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Bible de Jérusalem

Ésaïe 40-55

II. Le livre de la consolation d’Israëlb

Annonce de la délivrance.c

40 « Consolez, consolez mon peuple,
dit votre Dieu,

b Tel est le titre que l’on donne à cette seconde partie du livre d’Isaïe, chap. 40-55, en s’inspirant des premiers vv. La « consolation » est en effet le thème principal de ces chap., en contraste avec les oracles généralement menaçants des chap. 1-39. Ce livre est attribué au « Second Isaïe », un prophète anonyme de la fin de l’Exil, cf. l’Introd.

c Cette cantate à plusieurs voix sert d’ouverture au livre la servitude du peuple est terminée et un nouvel Exode se prépare, sous la conduite de Dieu. Ce thème, qui traverse tout le livre, sera repris dans la conclusion de 55.12-13.

2 parlez au cœur de Jérusalem et criez-lui
que son service est accompli,
que sa faute est expiée,
qu’elle a reçu de la main de Yahvé
double punition pour tous ses péchés. »d

d Jérusalem a été astreinte au « service » d’un mercenaire ou d’un esclave ; elle a payé sa faute au double, comme un voleur, cf. Ex 22.

3 Une voixe crie : « Dans le désert, frayez
le chemin de Yahvé ;
dans la steppe, aplanissez
une route pour notre Dieu.f

e Le prophète laisse délibérément anonyme et mystérieuse cette voix qui obéit à l’ordre du v. 2. Les évangélistes, cf. Mt 3.3 ; Jn 1.23, citant ce texte d’après les LXX (« voix de celui qui crie dans le désert »), l’ont appliqué à Jean-Baptiste annonçant la venue prochaine du Messie.

f Des textes babyloniens parlent en termes analogues de voies processionnelles ou triomphales préparées pour le dieu ou pour le roi victorieux. C’est ici la route sur laquelle Yahvé conduira son peuple à travers le désert en un nouvel Exode. Déjà 10.25-27 avait rappelé les prodiges de l’Exode comme gage de la protection divine. Les prophètes de l’Exil amplifient ce thème. Comme jadis, Dieu va venir sauver son peuple, Jr 16.14-15 ; 31.2 ; 46.3-4 ; 63.9 (qui reprennent Ex 19.4). Le premier Exode, avec ses prodiges, Mi 7.14-15, le passage de la mer Rouge, 11.15-16 ; 43.16-21 ; 51.10 ; 63.11-13, l’eau miraculeuse, 48.21, la nuée lumineuse, 52.12, cf. 4.5-6, la marche au désert, ici vv. 3s, cf. Ba 5.7-9, devient à la fois le type et le gage du nouvel Exode, de Babylone à Jérusalem. — Sur ce thème de l’Exode, voir encore Os 2.16.

4 Que toute vallée soit comblée,
toute montagne et toute colline abaissées,
que les lieux accidentés se changent en plaine
et les escarpements en large vallée ;
5 alors la gloire de Yahvé se révélera
et toute chair, d’un coup, la verra,
car la bouche de Yahvé a parlé. »
6 Une voix dit : « Crie », et je dis : « Que crierai-je ? » g
— « Toute chair est de l’herbe
et toute sa grâce est comme la fleur des champs.

g La voix céleste remplace les théophanies des vocations prophétiques ; 6.8-13 ; Jr 1.4-10 ; Ez 1-2, indice peut-être d’un sentiment plus vif de la transcendance divine. Ici, comme dans ces autres cas, le prophète demande et obtient des précisions sur la mission qui lui est confiée.

7 L’herbe se dessèche, la fleur se fane,
quand le souffle de Yahvé passe sur elles ;
(oui, le peuple, c’est de l’herbe)
8 l’herbe se dessèche, la fleur se fane,
mais la parole de notre Dieu subsiste à jamais. »

9 Monte sur une haute montagne,
messagère de Sion ;
élève et force la voix,
messagère de Jérusalem ;
élève la voix, ne crains pas, dis aux villes de Juda :
« Voici votre Dieu ! »
10 Voici le Seigneur Yahvé qui vient avec puissance,
son bras assure son autorité ;
voici qu’il porte avec lui sa récompense,
et son salaire devant lui.
11 Tel un berger il fait paître son troupeau,h
de son bras il rassemble les agneaux,
il les porte sur son sein,
il conduit doucement les brebis mères.

h C’est le thème du bon pasteur, énoncé par Jr 23.1-6, développé par Ez 34, et repris par Jésus, Mt 18.12-14p ; Jn 10.11-18.

La grandeur divine.i

12 Qui a mesuré dans le creux de sa main l’eau de la mer,j
évalué à l’empan les dimensions du ciel,
jaugé au boisseau la poussière de la terre,
pesé les montagnes à la balance
et les collines sur des plateaux ?

i L’exaltation de la grandeur divine comparée à la faiblesse de l’homme est un thème fréquent des écrits de sagesse Jb 28 ; 38-39 ; Pr 8.22s ; 30.4. Mais les livres sapientiaux attribuent plus explicitement à la sagesse divine toute cette activité créatrice et ordonnatrice Jb 28.23-27 ; Pr 8.22-31 ; Si 1.2-3.

j « l’eau de la mer » 1QIsa ; « les eaux » TM.

13 Qui a dirigé l’esprit de Yahvé,
et, homme de conseil, a su l’instruire ?
14 Qui a-t-il consulté qui lui fasse comprendre,
qui l’instruise dans les sentiers du jugement,
qui lui enseigne la connaissance
et lui fasse connaître la voie de l’intelligence ?
15 Voici ! les nations sont comme une goutte d’eau au bord d’un seau,
on en tient compte comme d’une miette sur une balance.
Voici ! les îlesk pèsent comme un grain de poussière.

k Les « îles », dont il est souvent question dans le livre de la Consolation, sont les archipels et les côtes lointaines de la Méditerranée, et c’est en ce sens que le mot est ici mis en parallèle avec « les nations ».

16 Le Liban ne suffirait pas à entretenir le feu,
et sa faune ne suffirait pas pour l’holocauste.
17 Toutes les nations sont comme rien devant lui,
il les tient pour néantl et vide.

l « pour néant » 1QIsa ; « moins que néant » (?) TM.

18 À qui comparer Dieu,
et quelle image pourriez-vous en fournir ?m

m Ce v. exprime l’incomparabilité du vrai Dieu, cf. 25.1, qui fonde l’interdiction des images depuis le Décalogue. On a plus tard inséré les vv. 19-20, qui se continuent à 41.6-7 et concernent la fabrication des idoles (cf. la longue add. de 44.9-20). Par ailleurs, la polémique contre les dieux païens est un thème fréquent de la seconde partie d’Isaïe, cf. 41.21 ; 42.8, 17 ; 45.16, 20 ; 46.5-7 ; voir aussi Jr 10.1-6 ; 51.15-19 ; Ba 6 ; Ps 115.3-8 ; Sg 13.11-15.

19 Un artisan coule l’idole,
un orfèvre la recouvre d’or,
il fond des chaînes d’argent.
20 Celui qui fait une offrande de pauvren
choisit un bois qui ne pourrit pas,
se met en quête d’un habile artisan
pour ériger une idole qui ne vacille pas.

n Trad. incertaine. On comprend ce stique comme une opposition au v. précédent.

21 Ne le saviez-vous pas ? Ne l’entendiez-vous pas dire ?
Ne vous l’avait-on pas annoncé dès l’origine ?
N’avez-vous pas compris la fondation de la terre ?
22 Il trône au-dessus du cercle de la terre
dont les habitants sont comme des sauterelles,
il tend les cieux comme une toile,
les déploie comme une tente où l’on habite.
23 Il réduit à rien les princes,
il fait les juges de la terre semblables au néant.
24 À peine ont-ils été plantés, à peine semés,
à peine leur tige s’est-elle enracinée en terre,
qu’il souffle sur eux, et ils se dessèchent,
la tempête les emporte comme la bale.
25 À qui me comparerez-vous, dont je sois l’égal ? dit le Saint.o

o Le Second Isaïe reprend ce titre, cf. 41.14, etc., qu’Isaïe donnait de préférence au Dieu d’Israël, cf. 6.3.

26 Levez les yeux là-haut et voyez :
Qui a créé ces astres ?p
Il déploie leur armée en bon ordre,
il les appelle tous par leur nom.
Sa vigueur est si grande et telle est sa force
que pas un ne manque.

p Littéralement « ces choses », mais le sens est explicité par ce qui précède et suit immédiatement. Les astres forment « l’armée des cieux », cf. 34.4 ; Dt 17.3 ; 2 R 17.16 ; Jr 8.2, etc. Ils étaient divinisés à Babylone où cet oracle a été écrit.

27 Pourquoi dis-tu, Jacob, et répètes-tu, Israël :
« Ma voie est cachée à Yahvé,
et mon droit échappe à mon Dieu ? »q

q Jacob-Israël représente le peuple élu, ici les exilés de Babylone qui se demandent si Yahvé a oublié son peuple, cf. déjà Ez 37.11.

28 Ne le sais-tu pas ? Ne l’as-tu pas entendu dire ?
Yahvé est un Dieu éternel,
créateur des extrémités de la terre.
Il ne se fatigue ni ne se lasse,
insondable est son intelligence.
29 Il donne la force à celui qui est fatigué,
à celui qui est sans vigueur il prodigue le réconfort.
30 Les adolescents se fatiguent et s’épuisent,
les jeunes ne font que chanceler,
31 mais ceux qui espèrent en Yahvé renouvellent leur force,
ils déploient leurs ailes comme des aigles,
ils courent sans s’épuiser,
ils marchent sans se fatiguer.

Cyrus instrument de Yahvé.r

41 Îles, faites silence pour m’écouter,
que les peuples renouvellent leurs forces,
qu’ils s’avancent et qu’ils parlent,
ensemble comparaissons au jugement.

r En réponse aux doutes du peuple, cf. 40.27, ce grand poème annonce la venue d’un libérateur. Il s’agit de Cyrus, qui ne sera pas nommé avant 44.28, mais qui, pour les contemporains du Second Isaïe, était clairement désigné ici, cf. vv. 2-3 et 25. Le poème a été composé au moment où l’avance foudroyante de Cyrus laisse prévoir la chute de Babylone. C’est Yahvé qui le suscite, non pour frapper, comme Sennachérib ou Nabuchodonosor, mais pour délivrer. — S. Jérôme, qui a traduit au v. 2 « Qui a suscité de l’Orient le Juste », a appliqué ce texte au Messie, dont Cyrus, qui sera appelé « l’oint de Yahvé », 45.1, est de quelque manière une figure.

2 Qui a suscité de l’Orient
celui que la justice appelle à sa suite,s
auquel Il livre les nations,
et assujettit les rois ?
Son épée les réduit en poussière
et son arc en fait une paille qui s’envole.

s Le mot hébr. traduit par « justice » implique un rétablissement de l’ordre voulu par Yahvé et peut ainsi prendre le sens de « victoire », cf. aussi v. 10 ; 54.17.

3 Il les chasse et passe en sécurité
par un chemin que ses pieds ne font qu’effleurer.t

t « ne font qu’effleurer », litt. « il ne foule pas (yabûs) de ses pieds », conj. ; « il ne vient pas (yabo’)... » hébr. — L’image évoque la rapidité de l’avance de Cyrus.

4 Qui a agi et accompli ?
Celui qui dès le commencement appelle les générations ;
moi, Yahvé, je suis le premier,
et avec les derniers je serai encore.u

u Cette expression de l’éternité de Yahvé sera reprise par Ap 1.8, 17 ; 21.6 ; 22.13.

5 Les îles ont vu et prennent peur,
les extrémités de la terre frémissent,
ils sont tout près, ils arrivent.

6 Chacun aide son compagnon,
il dit à l’autre : « Courage ! »
7 L’artisan donne courage à l’orfèvre,
et celui qui polit au marteau à celui qui bat l’enclume :
il dit de la soudure : « Elle est bonne »,
il la renforce avec des clous pour qu’elle ne vacille pas.v

v Les vv. 6-7 sont une interpolation qui se rattache à 40.19-20, cf. la note.

Israël choisi et protégé par Yahvé.

8 Et toi, Israël, mon serviteur,w
Jacob, que j’ai choisi,
race d’Abraham, mon ami,

w Ici apparaît pour la première fois le thème du « serviteur », qui tient une grande place dans la prédication du Second Isaïe ; ce thème est lié à celui de l’élection, cf. 43.10, 20 ; 44.1, 2 ; 45.4, et celle-ci remonte à l’appel d’Abraham. Israël-Jacob, « race d’Abraham », a été choisi pour être le témoin de Yahvé, 43.10 ; bien qu’il ait été infidèle, 42.19, Dieu lui pardonnera et le sauvera, 44.1-5 ; 48.20. Plus qu’une relation de maître à esclave, cette notion de « serviteur » implique une relation de confiance et d’amour. — Sur les « Chants du Serviteur », cf. l’Introduction.

