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Bible de Jérusalem

Ésaïe 1-39

ISAÏE

Introduction au livre d’Isaïe

I. Première partie du livre d’Isaïe

1. ORACLES ANTÉRIEURS À LA GUERRE SYRO-ÉPHRAÏMITE

Titre.a

1 Vision d’Isaïe, fils d’Amoç, qu’il reçut au sujet de Juda et de Jérusalem, au temps d’Ozias, de Yotam, d’Achaz et d’Ézéchias, rois de Juda.

a Ce titre donne le cadre chronologique de toute l’activité du prophète, mais il est difficile de décider s’il introduit tout le livre dans sa forme finale, chap. 1-66, ou seulement les chap. 1-39, ou même seulement les chap. 1-12. En tout cas « Juda et Jérusalem » n’est pas à prendre au sens géographique ; c’est une désignation du peuple élu pour l’instruction duquel sont prononcés tous les oracles, même ceux qui concernent le royaume du Nord et les peuples étrangers.

Contre un peuple ingrat.

2 Cieux écoutez, terre prête l’oreille, car Yahvé parle.b
J’ai élevé des enfants, je les ai fait grandir,
mais ils se sont révoltés contre moi.

b Le ciel et la terre sont pris à témoins dans le procès que Dieu a avec son peuple, cf. Dt 4.26 ; 30.19 ; 32.1 ; Ps 50.4. Le poème qui suit se rapporte à la dévastation du territoire et au siège de Jérusalem soit sous Sennachérib en 701, cf. 36.1s ; 2 R 18.13s, soit lors de la guerre syro-éphraïmite en 735, cf. 7.1-2 et 2 R 16.5-9.

3 Le bœuf connaît son possesseur,
et l’âne la crèche de son maître,
Israël ne connaît pas,
mon peuple ne comprend pas.
4 Malheur ! nation pécheresse ! peuple coupable !
race de malfaiteurs, fils pervertis !
Ils ont abandonné Yahvé, ils ont méprisé le Saint d’Israël,c
ils se sont détournés de lui.

c Expression favorite d’Isaïe pour désigner Yahvé, cf. 6.3 et la note.

5 Où frapper encore, si vous persévérez dans la trahison ?
Toute la tête est mal en point, tout le cœur est malade,
6 de la plante des pieds à la tête, il ne reste rien de sain.d
Ce n’est que blessures, contusions, plaies ouvertes,
qui ne sont pas pansées ni bandées, ni soignées avec de l’huile.

d Ces vers qui, selon le sens littéral, visent le peuple de Juda, pécheur et châtié, ont été appliqués à la passion du Christ, comme les textes analogues sur le Serviteur souffrant, 53.3s.

7 Votre pays est une désolation, vos villes sont la proie du feu,
votre sol, sous vos yeux des étrangers le ravagent,
c’est la désolation comme une dévastation d’étrangers.e

e Cette fin de phrase n’ajoute rien à ce qui précède, et le terme hébreu traduit par « dévastation » désigne toujours le châtiment de Sodome et Gomorrhe qui sera rappelé aux vv. 9 et 10 et à 3.9 c’est pourquoi on corrige généralement « étrangers », zarîm, en Sodome, sedom, mais cette correction n’est appuyée par aucune version.

8 Elle est restée, la fille de Sion,f comme une hutte dans une vigne,
comme un abri dans un champ de concombres,
comme une ville assiégée.

f Personnification de la ville de Jérusalem, 10.32 ; 16.1, etc. ; ou de sa population, 37.22 ; So 3.14 ; Lm 4.22. « Sion » était le nom de la citadelle des Jébuséens, devenue « Cité de David », cf. 2 S 5.9.

9 Si Yahvé Sabaot ne nous avait laissé quelques rares survivants,
nous serions comme Sodome, nous ressemblerions à Gomorrhe.

Contre l’hypocrisie.g

10 Écoutez la parole de Yahvé, chefs de Sodome,
prêtez l’oreille à l’enseignement de notre Dieu, peuple de Gomorrhe !

g L’oracle date probablement de la première période du ministère d’Isaïe, avant 735. Comme Am 5.21-27, le prophète s’en prend à un ritualisme auquel ne correspond pas un sentiment intérieur ; il y reviendra à 29.13-14 en des termes que Jésus appliquera aux Pharisiens, Mt 15.8-9.

11 Que m’importent vos innombrables sacrifices, dit Yahvé.
Je suis rassasié des holocaustes de béliers et de la graisse des veaux ;
au sang des taureaux, des agneaux et des boucs, je ne prends pas plaisir.
12 Quand vous venez vous présenter devant moi,
qui vous a demandé de fouler mes parvis ?
13 N’apportez plus d’oblation vaine :
c’est pour moi une fumée insupportable !
Néoménie, sabbat, assemblée,
je ne supporte pas fausseté et solennité.
14 Vos néoménies, vos réunions, mon âme les hait ;
elles me sont un fardeau que je suis las de porter.
15 Quand vous étendez les mains, je détourne les yeux ;
vous avez beau multiplier les prières, moi je n’écoute pas.
Vos mains sont pleines de sang :h

h Le sang des innocents mêlé à celui des victimes sacrifiées.

16 lavez-vous, purifiez-vous !
Ôtez de ma vue vos actions perverses !
Cessez de faire le mal,
17 apprenez à faire le bien !
Recherchez le droit, redressez le violent !
Faites droit à l’orphelin, plaidez pour la veuve !i

i L’orphelin et la veuve sont parmi les personnes économiquement faibles que la loi protège, Ex 22.21-22 ; Dt 10.18 ; 14.29 ; 27.19, etc., et pour qui les prophètes intercèdent, Jr 7.6 ; 22.3. Cf. par contraste 1.23 ; 9.16 ; Jr 49.10-11 ; Ez 22.7.

18 Allons ! Discutons ! dit Yahvé.
Quand vos péchés seraient comme l’écarlate,
comme neige ils blanchiront ;
quand ils seraient rouges comme la pourpre,
comme laine ils deviendront.j

j Comme le jugement, Ps 9.9, le pardon des péchés est œuvre divine, Ex 34.6 ; Os 11.8-9. Dans sa miséricorde, Dieu met fin au péché de l’homme qui est ainsi rétabli dans sa véritable relation avec lui. Il n’est pas de faute qui épuise le pardon divin, Ps 130. La condition que Dieu exige est l’aveu avec le repentir, 57.15 ; Ps 19.13 ; 25.11, 18 ; 32.5 ; 51.19-20, etc., et le retournement intérieur qu’il suppose, Jr 3.14 ; Ez 18.30-32 ; 33.1 ; cf. 31.18 ; Lm 5.21. Le pardon des fautes est aussi un des traits du royaume messianique, Jr 31.31, cf. Ez 36.25-26, et Jésus l’exercera, Mc 2.5-11 p.

19 Si vous voulez bien obéir, vous mangerez les produits du terroir.
20 Mais si vous refusez et vous rebellez,
c’est l’épée qui vous mangera !
Car la bouche de Yahvé a parlé.

Lamentation sur Jérusalem.k

21 Comment est-elle devenue une prostituée,
la cité fidèle ?
Sion, pleine de droiture, où la justice habitait,l
et maintenant des assassins !

k L’« épée », c’est-à-dire l’invasion avec tous ses maux, n’est encore qu’une menace qui peut être écartée par la soumission à Dieu, v. 19.

l Ce poème adopte au début le rythme dissymétrique de la qîna ou lamentation (3 + 2 ou 4 + 3 appuis rythmiques).

22 Ton argent est changé en scories, ta boisson est coupée d’eau.
23 Tes princes sont des rebelles, complices de brigands,
tous avides de présents, courant après les pots-de-vin.
Ils ne font pas droit à l’orphelin, la cause de la veuve ne leur parvient pas.

24 C’est pourquoi, oracle du Seigneur Yahvé Sabaot, le Puissant d’Israël :
Malheur ! j’aurai raison de mes adversaires,
je me vengerai de mes ennemis.
25 Je tournerai la main contre toi,
j’épurerai comme à la potasse tes scories,
j’ôterai tous tes déchets.
26 Je rendrai tes juges tels que jadis, tes conseillers tels qu’autrefois.
Après quoi on t’appellera Ville-de-Justice, Cité-fidèle.m

m « Sion » grec, vet lat ; omis par hébr. — Le thème de Jérusalem prostituée rappelle la prédication d’Osée et annonce les allégories de Jr 3.6-13 et Ez 16 et 23. Cette déchéance est en contraste avec la fidélité première de Jérusalem, qu’elle retrouvera après avoir été purifiée par le châtiment, v. 26.

27 Sion sera rachetée par la droiture,
et ceux qui reviendront, par la justice.
28 C’est la destruction des criminels et des pécheurs, tous ensemble !
Ceux qui abandonnent Yahvé périront.
n

n Le nom propre définit l’être qui le porte et fixe sa destinée, cf. les noms de Jacob, Gn 25.26 ; 27.36, et de ses fils, Gn 29.31 — 30.24, etc. Un changement de nom signifie un changement de vocation, cf. Abraham, Gn 17.5 ; Israël, Gn 32.29, etc. Les noms que les prophètes donnent à des personnes sont des signes efficaces, chez Isaïe 7.3 (cf. 10.21) ; 7.14 ; 8.1-3 (cf. 8.18), et chez Osée Os 1.4, 6, 9 ; 2.1-3, 25. La Jérusalem future recevra d’autres noms prophétiques, 60.14 ; 62.4, 12 ; Ez 48.35. Ici les noms nouveaux de Jérusalem, reprenant le v. 21, sont « fidélité » et « justice ». Pour Isaïe, comme pour Amos, la justice est d’abord l’équité dans l’application du droit, mais, plus profondément, elle est une participation de la justice de Dieu, en quoi se révèle sa sainteté, cf. 5.16.

Contre les arbres sacrés.o

29 Oui, on aura honte des térébinthes qui font vos délices,
vous rougirez des jardins que vous avez choisis.

o Ces deux vv., qui sont un commentaire assez prosaïque de ce qui précède, pourraient avoir été ajoutés par un disciple d’Isaïe.

30 Car vous serez comme un térébinthe au feuillage flétri,
et comme un jardin qui n’a plus d’eau.
31 Le colosse deviendra comme de l’étoupe, et son œuvre sera l’étincelle :
ils flamberont tous deux ensemble, et personne pour éteindre.

La paix perpétuelle.

2 Vision d’Isaïe,p fils d’Amoç,q au sujet de Juda et de Jérusalem.r

p Isaïe s’attaque rarement à des pratiques proprement païennes, cf. 2.6-8. Ces arbres n’étaient pas directement un objet de culte, mais abritaient les pratiques religieuses empruntées aux Cananéens, cf. Dt 12.2, où les références citées indiquent que cet abus s’étendait au royaume de Juda aussi bien qu’à celui d’Israël.

q Cet oracle se retrouve, pour l’essentiel, dans Mi 4.1-3. Son origine est discutée. L’opinion la plus probable est que Mi dépend ici d’Is ; les arguments contre l’authenticité isaïenne du texte (en particulier son universalisme) ne sont pas décisifs.

r Ce nouveau titre introduit la petite collection d’oracles des chap. 2-5.

2 Il arrivera dans la suite des temps
que la montagne de la maison de Yahvé
sera établie en tête des montagnes
et s’élèvera au-dessus des collines.
Alors toutes les nations afflueront vers elle,
3 alors viendront des peuples nombreux qui diront :
« Venez, montons à la montagne de Yahvé,
à la maison du Dieu de Jacob,
qu’il nous enseigne ses voies
et que nous suivions ses sentiers. »
Car de Sion vient la Loi
et de Jérusalem la parole de Yahvé.
4 Ils jugera entre les nations, il sera l’arbitre de peuples nombreux.
Ils briseront leurs épées pour en faire des socs
et leurs lances pour en faire des serpes.
On ne lèvera plus l’épée nation contre nation,
on n’apprendra plus à faire la guerre.

s Yahvé.

5 Maison de Jacob, allons, marchons à la lumière de Yahvé.

L’éclat de la majesté de Yahvé.t

6 Oui, tu as rejeté ton peuple, la maison de Jacob,
car il regorge depuis longtemps de magiciens, comme les Philistins,u
il surabonde d’enfants d’étrangers.

t Ce poème, dont l’unité est marquée par le retour des mêmes formules (vv. 9, 11, 17 et 10, 19, 21), date de la première période de l’activité d’Isaïe, alors que Juda achève une longue période de prospérité, sous Ozias et Yotam ; mais il pourrait aussi viser Samarie qui n’était pas encore tombée dans l’anarchie et la décadence qu’elle allait bientôt connaître. Le prophète annonce une intervention fulgurante de Yahvé.

u On corrige souvent « depuis longtemps », miqqedem, en « de devins » qosemîm, ou « de divination » miqsam. Cette correction n’a pas l’appui des versions ; elle justifie cependant le « et » placé devant « magiciens », que notre traduction doit supprimer. — La divination a été très pratiquée dans l’Orient ancien et elle le fut aussi en Israël, 1 S 28.3s ; 8.19, malgré les condamnations d’Ex 22.17 ; Lv 19.31 ; 20.27 ; Dt 18.10-11, 14. On ne sait rien sur la divination chez les Philistins, mais leurs devins sont mentionnés en 1 S 6.2.

