde entier,
les noms glorieux des Pères étaient gravés sur les quatre rangées de pierres,
et sur le diadème de sa tête il y avait ta Majesté.l

l L’auteur se représente Aaron revêtu d’une robe descendant jusqu’aux talons, avec l’ephod et le pectoral aux douze pierres gravées du nom des « Pères » (les douze fils de Jacob), cf. Ex 28.6s ; 39.2s, avec sur la tête la fleur d’or du « diadème » portant l’inscription « consacré à Yahvé », Ex 28.36s ; 39 : 30s. Ces insignes de la dignité de grand prêtre reçoivent ici un symbolisme cosmique qui devait être habituel dans les milieux juifs hellénisés.

25 Devant cela l’Exterminateurm recula, il en eut peur ;
la seule expérience de la Colère suffisait.

m Peut-être un ange, comme celui de 1 Ch 21.15-16. Cf. Ex 12.23 et 1 Co 10.10. — « il eut peur » mss, versions ; « ils eurent peur » texte reçu.

Septième antithèse : la mer Rouge.n

19 Mais sur les impies s’abattit jusqu’au bout un impitoyable courroux,
car Il savait à l’avance ce qu’ils allaient faire,

n Préparée par des considérations sur l’endurcissement final des impies livrés à une colère sans pitié, l’antithèse devient explicite au v. 5. Puis l’auteur insiste sur la traversée merveilleuse des Israélites, vv. 6-9, en brodant assez librement sur la tradition ancienne, cf. Ex 14.15.

2 et qu’après avoir permis aux siens de s’en aller et pressé leur départ,o
ils changeraient d’avis et les poursuivraient.

o « après avoir permis » nombreux mss ; « après s’être décidés » texte reçu, lat., syr. — « s’en aller » mss ; « être absents » texte reçu. — « pressé leur départ », litt. « les avoir congédiés en hâte ».

3 De fait, ils étaient encore occupés à leurs deuils
et ils se lamentaient auprès des tombes de leurs morts,
quand ils imaginèrent un autre dessein de folie
et se mirent à poursuivre comme des fugitifs
ceux qu’avec des supplications ils avaient expulsés.
4 Un juste destinp les poussait à cette extrémité
et il leur inspira l’oubli du passé :
ils ajouteraient ainsi le châtiment qui manquait à leurs torturesq

p Littéralement « une nécessité digne ». L’auteur transcrit avec un terme grec le motif de l’endurcissement de Pharaon, Ex 14.4, 8, pour désigner en réalité, non l’aveugle et impitoyable Destin antique, mais un châtiment mérité.

q Le thème d’une mesure déterminée d’avance par Dieu — et qui n’est autre que le temps de sa patience ou de sa miséricorde — revient souvent dans les écrits apocalyptiques.

5 et, tandis que ton peuple ferait l’expérience d’un voyage merveilleux,
eux-mêmes trouveraient une mort insolite.
6 Car la création entière, en sa propre
nature, était encore de nouveau façonnée,
se soumettant à tes ordres,r
pour que tes enfants fussent gardés indemnes.

r Texte obscur. L’auteur doit renvoyer à la création initiale, Gn 1, et signifier que, pour le passage de la mer Rouge, la nature créée reçut une nouvelle empreinte ou fut modifiée. Primitivement les « ténèbres avaient couvert l’abîme » et la terre avait surgi de l’eau, Gn 1.1, 6 :on assiste de nouveau à un phénomène semblable, mais cette fois, l’activité extraordinaire de l’air, de la terre et de l’eau, s’écartent de l’ordre établi par le Créateur. On ne sait si l’auteur envisage une transmutation des éléments ou un échange de leurs propriétés, cf. 16.25 ; 19.18.

7 On vit la nuée couvrir le camp de son ombre,
la terre sèche émerger de ce qui était l’eau,
la mer Rouge devenir un libre passage,
les flots impétueux une plaine verdoyante,s

s Isa 63.14 parle également d’une « plaine », mais seulement à titre de comparaison. Le midrash palestinien parle, non seulement d’herbe abondante, mais d’arbres fruitiers qui ornaient la route ainsi ouverte. Les « prodiges » mentionnés au v. suivant relèvent du même processus d’idéalisation. La tradition rabbinique comptera dix miracles pour le passage de la mer Rouge.

8 par où ceux que protégeait ta main passèrent comme un seul peuple,
en contemplant d’admirables prodiges.
9 Comme des chevaux, ils étaient à la pâture,
comme des agneaux, ils bondissaient,
en te célébrant, Seigneur, toi leur libérateur.