9 toi que j’ai saisi aux extrémités de la terre,
que j’ai appelé des contrées lointaines,
je t’ai dit : « Tu es mon serviteur,
je t’ai choisi, je ne t’ai pas rejeté. »
10 Ne crains pas car je suis avec toi,
ne te laisse pas émouvoir car je suis ton Dieu ;
je t’ai fortifié et je t’ai aidé, je t’ai soutenu de ma droite justicière.
11 Voici qu’ils seront honteux et humiliés,
tous ceux qui s’enflammaient contre toi.
Ils seront réduits à rien et périront,
ceux qui te cherchaient querelle.
12 Tu les chercheras et tu ne les trouveras pas,
ceux qui te combattaient ;
ils seront réduits à rien, anéantis,
ceux qui te faisaient la guerre.
13 Car moi, Yahvé, ton Dieu,
je te saisis la main droite,
je te dis : « Ne crains pas,
c’est moi qui te viens en aide. »
14 Ne crains pas, vermisseau de Jacob,
et vous, pauvres gens d’Israël.
C’est moi qui te viens en aide, oracle de Yahvé,
celui qui te rachète,x c’est le Saint d’Israël.

x En hébr. go’el c’est d’abord le proche parent, vengeur du sang, Nb 35.19, celui qui rachète le prisonnier pour dettes, celui qui doit défendre la veuve, Rt 2.20. Le mot désigne donc Dieu comme protecteur de l’opprimé et libérateur du peuple. En ce sens, il est très fréquent dans les Psaumes, cf. 19.15, et dans la seconde partie d’Isaïe, 43.14 ; 44.6, 24 ; 47.4 ; 48.17 ; 59.20 ; cf. Jr 50.34. Le NT et la théologie chrétienne reprendront l’idée pour l’appliquer à Jésus, qui est, lui aussi, le « rédempteur ».

15 Voici que j’ai fait de toi un traîneau à battre,
tout neuf, à doubles dents.
Tu écraseras les montagnes, tu les pulvériseras,
les collines, tu en feras de la paille.
16 Tu les vanneras, le vent les emportera
et l’ouragan les dispersera ;
pour toi, tu te réjouiras en Yahvé,
tu te glorifieras dans le Saint d’Israël.
17 Les miséreux et les pauvres cherchent de l’eau, et rien !
Leur langue est desséchée par la soif.
Moi, Yahvé, je les exaucerai,
Dieu d’Israël, je ne les abandonnerai pas.
18 Sur les monts chauves je ferai jaillir des fleuves,y
et des sources au milieu des vallées.
Je ferai du désert un marécage
et de la terre aride des eaux jaillissantes.

y De même que jadis Moïse avait fait jaillir l’eau du rocher pour abreuver son peuple, Ex 17.1-7, lors du prochain retour les fleuves jailliront des montagnes et feront du désert une plaine fertile. À travers les merveilles du retour de l’Exil, le prophète entrevoit certains traits de l’ère messianique, cf. 11.6 ; Ez 47.1-12.

19 Je mettrai dans le désert le cèdre,
l’acacia, le myrte et l’olivier,
je placerai dans la steppe pêle-mêle
le cyprès, le platane et le buis,
20 afin que l’on voie et que l’on sache,
que l’on fasse attention et que l’on comprenne
que la main de Yahvé a fait cela,
que le Saint d’Israël l’a créé.

Néant des idoles.z

21 Présentez votre querelle, dit Yahvé,
produisez vos arguments, dit le roi de Jacob.

z De même qu’il était entré en procès avec les nations, v. 1, Yahvé appelle ici les faux dieux à comparaître devant lui. Leur incapacité à prédire l’avenir et à agir sur le monde est la preuve de leur néant. C’est dans le Second Isaïe que s’exprime explicitement pour la première fois le monothéisme absolu, cf. 43.8-13 ; 44.6-8 ; 45.5, préparé par le monothéisme pratique que représentait l’adoration exclusive de Yahvé, Dieu d’Israël, cf. 42.8 et Introduction. Sur la polémique contre les idoles, cf. 40.18.

22 Qu’ils produisent et qu’ils nous montrent
les choses qui doivent arriver.
Les choses passées, que furent-elles ?
montrez-le, que nous y réfléchissions
et que nous en connaissions la suite.
Ou bien faites-nous entendre les choses à venir,
23 annoncez ce qui doit se passer ensuite,
et nous saurons que vous êtes des dieux.
Au moins, faites bien ou faites mal,
que nous éprouvions de l’émoi et de la crainte.
24 Voici, vous êtes moins que rien, et votre œuvre, c’est moins que néant,a
vous choisir est abominable.

a « néant » ’epes conj. ; ’apa` hébr. inintelligible.

25 Je l’ai suscité du Nord et il est venu,
depuis le Levant il est appelé par son nom.b
Il piétinec les gouverneurs comme de la boue,
comme le potier pétrit l’argile.

b « Il est appelé par son nom » conj. cf. 45.3 ; « il appelle (ou proclame) mon nom » hébr. — Cette formule signifie la désignation de quelqu’un pour une mission particulière, Ex 31.2 ; Nb 1.17, en même temps qu’elle exprime une relation privilégiée de Yahvé avec celui qu’il « appelle par son nom », cf. 43.1 ; 45.3-4.

c « il piétine » yabûs conj. ; « il marche » yabo’ hébr.

26 Qui l’a annoncé dès le principe, pour que nous sachions,
et dans le passé, pour que nous disions : C’est juste ?
Mais nul n’a annoncé, nul n’a fait entendre,
nul n’a entendu vos paroles.
27 Prémices de Sion, voici, les voici,
à Jérusalem j’envoie un messager,d

d Texte peut-être corrompu, traduit litt. On voit ici, comme au v. 25, une allusion à l’annonce que fait Yahvé de la délivrance par Cyrus, tandis que les faux dieux restent muets, v. 28.

28 et je regarde : personne !
Parmi eux, pas un qui donne un avis,
que je puisse interroger et qui réponde !
29 Voici, tous ensemble ils ne sont rien,e
néant que leurs œuvres,
du vent et du vide leurs statues !

e « rien » 1QIsa, Targ. ; « malheur » TM.

Premier chant du Serviteur.f

42 Voici mon serviteur que je soutiens,
mon élu en qui mon âme se complaît.
J’ai mis sur lui mon esprit,g
il présentera aux nations le droit.

f Ceci est le premier des quatre « chants du Serviteur » (42.1-4 ; 49.1-6 ; 50.4-9 ; 52.13 — 53.12), sur lesquels voir l’Introduction. Certains font terminer ce premier chant au v. 7, d’autres même au v. 4. Dans ce poème, le serviteur est présenté comme un prophète, objet d’une mission et d’une prédestination divine, v. 6, cf. v. 4 ; Jr 1.5, animé par l’Esprit, v. 1, pour enseigner toute la terre, vv. 1 et 3, avec discrétion et fermeté, vv. 2-4, malgré les oppositions. Mais sa mission dépasse celle des autres prophètes, puisqu’il est lui-même alliance et lumière, v. 6, et qu’il accomplit une œuvre de libération et de salut, v. 7.

g L’élection du Serviteur est accompagnée d’une effusion de l’Esprit comme pour les chefs charismatiques de l’ancien temps, les Juges, cf. Jg 3.10, et les premiers rois, Saül, 1 S 9.17, cf. 10.9-10, et David, 1 S 16.12-13 ; comparer 11.1-2. — Le récit du baptême de Jésus, cf. Mt 3.16-17p, associe à la descente de l’Esprit une citation qui combine ce v. et Ps 2.7, et les vv. 1-4 sont appliqués à Jésus par Matthieu (Mt 12.17-21). — En précisant « Jacob, mon serviteur, ... Israël, mon élu », la version grecque témoigne, comme la glose de 49.3, d’une tradition juive qui reconnaissait dans le Serviteur la communauté d’Israël, ainsi désignée dans d’autres textes du Second Isaïe, cf. 41.8.

2 Il ne crie pas, il n’élève pas le ton,
il ne fait pas entendre sa voix dans la rue ;
3 il ne brise pas le roseau froissé,
il n’éteint pas la mèche qui faiblit,
fidèlement, il présente le droit ;
4 il ne faiblira ni ne céderah
jusqu’à ce qu’il établisse le droit sur la terre,
et les îles attendent son enseignement.

h « ne cédera » grec, Targ. ; « ne courra » hébr.

5 Ainsi parle Dieu, Yahvé,
qui a créé les cieux et les a déployés,
qui a affermi la terre et ce qu’elle produit,
qui a donné le souffle au peuple qui l’habite,
et l’esprit à ceux qui la parcourent.
6 « Moi, Yahvé, je t’ai appelé dans la justice,
je t’ai saisi par la main, et je t’ai modelé,i
j’ai fait de toi l’alliance du peuple,
la lumière des nations,

i Même terme que celui utilisé en Gn 2.7 pour décrire comment Yahvé « modèle » le corps du premier homme.

7 pour ouvrir les yeux des aveugles,
pour extraire du cachot le prisonnier,
et de la prison ceux qui habitent les ténèbres. »
8 Je suis Yahvé,j tel est mon nom !
Ma gloire, je ne la donnerai pas à un autre,
ni mon honneur aux idoles.

j C’est le nom révélé à Moïse, Ex 3.14, celui du seul Existant. Il n’est pas d’autre Dieu que lui, cf. 40.25 ; 43.10-12 ; 44.6-8 ; 45.3, 5-6, 14-15, 18, 20-22 ; 46.5-7, 9 ; 48.11 ; cf. 41.21-29. Il est le créateur universel, 40.12s, 21s, 28 ; 42.5 ; 43.1 ; 44.24 ; 45.9-12, 18 ; 48.13 ; 51.13 ; 54.5, éternel, 41.4 ; 44.6 ; 48.12. Il « ne cédera pas sa gloire à un autre », ici et 48.11. Ce monothéisme triomphant du « livre de la Consolation » reprend ainsi en l’amplifiant par l’affirmation explicite de la transcendance divine le thème antérieur de la « jalousie » de Yahvé, Dt 4.24 ; cf. Ex 20.3.

9 Les premières choses, voici qu’elles sont arrivées,
et je vous en annonce de nouvelles,
avant qu’elles ne paraissent,
je vais vous les faire connaître.

Chant de victoire.

10 Chantez à Yahvé un chant nouveau,k
que chantent sa louange, des extrémités de la terre,
ceux qui vont sur la mer, et tout ce qui la peuple,
les îles et ceux qui les habitent.

k Ce « chant nouveau », v. 10, cf. Ps 96.1 ; 98.1 ; 149.1, est une célébration lyrique de la victoire de Yahvé, à laquelle toute la terre est invitée à prendre part.

11 Que se fassent entendre le désert et ses villes,
les campements où habite Qédar,
qu’ils crient de joie les habitants de la Roche,l
au sommet des montagnes, qu’ils poussent des clameurs.

l Qédar, tribu nomade, cf. 21.16-17 ; La Roche (hébr. Séla, grec Pétra), ville du désert au pays d’Édom, cf. 16.1 ; 2 R 14.7.

12 Qu’on rende gloire à Yahvé,
qu’on proclame sa louange dans les îles.
13 Yahvé, comme un héros, s’avance,
comme un guerrier, il éveille son ardeur,
il pousse le cri de guerre, il vocifère,
contre ses ennemis il agit en héros.
14 « Longtemps j’ai gardé le silence,
je me taisais, je me contenais.
Comme la femme qui enfante, je gémissais,
je soupirais tout en haletant.
15 Je vais ravager montagnes et collines,
en flétrir toute la verdure ;
je vais changer les torrents en terre fermem
et dessécher les marécages.

m Littéralement « en îles ». — Le v. 15 est en parallélisme antithétique avec 41.18, mais n’est pas une menace ; c’est l’expression de la souveraineté absolue de Yahvé sur la nature.

16 Je conduirai les aveugles par un chemin qu’ils ne connaissent pas,
par des sentiers qu’ils ne connaissent pas je les ferai cheminer,
devant eux je changerai l’obscurité en lumière
et les fondrières en surface unie.
Cela, je le ferai, je n’y manquerai pas.
17 Ils reculeront, ils rougiront de honte,
ceux qui se fient aux idoles,
qui disent à des statues : Vous êtes nos dieux. »

L’aveuglement d’Israël.n

18 Sourds, entendez ! Aveugles, regardez et voyez !

n Ce n’est pas Dieu qui, sourd et aveugle au sort d’Israël, attire sur lui le malheur, c’est Israël qui est sourd et aveugle il ne comprend pas ce qui lui arrive ni pourquoi cela lui arrive. Cet oracle est parallèle aux directives données à Isaïe lors de sa vocation, cf. 6.10. — Les vv. 21 et 24 semblent être des additions.