7 Le pays s’est rempli d’argent et d’or, ses trésors sont sans limites ;
le pays s’est rempli de chevaux, ses chars sont sans nombre ;
8 le pays s’est rempli de faux dieux,
eux se prosternent devant l’œuvre de leurs mains,
devant ce qu’ont fabriqué leurs doigts.
9 Le mortel s’est humilié, l’homme s’est abaissé :
ne les relève pas !
10 Va dans le rocher, terre-toi dans la poussière
devant la Terreur de Yahvé, devant l’éclat de sa majesté,
quand il se lèvera pour faire trembler la terre.
v

v « quand il... la terre » grec ; omis par hébr. Tout le v. et les derniers mots, peut-être corrompus, du v. 9, manquent dans 1QIsa. Le v. est repris aux vv. 19 et 21.

11 L’orgueil humain baissera les yeux,
l’arrogance des hommes sera humiliée,
Yahvé sera exalté, lui seul, en ce jour-là.

12 Oui, ce sera un jour de Yahvé Sabaotw
sur tout ce qui est orgueilleux et hautain,
sur tout ce qui est élevé, pour qu’il soit abaissé ;

w Sur le « jour de Yahvé », cf. Am 5.18. Ici, l’intervention divine est décrite comme un tremblement de terre, vv. 10, 19, 21.

13 sur tous les cèdres du Liban, hautains et élevés,
et sur tous les chênes de Bashân ;
14 sur toutes les montagnes hautaines
et sur toutes les collines élevées ;
15 sur toute tour altière
et sur tout rempart escarpé ;
16 sur tous les vaisseaux de Tarsis
et sur tout ce qui paraît précieux.x

x Texte incertain. On corrige souvent en « bateaux », qui donne un bon parallélisme.

17 L’orgueil humain sera humilié,
l’arrogance de l’homme sera abaissée,
et Yahvé sera exalté, lui seul, en ce jour-là.

18 Les faux dieux, en masse, disparaîtront.
19 Pour eux, ils iront dans les cavernes des rochers
et dans les fissures du sol,
devant la Terreur de Yahvé, devant l’éclat de sa majesté,
quand il se lèvera pour faire trembler la terre.
20 En ce jour-là, l’homme jettera aux taupes et aux chauves-souris ses faux dieux d’argent et ses faux dieux d’or, ceux qu’on lui a fabriqués pour qu’il les adore,
21 il s’en ira dans les crevasses des rochers et dans les fentes des falaises,
devant la Terreur de Yahvé, devant l’éclat de sa majesté,
quand il se lèvera pour faire trembler la terre.

22 Tenez-vous à l’écart de l’homme, qui n’a qu’un souffle dans les narines !
À combien l’estimer ?y

y Le v. 22, absent du grec et étranger au contexte, est probablement une glose.

L’anarchie à Jérusalem.z

3 Oui, voici que le Seigneur Yahvé Sabaot
va ôter de Jérusalem et de Juda ressource et provision
— toute réserve de pain et toute réserve d’eau —,

z On date ce poème du début du règne d’Achaz, vers 735. Avec un roi encore jeune et sous la menace d’une intervention étrangère, cf. 2 R 15.37, le pays risque de sombrer dans l’anarchie. Ce texte paraît composé de deux pièces originairement indépendantes, vv. 1-9a et 12-15 ; les vv. 9-11 sont une addition.

2 héros et homme de guerre, juge et prophète, devin et vieillard,
3 capitaine et dignitaire, conseiller, architecte et enchanteur.
4 Je leur donnerai comme princes des adolescents,
et des gaminsa feront la loi chez eux.

a Ce pourrait être aussi un pluriel d’abstraction ; il faudrait alors comprendre « le caprice ».

5 Les gens se molesteront l’un l’autre, et entre voisins ;
le jeune garçon s’en prendra au vieillard,
l’homme de peu au notable.
6 Oui, un homme saisira son frère dans la maison paternelle :
« Tu as un manteau, tu seras notre chef,
et cette chose branlante, qu’elle te soit confiée ! »
7 Et l’autre, en ce jour-là, s’écriera :
« Je ne suis pas un guérisseur ;
chez moi, il n’y a ni pain ni manteau,
ne me faites pas chef du peuple ! »
8 Car Jérusalem a trébuché et Juda est tombé,
oui, leurs paroles et leurs actes s’adressent à Yahvé,
pour insulter ses regards glorieux.
9 Leur complaisance témoigne contre eux,
ils étalent leur péché comme Sodome.
Ils n’ont pas dissimulé, malheur à eux !
car ils ont préparé leur propre ruine.
10 Dites : le juste, qu’il est heureux !
car il se nourrira du fruit de ses actes.
11 Malheur au méchant, malfaisant !
car il sera traité selon ses œuvres.b

b Les vv. 10-11, de contenu sapientiel, interrompent la description de l’anarchie ; le v. 10 est très différent dans le grec.

12 Ô mon peuple, ses oppresseurs le mettent au pillage,
et des exacteurs font la loi chez lui.c
Ô mon peuple, tes guides t’égarent,
ils ont effacé les chemins que tu suis.

c « mettent au pillage » conj. ; singulier hébr. — « des exacteurs » versions ; « des femmes » hébr.

13 Yahvé s’est levé pour accuser,
il est debout pour juger les peuples.
14 Yahvé entre en jugement,
avec les anciens et les princes de son peuple :

« C’est vous qui avez dévasté la vigne,
la dépouille du malheureux est dans vos maisons.
15 De quel droit écraser mon peuple
et broyer le visage des malheureux ? »
Oracle du Seigneur Yahvé Sabaot.

Les femmes de Jérusalem.

16 Yahvé dit :
Parce qu’elles font les fières, les filles de Sion,
qu’elles vont le cou tendu et les yeux provocants,
qu’elles vont à pas menus, en faisant sonner les anneaux de leurs pieds,
17 le Seigneur rendra galeux le crâne des filles de Sion,
Yahvé dénudera leur front.

18 Ce jour-là le Seigneur ôtera l’ornement de chaînettes, les médaillons et les croissants, 19 les pendentifs, les bracelets, les breloques, 20 les diadèmes et les chaînettes de chevilles, les parures, les boîtes à parfums et les amulettes, 21 les bagues et les anneaux de narines, 22 les vêtements de fête et les manteaux, les écharpes et les bourses, 23 les miroirs, les linges fins, les turbans et les mantilles.d

d Ce catalogue de colifichets, vv. 18-23, est peut-être une addition. Le sens précis de beaucoup de ces termes est incertain.

24 Alors, au lieu de baume, ce sera la pourriture,
au lieu de ceinture, une corde,
au lieu de coiffure, la tête rase,
au lieu d’une robe d’apparat, un pagne de grosse toile,e
et la marque au fer rouge au lieu de beauté.

e En hébreu saq, toile grossière dont on faisait des « sacs », Gn 42.25, etc., mais aussi un vêtement de pénitence ou de deuil, qu’on portait sur le corps nu, 20.2 ; Gn 37.34 ; 1 R 20.31 ; 21.27 ; Am 8.10, etc.

La misère à Jérusalem.

25 Tes hommes tomberont sous l’épée,
et tes braves dans le combat.
26 Ses portes gémiront et seront dans le deuil ;
désertée, elle s’assiéra par terre.

4 Et sept femmes s’arracheront un homme, en ce jour-là, en disant : « Nous mangerons notre pain, nous mettrons notre propre manteau, laisse-nous seulement porter ton nom. Ôte notre déshonneur. »f

f Dans la ville décimée par la guerre, 3.25-26, plusieurs femmes demanderont à un même homme de « porter son nom », c’est-à-dire qu’il soit leur maître, d’après le sens de l’expression en hébreu. Les orgueilleuses filles de Jérusalem deviendront des concubines.

Le germe de Yahvé.g

2 Ce jour-là, le germe de Yahvé deviendra parure et gloire,
le fruit de la terre deviendra fierté et ornement
pour les survivants d’Israël.

g Le « germe » et le « fruit de la terre » désignent soit le Messie, Jr 23.5 = 33.15 ; Za 3.8 ; 6.12, soit le « reste » d’Israël (cf. note suivante) comparé à un arbre renaissant sur le sol de Palestine. Les vv. 2-6, ou seulement 4-6, sont généralement considérés comme une composition postexilique.

3 Le reste laissé à Sion, ce qui survit à Jérusalem, sera appelé saint,
tout ce qui est inscrit pour la vie à Jérusalem.h

h Israël infidèle sera châtié. Mais, parce que Dieu aime son peuple, un petit « Reste » échappera à l’épée des envahisseurs. Déjà connu d’Amos, Am 3.12 ; 5.15 ; 9.8-10, le thème est repris par Isaïe, 6.13 ; 7.3 et 10.19-21 ; 28.5-6 ; 37.4 (= 2 R 19.4) ; 37.31-32, cf. Mi 4.7 ; 5.2 ; So 2.7, 9 ; 3.12 ; Jr 3.14 ; 5.18 ; Ez 5.3 ; 9. Demeuré à Jérusalem, ce Reste, purifié et désormais fidèle, redeviendra une nation puissante. Après la catastrophe de 587, une idée nouvelle apparaît le Reste se trouvera parmi les déportés, Ez 12.16 ; Ba 2.13, c’est en exil qu’il se convertira, Ez 6.8-10, cf. Dt 30.1-2, et Dieu alors le rassemblera pour la restauration messianique, 11.11, 16 ; Jr 23.3 ; 31.7 ; 50.20 ; Ez 20.37 ; Mi 2.12-13. Après le retour de l’exil, le Reste, de nouveau infidèle, sera encore décimé et purifié, Za 1.3 ; 8.11 ; Ag 1.12 ; Ab 17 = Jl 3.5 ; Za 13.8-9 ; 14.2. En fait, c’est le Messie qui sera le véritable « Germe » de l’Israël nouveau et sanctifié, 11.1, 10, cf. 4.2 ; Jr 23.3-6. — À l’inverse d’Israël, les nations païennes n’auront pas de « reste », 14.22, 30 ; 15.9 ; 16.14 ; Ez 21.37 ; Am 1.8 ; Ab 18.

4 Lorsque le Seigneur aura lavé la saleté des filles de Sion
et purifié Jérusalem du sang répandu,
au souffle du jugement et au souffle de l’incendie,
5 Yahvé créera partout sur la montagne de Sion et sur ceux qui s’y assemblent
une nuée le jour,
et une fumée avec l’éclat d’un feu flamboyant, la nuit.i
Car sur toute gloire il y aura un dais

i Évocation de la colonne de nuée ou de feu qui guida les Israélites à la sortie d’Égypte. Cette allusion à l’Exode confirme la date tardive du poème cf. 10.26, qui est une addition, 11.15-16, qui est exilique, et la présentation du retour de l’Exil comme un nouvel Exode dans le Second Isaïe, 40.3.

6 et une hutte
pour faire ombre le jour contre la chaleur,
et servir de refuge et d’abri contre l’averse et la pluie.

Le chant de la vigne.j

5 Que je chante à mon bien-aimé
le chant de mon ami pour sa vigne.
Mon bien-aimé avait une vigne,
sur un coteau fertile.

j Poème composé par Isaïe au début de son ministère, peut-être à partir d’une chanson de vendanges. Le thème de la vigne Israël, choisie puis rejetée, déjà amorcé par Osée, Os 10.1, sera repris par Jérémie, Jr 2.21 ; 5.10 ; 6.9 ; 12.10, et par Ézéchiel, Ez 15.1-8 ; 17.3-10 ; 19.10-14. Cf. Ps 80.9-19 ; 27.2-5. Jésus le transposera dans la parabole des vignerons homicides, Mt 21.33-44p (cf. aussi le figuier stérile, Mt 21.18-19). En Jn 15.1-2, il révélera le mystère de la « vraie » vigne. — Autres aspects du thème de la vigne en Dt 32.32-33 et Si 24.17.

2 Il la bêcha, il l’épierra, il y planta du raisin vermeil.k
Au milieu il bâtit une tour, il y creusa même un pressoir.
Il attendait de beaux raisins : elle donna des raisins sauvages.

k En hébreu soreq, nom d’un plant de choix, 16.8 ; Jr 2.21, cf. Gn 49.11, désigné par la couleur de ses grappes.

3 Et maintenant, habitants de Jérusalem et gens de Juda,
soyez juges entre moi et ma vigne.
4 Que pouvais-je encore faire pour ma vigne que je n’aie fait ?
Pourquoi espérais-je avoir de beaux raisins,
et a-t-elle donné des raisins sauvages ?
5 Et maintenant, que je vous apprenne ce que je vais faire à ma vigne !
en ôter la haie pour qu’on vienne la brouter,
en briser la clôture pour qu’on la piétine ;
6 j’en ferai un maquis : elle ne sera ni taillée ni sarclée,
ronces et épines y croîtront,
j’interdirai aux nuages d’y faire tomber la pluie.
7 Eh bien ! la vigne de Yahvé Sabaot, c’est la maison d’Israël,
et l’homme de Juda, c’est son plant de choix.
Il attendait le droit et voici l’iniquité, la justice et voici les cris.

Malédictions.l

8 Malheur à ceux qui ajoutent maison à maison,
qui joignent champ à champ jusqu’à ne plus laisser de place
et rester seuls habitants au milieu du pays.

l Ces malédictions datent aussi du début du ministère d’Isaïe, mais elles n’ont peut-être pas été toutes prononcées à la même occasion. Aux six malédictions de 5.2-24, on propose d’en ajouter une septième, 10.1-4, qui aurait été déplacée par accident. La malédiction est l’un des genres de la prédication prophétique, cf. les références marginales. Ici, Isaïe est assez proche d’Amos.