Épilogue.

10 Ils se souvenaient encore des événements de leur exil,
comment la terre, et non des animaux, avait produit des moustiques,
et comment le Fleuve, et non des êtres aquatiques, avait vomi une multitude de grenouilles.
11 Plus tard, ils virent encore un nouveau mode de naissance pour les oiseaux,
quand, poussés par la convoitise, ils réclamèrent des mets délicats :
12 pour les satisfaire, des cailles montèrent pour eux de la mer.t

t L’auteur prend à la lettre Nb 11.31 : les cailles sont sorties de la mer (comme les moustiques de la terre et les grenouilles du Fleuve).

L’Égypte plus coupable que Sodome.

13 Mais les châtiments s’abattirent sur les pécheurs,
non sans avoir été signalés à l’avance par de violents coups de tonnerre,u
et c’est en toute justice qu’ils souffraient pour leurs propres crimes ;
car ils avaient montré une haine de l’étranger par trop cruelle.

u Cette addition au récit de l’Exode est suggérée, soit par Ps 77.18-19, soit par une interprétation ancienne d’Ex 14.24 illustrée par les Targums.

14 D’aucuns,v en effet, n’avaient pas accueilli les inconnus qui leur arrivaient,
mais eux réduisaient en servitude des hôtes bienfaisants.

v Les habitants de Sodome, habituellement regardés comme les plus grands des criminels. L’auteur va montrer que les Égyptiens ont violé plus gravement les lois de l’hospitalité.

15 Bien plus, et certes il y aura pour ceux-là un châtiment,w
puisqu’ils ont reçu les étrangers d’une manière hostile...

w Texte difficile qu’on peut couper et ponctuer différemment ; avec l’interprétation adoptée ici, la construction est brisée. Ou bien l’auteur continue de décharger les habitants de Sodome, ou bien il rappelle qu’une « visite » punitive (cf. 14.11) leur est cependant réservée et l’on pourrait traduire « et, certes, il leur en sera demandé compte ». Il est possible que le châtiment concerne également les Égyptiens.

16 mais ceux-ci, après avoir reçu avec des fêtes
ceux qui déjà partageaient les mêmes droits qu’eux,x
les ont ensuite accablés de terribles travaux.

x Allusion vraisemblable à une revendication actuelle des Juifs d’Alexandrie.

17 Aussi furent-ils frappés de cécité,y
comme ceux-là aux portes du juste,z
lorsque, enveloppés de ténèbres béantes,
ils cherchaient chacun l’accès de sa porte.

y Présentation oratoire de la plaie des ténèbres.

z Lot, 10.6 ; cf. Gn 19.11.

Une harmonie nouvelle.a

18 Ainsi les éléments étaient différemment accordés entre eux,
comme, sur la harpe, les notes modifient la nature du rythme
tout en conservant le même son ;
ce qu’on peut se représenter exactement en regardant ce qui est arrivé :

a Les écrits grecs illustrent souvent par une comparaison musicale le jeu des éléments constitutifs de l’univers. L’auteur reprend ici une telle comparaison et l’applique aux principaux miracles de l’Exode pour suggérer une explication de ceux-ci, soit par un changement de rythme des éléments (cf. 16.24), soit par une combinaison différente de leurs propriétés. La nature créée est ici entièrement au service du peuple de Dieu, cf. v. 6.

19 des animaux terrestres devenaient aquatiques,b
ceux qui nagentc se déplaçaient sur la terre ;

b Les Israélites et leur bétail lors du passage de la mer Rouge.

c Les grenouilles, Ex 8.2.

20 le feu renforçait dans l’eau sa propre vertu,
et l’eau oubliait son pouvoir d’éteindre ;
21 en revanche, les flammes ne consumaient pas les chairs
d’animaux fragiles qui y circulaient ;
et elles ne faisaient pas fondre l’aliment divind
semblable à de la glace et si facile à fondre !

d Littéralement « une nourriture ambrosiaque ». Il s’agit de la manne, 16.22. L’ambroisie est un mets délicieux qui, selon les Grecs, assure aux héros et aux dieux l’immortalité. Toute cette relecture de l’Exode, 11-19, oriente vers l’eschatologie et la manne préfigure le don de l’immortalité dont traitait le début du livre, 1-6.

Conclusion.

22 Oui, de toutes manières, Seigneur, tu as magnifié ton peuple et tu l’as glorifié ;
tu n’as pas négligé, en tout temps et en tout lieu, de l’assister !