19 Qui est aveugle si ce n’est mon serviteur ?
Qui est sourd comme le messager que j’envoie ?
(Qui est aveugle comme celui dont j’avais fait mon ami
et sourd comme le serviteur de Yahvé ?)o

o « ami » sens incertain ; le mot hébr. signifie ailleurs « rétribué », mais on peut l’entendre dans le sens de « reçu en amitié ». — « sourd » Sym. et 2 mss ; hébr. répète « aveugle ». — Toute cette répétition de 19a doit être une glose.

20 Tu as vu bien des choses, sans y faire attention.
Ouvrant les oreilles, tu n’entendais pas.p

p « tu n’entendais » conj. ; « il n’entendait » hébr.

21 Yahvé a voulu, à cause de sa justice,
rendre la Loi grande et magnifique,
22 et voici un peuple pillé et dépouillé,
on les a tous enfermés dans des basses-fosses,
emprisonnés dans des cachots.
On les a mis au pillage, et personne pour les secourir,
on les a dépouillés, et personne pour demander réparation.
23 Qui, parmi vous, prête l’oreille à cela ?
Qui fait attention et désormais écoute ?
24 Qui donc a livré Jacob au spoliateur
et Israël aux pillards ?
N’est-ce pas Yahvé contre qui nous avions péché,
dont on n’avait pas voulu suivre les voies,
ni écouter la Loi ?
25 Il a répandu sur lui l’ardeur de sa colère
et la fureur guerrière ;
tout autour elle porta l’incendie, et lui n’a pas compris,
elle l’a brûlé, et il n’y a pas pris garde.

Dieu protecteur et libérateur d’Israël.q

43 Et maintenant, ainsi parle Yahvé,
celui qui t’a créé, Jacob, qui t’a modelé, Israël.
Ne crains pas, car je t’ai racheté,
je t’ai appelé par ton nom : tu es à moi.

q Oracle de salut, parallèle à celui de 41.8-20. Israël n’a rien à craindre, vv. 1 et 5, car son élection ancienne par Yahvé est un gage de la délivrance prochaine.

2 Si tu traverses les eaux je serai avec toi,
et les rivières, elles ne te submergeront pas.
Si tu passes par le feu, tu ne souffriras pas,
et la flamme ne te brûlera pas.
3 Car je suis Yahvé, ton Dieu,
le Saint d’Israël, ton sauveur.
Pour ta rançon, j’ai donné l’Égypte,
Kush et Séba à ta place.r

r Kush et Séba (distinct de Saba, en Arabie du Sud) sont deux régions d’Afrique, au sud de l’Égypte, cf. 45.14. Ce n’est pas une allusion historique précise, mais seulement l’évocation de peuples lointains, cf. v. 4. Yahvé est le maître suprême de toutes les nations et la délivrance prochaine d’Israël entre dans son dessein universel.

4 Car tu comptes beaucoup à mes yeux,
tu as du prix et je t’aime.
Aussi je livre des hommes à ta place
et des peuples en rançon de ta vie.
5 Ne crains pas, car je suis avec toi,
du levant je vais faire revenir ta race,
et du couchant je te rassemblerai.
6 Je dirai au Nord : Donne !
et au Midi : Ne retiens pas !
Ramène mes fils de loin
et mes filles du bout de la terre,
7 quiconque se réclame de mon nom,
ceux que j’ai créés pour ma gloire,
que j’ai formés et que j’ai faits.

Yahvé est seul Dieu.s

8 Fais sortir un peuple aveugle qui a des yeux,
et des sourds qui ont des oreilles.

s Bien qu’il soit sourd et aveugle aux événements de son histoire, cf. 42.18, Israël, par cette histoire même, sert de témoin à Yahvé contre les nations et leurs dieux. C’est à nouveau une démonstration du monothéisme par l’impuissance des faux dieux, cf. 41.21.

9 Que toutes les nations se rassemblent,
que tous les peuples s’unissent !
Qui parmi eux a proclamé cela
et nous a fait connaître les choses anciennes ?
Qu’ils produisent leurs témoins et qu’ils se justifient,
qu’on les entende et qu’on dise : C’est la vérité !
10 C’est vous qui êtes mes témoins, oracle de Yahvé,
vous êtes le serviteur que je me suis choisi,
afin que vous le sachiez, que vous croyiez en moi
et que vous compreniez que c’est moi :
avant moi aucun dieu n’a été formé
et après moi il n’y en aura pas.
11 Moi, c’est moi Yahvé,
et en dehors de moi il n’y a pas de sauveur.
12 C’est moi qui ai révélé, sauvé et fait entendre,
ce n’est pas un étranger qui est parmi vous,
vous, vous êtes mes témoins, oracle de Yahvé,
et moi, je suis Dieu,
13 de toute éternitét je le suis ;
nul ne peut délivrer de ma main,
si j’agis, qui pourrait me faire renoncer ?

t « de toute éternité » versions ; « depuis ce jour » hébr. Ce court oracle peut être la suite de 43.1-7.

Contre Babylone.

14 Ainsi parle Yahvé, votre rédempteur, le Saint d’Israël.
À cause de vous, j’ai envoyé quelqu’un à Babylone,
j’ai fait tomber tous les verrous,
et les Chaldéens changeront leurs cris en lamentations.u

u « verrous » berîhîm cf. Vulg. ; « fugitifs » barihîm hébr. — « en lamentations » ba’aniyyot conj. ; « sur des bateaux » ba’oniyyot hébr. Le texte de la fin du v. est incertain.

15 Je suis Yahvé, votre Saint,
le créateur d’Israël, votre roi.

Les prodiges du nouvel Exode.

16 Ainsi parle Yahvé, celui qui traça dans la mer un chemin,
un sentier dans les eaux déchaînées,
17 qui fit sortir char et cheval, armée et troupe d’élite ensemble ;
ils se sont couchés pour ne plus se relever,
ils se sont éteints, comme une mèche ils se sont consumés.
18 Ne vous souvenez plus des événements anciens,
ne pensez plus aux choses passées,v

v Les prodiges du passé, traversée de la mer et destruction de l’armée égyptienne, seront éclipsés par les merveilles plus grandes encore que Dieu va accomplir lors du nouvel Exode.

19 voici que je vais faire une chose nouvelle,
déjà elle pointe, ne la reconnaissez-vous pas ?
Oui, je vais mettre dans le désert un chemin,
et dans la steppe, des fleuves.
20 Les bêtes sauvages m’honoreront,
les chacals et les autruches,
car j’ai mis dans le désert de l’eau
et des fleuves dans la steppe,
pour abreuver mon peuple, mon élu.
21 Le peuple que je me suis formé
publiera mes louanges.
L’ingratitude d’Israël.w

w Cet oracle de blâme, exceptionnel dans le Second Isaïe, joue sur les mots « lasser » et « asservir ». Alors que Dieu aurait pu lasser et asservir Israël par des obligations cultuelles, c’est Israël qui a asservi et lassé Dieu par ses péchés. Mais Dieu pardonnera si Israël reconnaît ses fautes, vv. 25-26.

L’ingratitude d’Israël.

22 Tu ne m’as pas invoqué, Jacob,
oui, tu t’es lassé de moi, Israël.
23 Tu ne m’as pas apporté d’agneaux en holocauste,
et tu ne m’as pas honoré par tes sacrifices.
Je ne t’ai pas asservi à des oblations,
je ne t’ai pas lassé en exigeant de l’encens.
24 Pour moi, tu n’as pas acquis de roseaux à prix d’argent,
et tu ne m’as pas rassasié de la graisse de tes sacrifices.
Mais par tes péchés, tu as fait de moi un esclave,
tu m’as lassé par tes fautes.

x Le roseau odoriférant, apprécié comme parfum dans l’usage profane et religieux, Ez 27.19 ; Ct 4.14.

25 C’est moi, moi, qui efface tes crimes par égard pour moi,
et je ne me souviendrai plus de tes fautes.
26 Fais-moi me souvenir, et nous jugerons ensemble,
fais toi-même le compte afin d’être justifié.
27 Ton premier père a péché,y
tes interprètes se sont révoltés contre moi.z

y Il s’agit certainement de Jacob, cf. v. 22, qui est jugé ici défavorablement, selon une tradition qui n’est pas celle de la Gn mais qui est représentée par Os 12.3-4.

z Il s’agit des prophètes. Cf. par exemple 1 R 13.11-32 ; 19.2-4, et les faux prophètes que le peuple a écoutés.

28 Alors j’ai destitué les chefs du sanctuaire,
j’ai livré Jacob à l’anathème
et Israël aux outrages.

Bénédiction sur Israël.

44 Et maintenant, écoute, Jacob mon serviteur,
Israël que j’ai choisi.
2 Ainsi parle Yahvé, qui t’a fait,
qui t’a modelé dès le sein maternel, qui te soutient.
Sois sans crainte, Jacob mon serviteur,
Yeshurûna que j’ai choisi.

a Ce nom poétique d’Israël, qui ne se retrouve que dans Dt 32.15 ; 33.5, 26, et dans Si 37.25 hébr., est de sens incertain peut-être « loyal », de yashar « droit », « justice », par opposition à Jacob « celui qui supplante ».

3 Car je vais répandre de l’eau sur le sol assoiffé
et des ruisseaux sur la terre desséchée ;
je répandrai mon esprit sur ta race
et ma bénédiction sur tes descendants.
4 Ils germeront comme parmi les herbages,
comme les saules au bord de l’eau.
5 Celui-ci dira : Je suis à Yahvé,
et cet autre se réclamera du nom de Jacob.
Celui-là écrira sur sa main : « à Yahvé »,b
et on lui donnera le nom d’Israël.

b Cela signifie l’appartenance à Yahvé, comme le nom de la Bête marqué sur ses adeptes dans Ap 13.16-17, ou comme les tatouages des cultes hellénistiques. Il s’agit des convertis au yahvisme qui sont intégrés à Jacob-Israël. — En 49.16, Yahvé grave Sion sur les paumes de ses mains pour ne pas l’oublier.

Il n’y a qu’un seul Dieu.

6 Ainsi parle Yahvé, roi d’Israël,
Yahvé Sabaot, son rédempteur :
Je suis le premier et je suis le dernier,
à part moi, il n’y a pas de dieu.
7 Qui est comme moi ? qu’il crie,
qu’il le proclame et me l’expose ;
depuis que j’ai constitué un peuple éternel,
ce qui va se passer, qu’il le dise,c
et ce qui doit arriver, qu’il le leur annonce.

c « qu’il le dise » ajouté avec 1QIsa. Les deux derniers stiques sont incertains.

8 Ne vous effrayez pas, soyez sans crainte,
dès longtemps ne vous l’ai-je pas annoncé et révélé ?
Vous êtes mes témoins.
Y aurait-il un dieu à part moi ?
Il n’y a pas de Rocher, je n’en connais pas !

Néant des idoles.d

9 Néant, tous ceux qui modèlent des idoles, leurs meilleures œuvres ne servent à rien ! Elles sont leurs témoins, qui ne voient ni ne savent rien, en sorte qu’ils seront couverts de honte.

d Cette satire contre les fabricants d’idoles, où ne sont nommés ni Yahvé ni Israël, est une addition de la même main que 42.6-7. Comparer Jr 10.1-16, qui est également inauthentique.

10 Qui a façonné un dieu et fondu une idole qui ne peuvent servir à rien ? 11 Voici que tous ses fidèles seront couverts de honte, ainsi que ses artisans qui ne sont que
des hommes. Qu’ils se rassemblent tous, qu’ils comparaissent ; qu’ils soient remplis à la fois d’épouvante et de honte !

12 Le forgeron fabrique une hache sur des braises, il la façonne au marteau, il la travaille à la force de son bras. Et puis il a faim et perd sa force, n’ayant pas bu d’eau il est épuisé. 13 Le sculpteur sur bois tend le cordeau, trace l’image à la craie, l’exécute au ciseau et la dessine au compas, il l’exécute à l’image de l’homme, selon la beauté humaine, pour qu’elle habite une maison. 14 Il a coupé des cèdres, il a choisi un chêne et un térébinthe qu’il a laissés croître pour lui parmi les arbres de la forêt. Il a planté un pin que la pluie a fait grandir. 15 Les hommes le destinent au feu : il en a pris pour se chauffer, il l’a allumé et a cuit du pain. Mais aussi il a fait un dieu pour l’adorer, il a fabriqué une idole pour se prosterner devant elle. 16 Il en avait brûlé la moitié au feu, sur cette moitié il fait rôtir de la viande, la mangee et se rassasie ; en même temps il se chauffe et dit : « Ah ! je me suis bien chauffé et j’ai vu la flamme. »

e « il a fait rôtir la viande, la mange » grec, cf. v. 19 ; l’hébr. intervertit les deux verbes.