9 À mes oreilles, Yahvé Sabaot l’a juré :
Oui, nombre de maisons seront réduites en ruine,
grandes et belles, elles seront inhabitées.
10 Car dix arpents de vigne ne donneront qu’un tonnelet,
et un muid de semence ne produira qu’une mesure.m

m Dix arpents, semed, correspondent à peu près à deux hectares et demi, un tonnelet, bat, à une quarantaine de litres ; la mesure, épha, a la même contenance pour le grain, et le muid homer, vaut dix fois plus.

11 Malheur à ceux qui se lèvent tôt le matin pour courir à la boisson,
qui s’attardent le soir, ivres de vin.
12 Ce ne sont que harpes et cithares, tambourins et flûtes,
et du vin pour leurs beuveries.
Mais pour l’œuvre de Yahvé, pas un regard,
l’action de ses mains, ils ne la voient pas.
13 C’est pourquoi mon peuple est exilé, faute de connaissance ;
sa noblesse : des gens affamés ! ses foules séchant de soif !
14 n C’est pourquoi le shéol dilate sa gorge et bée d’une gueule démesurée.
Ils y descendent, ses nobles, ses foules
et ses criards, et ils y exultent.

n Les vv. 14-16 paraissent hors de contexte et peuvent être rattachés au poème de 2.6-22 dont le « refrain », vv. 9 et 11, se retrouve ici, v. 15.

15 Le mortel a été humilié, l’homme a été abaissé
et les yeux des orgueilleux sont baissés.
16 Yahvé Sabaot fut exalté dans son jugement
et le Dieu saint a révélé sa sainteté dans la justice.o

o La « sainteté » de Dieu, cf. 6.3, le « sépare » de toutes les créatures. Mais cette sainteté transcendante de Dieu s’exprime dans ses rapports avec les hommes par sa « justice » qui en souligne le caractère moral Dieu récompense le bien et punit le mal, lors de son « jugement ». À cette justice ne s’oppose pas la bonté miséricordieuse, car c’est encore sa « justice » qu’accomplit le Dieu fidèle à ses promesses en pardonnant à Israël ou au pécheur repentant, Mi 7.9 ; Ps 51.16. La justice sera par excellence la vertu du règne messianique, quand Dieu aura transmis à son peuple quelque chose de sa sainteté, 1.26 ; 4.3 ; cf. Mt 5.48.

17 Les agneaux paîtront comme dans leurs pâtures,
les pacages dévastés des bêtes grasses seront la nourriture des chevreaux.p

p « chevreaux » grec ; « étrangers » hébr.

18 Malheur à qui tire la faute avec les liens de la tromperie,
et le péché comme avec un trait de chariot ;
19 à ceux qui disent : « Qu’il fasse vite, qu’il hâte son œuvre,q
pour que nous la voyions ;
que s’approche et se réalise le projet du Saint d’Israël,
que nous le reconnaissions. »

q C’est le « jour de Yahvé », que le prophète a annoncé, 2.12, et que les sceptiques appellent sur eux par défi.

20 Malheur à ceux qui appellent le mal bien et le bien mal,
qui font des ténèbres la lumière et de la lumière les ténèbres,
qui font de l’amer le doux et du doux l’amer.
21 Malheur à ceux qui sont sages à leurs propres yeux
et s’estiment intelligents.
22 Malheur à ceux qui sont des héros pour boire du vin
et des champions pour mélanger la boisson,
23 qui acquittent le coupable pour un pot-de-vin,
et refusent aux justes la justice.

24 Oui, comme la flamme dévore la paille,
comme le foin s’enflamme et disparaît,
leur racine ressemblera à de la pourriture,
leur bourgeon sera emporté comme la poussière.
Car ils ont rejeté la loi de Yahvé Sabaot,
ils ont méprisé la parole du Saint d’Israël.

La colère de Yahvé.r

25 C’est pourquoi la colère de Yahvé s’est enflammée contre son peuple ;
il a levé la main contre lui pour le
frapper,
les montagnes ont tremblé,
et les cadavres sont comme des ordures au milieu des rues.
Avec tout cela la colère de Yahvé ne s’est pas calmée,
sa main reste levée.

r On rattache 5.25-30 au poème de 9.7-20, dont on retrouve ici le refrain.

Appel aux envahisseurs.s

26 Il dresse un signal pour le peuplet lointain,
il le siffle des extrémités de la terre,
et voici qu’aussitôt il accourt, léger.

s On pourrait rattacher ce poème à l’une des grandes invasions assyriennes au temps d’Isaïe celle de Téglat-Phalasar III en 735 ou 732, celle de Salmanasar en 722, celle de Sargon en 711 ou celle de Sennachérib en 701. Mais l’envahisseur n’est pas nommé et ce peut être l’expression d’un thème général Dieu appelle une nation puissante comme instrument de sa vengeance, cf. Dt 28.49-52 et 10.6.

t « le peuple » conj. d’après le contexte ; hébr. a le pluriel.

27 Chez lui nul n’est fatigué, nul ne trébuche,
nul ne dort ni ne sommeille,
nul ne dénoue la ceinture de ses reins,
nul n’a la courroie de ses sandales rompue.
28 Ses flèches sont aiguisées et tous ses arcs tendus,
les sabots de ses chevaux, on dirait du rocher,
et ses roues, un tourbillon.
29 Son rugissement est celui d’une lionne,
il rugit comme les lionceaux,
il gronde et saisit sa proie,
il l’emporte et nul ne le fait lâcher ;
30 il gronde contre lui,u en ce jour-là, comme gronde la mer.
Il regarde le pays : et voici les ténèbres, l’angoisse,
et la lumière est obscurcie par les nuages.v

u Non l’envahisseur, mais le pays de Juda, cf. la suite du v.

v Les ténèbres du « jour de Yahvé », Am 5.18, 20.

2. LE LIVRE DE L’EMMANUEL

Vocation d’Isaïe.w

6 L’année de la mort du roi Ozias,x je vis le Seigneur assis sur un trône grandiose et surélevé. Sa traîne emplissait le sanctuaire.y

w Cette vision devrait normalement se trouver au début du livre, mais celui-ci a été composé à partir de collections indépendantes, cf. Introduction, et cette vision trouve bien sa place en tête du Livre de l’Emmanuel qui groupe les oracles relatifs à la guerre syro-éphraïmite, où s’accomplissent les menaces des vv. 11-13.

x Probablement en 740.

y Le Hékal, salle qui précédait le Debir ou « Saint des Saints », cf. 1 R 6.1-38.

2 Des séraphinsz se tenaient au-dessus de lui, ayant chacun six ailes, deux pour se couvrir la face,a deux pour se couvrir les pieds,b deux pour voler.

z Étymologiquement les « brûlants ». Ces êtres ailés n’ont de commun que le nom avec les serpents brûlants de Nb 21.6, 8 ; Dt 8.15, ou volants d’14.29 ; 30.6. Ce sont des figures humaines, mais munies de six ailes, qui rappellent les êtres mystérieux qui portent le char de Yahvé dans Ez 1, et qu’Ez 10 appelle « chérubins », comme les figures analogues attachées à l’arche, Ex 25.18. La tradition postérieure a donné le nom de Séraphins et de Chérubins à deux classes des Anges.

a Par peur de voir Yahvé, cf. Ex 33.20.

b Euphémisme pour désigner le sexe.

3 Ils se criaient l’un à l’autre ces paroles :

« Saint, saint, saintc est Yahvé Sabaot,
sa gloire emplit toute la terre. »

c La sainteté de Dieu est un thème central de la prédication d’Isaïe qui appelle souvent Yahvé « le Saint d’Israël », 1.4 ; 5.19, 24 ; 10.17, 20 ; 41.14, 16, 20, etc. Cette sainteté de Dieu exige de l’homme qu’il soit lui-même sanctifié, c’est-à-dire séparé du profane, Lv 17.1, purifié du péché, ici vv. 5-7, participant à la « justice » de Dieu, cf. 1.26 et 5.16.

4 Les montants des portes vibrèrent au bruit de ces cris et le Temple était plein de fumée.d

d Signe de la présence de Dieu au Sinaï, Ex 19.16, dans la Tente du désert, Ex 40.34-35, et dans le Temple de Jérusalem, 1 R 8.10-12 ; Ez 10.4.

5 Alors je dis :

« Malheur à moi, je suis perdu !
car je suis un homme aux lèvres impures,
j’habite au sein d’un peuple aux lèvres impures,
et mes yeux ont vu le Roi, Yahvé Sabaot. »

6 L’un des séraphins vola vers moi, tenant dans sa main une braise qu’il avait prise avec des pinces sur l’autel. 7 Il m’en toucha la bouche et dit :

« Voici, ceci a touché tes lèvres,e
ta faute est effacée,
ton péché est pardonné. »

e Le prophète est le messager de la parole de Dieu, il est sa « bouche », cf. Ex 4.16. De même, Yahvé touche la bouche de Jérémie, Jr 1.9, et Ézéchiel mange le rouleau qui contient la parole de Dieu, Ez 3.1-3. Le feu est purificateur, Jr 6.29, cf. Mt 3.11, à plus forte raison le feu de l’autel.

8 Alors j’entendis la voix du Seigneur qui disait :

« Qui enverrai-je ? Qui ira pour nous ? »

Et je dis : « Me voici, envoie-moi. »f

f La promptitude d’Isaïe rappelle la foi d’Abraham, Gn 12.1-4, et fait contraste avec les hésitations de Moïse, Ex 4.10-12, et surtout de Jérémie, Jr 1.6.

9 Il me dit :

« Va, et tu diras à ce peuple :
Écoutez, écoutez, et ne comprenez pas ;
regardez, regardez, et ne discernez pas.
10 Appesantis le cœur de ce peuple,
rends-le dur d’oreille, englue-lui les yeux,
de peur que ses yeux ne voient,
que ses oreilles n’entendent,
que son cœur ne comprenne,
qu’il ne se convertisse et ne soit guéri. »g

g La prédication du prophète se heurtera à l’incompréhension de ses auditeurs. Les impératifs employés ici ne doivent pas faire illusion, ils sont l’équivalent d’indicatifs, cf. 29.9 Dieu ne veut pas cette incompréhension, il la prévoit et elle sert ses desseins. Elle dévoile le péché du cœur et précipite le jugement ; comp. l’endurcissement du pharaon, Ex 4.21 ; 7.3, etc. — Ce texte d’Isaïe sera plusieurs fois cité dans le NT Mt 13.14-15p ; Jn 12.40 ; Ac 28.26-27, avec une application spéciale aux paraboles, Mt 13.13.

11 Et je dis : « Jusques à quand, Seigneur ? »h

Il me répondit : « Jusqu’à ce que les villes soient détruites et dépeuplées, les maisons inhabitées ; que le sol soit dévasté, désolé ;

h Le prophète ne veut pas accepter que la condamnation soit définitive. Sans contredire cette espérance, la réponse de Dieu insiste sur la gravité des épreuves qui précéderont le salut.

12 que Yahvé en chasse les gens, et qu’une grande détresse règne au milieu du pays.

13 Et s’il en reste un dixième, de nouveau il sera dépouillé, comme le térébinthe et comme le chêne qui une fois émondés n’ont plus qu’un tronc ; leur tronc est une semence sainte. »i

i Verset difficile. La dernière phrase manque dans le grec, mais doit être maintenue de ce tronc dépouillé doit renaître un arbre nouveau, cf. 4.2-3 et la note.

Première intervention d’Isaïe.

7 Au temps d’Achaz, fils de Yotam, fils d’Ozias, roi de Juda, Raçôn,j roi d’Aram, monta avec Péqah, fils de Remalyahu, roi d’Israël, vers Jérusalem pour porter l’attaque contre elle, mais il ne put l’attaquer.k

j « Raçôn » d’après le grec et les documents assyriens ; « Reçîn » hébr., ici et dans la suite du passage.

k C’est la guerre syro-éphraïmite le roi d’Aram et le roi d’Israël voulaient entraîner Juda dans une coalition contre l’Assyrie. Malgré les avertissements d’Isaïe, Achaz demanda le secours de Téglat-Phalasar, qui attaqua Damas et Samarie mais réduisit Juda en vassalité. Achaz avait ouvert à l’Assyrie la porte de son pays, cf. 2 R 16.5-16.

2 On annonça à la maison de David : « Aram a fait halte sur le territoire d’Éphraïm. » Alors son cœur et le cœur de son peuple se mirent à chanceler comme chancellent les arbres de la forêt sous le vent.

3 Et Yahvé dit à Isaïe : Sors au-devant d’Achaz, toi et Shéar-Yashubl ton fils, vers l’extrémité du canal de la piscine supérieure, vers le chemin du champ du Foulon.

l Ce nom prophétique, cf. 1.26, signifie « un reste reviendra », c’est-à-dire se convertira à Yahvé et échappera ainsi au châtiment, cf. 4.3 ; 10.20-23.

4 Tu lui diras : Prends garde et calme-toi. Ne crains pas et que ton cœur ne défaille pas devant ces deux bouts de tisons fumants, à cause de l’ardente colère de Raçôn, d’Aram et du fils de Remalyahu, 5 parce qu’Aram, Éphraïm et le fils de Remalyahu ont tramé contre toi un mauvais coup en disant : 6 « Montons contre Juda, détruisons-le, brisons-le pour le ramener vers nous, et nous y établirons comme roi le fils de Tabeel. »m

m Probablement un Araméen de la cour de Damas. Le nom signifie « Dieu est bon » mais l’hébreu massorétique l’a vocalisé Tabal, « bon à rien ».