17 Avec le reste il fait un dieu, son idole, et il se prosterne devant lui, l’adore et le prie et dit : « Sauve-moi, car tu es mon dieu. »f

f En plus de Sg 13.11s, on cite le parallèle d’Horace, Satires I, 8, 1s.

18 Ils ne savent pas, ils ne comprennent pas, car leurs yeux sont incapables de voir, et leur cœur de réfléchir. 19 Pas un ne rentre en lui-même, pas un n’a la connaissance et l’intelligence de se dire : « J’en ai brûlé la moitié au feu et j’ai cuit du pain sur ses braises, je rôtis de la viande et je la mange ; avec le reste je ferais une chose abominable, me prosterner devant un bout de bois ! » 20 Il est attaché à de la cendre, son cœur abusé l’a égaré, il ne sauvera pas sa vie, il ne dira pas : « Ce que j’ai dans la main, n’est-ce pas un leurre ? »

Fidélité à Yahvé.g

21 Souviens-toi de cela, Jacob,
et toi Israël, car tu es mon serviteur.
Je t’ai modelé, tu es pour moi un serviteur,
Israël, je ne t’oublierai pas.

g Les vv. 21-23 se rattachent à 44.1-8 par-dessus l’insertion de 44.9-20. Le v. 23 peut être la conclusion de la section qui commence à 42.10.

22 J’ai dissipé tes crimes comme un nuage
et tes péchés comme une nuée ;
reviens à moi, car je t’ai racheté.
23 Criez de joie, cieux, car Yahvé a agi,
hurlez, profondeurs de la terre,
poussez, montagnes, des cris de joie,
forêt, et tous les arbres qu’elle contient !
car Yahvé a racheté Jacob,
il s’est glorifié en Israël.

Dieu créateur du monde et maître de l’histoire.h

24 Ainsi parle Yahvé, ton rédempteur,
celui qui t’a modelé dès le sein maternel,
c’est moi, Yahvé, qui ai fait toutes choses,
qui seul ai déployé les cieux,
affermi la terre, sans personne avec moi ;

h Reprise du thème de la toute-puissance divine, qui se manifestera tout particulièrement dans la reconstruction de Jérusalem et le rôle de Cyrus, explicitement nommé pour la première fois au v. 28, cf. 41.1-5, et auquel va s’adresser l’oracle de 45.1-7.

25 qui réduis à néant les signes des augures
et fais délirer les devins,
qui fais reculer les sages
et tourne leur science en folie ;
26 qui confirme la parole de mon serviteur
et fais réussir les desseins de mes envoyés ;
qui dis à Jérusalem : « Tu seras habitée »,
et aux villes de Juda : « Vous serez rebâties »;
(et ses ruines, je les relèverai) ;
27 qui dis à l’abîme : « Dessèche-toi,
je vais tarir tes fleuves »;
28 qui dis à Cyrus : « Mon berger. »
Il accomplira toute ma volonté,
en disant à Jérusalem : « Tu seras reconstruite »,
et au Temple : « Tu seras rétabli. »i

i La seconde partie du v. est peut-être une addition : elle reprend 26b et mentionne la reconstruction du Temple dont il n’est pas question ailleurs dans le Second Isaïe. Mais cette addition est ancienne et les versions se sont offusquées de l’attribution de ces paroles à Cyrus ; elles ont traduit « c’est moi qui dis », cf. v. 26.

Cyrus instrument de Dieu.j

45 Ainsi parle Yahvé à son oint,
à Cyrus dont j’ai saisi la main droite,
pour faire plier devant lui les nations
et désarmer les rois,k
pour ouvrir devant lui les vantaux,
pour que les portes ne soient plus fermées.

j C’est un oracle royal d’intronisation, comme ceux des Ps 2 et 110 Cyrus est appelé « par son nom », vv. 3, 4, cf. 41.25, et il reçoit le titre de « Oint de Yahvé » qui était réservé aux rois d’Israël, et qui devint le titre du roi-sauveur attendu, cf. l’Introd. Le paradoxe est que ce titre est donné ici à un souverain étranger qui ne connaît pas Yahvé, vv. 4-5. Cet oracle est curieusement parallèle à un texte babylonien, le « cylindre de Cyrus », où Marduk, qui n’est pas un dieu perse, a « nommé le nom de Cyrus et l’a appelé à la domination sur toute la terre ». Ce texte, rédigé par les prêtres de Babylone, a été écrit, comme l’oracle du Second Isaïe, au moment de la marche victorieuse de Cyrus, en 538.

k Littéralement « je desserrerai les reins des rois »; comparer 1 R 20.11, et la formule inverse « serrer ses reins » « ceindre son glaive ».

2 C’est moi qui vais marcher devant toi, j’aplanirai les hauteurs,
je briserai les vantaux de bronze,
je ferai céder les verrous de fer
3 et je te donnerai des trésors secrets,
des richesses cachées,
afin que tu saches que je suis Yahvé,
celui qui t’appelle par ton nom,
le Dieu d’Israël.
4 C’est à cause de mon serviteur Jacob et d’Israël mon élu
que je t’ai appelé par ton nom,
je te donne un titre, sans que tu me connaisses.
5 Je suis Yahvé, il n’y en a pas d’autre,
moi excepté, il n’y a pas de Dieu.
Je te ceins, sans que tu me connaisses,
6 afin que l’on sache du levant au couchant
qu’il n’y a personne sauf moi :
je suis Yahvé, il n’y en a pas d’autre.
7 Je façonne la lumière et je crée les ténèbres,
je fais le bonheur et je crée le malheur,
c’est moi, Yahvé, qui fais tout cela.

Prière.l

8 Cieux, épanchez-vous là-haut,
et que les nuages déversent la justice,
que la terre s’ouvre et produise le salut,
qu’elle fasse germer en même temps la justice.m
C’est moi, Yahvé, qui ai créé cela.

l Cette prière (latin Rorate cœli desuper...) vise en premier lieu la délivrance et la « justice » que Cyrus va apporter prochainement, mais qui sont une création de Yahvé cf. 41.2. En substituant « juste » et « sauveur » aux termes abstraits de l’hébr., S. Jérôme souligne la portée messianique de cet oracle.

m Le Premier Isaïe comparait déjà le prince messianique à une « pousse » issue de la souche davidique, 4.2 ; 6.13 ; 11.1 ; cf. Jr 23.5 = 33.15. Dans Za 3.8, le mot « germe » devient un titre messianique.

Pouvoir souverain de Yahvé.

9 Malheur à qui discute avec celui qui l’a modelé,
vase parmi les vases de terre !
L’argile dit-elle à son potier : « Que fais-tu ?
ton œuvre n’a pas de mains ! »n

n C’est-à-dire peut-être « n’est pas complète » ou « n’a pas d’utilité ». La comparaison du potier, inspirée d’29.16, cf. Jr 18.1-12 ; 19.1-11, a été reprise par S. Paul, Rm 9.20.

10 Malheur à qui dit à un père : « Pourquoi engendres-tu ? »
et à une femme : « Pourquoi mets-tu au monde ? »
11 Ainsi parle Yahvé,
le Saint d’Israël, son créateur :
On me demande ce qui va se passer pour mes enfants,o
au sujet de l’œuvre de mes mains, on me donne des ordres.

o « ce qui va se passer », litt. « les choses qui viennent » ’otiyyôt hébr. — « son créateur », litt., « son modeleur », cf. Gn 2.7, 8.

12 C’est moi qui ai fait la terre
et créé l’homme qui l’habite,
c’est moi qui de mes mains ai déployé les cieux,
et qui ai donné des ordres à toute leur armée.
13 C’est moi qui l’ai suscitép dans la justice,
et qui vais aplanir toutes ses voies.
C’est lui qui reconstruira ma ville,
qui rapatriera mes déportés, sans rançon ni indemnité,
dit Yahvé Sabaot.

p Il s’agit toujours de Cyrus, cf. 41.2.

Conversion des nations païennes.q

14 Ainsi parle Yahvé :
Les productions de l’Égypte, le commerce de Kush
et les Sébaïtes, ces gens de haute taille,
passeront chez toi et t’appartiendront.
Ils marcheront derrière toi, ils iront chargés de chaînes,
ils se prosterneront devant toi, ils te prieront :
« Il n’y a de Dieu que chez toi !
il n’y en a pas d’autres, pas d’autre dieu. »

q L’universalisme, qui voit dans l’avenir toutes les nations se rassembler autour de Jérusalem pour servir le Dieu d’Israël, se trouve également en 2.2-4 (= Mi 4.1-3) ; 19.16-25 ; Jr 12.15-16 ; 16.19-21 ; So 3.9-10. Il est l’un des thèmes majeurs du livre de la Consolation 42.1-4, 6 ; 45.14-16, 20-25 ; 49.6 ; 55.3-5 ; cf. 60. Il s’exprimera encore après l’Exil, Za 2.15 ; 8.20-23 ; 14.9, 16 ; cf. aussi Ps 87 et le livre de Jonas.

15 En vérité tu es un dieu qui se cache,
Dieu d’Israël, sauveur.r

r Ce v. isolé tire une leçon théologique Yahvé n’agit plus directement dans l’histoire comme autrefois, il se cache derrière ses instruments (Cyrus) ; mais il reste pour son peuple le sauveur dont la toute-puissance est rendue patente par son œuvre créatrice, vv. 18-19.

16 Ils sont honteux et humiliés, tous ensemble,
ils marchent dans l’humiliation, les fabricants d’idoles.
17 Israël sera sauvé par Yahvé, sauvé pour toujours,
vous ne serez ni honteux ni humiliés,
pour toujours et à jamais.
18 Car ainsi parle Yahvé, le créateur des cieux :
C’est lui qui est Dieu, qui a modelé la terre et l’a faite,
c’est lui qui l’a fondée ;
il ne l’a pas créée vide,
il l’a modelée pour être habitée.
Je suis Yahvé, il n’y en a pas d’autre.
19 Je n’ai pas parlé en secret, en quelque coin d’un obscur pays,
je n’ai pas dit à la race de Jacob :
Cherchez-moi dans le chaos !
je suis Yahvé qui proclame la justice,
qui annonce des choses vraies.

Dieu, maître de tout l’univers.s

20 Rassemblez-vous et venez ! Approchez tous ensemble,
survivants des nations !
Ils sont inconscients ceux qui transportent
leurs idoles de bois,
qui prient un dieu qui ne sauve pas.

s La polémique contre les dieux païens, déjà rencontrée à plusieurs reprises dans le Second Isaïe (cf. 40.12-31), atteint ici à un universalisme qui ne s’était pas encore affirmé aussi clairement, cf. déjà v. 14.

21 Annoncez, produisez vos preuves,
que même ils se concertent !
Qui avait proclamé cela dans le passé,
qui l’avait annoncé jadis,
n’est-ce pas moi, Yahvé ?
Il n’y a pas d’autre dieu que moi.
Un dieu juste et sauveur, il n’y en a pas excepté moi.
22 Tournez-vous vers moi et vous serez sauvés,
tous les confins de la terre,
car je suis Dieu, il n’y en a pas d’autre.
23 Je le jure par moi-même,
ce qui sort de ma bouche est la vérité,
c’est une parole irrévocable :
Oui, devant moi tout genou fléchira,
par moi jurera toute langue
24 en disant : En Yahvé seult
sont la justice et la force.
Jusqu’à lui viendront, couverts de honte,
tous ceux qui s’enflammaient contre lui.

t « en disant en Yahvé seul » grec, Vulg. ; « en Yahvé seul il m’a dit » hébr.

25 C’est en Yahvé qu’elle obtiendra le triomphe et la gloire,
toute la race d’Israël.

Chute de Babylone.u

46 Bel s’est courbé, Nebo s’effondre.
Leurs idoles sont confiées aux animaux et aux bêtes de somme,
ces charges que vous souleviez, c’est un fardeau pour la bête fourbue.

u Le prophète entrevoit la prise de Babylone par Cyrus. Les dieux du panthéon assyro-babylonien, Bel, dieu du ciel, et Nebo, dieu de la sagesse, sont écrasés. Les Babyloniens s’enfuient, emportant leurs dieux, c’est-à-dire les idoles qui les représentent.

2 Elles se sont effondrées, courbées toutes ensemble,
on ne peut sauver ce fardeau,
elles sont allées elles-mêmes en captivité.
3 Écoutez-moi, maison de Jacob,
tout ce qui reste de la maison d’Israël,
vous que j’ai portés dès votre naissance,
soulevés depuis le berceau.v

v À l’inverse des idolâtres qui « portent » leurs dieux dans leur fuite, c’est Yahvé qui a « porté » Israël depuis les origines. — « Depuis votre naissance, ... depuis le berceau » litt. « depuis les entrailles, ... depuis le sein ».