7 Ainsi parle le Seigneur Yahvé :


Cela ne tiendra pas, cela ne sera pas ;
8 car la tête d’Aram c’est Damas, et la tête de Damas c’est Raçôn ;
encore soixante-cinq ans, et Éphraïm cessera d’être un peuple.
9 La tête d’Éphraïm c’est Samarie, et la tête de Samarie c’est le fils de Remalyahu.
Si vous ne croyez pas, vous ne vous maintiendrez pas.n

n Texte difficile. Certains proposent de transposer 8 après 9a et d’y corriger « 65 ans » en « 5 ou 6 ans » (en fait, Samarie tombera en 722). Tel qu’il se présente, le texte suppose une comparaison tacite entre Juda, dont la capitale est Jérusalem et dont le vrai « chef » est Yahvé, et ses ennemis qui n’ont pas les mêmes privilèges. En outre, le prophète annonce la disparition du royaume du Nord, mais il met comme condition un acte de foi en Dieu. La foi, chez les prophètes, est moins la croyance abstraite que Dieu existe et qu’il est unique, que la confiance en lui, fondée sur l’élection Dieu a choisi Israël, il est son Dieu, Dt 7.6, et peut seul le sauver. Cette confiance absolue, gage du salut, 28.16, exclut le recours à tout autre appui, des hommes ou à plus forte raison des faux dieux, cf. 30.15 ; Jr 17.5 ; Ps 52.9.

Seconde intervention.

10 Yahvé parla encore à Achaz en disant :

11 Demande un signe à Yahvé ton Dieu,
au fond, dans le shéol, ou vers les hauteurs, au-dessus.

12 Et Achaz dit : Je ne demanderai rien, je ne tenterai pas Yahvé.

13 Il dit alors :

Écoutez donc, maison de David !
est-ce trop peu pour vous de lasser les hommes,
que vous lassiez aussi mon Dieu ?
14 C’est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe :o
Voici, la jeune femmep est enceinte,
elle va enfanter un fils
et elle lui donnera le nom d’Emmanuel.

o Le signe que le roi Achaz a refusé de demander lui est cependant donné par Dieu. C’est la naissance d’un enfant dont le nom, Emmanuel, c’est-à-dire « Dieu avec nous », cf. 8.8, 10, est prophétique, cf. 1.26, et annonce que Dieu va protéger et bénir Juda. En d’autres textes, 9.1-6 ; 11.1-9, Isaïe dévoilera avec plus de précision certains aspects du salut apporté par cet enfant. Ces prophéties sont une expression du messianisme royal, déjà esquissé par le prophète Natân, 2 S 7, et qui sera repris plus tard par Mi 4.14 ; Ez 34.23 ; Ag 2.23 ; cf. Ps 2 ; 45 ; 72 ; 110. C’est par un roi, successeur de David, que Dieu donnera le salut à son peuple ; c’est sur la permanence de la lignée davidique que repose l’espérance des fidèles de Yahvé. Même si Isaïe a en vue immédiatement la naissance d’un fils d’Achaz, par exemple Ézéchias (ce qui paraît probable en dépit des incertitudes de la chronologie, et ce que semble avoir compris le grec en lisant, v. 14, « tu lui donneras le nom... »), on pressent, par la solennité donnée à l’oracle et par le sens fort du nom symbolique donné à l’enfant, qu’Isaïe entrevoit dans cette naissance royale, au-delà des circonstances présentes, une intervention de Dieu en vue du règne messianique définitif. La prophétie de l’Emmanuel dépasse ainsi sa réalisation immédiate, et c’est légitimement que les évangélistes (Mt 1.23 citant 7.14 ; Mt 4.15-16 citant 8.23 — 9.1), puis toute la tradition chrétienne, y ont reconnu l’annonce de la naissance du Christ.

p La traduction grecque porte « la vierge », précisant ainsi le terme hébreu `almah qui désigne soit une jeune fille, soit une jeune femme récemment mariée, sans expliciter davantage. Mais le texte des LXX est un témoin précieux de l’interprétation juive ancienne, qui sera consacrée par l’Évangile Mt 1.23 trouve ici l’annonce de la conception virginale du Christ.

15 Il mangera du lait caillé et du miel
jusqu’à ce qu’il sache rejeter le mal et choisir le bien.
16 Car avant que l’enfant sache rejeter le mal et choisir le bien,
elle sera abandonnée, la terre dont les deux rois te jettent dans l’épouvante.q

q C’est, comme dans l’oracle précédent (7.7-9), l’annonce des revers qui vont s’abattre sur les royaumes de Samarie et de Damas, revanche promise par Dieu au royaume de Juda actuellement menacé.

17 Yahvé fera venir sur toi, sur ton peuple et sur la maison de ton père
des jours tels qu’il n’en est pas venu
depuis la séparation d’Éphraïm et de Judar (le roi d’Assur).

r C’est-à-dire une époque de prospérité et de gloire comme Israël en a connu sous les règnes de David et de Salomon. C’est sur cette vision d’espoir que se termine le second épisode de l’oracle de l’Emmanuel. — « le roi d’Assur » est une glose fondée sur une interprétation erronée.

Annonce d’une invasion.s

18 Il arrivera, en ce jour-là,
que Yahvé sifflera les mouches qui sont à l’extrémité des fleuves d’Égypte
et les abeilles qui sont au pays d’Assur.

s Dans le développement qui suit, il n’est plus question de la guerre syro-éphraïmite, mais de l’Égypte et d’Assur. Ce n’est plus un oracle de bénédiction, mais l’annonce d’une dévastation du pays par l’Assyrie. Nous avons là vraisemblablement un oracle postérieur, datant des dernières années de l’activité d’Isaïe, avant l’intervention de Sennachérib. Il aurait été inséré ici à cause de la mention du lait et du miel, v. 22, rapprochée du v. 15. Mais alors qu’au v. 15 c’était une nourriture de grâce, cf. Ex 3.8, 17, etc. ; Dt 6.3 ; 11.9, etc., c’est au v. 22 la seule nourriture d’un pays dévasté qui est revenu à une vie pastorale élémentaire.

19 Elles viendront et se poseront toutes
dans les torrents des ravins et dans les fentes des rochers,
sur tous les buissons et à tous les points d’eau.
20 En ce jour-là,
le Seigneur rasera avec un rasoir loué au-delà du fleuve,
(avec le roi d’Assur)
la tête et le poil des jambes,
et même la barbe, il l’enlèvera.
21 Il arrivera, en ce jour-là,
que chacun élèvera une génisse et deux têtes de petit bétail.
22 Et il arrivera qu’en raison de l’abondante production du lait,
(il mangera du lait caillé)
tout survivant au milieu du pays mangera du lait caillé et du miel.
23 Il arrivera, en ce jour-là,
que tout lieu où il y a mille pieds de vigne valant mille pièces d’argent
deviendra ronces et épines.
24 Avec flèches et arc on y pénétrera,
car tout le pays sera ronces et épines.
25 Sur toutes les montagnes qui sont cultivées à la houe, tu n’iras plus
par crainte des ronces et des épines,
et ce sera pacage de bœufs et terre piétinée par les moutons.

Naissance d’un fils d’Isaïe.t

8 Yahvé me dit : Prends une grande tablette et écris dessus avec un stylet ordinaire : Maher-Shalal Hash-Baz.

t Malgré le parallélisme avec 7.16, ce petit oracle a une portée très différente de celui de l’Emmanuel il ne s’agit plus de messianisme royal. Le nom prophétique du second fils d’Isaïe est un signe et un présage, cf. 1.26 ; 7.3 ; 8.18, il signifie « Prompt-butin Proche-pillage » et annonce le sac imminent de Damas et de Samarie par les Assyriens. Cf. les noms symboliques des enfants d’Osée, Os 1.4, 6, 9.

2 Et prendsu des témoins dignes de foi, le prêtre Uriyya et Zekaryahu fils de Yebèrèkyahu.

u « prends » grec ; « que je prenne » hébr.

3 Puis je m’approchai de la prophétesse, elle conçut et enfanta un fils. Et Yahvé me dit : Donne-lui le nom de Maher-Shalal Hash-Baz, 4 car avant que le garçon ne sache dire « papa » et « maman », on enlèvera la richesse de Damas et le butin de Samarie, en présence du roi d’Assur.

Siloé et l’Euphrate.v

5 Yahvé me parla encore en disant :

v Les eaux de Siloé, v. 6, cf. 7.3, symbolisent la protection divine à laquelle le peuple a préféré l’aide de l’Assyrie (« le Fleuve », v. 7, c’est-à-dire l’Euphrate) qui se retournera contre lui, cf. 7.1.

6 Puisque ce peuple a méprisé les eaux de Siloé qui coulent doucement, et a trembléw devant Raçôn et le fils de Remalyahu,

w « a tremblé (litt. fondu) devant » conj. ; l’hébr. « exultation » (?) est inintelligible, à moins qu’il ne faille chercher à rattacher ce mot au verbe de la même racine « se réjouir », et voir là une allusion à un parti pro-syrien qui se serait constitué en Juda. Les versions ont compris « choisi (pour roi) », qui est historiquement impossible.

7 eh bien ! voici que le Seigneur fait monter contre lui les eaux du Fleuve, puissantes et abondantes (le roi d’Assur et toute sa gloire) ; il grossira dans toutes ses vallées et franchira toutes ses rives ; 8 il passera en Juda, inondera et traversera ; il atteindra jusqu’au cou, et le déploiement de ses ailes couvrira toute l’étendue de ton pays, Emmanuel.x

x Le rappel de ce nom prophétique, cf. 7.14, ici et, en clair, au v. 10, souligne l’unité de ce groupe d’oracles les châtiments annoncés préparent l’accomplissement des promesses.

9 Sachez,y peuples, et soyez épouvantés ; prêtez l’oreille, tous les pays lointains.

Ceignez-vous et soyez épouvantés. Ceignez-vous et soyez épouvantés.

y « sachez » grec ; « alliez-vous » (?) hébr.

10 Faites un projet : il sera anéanti,
prononcez une parole : elle ne tiendra pas,
car « Dieu est avec nous ».

La mission d’Isaïe.z

11 Oui, ainsi m’a parlé Yahvé lorsque sa main m’a saisi
et qu’il m’a appris à ne pas suivre le chemin de ce peuple, en disant :

z Isaïe semble exprimer ici, peut-être à l’intention de ses disciples, v. 16, des confidences sur les motifs de son attitude. C’est Yahvé lui-même qui lui a appris à s’opposer au peuple de Juda et à n’avoir confiance qu’en Dieu — attitude difficile, dans des circonstances parfois ambiguës, vv. 14, 15, destinée à faire apparaître la vraie fidélité.

12 « Vous n’appellerez pas complot tout ce que ce peuple appelle complot,
vous ne partagerez pas ses craintes et vous n’en serez pas terrifiés.
13 C’est Yahvé Sabaot que vous proclamerez saint,
c’est lui qui sera l’objet de votre crainte et de votre terreur.
14 Il sera un sanctuaire,a un rocher qui fait tomber,
une pierre d’achoppement pour les deux maisons d’Israël,
un filet et un piège pour les habitants de Jérusalem.

a Au lieu de « sanctuaire » miqdash, le Targ. a lu « piège » moqesh, comme à la fin du v. Le texte actuel paraît être une erreur ou une correction de scribe.

15 Beaucoup y achopperont, tomberont et se briseront,
ils seront pris au piège et capturés.
16 Enferme un témoignage, scelle une instruction
au cœur de mes disciples. »
17 J’espère en Yahvé qui cache sa face à la maison de Jacob,
et je mets mon attente en lui.
18 Voici que moi et les enfants que Yahvé m’a donnés
nous devenons signes et présages en Israël,
de la part de Yahvé Sabaot qui habite sur la montagne de Sion.
19 Et si on vous dit : « Allez consulter les spectres et les devins
qui murmurent et qui marmonnent »,
n’est-il pas vrai qu’un peuple consulte ses dieux,
et les morts pour les vivants ?
20 Pour l’instruction et le témoignage,
sûrement on s’exprimera selon cette parole
d’après laquelle il n’y a pas d’aurore.b

b Les vv. 19-20, qui sont peut-être hors de leur contexte, sont très obscurs. Isaïe rapporte les paroles de ses adversaires, qui revendiquent pour le peuple le droit de pratiquer la divination, cf. 2.6. La réponse, v. 19, est peut-être ironique, et le prophète paraît conclure, v. 20, en constatant que de tels propos conduisent à une impasse. Mais tout cela repose sur un texte mal assuré.

La marche dans la nuit.c

21 Et il passera dans le pays, opprimé et affamé ;
il arrivera que lorsqu’il sera affamé, il s’irritera,
il maudira son roi et son Dieu, et se tournera vers le ciel.

c Ici encore, il semble s’agir d’un fragment d’oracle déplacé. En gros, on devine la description d’un homme qui traverse le pays ravagé et qui exprime sa détresse. Mais on ne voit pas comment relier ce bref poème au contexte immédiat. Il faut peut-être le rapprocher de 5.26-30 qu’il continuerait assez bien.

22 Puis il regardera vers la terre ; et voici : angoisse, obscurité, nuit de détresse, ténèbres dissolvantes.

23 Car n’est-ce pas la nuit pour le pays qui est dans la détresse ?
Comme le passé a humilié le pays de Zabulon et le pays de Nephtali, l’avenir glorifiera le chemin de la mer, au-delà du Jourdain, le district des nations.d

d Ce v. qui oppose, pour les régions du nord de la Palestine, un avenir glorieux à un passé d’humiliations, paraît faire allusion aux campagnes de Téglat-Phalasar en Galilée et à la déportation de 732, cf. 2 R 15.29. Dans l’oracle qui suit, Isaïe annonce un « jour de Yahvé » qui apportera la délivrance aux déportés ; il annonce en même temps le règne pacifique d’un enfant de race royale, l’Emmanuel de 7.14. L’apparition du Messie en Galilée donnera à cette prophétie sa pleine réalisation, cf. Mt 4.13-16. Le « district des nations » (hébr. gelîl ha-goyim) désigne la Galilée.