4 Jusqu’à la vieillesse je reste le même,
jusqu’aux cheveux blancs je vous porterai :
moi, je l’ai déjà fait, moi je vous soulèverai,
moi, je vous porterai et je vous sauverai.
5 À qui voulez-vous m’assimiler et m’identifier,w
à qui me comparer, à qui suis-je semblable ?

w L’opposition entre les dieux babyloniens vaincus et Yahvé, Dieu d’Israël triomphant, amène le prophète à reprendre l’argument de la puissance incomparable du vrai Dieu, cf. 44.7 ; 41.21-29 ; 42.8 ; 43.8-13.

6 Certains déversent l’or de leur bourse,
et pèsent l’argent à la balance,x
ils embauchent un orfèvre pour faire un dieu,
ils s’inclinent et ils adorent.

x « balance » litt. « roseau », c’est-à-dire le fléau de la balance.

7 Ils le mettent sur l’épaule et l’emportent,
ils le déposent à sa place pour qu’il s’y tienne,
pour qu’il n’en bouge pas.
On a beau l’invoquer, il ne répond pas,
de la détresse il ne sauve pas.
8 Souvenez-vous-en et soyez des hommes,y
révoltés, rentrez en vous-mêmes.

y Sens incertain. On corrige parfois en « soyez confus », mais le grec « soyez fermes » semble appuyer la traduction proposée.

9 Souvenez-vous des choses passées depuis longtemps,
car je suis Dieu, il n’y en a pas d’autre,
Dieu, et personne n’est semblable à moi.
10 J’annonce dès l’origine ce qui doit arriver,
d’avance, ce qui n’est pas encore accompli,
je dis : Mon projet se réalisera,
j’accomplirai ce qui me plaît ;
11 j’appelle depuis l’Orient un rapace,z
d’un pays lointain l’homme que j’ai prédestiné.
Ce que j’ai dit, je l’exécute,
mon dessein, je l’accomplis.

z Cyrus, qui fond sur ses ennemis comme un oiseau de proie. Le terme n’est pas péjoratif.

12 Écoutez-moi, hommes au cœur dur,
vous qui êtes loin de la justice,
13 j’ai fait venir ma justice, elle n’est pas loin,
mon salut ne tardera pas.
Je mettrai en Sion le salut,
je donnerai à Israël ma gloire.

Lamentation sur Babylone.a

47 Descends, assieds-toi dans la poussière,
Vierge, fille de Babylone,b
assieds-toi à terre, sans trône,
fille des Chaldéens,
car jamais plus on ne t’appellera
douce et exquise.

a Ce poème est une qîna, c’est-à-dire une lamentation au rythme dissymétrique. C’est le seul exemple chez le Second Isaïe d’un de ces oracles contre les nations qu’on trouve chez les autres prophètes ; son style rappelle les oracles de châtiment contre Jérusalem.

b Littéralement « Vierge de la fille de Babylone », expression fréquente pour désigner une ville ou un pays personnifiés, cf. 37.22 ; 2 R 19.21 ; Lm 2.13 (Sion) ; 23.12 (Sidon) ; Jr 46.11 (l’Égypte) ; Lm 1.15 (Juda) ; Jr 14.17 (« mon peuple »).

2 Prends la meule et broie la farine ;
dénoue ton voile,
relève ta robe, découvre tes jambes,
traverse les rivières.
3 Que paraisse ta nudité
et que ta honte soit visible ;
j’exécute ma vengeance
et personne ne s’y opposera.c

c « ne s’opposera » conj. ; l’hébr. a la première personne.

4 Notre rédempteur, Yahvé Sabaot est son nom,
le Saint d’Israël, a dit :d

d Ce v., sans verbe dans l’hébr., peut être une glose ; mais le grec, qu’on suit ici, ajoute « a dit ».

5 Assieds-toi en silence, enfonce-toi dans l’ombre,
fille des Chaldéens,
car jamais plus on ne t’appellera
souveraine des royaumes.
6 J’étais irrité contre mon peuple,
j’avais rejeté mon héritage,
je l’avais livré entre tes mains.
Tu les as traités sans pitié,
sur le vieillard tu as fait durement peser ton joug.
7 Tu as dit : « À jamais je serai souveraine éternelle »,
tu n’as pas réfléchi à cela dans ton cœur,
tu n’as pas songé à l’avenir.

8 Maintenant écoute ceci, voluptueuse !
toi qui es assise en sécurité et qui dis dans ton cœur :
« Moi, sans égale,e
je ne resterai pas veuve,
je ne connaîtrai pas la privation d’enfants ! »

e Babylone semble vouloir s’égaler à Yahvé, cf. 42.8 ; 45.14 ; 46.9. Elle sera châtiée de son orgueil.

9 Eh bien, ces deux malheurs fondront sur toi,
soudainement, en un jour,
privation d’enfants et veuvage,
tout à coup ils fondront sur toi,
en dépit de tous tes sortilèges,
de la puissance de tes incantations.
10 Tu as eu confiance dans ta méchanceté,
tu as dit : « Personne ne me voit. »
C’est ta sagesse et ta science qui t’ont pervertie,
et tu as dit dans ton cœur : « Moi, sans égale. »
11 Un malheur fondra sur toi,
tu ne sauras comment le conjurer ;
un désastre fondra sur toi,
tu ne pourras t’en préserver ;
soudain fondra sur toi
une calamité que tu ne connaîtras pas.
12 Reste donc avec tes incantations et tous tes sortilèges
dans lesquels tu t’es fatiguée depuis ta jeunesse.
Peut-être pourras-tu en tirer profit,
peut-être sauras-tu faire trembler.
13 Tu t’es épuisée à force de consultations,
qu’ils se présentent donc et te sauvent
ceux qui détaillent le ciel,
qui observent les étoiles,
qui annoncent chaque mois ce qui va fondre sur toi.
14 Voici qu’ils sont comme fétus de paille,
le feu les brûlera,
ils ne sauveront pas leur vie de l’étreinte de la flamme ;
et ce ne sera pas une braise pour se chauffer,
un foyer pour s’y asseoir !
15 Ainsi auront été pour toi tes devins,f
pour lesquels tu t’es fatiguée depuis ta jeunesse :
ils ont erré, chacun devant soi,
et pas un ne t’a sauvée.

f Le terme signifie habituellement « marchands » (étymologiquement « ceux qui vont et viennent »?) ; mais en le rapprochant d’un mot identique en akkadien, on peut le comprendre au sens de « devin », « enchanteur », cf. vv. 9, 12-13.

Yahvé avait tout prédit.g

48 Écoutez ceci, maison de Jacob,
vous que l’on appelle du nom d’Israël,
vous qui êtes issus des eaux de Juda,h
qui jurez par le nom de Yahvé
et qui invoquez le Dieu d’Israël,
sans loyauté ni justice.

g Dieu avait prédit longtemps à l’avance à son peuple incrédule et révolté les « choses anciennes », v. 3, c’est-à-dire les événements passés de l’histoire du salut ; il lui annonce maintenant les « choses nouvelles », v. 6, c’est-à-dire la délivrance qu’il est en train d’accomplir pour l’honneur de son nom. Le ton sévère de cet oracle est étonnant chez le prophète de la Consolation.

h Image obscure. Le Targum comprend « de la semence de Juda ». Le grec a simplement « issus de Juda ».

2 Car ils tirent leur nom de la ville sainte,
ils s’appuient sur le Dieu d’Israël,
Yahvé Sabaot est son nom.

3 Les choses anciennes, depuis longtemps je les avais annoncées,
elles étaient sorties de ma bouche, je les avais proclamées ;
et soudain j’ai agi, elles sont arrivées.
4 Car je savais que tu es obstiné,i
de fer est le muscle de ton cou,
et ton front est d’airain.

i Le thème de l’endurcissement d’Israël est fréquent chez les prophètes et dans les livres historiques. Israël a « raidi sa nuque » Ex 32.9 ; Dt 9.13 ; 2 R 17.14 ; Jr 7.26, etc., il s’est rendu aveugle et sourd, 6.9-10 ; 42.19-20 ; 43.8, en refusant de servir Dieu, en brisant le joug de sa Loi, Jr 2.20 ; 5.5. Il est châtié et doit courber sa nuque sous le joug d’un peuple étranger, Dt 28.48 ; cf. Jr 27.8, 11, 28 ; 30.8 ; 9.3 ; 10.27. Mais Yahvé n’a pas rejeté son peuple, vv. 9-11, et la révélation de son salut triomphera de l’aveuglement des rebelles, 42.7, 16, 18 ; 43.8-12.

5 Aussi te l’ai-je annoncé depuis longtemps,
avant que cela n’arrive je l’avais proclamé,
de peur que tu ne dises : « Mon image a tout fait,
mon idole et ma statue ont tout ordonné. »
6 Tu as entendu et vu tout cela,
et vous, ne l’annoncerez-vous pas ?
Je t’ai fait entendre dès maintenant des choses nouvelles,
secrètes et inconnues de toi.
7 C’est maintenant qu’elles sont créées, et non depuis longtemps,
et jusqu’à ce jour tu n’en avais pas entendu parler,
de peur que tu ne dises : « Oui, je les connaissais. »
8 Eh bien non, tu n’entendais rien, tu ne savais rien,
depuis longtemps ton oreille n’était pas attentive,
car je savais combien tu es perfide,
et que dès le berceau on t’appelle révolté.
9 À cause de mon nom, je vais différer ma colère,
pour mon honneur, je vais patienter avec toi,
pour ne pas t’exterminer.
10 Voici que je t’ai achetéj mais non pour de l’argent,
je t’ai choisi au creuset du malheur.

j « acheté » grec ; « épuré » hébr. — Il serait tentant de lire « je t’ai épuré... je t’ai éprouvé au creuset... » (avec 1QIsa), mais il faudrait alors corriger « non pour de l’argent » en « comme de l’argent », ce qui n’est appuyé par aucun témoin.

11 C’est à cause de moi, de moi seul que je vais agir,
comment mon nomk serait-il profané ?
Je ne donnerai pas ma gloire à un autre.

k « mon nom » ajouté avec grec et latin ; hébr. a seulement « comment serait-il profané ? », peut-être glose d’un lecteur.

Yahvé a choisi Cyrus.

12 Écoute-moi, Jacob, Israël que j’ai appelé,
c’est moi, moi qui suis le premier
et c’est moi aussi le dernier.
13 Ma main a fondé la terre,
ma droite a tendu les cieux,
moi, je les appelle
et tous ensemble ils se présentent.
14 Assemblez-vous, vous tous, et écoutez,
qui parmi eux a annoncé cela ?
Yahvé l’aime ; il accomplira son bon plaisir
sur Babylone et la race des Chaldéens :l

l « la race des Chaldéens » grec ; « son bras (ce sont) les Chaldéens » hébr. — L’aimé de Yahvé est ou bien Israël, ou bien Cyrus dont il est certainement question au v. suivant. Mais le texte est peut-être corrompu.

15 c’est moi, c’est moi qui ai parlé et qui l’ai appelé,
je l’ai fait venir et son entreprise réussira.

Le destin d’Israël.

16 Approchez-vous de moi et écoutez ceci :m
dès le début je n’ai pas parlé en cachette,
lorsque c’est arrivé, j’étais là,
et maintenant le Seigneur Yahvé m’a envoyé avec son esprit.

m Apparemment, c’est le prophète qui reprend la parole pour annoncer un nouvel oracle, vv. 17-19, méditation sur ce qu’aurait été le destin d’Israël s’il avait été fidèle. Les promesses sont celles que fit Yahvé à Abraham, Gn 13.16 ; 15.5 ; 17.6s ; 22.17, reprises tout au long de la Bible, en particulier dans le Dt et les oracles des prophètes, cf. 1 R 4.20 ; Os 2.1.

17 Ainsi parle Yahvé ton rédempteur, le Saint d’Israël :
Je suis Yahvé ton Dieu, je t’instruis pour ton bien,
je te conduis par le chemin où tu marches.
18 Si seulement tu avais été attentif à mes commandements !
Ton bonheur serait comme un fleuve
et ta justice comme les flots de la mer.
19 Ta race serait comme le sable,
et comme le grain, ceux qui sont issus de toi !
Ton nom ne serait pas retranché ni effacé devant moi.

La fin de l’Exil.n

20 Sortez de Babylone, fuyez de chez les Chaldéens,
avec des cris de joie, annoncez, proclamez ceci,
répandez-le jusqu’aux extrémités de la terre,
dites : Yahvé a racheté son serviteur Jacob.

n Le jour de la délivrance est arrivé. Ce chant de triomphe est la conclusion de tout l’ensemble 47-48.