La délivrance.

9 Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière,
sur les habitants du sombre pays, une lumière a resplendi.
2 Tu as multiplié la nation, tu as fait croître sa joie ;
ils se réjouissent devant toi comme on se réjouit à la moisson,
comme on exulte au partage du butin.
3 Car le joug qui pesait sur elle, la barre posée sur ses épaules,
le bâton de son oppresseur,
tu les as brisés comme au jour de Madiân.
4 Car toute chaussure qui résonne sur le sol,e tout manteau roulé dans le sang,
seront mis à brûler, dévorés par le feu.

e Littéralement « chaussure de fracas ». — La destruction de l’équipement guerrier annonce une époque de paix qui sera décrite symboliquement par la suite, 11.6-9, cf. déjà 2.4.

5 Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné,
il a reçu le pouvoir sur ses épaules et on lui a donné ce nom :
Conseiller-merveilleux, Dieu-fort,
Père-éternel, Prince-de-paix,f

f Ces titres sont comparables au protocole que l’on composait pour le pharaon lors de son couronnement. L’enfant de race royale aura la sagesse de Salomon, la bravoure et la piété de David, les grandes vertus de Moïse et des Patriarches, cf. 11.2. La tradition chrétienne, qui s’exprime dans la liturgie de Noël, en donnant ces titres au Christ affirme que celui-ci est l’Emmanuel véritable.

6 pour que s’étende le pouvoir dans une paix sans fin
sur le trône de David et sur son royaume,
pour l’établir et pour l’affermir
dans le droit et la justice.
Dès maintenant et à jamais,
l’amour jaloux de Yahvé Sabaot fera cela.g

g L’amour jaloux de Yahvé pour son peuple le pousse à la fois à châtier ses infidélités, cf. Ex 20.5 ; Dt 4.24, et à lui procurer le salut.

Les épreuves du royaume du Nord.h

7 Le Seigneur a jeté une parole en Jacob,
elle est tombée en Israël.

h Ce poème, scandé par un refrain, vv. 11, 20b ; 10.4, fut prononcé contre le royaume du Nord, en un temps d’hostilité entre Israël et Juda, soit en 739, à l’époque où se préparait la guerre contre Achaz, 2 R 15.37, soit en 734, après cette guerre, alors que le royaume du Nord devenait la proie de l’Assyrie, 2 R 15.29.

8 Tout le peuple l’a su, Éphraïm et l’habitant de Samarie
qui disent dans l’orgueil de leur cœur altier :
9 « Les briques sont tombées, nous construirons en pierre de taille,
les sycomores ont été abattus, nous les remplacerons par des cèdres. »
10 Mais Yahvé a soutenu contre ce peuple son adversaire Raçôn,i
il a excité ses ennemis,

i « son adversaire, Raçôn » conj. ; « les adversaires de Reçîn » hébr., qui ne donne aucun sens.

11 Aram à l’orient, les Philistins à l’occident :
ils ont dévoré Israël à belles dents.j
Avec tout cela sa colère ne s’est pas détournée,
sa main reste levée.

j Cette hostilité conjuguée des Philistins et des Araméens contre Israël est possible, mais elle n’est attestée par aucun texte historique.

12 Mais le peuple n’est pas revenu à celui qui le frappait,
il n’a pas cherché Yahvé Sabaot.
13 Aussi Yahvé a retranché d’Israël tête et queue, palme et jonc, en un jour.k

k « tête et queue, palme et jonc » semble désigner les chefs et les sujets, cf. 19.15 ; Dt 28.13, 44. Le v. suivant serait une glose explicative.

14 (L’ancien et le dignitaire, c’est la tête,
le prophète qui enseigne le mensonge, c’est la queue.)
15 Les guides de ce peuple l’ont égaré,
et ceux qu’ils guident se sont fourvoyés.l

l C’est peut-être ici qu’il faudrait intercaler 5.25, que l’on suppose séparé accidentellement.

16 C’est pourquoi en ses jeunes gens le Seigneur ne trouvera plus sa joie,
de ses orphelins et de ses veuves il n’aura plus pitié,
car tous sont impies et malfaisants,
toute bouche profère l’insanité.
Avec tout cela sa colère ne s’est pas détournée,
sa main reste levée.
17 Oui, la méchanceté a brûlé comme le feu,
elle dévore ronces et épines,
elle a incendié les halliers de la forêt,
ils se sont élevés en tourbillons de fumée.
18 Par l’emportement de Yahvé Sabaot la terre a été brûléem
et le peuple est comme la proie du feu.
Nul n’a pitié de son frère,

m « brûlée » grec ; hébr. inintelligible.

19 on a coupé à droite et on a eu faim, on a mangé à gauche et on n’a pas été rassasié.
Chacun dévore la chair de son bras,
20 Manassé dévore Éphraïm, et Éphraïm Manassé,
ensemble ils s’attaquent à Juda.
Avec tout cela sa colère ne s’est pas détournée,
sa main reste levée.

10 Malheur à ceux qui décrètent des décrets d’iniquité,
qui écrivent des rescrits d’oppression
2 pour priver les faibles de justice
et frustrer de leur droit les humbles de mon peuple,
pour faire des veuves leur butin
et dépouiller les orphelins.
3 Que ferez-vous au jour du châtiment,
quand le malheur viendra de loin ?
Vers qui fuirez-vous pour demander secours
et où laisserez-vous vos richesses,
4 pour ne pas ramper parmi les prisonniers,
tomber parmi les tués ?
Avec tout cela sa colère ne s’est pas détournée,
sa main reste levée.

Contre le roi d’Assyrie.n

5 Malheur à Assur, férule de ma colère ;
c’est un bâton dans leurs mains que
ma fureur.

n Il s’agit vraisemblablement de Sennachérib et de l’invasion de 701. Comparer les vv. 8-11 avec 36.18-20. Sans le savoir, le roi d’Assyrie est un instrument qui exécute les jugements de Dieu contre le peuple rebelle, cf. 13.5 ; 5.26 ; 7.18 ; 8.7. De même, pour Jérémie, Nabuchodonosor sera un fléau entre les mains de Yahvé, Jr 51.20 ; 50.23 ; il sera même son serviteur, Jr 25.9 ; 27.6 ; 43.10. Mais cette mission dont l’envahisseur n’est pas conscient ne supprime pas sa responsabilité. Son orgueil et sa cruauté seront châtiés au jour choisi par Dieu, v. 12.

6 Contre une nation impie je l’envoyais,
contre le peuple objet de mon emportement je le mandais,
pour se livrer au pillage et rafler le butin,
pour les piétiner comme la boue des rues.
7 Mais lui ne jugeait pas ainsi, et son cœur n’avait pas cette pensée,
car il rêvait d’exterminer, d’extirper des nations sans nombre.
8 Car il disait :
« N’est-ce pas que tous mes chefs sont des rois ?
9 N’est-ce pas que Kalno vaut bien Karkémish,
que Hamat vaut bien Arpad, et Samarie Damas ?o

o Isaïe cite les villes puissantes qui ont été ravagées par les Assyriens lors des campagnes précédentes Kalno, en Syrie du nord, prise en 738 par Téglat-Phalasar ; Karkémish, sur l’Euphrate, prise par Sargon en 717 ; Hamat, sur l’Oronte, prise par Sargon en 720 ; Arpad, près d’Alep, déjà assiégée et prise par Téglat-Phalasar avant la guerre syro-éphraïmite ; Samarie, tombée en 721 et Damas, en 732.

10 Comme ma main a atteint les royaumes des faux dieux,p
où il y a plus d’idoles qu’à Jérusalem et à Samarie,

p Isaïe fait parler ce roi assyrien comme un bon yahviste pour lequel les dieux étrangers étaient des « rien-du-tout », elilim, désignation fréquente des idoles chez Isaïe.

11 comme j’ai agi envers Samarie et ses faux dieux,
ne puis-je pas agir aussi envers Jérusalem et ses statues ? »

12 Mais lorsque le Seigneur achèvera toute son œuvre sur la montagne de Sion et à Jérusalem, il châtieraq le fruit du cœur orgueilleux du roi d’Assur et la morgue de ses regards arrogants.

q « il châtiera » grec ; « je châtierai » hébr. — Tout ce v. en prose doit être une addition.

13 Car il a dit :
« C’est par ma main puissante que j’ai fait cela,
par ma sagesse, car j’ai agi avec intelligence.
Je supprimais les frontières des peuples ;
j’ai saccagé leurs trésors ;
comme un puissant je soumettais les habitants.
14 Ma main a cueilli, comme au nid, les richesses des peuples,
et comme on ramasse des œufs abandonnés, j’ai ramassé toute la terre ;
pas un n’a battu des ailes, ni ouvert le bec pour pépier. »
15 Fanfaronne-t-elle, la hache, contre celui qui la brandit ?
Se glorifie-t-elle, la scie, aux dépens de celui qui la manie ?
Comme si le bâton faisait mouvoir ceux qui le lèvent,
comme si le gourdin levait ce qui n’est pas de bois !
16 C’est pourquoi le Seigneur Yahvé Sabaot enverra contre ses hommes gras la maigreur,
et sous sa gloire un brasier s’embrasera, comme s’embrase le feu.
17 La lumière d’Israël deviendra un feu et son Saint une flamme,
elle brûlera et consumera ses épines et ses ronces en un jour.
18 La luxuriance de sa forêt et de son verger, il l’anéantira corps et âme,
et ce sera comme un malade qui s’éteint.
19 Le reste des arbres de sa forêt sera un petit nombre, un enfant l’écrirait.r

r Certains pensent que les vv. 16-19 ne visent plus le roi d’Assur mais Juda.

Le petit reste.s

20 Ce jour-là, le reste d’Israël et les survivants de la maison de Jacob
cesseront de s’appuyer sur qui les frappe ;
ils s’appuieront en vérité sur Yahvé, le Saint d’Israël.

s Ce bref oracle paraît être un commentaire du nom donné par Isaïe à son fils aîné Shéar-Yashub, « un reste reviendra », cf. 7.3. La théologie du « reste », chère à Isaïe, cf. 4.3, est ici résumée avec ses deux aspects annonce d’un châtiment exemplaire qui ne laissera subsister qu’un petit reste, vv. 22-23, et promesse, pour ce reste, d’une conversion (yashûb, « il reviendra ») accompagnée d’un pardon et de nouvelles bénédictions, vv. 20-21.

21 Un reste reviendra, le reste de Jacob, vers le Dieu fort.
22 Mais ton peuple serait-il comme le sable de la mer, ô Israël,
ce n’est qu’un reste qui en reviendra :
destruction décidée, débordement de justice !
23 Car c’est une destruction bien décidée
que le Seigneur Yahvé Sabaot exécute au milieu de tout le pays.

Confiance en Dieu.t

24 C’est pourquoi, ainsi parle le Seigneur Yahvé Sabaot :
Ô mon peuple qui habites en Sion, n’aie pas peur d’Assur !
Il te frappe du bâton, il lève le gourdin contre toi (sur le chemin d’Égypte) ;u

t Cet oracle semble avoir été prononcé au temps qui précéda l’attaque de Sennachérib en 701.

u Glose tirée du v. 26.

25 mais encore quelques instants et la fureur prendra fin,
et ma colère causera leur perte.
26 Yahvé Sabaot va brandir contre lui un fouet,
comme il frappa Madiân au Rocher d’Oreb ;
il va brandir son bâton contre la mer,
comme il l’a levé sur le chemin d’Égypte.v

v Tout le v. est une addition qui interrompt le développement, et cf. 4.5.

27 Ce jour-là,
son fardeau glissera de ton épaule et son joug de ta nuque,
et le joug sera détruitw (...)

w Les derniers mots du v. sont incompréhensibles (litt. « devant la graisse »). On a proposé de rattacher « sera détruit » à la phrase précédente et de lire ensuite en corrigeant « il est monté en face de Samarie », qui serait le début du développement suivant.

L’invasion.x

28 Il est arrivé sur Ayyat, il a passé à Migrôn,
à Mikmas il a laissé ses bagages.

x Les vv. 28-32 décrivent la marche de l’envahisseur. S’il s’agit de l’attaque de Sennachérib, cf. 10.5, cette route n’est pas celle que son armée a suivie, cf. 2 R 18.17, mais la description idéale d’une invasion venant du Nord, cf. 14.31. Les villes ne sont pas toutes localisées ; la dernière, Nob, est sur le mont Scopus d’où l’on domine Jérusalem.

29 Ils ont passé par le défilé, Géba est pour nous une étape,
Rama a frémi, Gibéa de Saül a fui.
30 Fais retentir ta voix, Bat-Gallim, sois attentive, Laïsha !
Réponds-lui, Anatot !y

y « réponds-lui » `anîha syr. ; « malheureuse » `anîyyah hébr.

31 Madména s’est enfuie ;
les habitants de Gébîm se sont mis à l’abri.
32 Aujourd’hui même, à Nob, lors d’une halte,
il agitera la main vers la montagne de la fille de Sion,
la colline de Jérusalem.
33 Voici que le Seigneur Yahvé Sabaot émonde la frondaison avec violence,
les plus hautes cimes sont coupées, les plus fières sont abaissées.
34 Ils seront coupés par le fer, les halliers de la forêt,
et sous les coups d’un Puissant, le Liban tombera.

Le descendant de David.z

11 Un rejeton sortira de la souche de Jessé,a
un surgeon poussera de ses racines.

z Poème messianique, qui précise certains traits essentiels du Messie à venir il est de souche davidique, v. 1, il sera rempli de l’esprit prophétique, v. 2, il fera régner entre les hommes la justice, reflet terrestre de la sainteté de Yahvé, vv. 3s, cf. 1.26 et 5.16, il rétablira la paix paradisiaque, vv. 6-8, fruit de la connaissance de Yahvé, v. 9.

a Père de David, 1 S 16.1s, cf. Rt 4.22, et ancêtre de tous les rois de Juda et du Messie, cf. Mt 1.6-16.

2 Sur lui reposera l’Esprit de Yahvé,b
esprit de sagesse et d’intelligence,
esprit de conseil et de force,
esprit de connaissance et de crainte de Yahvé :

b L’« esprit de Yahvé », ou le « saint esprit de Yahvé », 42.1 ; 61.1s ; 63.10-13 ; Ps 51.13 ; Sg 1.5 ; 9.17, son « souffle » (« souffle » et « esprit » traduisent le même mot ruah), agit à travers toute l’histoire biblique. Dès avant la création il repose sur le chaos, Gn 1.2, il donne la vie à tous les êtres, Ps 104.29-30 ; 33.6 ; Gn 2.7, cf. Ez 37.5-6, 9-10. C’est lui qui suscite les Juges, Jg 3.10 ; 6.34 ; 11.29, et Saül, 1 S 11.6. C’est lui qui donne l’habileté aux artisans, Ex 31.3 ; 35.31, le discernement aux Juges, Nb 11.17, la sagesse à Joseph, Gn 41.38. Enfin et surtout il inspire les prophètes, Nb 11.17 (Moïse), 25-26 ; Nb 24.2 ; 1 S 10.6, 10 ; 19.20 ; 2 S 23.2 (David) ; 2 R 2.9 (Élie) ; Mi 3 8 ; 48.16 ; 61.1 ; Za 7.12 ; 2 Ch 15.1 ; 20.14 ; 24.20, tandis que les faux prophètes suivent leur propre esprit, Ez 13.3, cf. encore Dn 4.5, 15 ; 5.11-12, 14. Le présent texte enseigne que cet esprit des prophètes sera donné au Messie ; Jl 3.1-2 annoncera pour les temps messianiques son effusion universelle, cf. Ac 2.16-18. Comme la doctrine de la Sagesse, cf. Pr 8.22 ; Sg 7.22, la doctrine de l’Esprit trouvera son expression définitive dans le Nouveau Testament, cf. Jn 1.33 ; 14.16 et 26 ; Ac 1.8 ; 2 : ; Rm 5.5.

3 son inspiration est dans la crainte de Yahvé.c
Il jugera mais non sur l’apparence.
Il se prononcera mais non sur le ouï-dire.

c L’esprit prophétique confère au Messie les vertus éminentes de ses grands ancêtres sagesse et intelligence de Salomon, prudence et bravoure de David, connaissance et crainte de Yahvé des Patriarches et des Prophètes, Moïse, Jacob et Abraham. Cf. 9.5. L’énumération de ces dons par les LXX et la Vulg. (qui ajoutent la « piété » par dédoublement de la « crainte de Yahvé ») est devenue notre liste des « sept dons du Saint-Esprit ».

4 Il jugera les faibles avec justice,
il rendra une sentence équitable pour les humbles du pays.
Il frappera le pays de la férule de sa bouche,
et du souffle de ses lèvres fera mourir le méchant.
5 La justice sera la ceinture de ses reins,
et la fidélité la ceinture de ses hanches.
6 Le loup habitera avec l’agneau,d
la panthère se couchera avec le chevreau.
Le veau, le lionceau et la bête grasse iront ensemble,
conduits par un petit garçon.

d La révolte de l’homme contre Dieu, Gn 3, avait brisé l’harmonie entre l’homme et la nature, Gn 3.17-19, entre l’homme et l’homme, Gn 4. Les prophètes annoncent guerres et invasions comme le châtiment des infidélités d’Israël. À l’inverse, en apportant le pardon des péchés, la réconciliation avec Dieu, et le règne de la justice, l’ère messianique établit la paix qui en est la conséquence fertilité du sol, Am 9.13-14 ; Os 2.20, 23-24 ; désarmement général, 2.4 ; 9.4 ; Mi 4.3-4 ; 5.9-10 ; Za 9.10 ; paix perpétuelle, 9.6 ; 32.17 ; 60.17-18 ; So 3.13 ; Za 3.10 ; Jl 4.17. La Nouvelle Alliance est une alliance de paix, Ez 34.25 ; 37.26. Le royaume messianique est un royaume de paix, Za 9.8-10 ; Ps 72.3-7. Cette paix s’étend au règne animal, jusqu’au serpent, responsable de la première faute l’ère messianique est ici décrite symboliquement comme un retour à la paix paradisiaque.

7 La vache et l’ourse paîtront,
ensemble se coucheront leurs petits.
Le lion comme le bœuf mangera de la paille.
8 Le nourrisson jouera sur le repaire de l’aspic,
sur le trou de la vipère le jeune enfant mettra la main.
9 On ne fera plus de mal ni de violence sur toute ma montagne sainte,
car le pays sera rempli de la connaissance de Yahvé,
comme les eaux couvrent le fond de la mer.

Le retour des dispersés.e

10 Ce jour-là, la racine de Jessé, qui se dresse comme un signal pour les peuples,
sera recherchée par les nations, et sa demeure sera glorieuse.

e Ce poème, qui date de la fin de l’exil babylonien, a été rattaché à cet endroit du livre d’Isaïe à cause de la mention de la racine de Jessé, v. 10, cf. v. 1.

11 Ce jour-là, le Seigneur étendra la main une seconde fois,
pour racheter le reste de son peuple,
ce qui restera à Assur et en Égypte, à Patros, à Kush et en Élam,
à Shinéar, à Hamat et dans les îles de la mer.f

f Énumération des pays où furent dispersés les Juifs vers le temps de l’Exil Patros en Haute-Égypte, Kush c’est-à-dire l’Éthiopie, Élam la Perse, Shinéar le pays de Babylone, Hamat en Syrie ; les îles désignent la Grèce et, en général, les rivages lointains.

12 Il dressera un signal pour les nations
et rassemblera les bannis d’Israël.
Il regroupera les dispersés de Juda
des quatre coins de la terre.
13 Alors cessera la jalousie d’Éphraïm,
et les ennemis de Juda seront retranchés.
Éphraïm ne jalousera plus Juda
et Juda ne sera plus hostile à Éphraïm.g

g Dans la perspective messianique, les prophètes annoncent fréquemment la fin du schisme et la réconciliation d’Israël et de Juda Os 2.2 ; Mi 2.12 ; Jr 3.18 ; 23.5-6 ; 31.1 ; Ez 37.15-27 ; Za 9.10.

14 Ils fondront sur le dos des Philistins à l’Occident,
ensemble ils pilleront les fils de l’Orient.
Édom et Moab seront soumis à leur main
et les fils d’Ammon leur obéiront.
15 Yahvé assécherah la baie de la mer d’Égypte,
il agitera la main contre le Fleuve,
dans la violence de son souffle.
Il le frappera pour en faire sept bras,
on y marchera en sandales.

h « asséchera » versions ; « vouera à l’anathème » hébr. — « le Fleuve » est l’Euphrate, cf. v. 16.

16 Et il y aura un chemin pour le reste de son peuple, ce qui restera d’Assur,
comme il y en eut pour Israël, quand il monta du pays d’Égypte.i

i Les miracles annoncés sont la répétition de ceux de Moïse et de Josué, passages de la mer et du Jourdain. Le retour des exilés est décrit comme un nouvel Exode, cf. 40.3.

Psaume.j

12 Et tu diras, en ce jour-là :
Je te loue, Yahvé, car tu as été en colère contre moi.
Puisse ta colère se détourner, puisses-tu me consoler.

j Ce psaume, de date et d’origine incertaines, a été inséré ici pour conclure le livre de l’Emmanuel. C’est un hymne de reconnaissance d’un affligé que Dieu a secouru et délivré. La deuxième partie, au ton plus lyrique, chante la gloire de Yahvé.

2 Voici le Dieu de mon salut :
j’aurai confiance et je ne tremblerai plus,
car ma force et mon chant c’est Yahvé,k
il a été mon salut.

k « ma force et mon chant c’est Yahvé » grec, 1QIsa, cf. Ex 15.2 ; « et le chant et Yah (c’est) Yahvé » TM.

3 Dans l’allégresse vous puiserez de l’eau aux sources du salut.
4 Et vous direz, en ce jour-là :
Louez Yahvé, invoquez son nom,
annoncez aux peuples ses hauts faits,
rappelez que son nom est sublime.
5 Chantez Yahvé car il a fait de grandes choses,
qu’on le proclame sur toute la terre.
6 Pousse des cris de joie, des clameurs, habitante de Sion,
car il est grand, au milieu de toi, le Saint d’Israël.

3. ORACLES SUR LES PEUPLES ÉTRANGERSl

Contre Babylone.m

13 Oracle sur Babylone, vu par Isaïe, fils d’Amoç.

l Les chap. 13 à 23 sont des oracles contre les nations étrangères, groupés comme dans les livres de Jérémie, 46-51, et d’Ézéchiel, 25-32. La collection a accueilli des morceaux postérieurs à Isaïe, en particulier les oracles contre Babylone, dans 13-14.

m Ce poème date de la fin de l’Exil Babylone, encore dans sa splendeur, v. 19, tombera sous les coups des Mèdes, v. 17, cf. v. 5. C’est une qîna ou « lamentation », cf. 1.21.

2 Sur un mont chauve, levez un signal,
forcez la voix pour eux,
agitez la main pour qu’ils viennent
aux portes des Nobles.
3 Moi, j’ai donné des ordres à mes saints guerriers,n
j’ai même appelé mes héros pour servir ma colère,
mes fiers triomphateurs.

n Littéralement « mes sanctifiés »; comparer Jr 51.27, 28 (contre Babylone) ; Jr 6.4 ; 22.7 ; Jl 4.9 (contre Jérusalem). Cette consécration des guerriers est un aspect de la guerre sainte, Jos 3.5. Mais ces nouvelles guerres de Yahvé ne sont plus conduites en faveur d’Israël, elles peuvent même être dirigées contre lui.

4 Bruit de foule sur les montagnes,
comme un peuple immense,
bruit d’un vacarme de royaumes,
de nations rassemblées :
c’est Yahvé Sabaot qui passe en revue
l’armée pour le combat.
5 Ils viennent d’un pays lointain,
des extrémités du ciel,
Yahvé et les instruments de sa colère,
pour ravager tout le pays.
6 Hurlez car il est proche, le jour de Yahvé,
il arrive comme une dévastation de Shaddaï.
7 C’est pourquoi toutes les mains sont débiles,
tous les hommes perdent cœur ;
8 ils sont bouleversés,
pris de convulsions et de douleurs ;
ils se tordent comme la femme qui accouche,
ils se regardent avec stupeur,
le visage en feu.
9 Voici que vient le jour de Yahvé, implacable,
l’emportement et l’ardente colère,
pour réduire le pays en ruines,
et en exterminer les pécheurs.
10 Car au ciel, les étoiles et Orion
ne diffuseront plus leur lumière.
Le soleil s’est obscurci dès son lever,
la lune ne fait plus rayonner sa lumière.
11 Je vais châtier l’univers de sa méchanceté
et les méchants de leur faute ;
mettre fin à l’arrogance des superbes,
humilier l’orgueil des tyrans.
12 Je rendrai les hommes plus rares que l’or fin,
les mortels plus rares que l’or d’Ophir.
13 C’est pourquoi je ferai frémir les cieux,
et la terre tremblera sur ses bases,
sous l’emportement de Yahvé Sabaot,
le jour où s’allumera sa colère.
14 Alors comme une gazelle pourchassée,
comme des moutons que personne ne rassemble,
chacun s’en retournera vers son peuple,
chacun s’enfuira dans son pays.
15 Tous ceux qu’on trouvera seront transpercés,
tous ceux qu’on prendra tomberont par l’épée.
16 Leurs jeunes enfants seront écrasés sous leurs yeux,
leurs maisons saccagées, leurs femmes violées.
17 Voici que je suscite contre eux les Mèdeso
qui ne font point cas de l’argent,
et qui n’apprécient pas l’or.

o Tribus guerrières indo-européennes, qui furent d’abord alliées avec Babylone contre l’Assyrie. Mais plus tard, unies aux Perses sous Cyrus, elles provoqueront la ruine de Babylone en 539.

18 Les arcs anéantiront leurs jeunes gens,
on n’aura pas pitié du fruit de leur sein,
leur œil sera sans compassion pour les enfants.
19 Et Babylone, la perle des royaumes,
le superbe joyau des Chaldéens,
sera comme Sodome et Gomorrhe,
dévastées par Dieu.
20 Elle ne sera plus jamais habitée
ni peuplée, de génération en génération.
L’Arabe n’y campera plus,
et les bergers n’y parqueront plus les troupeaux.
21 Ce sera le repaire des bêtes du désert,
les hiboux empliront leurs maisons,
les autruches y habiteront,
les boucs y danseront.
22 Les hyènes hurleront dans ses tours,p
les chacals dans ses palais d’agrément,
car son temps est proche
et ses jours ne tarderont pas.

p « tours » syr., Vulg., Targ. ; « veuves » hébr.