21 Ils n’ont pas eu soif quand il les menait dans les déserts,
il a fait couler pour eux l’eau du rocher,
il a fendu le rocher et l’eau a jailli.
22 Point de bonheur, dit Yahvé, pour les méchants.

Deuxième chant du Serviteur.o

49 Iles, écoutez-moi,
soyez attentifs, peuples lointains !
Yahvé m’a appelé dès le sein maternel,
dès les entrailles de ma mère il a prononcé mon nom.p

o Tous les auteurs ne sont pas d’accord sur l’étendue de ce chant, que certains arrêtent au v. 6, tandis que d’autres y incluent encore les vv. 7-9. Ce deuxième chant reprend le thème du premier (42.1-8) mais en insistant sur certains aspects de la mission du Serviteur, prédestination vv. 1, 5, mission étendue non seulement à Israël qu’il doit rassembler, v. 5, mais à l’égard des nations pour les éclairer, v. 6, prédication neuve et frappante, v. 2, apportant lumière et salut, v. 6. Il ajoute aussi la mention d’un insuccès, vv. 4, 7a, de sa confiance en Dieu seul, vv. 4, 5, et d’un triomphe final, v. 7. Le troisième et le quatrième chants ajouteront de nouvelles précisions sur la personne et la mission du Serviteur.

p Le prophète a été prédestiné, comme Jérémie, cf. Jr 1.5.

2 Il a fait de ma bouche une épée tranchante,
il m’a abrité à l’ombre de sa main ;
il a fait de moi une flèche acérée,
il m’a caché dans son carquois.
3 Il m’a dit : « Tu es mon serviteur, Israël,q
toi en qui je me glorifierai. »

q Ce mot est généralement considéré comme une glose inspirée de 44.21 et incompatible avec les vv. 5-6 qui distinguent entre le Serviteur et Jacob/Israël. Cependant, le mot se trouve dans tous les témoins du texte. Il se justifie peut-être par l’ambivalence de la figure du Serviteur qui est tantôt Israël et tantôt son chef et sauveur.

4 Et moi, j’ai dit : « C’est en vain que j’ai peiné,
pour rien, pour du vent j’ai usé mes forces. »
Et pourtant mon droit était avec Yahvé
et mon salaire avec mon Dieu.
5 Et maintenant Yahvé a parlé,
lui qui m’a modelé dès le sein de ma mère pour être son serviteur,
pour ramener vers lui Jacob,
et qu’Israël lui soit réuni ;r
— je serai glorifié aux yeux de Yahvé,
et mon Dieu a été ma force ; —

r « lui soit réuni » versions, 1QIsa ; « ne soit pas réuni » TM.

6 il a dit : « C’est trop peu que tu sois pour moi un serviteur
pour relever les tribus de Jacob et ramener les survivants d’Israël.
Je fais de toi la lumière des nations
pour que mon salut atteigne aux extrémités de la terre. »
7 Ainsi parle Yahvé, le rédempteur, le Saint d’Israël,s
à celui dont l’âme est méprisée, honnie de la nation,t
à l’esclave des tyrans :
des rois verront et se lèveront, des princes verront et se prosterneront,
à cause de Yahvé qui est fidèle, du Saint d’Israël qui t’a élu.

s Si ce v. fait encore partie du deuxième chant du Serviteur (cf. 49.1), il annonce déjà ses humiliations et sa glorification, qui seront décrites longuement au cours du quatrième chant. Si, au contraire, ce v. est à rattacher au morceau suivant, il s’agit d’Israël humilié par quarante ans d’exil et qui va être merveilleusement rétabli par Dieu.

t « méprisée », « honnie », en lisant des participes passifs avec les versions et 1QIsa ; TM a des participes actifs.

La joie du retour.

8 Ainsi parle Yahvé :
Au temps de la faveur je t’ai exaucé,
au jour du salut je t’ai secouru.
Je t’ai façonné et j’ai fait de toi l’alliance d’un peuple
pour relever le pays,
pour restituer les héritages dévastés,
9 pour dire aux captifs : « Sortez »,
à ceux qui sont dans les ténèbres : « Montrez-vous. »
Ils paîtront le long des chemins,
sur tous les monts chauves ils auront un pâturage.u

u Les vv. 9-11 reprennent le thème de la route merveilleuse du Retour, cf. 35.5-10 ; 41.17-20 ; 43.19-20.

10 Ils n’auront plus faim ni soif,
ils ne souffriront pas du vent brûlant ni du soleil,
car celui qui les prend en pitié les conduira,
il les mènera vers les eaux jaillissantes.
11 De toutes mes montagnes je ferai un chemin
et mes routes seront relevées.
12 Les voici, ils viennent de loin,
ceux-ci du Nord et de l’Occident,
et ceux-là du pays de Sînîm.v

v Probablement Syène, Éléphantine des Grecs et Assouan des Arabes, au sud de l’Égypte, où des Israélites étaient établis.

13 Cieux, criez de joie, terre, exulte,
que les montagnes poussent des cris,
car Yahvé a consolé son peuple,
il prend en pitié ses affligés.
14 Sion avait dit : « Yahvé m’a abandonnée ;
le Seigneur m’a oubliée. »
15 Une femme oublie-t-elle son petit enfant,
est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles ?
Même si les femmes oubliaient,
moi, je ne t’oublierai pas.w

w Ces vers rappellent le message d’Osée, de Jérémie et du Deutéronome, cf. 54.8.

16 Vois, je t’ai gravée sur les paumes de mes mains,
tes remparts sont devant moi sans cesse.
17 Tes bâtisseursx se hâtent,
ceux qui te détruisent et te ravagent vont s’en aller.

x « tes bâtisseurs » 1QIsa, versions ; « tes fils » TM.

18 Lève les yeux aux alentours et regarde :
tous sont rassemblés, ils viennent à toi.
Par ma vie, oracle de Yahvé,
ils sont tous comme une parure dont tu te couvriras,
comme fait une fiancée, tu te les attacheras.
19 Car tes ruines, tes décombres, ton pays désolé
sont désormais trop étroits pour tes habitants,y
et ceux qui te dévoraient s’éloigneront.

y « sont trop étroits » versions ; « tu es trop étroite » hébr. — Le peuple du Retour est beaucoup plus nombreux qu’auparavant, grossi encore par tous ceux qui se joignent à lui, vv. 22-23.

20 Ils diront de nouveau à tes oreilles,
les fils dont tu étais privée :
« L’endroit est trop étroit pour moi,
fais-moi une place pour que je m’installe. »
21 Et tu diras dans ton cœur :
« Qui m’a enfanté ceux-ci ?
J’étais privée d’enfants et stérile,
exilée et rejetée,
et ceux-ci, qui les a élevés ?
Pendant que moi j’étais laissée seule,
ceux-ci, où étaient-ils ? »
22 Ainsi parle le Seigneur Yahvé :
Voici que je lève la main vers les nations,
que je dresse un signal pour les peuples :
ils t’amèneront tes fils dans leurs bras,z
et tes filles seront portées sur l’épaule.

z Littéralement « sur leur sein », attitude particulièrement tendre pour porter des enfants.

23 Des rois seront tes pères adoptifs,
et leurs princesses, tes nourrices.
Face contre terre, ils se prosterneront devant toi,
ils lécheront la poussière de tes pieds.
Et tu sauras que je suis Yahvé,
ceux qui espèrent en moi ne seront pas déçus.
24 Au guerrier arrache-t-on sa prise ?
Le prisonnier d’un tyran sera-t-il libéré ?a

a « d’un tyran » 1QIsa, syr., Vulg. ; « d’un juste » hébr. — La libération paraît impossible mais Dieu l’accomplira, v. suivant.

25 Mais ainsi parle Yahvé :
Eh bien, le prisonnier du guerrier lui sera arraché,
et la prise du tyran sera libérée.
Je vais moi-même chercher querelle à qui te cherche querelle,
tes enfants, c’est moi qui les sauverai.
26 À tes oppresseurs je ferai manger leur propre chair,
comme de vin nouveau ils s’enivreront de leur sang.
Et toute chair saura que moi, Yahvé, je suis ton sauveur,
que ton rédempteur, c’est le Puissant de Jacob.

La punition d’Israël.b

50 Ainsi parle Yahvé :
Où est la lettre de divorce de votre mère
par laquelle je l’ai répudiée ?
Ou encore : Auquel de mes créanciers vous ai-je vendus ?c
Oui, c’est pour vos fautes que vous avez été vendus,
c’est pour vos crimes que j’ai répudié votre mère.

b Poème difficile et peut-être incomplet. Il n’est pas sûr qu’il fasse suite au poème précédent mais il semble reprendre le thème de 49.24-26 c’est une réponse aux Israélites qui ne veulent pas croire à la délivrance prochaine.

c Les deux questions appellent une réponse négative on ne peut pas faire la preuve juridique que Dieu a répudié Israël, cf. Dt 24.1-4 et les images d’Os 2.4-9, et qu’il a vendu ses enfants, Ex 21.7. Dieu reste fidèle. Les responsables sont les Israélites eux-mêmes, cf. la fin du v. C’est un usage particulier du thème de l’épouse infidèle, Os 2.4-9 ; Jr 3.1 ; Ez 16.

2 Pourquoi suis-je venu sans qu’il y ait personne ?
Pourquoi ai-je appelé sans que nul ne réponde ?
Serait-ce que ma main est trop courte pour racheter,
que je n’ai pas la force de délivrer ?
Voici : par ma menace je dessèche la mer,
je change les fleuves en désert.
Les poissons s’y corrompent faute d’eau,
ils meurent de soif.
3 Je revêts les cieux de noirceur,
je leur mets un sac comme vêtement.d

d La nature désolée, cf. 42.15 ; 44.27, et le ciel d’orage, cf. Ex 13.22 ; 19.16, annoncent la venue de Dieu pour le jugement.

Troisième chant du Serviteur.e

4 Le Seigneur Yahvé m’a donné une langue de disciple
pour que je sache apporter à l’épuisé une parole de réconfort.
Il éveille chaque matin, il éveille mon oreille
pour que j’écoute comme un disciple.

e Dans ce troisième chant, le Serviteur apparaît moins comme un prophète que comme un sage, disciple fidèle de Yahvé, vv. 4-5, chargé d’enseigner à son tour les « craignant Dieu », c’est-à-dire tous les Juifs pieux, v. 10, mais aussi les égarés ou les infidèles « qui marchent dans les ténèbres ». Grâce à son courage et au secours divin, vv. 7-9, il supportera les persécutions, vv. 5-6, jusqu’à ce que Dieu lui accorde un triomphe définitif, vv. 9-11. — Jusqu’au v. 9 inclus, c’est le Serviteur qui parle.

5 Le Seigneur Yahvé m’a ouvert l’oreille,
et moi je n’ai pas résisté,
je ne me suis pas dérobé.
6 J’ai tendu le dos à ceux qui me frappaient,
et les joues à ceux qui m’arrachaient la barbe ;
je n’ai pas soustrait ma face aux outrages et aux crachats.f

f Cette description des souffrances du Serviteur sera reprise et développée dans le quatrième chant, 52.13—53.12. Elle évoque déjà Mt 26.67 ; 27.30p.

7 Le Seigneur Yahvé va me venir en aide,
c’est pourquoi je ne me suis pas laissé abattre,
c’est pourquoi j’ai rendu mon visage dur comme la pierre,
et je sais que je ne serai pas confondu.
8 Il est proche, celui qui me justifie.
Qui va plaider contre moi ? Comparaissons ensemble !
Qui est mon adversaire ? Qu’il s’approche de moi !
9 Voici que le Seigneur Yahvé va me venir en aide,
quel est celui qui me condamnerait ?
Les voici tous qui s’effritent comme un vêtement,
rongés par la teigne.
10 Quiconque parmi vous craint Yahvé et écoute la voix de son serviteur,
quiconque a marché dans les ténèbres sans voir aucune lueur,
qu’il se confie dans le nom de Yahvé,
qu’il s’appuie sur son Dieu.g

g Le prophète reprend ici la parole en invitant les Israélites et peut-être aussi les nations païennes (ceux qui « marchent dans les ténèbres »), cf. 49.6, à mettre leur espoir en Dieu ; puis il condamne ceux qui « allument un feu », v. 11, peut-être les semeurs de discorde.

11 Mais vous tous qui allumez un feu,
qui vous armezh de flèches incendiaires,
allez aux flammes de votre feu,
aux flèches que vous enflammez.
C’est ma main qui vous a fait cela :
Vous vous coucherez dans les tourments.

h Littéralement « qui ceignez » on fixait des brins d’étoupe à la tête des flèches incendiaires. L’interprétation est incertaine.