Fin de l’Exil.q

14 Oui, Yahvé aura pitié de Jacob, il choisira de nouveau Israël. Il les réinstallera sur leur sol. L’étranger se joindra à eux pour s’associer à la maison de Jacob.

q Cette annonce du retour des exilés et de la conversion des nations n’est pas à sa place dans cette collection d’oracles contre les peuples étrangers. Elle est à rapprocher d’49.22 ; 66.20 ; cf. 46.14.

2 Des peuples les prendront et les ramèneront chez eux. La maison d’Israël les assujettira sur le sol de Yahvé, pour en faire des esclaves et des servantes. Ils asserviront ceux qui les avaient asservis, ils maîtriseront leurs oppresseurs.

La mort du roi de Babylone.r

3 Et il arrivera qu’au jour où Yahvé te soulagera de ta souffrance, de tes tourments et de la dure servitude à laquelle tu étais asservi,

r Ce mashal, satire contre un tyran abattu, vise un roi de Babylone, sans doute Nabuchodonosor ou Nabonide, et se place donc dans le contexte des oracles de l’Exil. Mais on s’est demandé s’il ne s’agirait pas en fait d’un morceau plus ancien, dirigé contre un roi d’Assyrie, Sargon ou Sennachérib, et retouché plus tard pour l’adapter à l’époque de l’Exil.

4 tu entonneras cette satire sur le roi de Babylone, et tu diras :

Comment a fini le tyran, a fini son arrogance ?s

s « arrogance » versions, 1QIsa ; TM corrompu.

5 Yahvé a brisé le bâton des méchants,
le sceptre des souverains,
6 lui qui rouait de coups les peuples,
avec emportement et sans relâche,
qui maîtrisait avec colère les nations,
les pourchassant sans répit.
7 Toute la terre repose dans le calme,
on pousse des cris de joie.
8 Les cyprès même se réjouissent à ton sujet,
et les cèdres du Liban :
« Depuis que tu t’es couché,
on ne monte plus pour nous abattre ! »t

t Les rois d’Assyrie et de Babylonie exploitaient les forêts du Liban pour leurs constructions.

9 En bas, le shéol a tressailli à ton sujet
pour venir à ta rencontre,
il a réveillé pour toi les ombres,
tous les potentats de la terre,
il a fait lever de leur trône
tous les rois des nations.
10 Tous prennent la parole pour te dire :
« Toi aussi, tu es déchu comme nous,
devenu semblable à nous.
11 Ton faste a été précipité au shéol,
avec la musique de tes cithares.
Sous toi s’est formé un matelas de vermine,
les larves te recouvrent.
12 Comment es-tu tombé du ciel,
étoile du matin, fils de l’aurore ?u
As-tu été jeté à terre,
vainqueur des nations ?

u Les vv. 12-15 semblent s’inspirer d’un modèle phénicien. En tout cas ils présentent plusieurs points de contacts avec les poèmes de Râs-Shamra l’Étoile du matin et l’Aurore sont deux figures divines ; la montagne de l’Assemblée est celle où les dieux se réunissaient, comme sur l’Olympe des Grecs. Les Pères ont interprété la chute de l’Étoile du matin (Vulg. « Lucifer ») comme celle du prince des démons.

13 Toi qui avais dit dans ton cœur :
« J’escaladerai les cieux,
au-dessus des étoiles de Dieu j’élèverai mon trône,
je siégerai sur la montagne de l’Assemblée,
aux confins du septentrion.
14 Je monterai au sommet des nuages,
je m’égalerai au Très-Haut. »
15 Mais tu as été précipité au shéol,
dans les profondeurs de l’abîme. »

16 Ceux qui t’aperçoivent te considèrent,
ils fixent leur regard sur toi.
« Est-ce bien l’homme qui faisait trembler la terre,
qui ébranlait les royaumes ?
17 Il a réduit le monde en désert,
rasé les villes,
il ne renvoyait pas chez eux les prisonniers.
18 Tous les rois des nations, tous, reposent avec honneur,
chacun chez soi.
19 Toi, on t’a jeté hors de ton sépulcre,
comme un rameauv dégoûtant,
au milieu de gens massacrés, transpercés par l’épée,
jetés sur les pierres de la fosse,
comme une charogne foulée aux pieds.

v « rameau », en hébr. neçer, allusion au nom de Nabuchodonosor, en hébr. Nebukadneççar. — La privation de sépulture était la suprême malédiction, cf. 1 R 13.21-22 ; Jr 22.19.

20 Tu ne leur seras pas uni dans la tombe,
car tu as ruiné ton pays, fait périr ton peuple.
Plus jamais on ne prononcera le nom
de la race des méchants.
21 Préparez le massacre de ses fils
pour la faute de leur père.
Qu’ils ne se lèvent plus pour conquérir la terre
et couvrir de villes la face du monde. »

22 Je me lèverai contre eux, oracle de Yahvé Sabaot, et je retrancherai de Babylone le nom et le reste, descendance et postérité, oracle de Yahvé.
23 J’en ferai un repaire de hérissons, un marécage. Je la balaierai avec le balai
de la destruction. Oracle de Yahvé Sabaot.w

w Ces deux vv. en prose paraissent avoir été ajoutés au poème pour en souligner la conclusion.

Contre Assur.x

24 Yahvé Sabaot l’a juré :
Oui ! Comme j’ai projeté, cela se fera,
comme j’ai décidé, cela se réalisera :

x Oracle d’Isaïe, prononcé probablement lors de l’invasion de Sennachérib en 701, cf. 10.24-27 ; 30.27-33 ; 31.4-9 ; 37.22-29.

25 Je briserai Assur dans mon pays,
je le piétinerai sur mes montagnes.
Et son joug glissera de sur eux,
son fardeau glissera de son épaule.
26 Telle est la décision prise contre toute la terre,
telle est la main étendue sur toutes les nations.
27 Quand Yahvé Sabaot a décidé, qui l’arrêtera,
et sa main levée, qui la fera revenir ?

Contre les Philistins.

28 L’année de la mort du roi Achaz,y cet oracle fut prononcé :

y Cet oracle peut dater des années qui précèdent l’invasion de Sennachérib. Ce « bâton qui frappait » la Philistie serait Sargon II qui y intervint plusieurs fois, en dernier lieu en 711, cf. 20.1s. Sargon est mort en 705, mais son successeur, Sennachérib, « vipère » ou « dragon volant », sera un adversaire encore plus redoutable. Si cette interprétation est exacte, la référence à la mort d’Achaz, donnée par le titre, doit être une addition on aurait reconnu dans la « vipère » et le « dragon volant » Ézéchias, fils d’Achaz, qui d’après 2 R 18.18 dévasta la Philistie.

29 Ne te réjouis pas, Philistie tout entière,
de ce qu’est brisé le bâton qui te frappait.
Car de la souche du serpent sortira une vipère,
et son fruit sera un dragon volant.
30 Car les premiers-nés des pauvres auront leur pâture,
et les malheureux reposeront en sécurité,
tandis que je ferai mourir de faim ta souche,
et que je tueraiz ce qui reste de toi.

z « je tuerai » Vulg., 1QIsa ; « il tuera » TM.

31 Hurle, porte ! Crie, ville !
Chancelle, Philistie tout entière !
Car du norda vient une fumée,
et personne ne déserte ses bataillons.

a C’est du Nord que venaient les invasions assyriennes et babyloniennes, cf. Jr 1.3 ; 4.6 ; 6.1, 22 ; Ez 26.7.

32 Que répondra-t-on aux messagers de cette nation ?b
Que Yahvé a fondé Sion,
et que là se réfugieront les pauvres de son peuple.

b Peut-être des messagers envoyés par les Philistins pour attirer Juda dans une coalition contre l’Assyrie ; mais le texte n’est pas sûr. Quoi qu’il en soit, la réponse affirme l’inviolabilité de Sion, protégée par Yahvé.

Sur Moab.c

15 Oracle sur Moab.
Parce qu’une nuit elle a été dévastée,d
Ar-Moab s’est tue ;
parce qu’une nuit elle a été dévastée,
Qir-Moab s’est tue.

c L’origine isaïenne du long poème sur Moab des chap. 15-16 est débattue. Certains pensent à des oracles antérieurs à Isaïe, qui auraient été repris par lui et appliqués à son époque, cf. la conclusion en prose des vv. 13-14. D’autres datent ces poèmes, ou une partie d’entre eux, d’une époque postérieure à Isaïe. On y trouve de nombreux parallèles avec l’oracle sur Moab de Jr 48.

d La dévastation a atteint tout le pays de Moab dont les principales villes sont mentionnées aux vv. 1-4, en allant en gros du Sud au Nord, depuis Qir (Kérak) jusqu’à Heshbôn et Éléalé, au nord du Nébo et de Médba (Madaba). Les vv. 5-9 décrivent la fuite des habitants vers le Sud Çoar (cf. Gn 19.22) et le Torrent des Saules, frontières méridionales de Moab.

2 Elle est montée, la fille de Dibôn,e
sur les hauts lieux pour pleurer.
Sur le Nébo et à Médba, Moab se lamente,
toutes les têtes sont rasées,
toute barbe coupée.

e « Elle est montée, la fille de Dibôn » conj. d’après Targ. et Syr. ; « Il monte au temple et à Dibôn » hébr.

3 Dans ses rues on ceint le sac ;
sur ses toits et sur ses places,
tout le monde se lamente
et fond en larmes.
4 Heshbôn et Éléalé ont crié,
jusqu’à Yahaç leur voix s’est fait entendre.
C’est pourquoi les guerriers de Moab frémissent,
son âme frémit sur son propre sort.
5 Mon cœur crie en faveur de Moab :
car ses fuyards sont déjà à Çoar, vers Églat-Shelishiyya.f
La montée de Luhit, on la monte en pleurant,
sur le chemin de Horonayim, on pousse des cris déchirants.

f « Mon cœur » hébr. et cf. 16.11 ; mais grec et Targ. ont lu « son cœur ». — « ses fuyards » 1QIsa ; « ses verrous » hébr.

6 Les eaux de Nimrim sont un lieu désolé :
l’herbe est desséchée, le gazon a péri,
plus de verdure.
7 C’est pourquoi, ce qu’ils ont pu sauver et leurs réserves,
ils les portent au-delà du torrent des Saules.
8 Car ce cri a fait le tour du territoire de Moab,
jusqu’à Églayim on entend son hurlement,
jusqu’à Beer-Élim on entend son hurlement.
9 Car les eaux de Dimông sont pleines de sang,
et j’ajouterai sur Dimôn un surcroît de malheur :
un lion pour les survivants de Moab,
pour ceux qui restent sur son sol.

g « Dimôn » est peut-être une variante dialectale de « Dibôn », cf. v. 2, choisie parce qu’elle évoque l’idée de sang, hébr. dam.

La requête des Moabites.

16 Envoyez l’agneau du maître du pays,
de Séla, située vers le désert,
à la montagne de la fille de Sion.h

h Texte difficile et diversement interprété. Il semble que les Moabites, menacés par l’invasion, cherchent à se mettre sous la protection du roi de Juda ou à trouver chez lui un refuge. L’agneau envoyé serait un signe de soumission, cf. 2 R 3.4. En traduisant « Envoie, Seigneur, l’agneau souverain de la terre », S. Jérôme propose pour ce passage une interprétation messianique. — Séla (la Roche) a été parfois identifiée à l’actuelle Pétra, située au pays d’Édom, mais il devait y avoir d’autres « Roches » en Moab ou au désert environnant.

2 Elles seront semblables à l’oiseau qui s’enfuit,
à une nichée dispersée,
les filles de Moab, aux gués de l’Arnon.
3 « Tenez un conseil ;i prenez une décision.
En plein midi, étends ton ombre comme celle de la nuit,
cache les dispersés, ne trahis pas le fugitif ;

i Les vv. 3-4 rapportent la supplique des réfugiés de Moab qui demandent aux Judéens de les accueillir. Pour appuyer leur requête, ils expriment dans les vv. qui suivent, 4-5, leur confiance dans l’avenir d’Israël, notamment dans la stabilité du trône de David, fondée sur les promesses dont Isaïe s’est fait souvent le héraut.

4 qu’ils demeurent chez toi, les dispersés de Moab,
sois pour eux un asile contre le dévastateur.
Quand l’oppression aura cessé,j
que la dévastation aura pris fin,
que seront partis ceux qui foulent le pays,

j On est tenté de comprendre « jusqu’à ce que l’oppression... » et de lier cette proposition à la précédente, mais aucun des témoins du texte ne favorise cette interprétation.

5 le trône sera affermi dans la piété,
et sur ce trône, dans la fidélité, sous la tente de David,
siégera un juge, soucieux du droit et zélé pour la justice. »

6 Nous avons entendu parler de l’orgueil de Moab, le très orgueilleux,
de son arrogance, de son orgueil et de sa rage,
de ses bavardages ineptes.k

k Ce v. semble rapporter la réponse des Judéens aux Moabites.

Lamentation de Moab.

7 C’est pourquoi Moab se lamente sur Moab,
tout entier il se lamente.
Au sujet des gâteaux de raisin de Qir-Harésèt,l
vous gémissez, tout consternés.

l Qir-Harésèt, comme Qir-Hérès, v. 11, est à identifier avec Qir-Moab (Kérak), 15.1, cf. 2 R 3.25. — Les noms géographiques qui suivent, de Heshbôn à Éléalé, sont groupés dans la région nord de Moab, propice à la vigne.