Élection et bénédiction d’Israël.i

51 Écoutez-moi, vous qui êtes en quête de justice,
vous qui cherchez Yahvé.
Regardez le rocher d’où l’on vous a taillés
et la fosse d’où l’on vous a tirés.

i Ici commence un grand poème de la restauration de Sion, qui continue jusqu’en 52.12. Il peut avoir été composé en une fois, il peut être l’assemblage de courts chants qu’unissent le même thème de salut et les mêmes exhortations à « écouter », 51.1, 4, 7, et à « s’éveiller », 51.9, 17 ; 52.1. — Le premier morceau est un rappel des bénédictions d’autrefois, notamment la bénédiction accordée à Abraham, Gn 12.1-3 ; cf. Ez 33.24, qui est à l’origine du don de la Terre promise dans laquelle le peuple exilé va être prochainement rétabli, v. 5.

2 Regardez Abraham votre père
et Sara qui vous a enfantés.
Il était seul quand je l’ai appelé,
mais je l’ai béni et multiplié.
3 Oui, Yahvé a pitié de Sion,
il a pitié de toutes ses ruines ;
il va faire de son désert un Éden
et de sa steppe un jardin de Yahvé ;
on y trouvera la joie et l’allégresse,
l’action de grâces et le son de la musique.

Le règne de la justice de Dieu.j

4 Écoute-moi bien, mon peuple,
ô ma nation, tends l’oreille vers moi.
Car une loi va sortir de moi,
et je ferai de mon droit la lumière des peuples.

j On ne peut pas s’empêcher de faire un rapprochement entre ce programme et l’œuvre attribuée au Serviteur, notamment dans les deux premiers chants. Le Serviteur aussi sera lumière des nations, v. 4, cf. 49.6, il établira le droit et le salut, vv. 4, 5, 6, cf. 42.1, 4 ; 49.6, bref, c’est le Serviteur qui établira le Règne de Dieu sur le monde.

5 Soudain ma justice approche, mon salut paraît,
mon bras va punir les peuples.
Les îles mettront en moi leur espoir
et compteront sur mon bras.
6 Levez les yeux vers le ciel,
regardez en bas vers la terre ;
oui, les cieux se dissiperont comme la fumée,
la terre s’usera comme un vêtement
et ses habitants mourront comme de la vermine.
Mais mon salut sera éternel
et ma justice demeurera intacte.
7 Écoutez-moi, vous qui connaissez la justice,
peuple qui mets ma loi dans ton cœur.
Ne craignez pas les injures des hommes,
ne vous laissez pas effrayer par leurs outrages.
8 Car la teigne les rongera comme un vêtement,
et les mites les dévoreront comme de la laine.
Mais ma justice subsistera éternellement
et mon salut de génération en génération.

Éveil de Yahvé.k

9 Éveille-toi, éveille-toi !
revêts-toi de force, bras de Yahvé.
Éveille-toi comme aux jours d’autrefois,
des générations de jadis.
N’est-ce pas toi qui as fendu Rahab,
transpercé le Dragon ?

k Yahvé est appelé à renouveler les merveilles du passé, sa victoire contre les puissances du chaos primordial et le passage de la Mer, pour ramener les exilés à Sion.

10 N’est-ce pas toi qui as desséché la mer,
les eaux du Grand Abîme ?l
qui as fait du fond de la mer un chemin,
pour que passent les rachetés ?

l Les cosmologies orientales représentaient la création comme la victoire du dieu créateur sur les monstres du chaos, qui sont appelés Rahab, cf. Ps 89.11 ; Jb 9.15 ; 26.12, ou le Dragon (Tannin ou Léviathan), cf. Ps 74.13 ; Jb 7.12 ; 27.1 ; Ez 29.3, ou l’Abîme (Tehôm, cf. Tiamat de la cosmologie babylonienne), cf. Gn 1.2 ; Ha 3.10 ; Ps 104.6-8, etc. À l’époque du Second Isaïe, ces noms mythologiques ne sont plus que des évocations poétiques.

11 Ceux que Yahvé a libérés reviendront,
ils arriveront à Sion criant de joie,
portant avec eux une joie éternelle ;
la joie et l’allégresse les accompagneront,
la douleur et les plaintes cesseront.m

m Ce v. reproduit littéralement 35.10, mais il est nécessaire ici, où il est préparé par les vv. 9-10.

Yahvé consolateur.n

12 C’est moi, je suis celui qui vous console ;
qui es-tu pour craindre l’homme mortel,
le fils d’homme voué au sort de l’herbe ?

n Yahvé prend la parole pour réconforter Israël, cf. 40.1. Celui-ci ne doit craindre aucun mortel, même s’il a la force pour lui, car Yahvé, maître de la création, protège son peuple.

13 Tu oublies Yahvé, ton créateur,
qui a tendu les cieux et fondé la terre,
et tu ne cesses de trembler tout le jour
devant la fureur de l’oppresseur,
lorsqu’il se met à détruire.
Où donc est la fureur de l’oppresseur ?
14 Le désespéré va bientôt être libéré,
il ne mourra pas dans la basse-fosse,
il ne manquera plus de pain.
15 Je suis Yahvé ton Dieu, qui brasse la mer pour faire mugir ses flots,
dont le nom est Yahvé Sabaot.
16 J’ai mis mes paroles en ta bouche,
à l’ombre de ma main je t’ai caché,
pour tendreo les cieux et pour fonder la terre,
pour dire à Sion : « Tu es mon peuple. »

o « tendre » syr., cf. v. 13 ; « planter » hébr.

Réveil de Jérusalem.p

17 Réveille-toi, réveille-toi,
debout ! Jérusalem.
Toi qui as bu de la main de Yahvé
la coupe de sa colère.
C’est un calice, une coupe de vertige
que tu as bue, que tu as vidée.

p Jérusalem, prostrée dans la tristesse, est invitée à se relever, comme Babylone avait reçu l’ordre de s’asseoir dans la poussière, 47.1. Mais le prophète rappelle d’abord à Jérusalem la profondeur de sa détresse. L’image de la « coupe de la colère » qui sera transmise aux persécuteurs, v. 22, se retrouve en Jr 13.13 ; 25.15-18 ; 48.26 ; 49.12 ; 51.7 ; Ez 23.32-34 ; Ha 2.15-16 ; Ab 16 ; Za 12.2 ; Ps 75.9 ; Lm 4.21.

18 Personne ne la guide,
aucun des fils qu’elle a enfantés ;
personne ne lui prend la main,
aucun des fils qu’elle a élevés.
19 Ce double malheur qui t’est arrivé,q
qui t’en plaindra ?
Le pillage et la ruine, la famine et l’épée,
qui t’en consolera ?r

q Soit au sens de punition surabondante, soit les fléaux du vers suivant, comptés deux par deux.

r « qui t’en consolera » versions, 1QIsa ; « qui je te consolerai » (?) TM.

20 Tes fils gisent sans force au coin de toutes les rues,
comme l’antilope prise au filet,
ivres de la fureur de Yahvé,
de la menace de ton Dieu.
21 C’est pourquoi, écoute ceci, malheureuse,
ivre, mais non de vin :
22 Ainsi parle ton Seigneur Yahvé,
ton Dieu, défenseur de ton peuple :
Voici que je te retire de la main la coupe de vertige,
le calice, la coupe de ma fureur.
Tu n’y boiras plus jamais.
23 Je la mettrai dans la main de tes tortionnaires,
de ceux qui te disaient : À terre ! que nous passions !
et tu faisais de ton dos un passage,s
un chemin pour qu’ils y passent.

s Littéralement « comme la terre », sur laquelle on marche. Humiliation souvent imposée aux vaincus.

Libération de Jérusalem.t

52 Éveille-toi, éveille-toi,
revêts ta force, Sion !
revêts tes habits les plus magnifiques,
Jérusalem, ville sainte,
car ils ne viendront plus jamais chez toi,
l’incirconcis et l’impur.

t Les premiers mots reprennent ceux de 51.9, mais le prophète s’adresse ici à Jérusalem dont la captivité va prendre fin. Les vv. 3-6 sont souvent considérés comme une addition en prose, mais la pensée est bien celle du Second Isaïe.

2 Secoue ta poussière, lève-toi, Jérusalem captive !u
les chaînes sont tombées de ton cou, fille de Sion captive !

u « (Jérusalem) captive », en lisant shebiyah au lieu de shebî, « captivité ». — « les chaînes sont tombées » hébr. ketib, 1QIsa ; « fais tomber les chaînes » qeré, versions.

3 Car ainsi parle Yahvé :
Vous avez été vendus pour rien,
vous serez rachetés sans argent.
4 Car ainsi parle le Seigneur Yahvé :
C’est en Égypte qu’autrefois mon peuple est descendu pour y séjourner,
c’est Assur qui à la fin l’a opprimé.
5 Mais maintenant, qu’ai-je à faire ici ?v
— oracle de Yahvé —
car mon peuple a été enlevé pour rien,
ses maîtres poussent des cris de triomphe
— oracle de Yahvé —
sans cesse, tout le jour, mon nom est bafoué.

v Ou, en suivant le ketib, « qui est pour moi ici ? ». Dans les deux cas l’interprétation est difficile. Il semble que Dieu insiste sur la gratuité du salut qu’il apporte à son peuple. Celui-ci n’a pas tiré profit de son épreuve et ne s’est pas converti, aussi ses oppresseurs triomphent et le nom de Yahvé est déshonoré, v. 5, cf. 48.11 ; Ez 20.9, 14 ; 36.25. Mais en accordant gratuitement le salut, Yahvé va amener Isräel à se convertir et sauver l’honneur de son nom, v. 6.

6 C’est pourquoi mon peuple connaîtra mon nom,
c’est pourquoi il saura, en ce jour-là,
que c’est moi qui dis : « Me voici. »

Annonce du salut.w

7 Qu’ils sont beaux, sur les montagnes, les pieds du messager qui annonce la paix,
du messager de bonnes nouvelles qui annonce le salut,
qui dit à Sion : « Ton Dieu règne. »

w Le livre de la Consolation est un « Évangile », il annonce la Bonne Nouvelle, cf. 40.9. Les messagers qui accourent au pays et les guetteurs qui les aperçoivent annoncent la joie, c’est-à-dire l’inauguration du règne personnel de Yahvé en Sion. Ce règne, qui va remplacer celui des rois terrestres, a été annoncé depuis longtemps par les prophètes, cf. 43.15 ; Jr 3.17 ; 8.19 ; Ez 20.33 ; 34.11-16 ; Mi 2.13 ; 4.7 ; So 3.15. Il est célébré par les « psaumes du règne », Ps 47 ; 93 ; 96 ; 97 ; 98 ; 99 ; 145 ; 146.

8 C’est la voix de tes guetteurs : ils élèvent la voix,
ensemble ils poussent des cris de joie,
car ils ont vu de leurs propres yeux Yahvé qui revient à Sion.
9 Ensemble poussez des cris, des cris de joie, ruines de Jérusalem !
car Yahvé a consolé son peuple, il a racheté Jérusalem.
10 Yahvé a découvert son bras de sainteté
aux yeux de toutes les nations,
et tous les confins de la terre
ont vu le salut de notre Dieu.
11 Allez-vous-en, allez-vous-en, sortez d’ici,
ne touchez à rien d’impur,
sortez du milieu d’elle, purifiez-vous,
vous qui portez les objets de Yahvé.
12 Car vous ne sortirez pas à la hâte,
vous ne vous en irez pas en fuyards,
c’est Yahvé, en effet, qui marche à votre tête,
et votre arrière-garde, c’est le Dieu d’Israël.x

x Le nouvel Exode se fait sous la protection de Dieu, comme le premier, Ex 14.19. Mais ce ne sera plus une sortie hâtive, Ex 12.11, une fuite, Ex 14.5. Ce sera une procession où l’on portera non plus les bijoux pris aux Égyptiens, mais les vases sacrés du Temple restitués par Cyrus.

Quatrième chant du Serviteur.y

13 Voici que mon serviteur prospérera,
il grandira, s’élèvera, sera placé très haut.

y Ce quatrième chant du Serviteur reprend le thème de la souffrance, cf. Ps 22. Les persécutions que le Serviteur endurera avec une grande patience, 53.7, sont un scandale pour les spectateurs, 52.14-15 ; 53.2-3, 7-9, mais elles sont en réalité une intercession et une expiation des péchés, 53.4, 6, 8, 10-12. — Ce chant paraît dialogué Yahvé prononce un oracle, vv. 13-15 ; les rois ou les peuples prennent ensuite la parole, 53.1-10, pour décrire les souffrances du Serviteur et peut-être s’excuser de ne pas en avoir compris le sens ; enfin Dieu proclame une conclusion en faveur du Serviteur, 53.11-12.

14 De même que des multitudes avaient été saisies d’épouvante à sa vue,
— car il n’avait plus figure humaine,z
et son apparence n’était plus celle d’un homme —

z Littéralement « son apparence (était) défigurement (jusqu’à) n’être plus un homme ». L’expression est difficile, mais elle est garantie par le parallélisme. — « à sa vue » Targ., syr. ; « à ta vue » hébr.

15 de même des multitudes de nations seront dans la stupéfaction,a
devant lui des rois resteront bouche close,
pour avoir vu ce qui ne leur avait pas été raconté,
pour avoir appris ce qu’ils n’avaient pas entendu dire.

a « seront dans la stupéfaction » grec ; « il aspergera » (?) hébr.

53 Qui a cru ce que nous entendions dire,
et le bras de Yahvé, à qui s’est-il révélé ?b

b C’est la communauté qui parle et qui annonce le destin du Serviteur, révélation nouvelle et presque incroyable. Mais la surprise et l’incompréhension première, vv. 3, 4, 6, 8, feront place à une meilleure intelligence ces souffrances n’ont d’autre but que le salut de la multitude, vv. 11-12.

2 Comme un surgeon il a grandi devant lui,
comme une racinec en terre aride ;
sans beauté ni éclat pour attirer nos regards,
et sans apparence qui nous eût séduits ;

c En 11.1, 10, les images du surgeon et de la racine accompagnaient l’annonce joyeuse du Messie davidique. Elles n’évoquent ici que l’aspect humble et misérable du Serviteur.

3 objet de mépris, abandonné des hommes,
homme de douleur, familier de la souffrance,
comme quelqu’un devant qui on se voile la face,
méprisé, nous n’en faisions aucun cas.
4 Or ce sont nos souffrances qu’il portait
et nos douleurs dont il était chargé.
Et nous, nous le considérions comme puni,
frappé par Dieu et humilié.
5 Mais lui, il a été transpercé à cause de nos crimes,
écrasé à cause de nos fautes.
Le châtiment qui nous rend la paix est sur lui,
et dans ses blessures nous trouvons la guérison.
6 Tous, comme des moutons, nous étions errants,
chacun suivant son propre chemin,
et Yahvé a fait retomber sur lui
nos fautes à tous.
7 Maltraité, il s’humiliait, il n’ouvrait pas la bouche,
comme l’agneau qui se laisse mener à l’abattoir,d
comme devant les tondeurs une brebis muette,
il n’ouvrait pas la bouche.

d C’est probablement à ce v., combiné avec le v. 4, que fait allusion Jean-Baptiste quand il présente Jésus comme « l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde », Jn 1.29. On a noté qu’en araméen le même mot talya’ désigne l’agneau et le serviteur. Il est possible que le Précurseur ait employé intentionnellement ce mot, mais l’Évangéliste, écrivant en grec, a dû choisir.

8 Par contrainte et jugement il a été saisi.
Parmi ses contemporains,e qui s’est inquiété
qu’il ait été retranché de la terre des vivants,
qu’il ait été frappé pour le crime de son peuple ?f

e Le mot hébreu signifie « génération » comme période d’une vie et, par extension, ceux qui vivent pendant cette période. Il ne signifie jamais la naissance ou l’origine, et le sens suggéré par le grec et le latin (« Qui racontera sa génération ») et appliqué par les Pères à la génération éternelle du Verbe ou à la conception miraculeuse de Jésus n’est pas une traduction exacte de l’hébreu. On a proposé de corriger le texte, mais celui-ci est soutenu par tous les témoins.

f « son peuple » 1QIsa ; « mon peuple » TM.

9 On lui a donné un sépulcre avec les impies
et sa tombe est avec le riche,g
bien qu’il n’ait pas commis de violence
et qu’il n’y ait pas eu de tromperie dans sa bouche.

g « sa tombe » bômatô 1QIsa ; « dans sa mort » bemôtaw TM. — La prédication chrétienne a vu ici une annonce du sépulcre de Joseph d’Arimathie, « homme riche », Mt 27.57-60. Le texte reste difficile et beaucoup corrigent `ashîr, « riche », en `ôsê ra`, « malfaiteur ».

10 Yahvé a voulu l’écraser par la souffrance ;
s’il offreh sa vie en sacrifice expiatoire,
il verra une postérité, il prolongera ses jours,
et par lui la volonté de Yahvé s’accomplira.

h « s’il offre » Vulg. ; « si tu offres » ou « si (son âme) offre (un sacrifice) » hébr.

11 À la suite de l’épreuve endurée par son âme,
il verra la lumière et sera comblé.i
Par sa connaissance, le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes
en s’accablant lui-même de leurs fautes.

i « la lumière » grec, 1QIsa ; omis par hébr. — C’est Yahvé qui reprend la parole pour expliquer le mystère de la souffrance du « juste Serviteur » il ne souffre pas pour ses propres fautes mais il s’accable des crimes de la multitude et intercède pour elle.

12 C’est pourquoi il aura sa part parmi les multitudes,
et avec les puissants il partagera le butin,
parce qu’il s’est livré lui-même à la mort
et qu’il a été compté parmi les criminels,
alors qu’il portait le péché des multitudes
et qu’il intercédait pour les criminels.

La revanche de Jérusalem.j

54 Crie de joie, stérile, toi qui n’as pas enfanté ;
pousse des cris de joie, des clameurs, toi qui n’as pas mis au monde,
car plus nombreux sont les fils de la délaissée
que les fils de l’épouse, dit Yahvé.

j Pour décrire les contrastes entre les épreuves passées de Jérusalem et son prochain rétablissement, le prophète emploie des images traditionnelles, celle de l’épouse stérile qui devient féconde, cf. 1 S 2.5 ; Ps 113.9, et celle de l’épouse répudiée puis rappelée, cf. Os 1.16-17, mais il insiste sur la rentrée en grâce, alors que les anciens prophètes voyaient surtout le châtiment, cf. Os 1-3 ; Jr 3.1, 6-12 ; Ez 16 ; 23. Saint Paul, Ga 4.27, applique ce premier v. à l’Église, Jérusalem nouvelle.

2 Élargis l’espace de ta tente,
déploiek sans lésiner les toiles qui t’abritent,
allonge tes cordages, renforce tes piquets,

k « déploie » versions ; « qu’on déploie » hébr.

3 car à droite et à gauche tu vas éclater,
ta race va déposséder des nations
et repeupler les villes abandonnées.
4 N’aie pas peur, tu n’éprouveras plus de honte,
ne sois pas confondue, tu n’auras plus à rougir ;
car tu vas oublier la honte de ta jeunesse,
tu ne te souviendras plus de l’infamie de ton veuvage.
5 Ton créateur est ton époux,
Yahvé Sabaot est son nom,
le Saint d’Israël est ton rédempteur,
on l’appelle le Dieu de toute la terre.
6 Oui, comme une femme délaissée et accablée,
Yahvé t’a appelée,
comme la femme de sa jeunesse qui aurait été répudiée,
dit ton Dieu.
7 Un court instant je t’avais délaissée,
ému d’une immense pitié, je vais t’unir à moi.
8 Débordant de fureur, un instant,
je t’avais caché ma face.
Dans un amour éternel, j’ai eu pitié de toi,l
dit Yahvé, ton rédempteur.

l L’« amour éternel » de Dieu pour son peuple, cf. 43.4 ; Dt 4.37 ; 10.15 ; Jr 31.3 ; So 3.17 ; Ml 1.2, semblable à l’amour d’un père pour ses enfants, 1.2 ; 49.14-16 ; Jr 31.20 ; Os 2.25 ; 11.1s, à la passion d’un homme pour une femme, 62.4-5 ; Jr 2.2 ; 31.21-22 ; Ez 16.8, 60 ; Os 2.16-17, 21-22 ; 3.1, s’exprime ici dans toute sa gratuité, cf. 1 Jn 4.10, 19, sa fidélité indéfectible, cf. Rm 11.29, et sa puissance créatrice, cf. 1 Jn 3.1-2.

9 Ce sera pour moi comme au temps de Noé,
quand j’ai juré que les eaux de Noé
ne se répandraient plus sur la terre.
Je jure de même de ne plus m’irriter contre toi,
de ne plus te menacer.
10 Car les montagnes peuvent s’écarter
et les collines chanceler,
mon amour ne s’écartera pas de toi,
mon alliance de paix ne chancellera pas,
dit Yahvé qui te console.

La Jérusalem nouvelle.m

11 Malheureuse, battue par les vents, inconsolée,
voici que je vais poser tes pierres sur des escarboucles,
et tes fondations sur des saphirs ;

m Il ne s’agit plus d’une description réaliste comme Ez 40-48, mais d’une vision symbolique des splendeurs futures, thème qui sera repris avec des nuances dans la dernière partie du livre, 60 ; 62 ; 65.16-25, et, avec une tout autre portée, dans l’Apocalypse de saint Jean, Ap 21.2, 10-27.

12 je ferai tes créneaux de rubis,
tes portes d’escarboucle
et toute ton enceinte de pierres précieuses.
13 Tous tes enfants seront disciples de Yahvé,
et grand sera le bonheur de tes enfants.
14 Tu seras fondée dans la justice,
libre de l’oppression : tu n’auras rien à craindre,
libre de la frayeur : elle n’aura plus prise sur toi.
15 Voici : s’il se produit une attaque, ce ne sera pas de mon fait ;
quiconque t’aura attaquée tombera à cause de toi.
16 Voici : c’est moi qui ai créé le forgeron
qui souffle sur les braises
et tire un outil à son usage ;
c’est moi aussi qui ai créé le destructeur
pour anéantir.
17 Aucune arme forgée contre toi ne saurait être efficace.
Toute langue qui t’accuserait en justice, tu la confondras.
Tel est le lot des serviteurs de Yahvé,
la victoire que je leur assure.
Oracle de Yahvé.

Invitation finale.n

55 Ah ! vous tous qui avez soif, venez vers l’eau,
même si vous n’avez pas d’argent, venez,
achetez et mangez ; venez, achetez sans argent,
sans payer, du vin et du lait.

n Dernière exhortation à participer aux biens de la nouvelle alliance, vv. 1-5, et à se convertir pendant qu’il est encore temps, vv. 6-11. Les vv. 1-2 rappellent l’invitation au banquet de la Sagesse, Pr 9.1-6.

2 Pourquoi dépenser de l’argent pour autre chose que du pain,
et ce que vous avez gagné, pour ce qui ne rassasie pas ?
Écoutez, écoutez-moi et mangez ce qui est bon ;
vous vous délecterez de mets succulents.
3 Prêtez l’oreille et venez vers moi,
écoutez et vous vivrez.
Je conclurai avec vous une alliance éternelle,
réalisant les faveurs promises à David.o

o Sur cette alliance éternelle, 59.21 ; 61.8, qui est aussi la Nouvelle Alliance, cf. Jr 31.31. Le rappel des promesses faites à David, 2 S 7.5-16, est unique dans le Deutéro-Isaïe qui ne songe jamais à une restauration de la monarchie.

4 Voici que j’ai fait de lui un témoin pour des peuples,
un chef et un législateur de peuples.
5 Voici que tu appelleras une nation que tu ne connais pas,
une nation qui ne te connaît pas viendra vers toi,
à cause de Yahvé, ton Dieu, et pour le Saint d’Israël,
car il t’a glorifié.

6 Cherchez Yahvé pendant qu’il se laisse trouver,
invoquez-le pendant qu’il est proche.
7 Que le méchant abandonne sa voie
et l’homme criminel ses pensées,
qu’il revienne à Yahvé qui aura pitié de lui,
à notre Dieu car il est riche en pardon.
8 Car vos pensées ne sont pas mes pensées,
et mes voies ne sont pas vos voies,
oracle de Yahvé.
9 Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre,
autant sont élevées mes voies au-dessus de vos voies,
et mes pensées au-dessus de vos pensées.
10 De même que la pluie et la neige descendent des cieux
et n’y retournent pas sans avoir arrosé la terre,
sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer
pour fournir la semence au semeur et le pain à manger,
11 ainsi en est-il de la parole qui sort de ma bouche,
elle ne revient pas vers moi sans effet,
sans avoir accompli ce que j’ai voulu
et réalisé l’objet de sa mission.p

p La parole de Yahvé est semblable à un messager qui ne revient qu’après avoir accompli sa mission. Elle est personnifiée, comme ailleurs la Sagesse, Pr 8.22 ; Sg 7.22, ou l’Esprit, 11.2.

Conclusion.q

12 Oui, vous partirez dans la joie et vous serez ramenés dans la paix.
Les montagnes et les collines pousseront devant vous des cris de joie,
et tous les arbres de la campagne battront des mains.

q Conclusion de tout le livre de la Consolation. C’est la reprise du thème du nouvel Exode joie du retour et transformation du désert en terre fertile, cf. 43.19 ; 44.3-4, etc.

13 Au lieu de l’épine croîtra le cyprès,
au lieu de l’ortie croîtra le myrte,
ce sera pour Yahvé un renom,
un signe éternel qui ne périra pas.