8 Car les vignobles de Heshbôn dépérissent,
la vigne de Sibma,
dont les raisins vermeils terrassaient les maîtres des nations.
Elle atteignait jusqu’à Yazèr
et s’infiltrait au désert,
ses rejetons se multipliaient,
ils franchissaient la mer.
9 Aussi je pleure, comme pleure Yazèr,
la vigne de Sibma ;
je t’arrose de mes larmes,
Heshbôn et toi, Éléalé,
parce que sur ta récolte et sur ta moisson
le cri s’est éteint.m

m Littéralement « le cri est tombé ». Il s’agit du cri de joie des vendangeurs. D’autres comprennent « le cri (de guerre) s’est abattu », mais le parallélisme avec les vv. suivants est favorable à la première interprétation.

10 La joie et l’allégresse ont disparu des vergers,
dans les vignes, plus de liesse ni de cri joyeux ;
le fouleur ne foule plus le vin dans les pressoirs,
le cri a cessé.
11 C’est pourquoi mes entrailles, pour Moab,
frémissent comme une cithare,
et mon cœur pour Qir-Hérès.
12 On verra Moab se fatiguer sur le haut lieu
et entrer dans son sanctuaire pour supplier,
mais il ne pourra rien.

13 Telle est la parole qu’a adressée Yahvé à Moab jadis. 14 Et maintenant Yahvé a parlé en ces termes : dans trois ans, comme des années de mercenaire, la gloire de Moab sera humiliée, malgré sa grande multitude. Elle sera réduite à rien, un reste insignifiant.n

n Cette addition en prose peut être la confirmation d’un oracle ancien dont on annonce le très proche accomplissement, cf. 15.1. Les « années de mercenaire » sont comptées strictement.

Contre Damas et Israël.

17 Oracle sur Damas.o
Voici Damas qui cesse d’être une ville,
elle va devenir un tas de décombres ;

o Malgré ce titre, Damas est visée seulement dans la première strophe, et encore en parallèle avec Israël qui sera le sujet des strophes suivantes. L’oracle peut dater des environs de 735, où Damas et Israël étaient alliées contre Juda, cf. 7.1. Damas sera prise par Téglat-Phalasar en 732, et Samarie par Sargon en 721.

2 abandonnées pour toujours,
ses villesp appartiendront aux troupeaux,
ils s’y coucheront sans qu’on les effraie.

p On suit le grec. Au lieu d’« abandonnées pour toujours, ses villes... », hébr. a « abandonnées (seront) les villes d’Aroër »; mais on ne connaît que deux Aroër l’un en Moab, sur l’Arnon, l’autre dans le territoire de Gad, donc fort loin de Damas.

3 Plus de place-forte en Éphraïm,
plus de royauté à Damas,
et le reste d’Aram sera traité
comme la gloire des enfants d’Israël.
Oracle de Yahvé Sabaot.
4 Il arrivera, ce jour-là, que la gloire de Jacob faiblira,
et que son embonpoint deviendra maigreur ;
5 ce sera comme lorsque le moissonneurq récolte le blé,
que son bras moissonne les épis ;
ce sera comme lorsqu’on glane les épis au val des Rephaïm ;

q « le moissonneur » conj. ; « la moisson » hébr.

6 il ne restera que des grappillons,
comme au gaulage de l’olivier :
deux, trois baies en haut de la cime,
quatre, cinq aux branches de l’arbre.
Oracle de Yahvé, Dieu d’Israël.

7 Ce jour-là, l’homme regardera vers son créateur, et ses yeux se tourneront vers le Saint d’Israël. 8 Il ne regardera plus vers les autels, œuvres de ses mains, et ce qu’ont fait ses doigts, il ne le verra plus, ni les pieux sacrés ni les brûle-parfums.r

r Les vv. 7-8, qui annoncent une conversion, paraissent être une addition à cet oracle de malheur.

9 Ce jour-là, ses villes de refuge seront abandonnées,
comme le furent les bois et les maquis
devant les enfants d’Israël,s
et ce sera la désolation.

s Au lieu des bois et des maquis, le grec parle des Amorites et des Hivvites, vaincus par les Israélites lors de la conquête de Canaan. Il est possible que ce soit le texte primitif. En tout cas, l’invasion actuelle est mise en parallèle avec la glorieuse conquête du pays, sous Josué.

10 Tu as oublié le Dieu de ton salut,
tu ne t’es pas souvenu du Rocher, ton refuge,
c’est pourquoi tu plantes des plantations d’agréments,t
tu sèmes des semences étrangères ;

t Allusion aux « jardins d’Adonis », plantations éphémères que l’on faisait pousser en l’honneur du dieu de la végétation, Adonis-Tammuz, cf. Ez 8.14.

11 le jour où tu les plantes, tu les vois pousser,
et dès le matin, tes semences fleurissent ;
mais la récolte échappe au jour de la maladie,
du mal incurable.
12 Malheur ! Rumeur de peuples immenses,u
rumeur comme la rumeur des mers !
grondement de peuples, qui grondent comme grondent les eaux puissantes !

u Les vv. 12-14 doivent se rapporter à l’invasion de Sennachérib et à la délivrance de Jérusalem en 701, comparer 29.5-7 et 37.36.

13 (Des peuples qui grondent comme grondent les grandes eaux.)
Il les menace, et elles s’enfuient au loin,
chassées comme la bale des montagnes par le vent,
comme un tourbillon par l’ouragan.
14 Quand vient le soir c’est l’effroi,
au matin tout a disparu.
Tel est le partage de ceux qui nous pillent,
le sort de nos dévastateurs.

Contre Kush.v

18 Malheur ! pays du grillon ailé,
au-delà des fleuves de Kush,

v Kush, ancien nom de la Nubie (nord du Soudan), désigne peut-être ici l’Égypte passée au temps d’Isaïe sous le gouvernement d’une dynastie nubienne.

2 toi qui envoies par mer des messagers,
dans des nacelles de jonc, sur les eaux.
Allez, messagers rapides,w vers une nation élancée et bronzée,
vers un peuple redouté ici comme au loin,
une nation puissante et dominatrice,
au pays sillonné de fleuves.

w Les messagers du pharaon, que le prophète invite à rentrer chez eux et à cesser d’intriguer en faveur d’une coalition contre l’Assyrie.

3 Vous tous, habitants du monde,
vous qui peuplez la terre,
quand on lèvera un signal sur les montagnes, vous verrez,
quand on sonnera du cor, vous entendrez.
4 Car ainsi m’a parlé Yahvé :x
Je veux rester ici impassible et regarder,
comme la chaleur brûlante en pleine lumière,
comme un nuage de rosée au plus chaud de la moisson.

x Le prophète annonce qu’une invasion va ravager l’Égypte. De fait, celle-ci sera envahie, pillée et soumise sous Asarhaddon et Assurbanipal, dans la première moitié du VIIe s.

5 Car avant la moisson, quand prend fin la floraison,
quand la fleur devient grappe mûrissante,
on taille les pampres à la serpe,
on ôte les sarments, on élague.
6 Tout est abandonné aux rapaces des montagnes
et aux bêtes du pays ;
les rapaces s’y vautreront pendant l’été,
toutes les bêtes du pays pendant l’automne.

7 Alors, on apportera une offrande à Yahvé Sabaot de la part d’un peuple élancé et bronzé, de la part d’un peuple redouté ici comme au loin, d’une nation puissante et dominatrice, d’un pays sillonné de fleuves ; on l’apportera au lieu où réside le nom de Yahvé, au mont Sion.y

y Conclusion en prose annonçant la conversion de la Nubie qui, frappée par ces événements, envoie ses présents au Temple de Jérusalem.

Contre l’Égypte.

19 Oracle sur l’Égypte.z
Voici que Yahvé, monté sur un nuage léger,
vient en Égypte.
Les faux dieux d’Égypte chancellent devant lui
et le cœur de l’Égypte défaille en elle.

z Isaïe est opposé à toute alliance avec l’Égypte, cf. 30.1s ; 31.1s ; il la décrit ici comme déchirée par l’anarchie qui peut conduire à une dictature ou à une domination étrangère (v. 4). On ne peut donc rien attendre d’elle.

2 J’exciterai l’Égypte contre l’Égypte,
ils se battront, chacun contre son frère,
chacun contre son prochain,
ville contre ville, royaume contre royaume.
3 L’esprit de l’Égypte s’évanouira en elle,
et je confondrai son conseil.
On consultera les faux dieux et les enchanteurs,
les spectres et les devins.
4 Je livrerai l’Égypte
aux mains d’un maître impitoyable,
un roi cruel les dominera.
Oracle du Seigneur Yahvé Sabaot.

5 Les eaux disparaîtront de la mer,a
le fleuve tarira et se desséchera ;

a Aux vv. 5-10, le prophète annonce une nouvelle « plaie d’Égypte » l’assèchement du Nil qui fait la richesse du pays.

6 les rivières deviendront infectes,
les fleuves d’Égypte baisseront et tariront,
le roseau et le jonc noirciront.
7 Les herbes du Nil sur les bords du Nil,
toute la verdure du Nil,
sera desséchée, dispersée, anéantie.
8 Les pêcheurs gémiront, ce sera le deuil
pour tous ceux qui lancent l’hameçon dans le Nil,
ceux qui jettent le filet sur les eaux seront désolés.
9 Ils seront déçus, ceux qui travaillent le lin cardé
et ceux qui tissent des étoffes blanches ;
10 ses tisserands seront consternés,
tous les salariés seront attristés.
11 Oui, insensés sont les princes de Çoân,b
les plus sages conseillers du Pharaon forment un conseil stupide.
Comment osez-vous dire à Pharaon :
« Je suis fils des sages, fils des rois de jadis ? »

b C’est-à-dire Tanis, ville du Delta.

12 Où sont-ils donc, tes sages ?
Qu’ils t’annoncent et que l’on sache
ce qu’a décidé Yahvé Sabaot contre l’Égypte !
13 Ils déraisonnent, les princes de Çoân,
ils s’abusent, les princes de Noph,c
et l’élite de ses nomes a fait divaguer l’Égypte.

c Memphis, proche du Caire, capitale de la Basse-Égypte.

14 Yahvé a répandu au milieu d’eux
un esprit de vertige ;
ils ont fait divaguer l’Égypte dans toutes ses entreprises,
comme divague un ivrogne en vomissant.
15 On ne fait plus rien pour l’Égypte
de ce que faisaient tête et queue, palme et jonc.

Conversion de l’Égypte.d

16 Ce jour-là, l’Égypte sera comme les femmes, tremblante et terrorisée devant la menace de la main de Yahvé Sabaot, lorsqu’il la lèvera contre elle.

d Ce morceau en prose est tardif ; il suppose une installation juive en Égypte, vv. 18-19, cf. Jr 44.1. Il annonce une conversion de l’Égypte et sa réconciliation avec Assur et Israël ; les trois peuples seront bénis de Yahvé, et l’Égypte et Assur auront les mêmes privilèges qu’Israël, cf. v. 24-25. Ce large universalisme ne se retrouve pas avant le second Isaïe.

17 Le territoire de Juda deviendra la honte de l’Égypte : chaque fois qu’on le lui rappellera, elle sera terrorisée à cause du dessein que Yahvé Sabaot a formé contre elle. 18 Ce jour-là, il y aura cinq villes au pays d’Égypte qui parleront la langue de Canaan et prêteront serment à Yahvé Sabaot ; l’une d’elles sera dite « ville du soleil ». 19 Ce jour-là, il y aura un autel dédié à Yahvé au milieu du pays d’Égypte, et près de la frontière une stèle dédiée à Yahvé. 20 Ce sera un signe et un témoin de Yahvé Sabaot au pays d’Égypte. Quand ils crieront vers Yahvé par crainte des oppresseurs, il leur enverra un sauveur et un défenseur qui les délivrera. 21 Yahvé se fera connaître des Égyptiens, et les Égyptiens connaîtront Yahvé, en ce jour-là. Ils offriront sacrifices et oblations, ils feront des vœux à Yahvé et les accompliront. 22 Et si Yahvé frappe les Égyptiens, il frappera et guérira, ils se convertiront à Yahvé qui accueillera leurs demandes et les guérira. 23 Ce jour-là, il y aura un chemin allant d’Égypte à Assur. Assur viendra en Égypte et l’Égypte en Assur. L’Égypte servira avec Assur. 24 Ce jour-là, Israël viendra en troisième avec l’Égypte et Assur, bénédiction au milieu de la terre, 25 bénédiction que prononcera Yahvé Sabaot : « Béni mon peuple l’Égypte, et Assur l’œuvre de mes mains, et Israël mon héritage. »

À propos de la prise d’Ashdod.e

20 L’année où le général en chef envoyé par Sargon, roi d’Assur, vint à Ashdod pour l’attaquer et s’en emparer,

e Ashdod, ville philistine, fut prise par Sargon II en 711. La ville s’était révoltée à l’instigation de l’Égypte, et cet événement aurait donné à Isaïe l’occasion d’annoncer une victoire assyrienne sur l’Égypte. Ce passage est une tradition sur Isaïe, comme les chap. 36-39, mais on ne la retrouve pas dans le livre des Rois.

2 en ce temps-là, Yahvé parla par le ministère d’Isaïe fils d’Amoç ; il dit : « Va, dénoue le sac que tu as sur les reins, et ôte les sandales de tes pieds. » Et il fit ainsi, allant nu et déchaussé.f

f C’est la seule prophétie en action qui soit attribuée à Isaïe ; au contraire, Jérémie et Ézéchiel emploient fréquemment ce mode de prédication, cf. l’Introd. p. 1072. — Sur le sac, vêtement de pénitence, cf. 3.24.

3 Et Yahvé dit : « De même que mon serviteur Isaïe a marché nu et déchaussé pendant trois ans, pour être un signe et un présage contre l’Égypte et contre Kush, 4 de même le roi d’Assur emmènera les captifs d’Égypte et les déportés de Kush, les jeunes et les vieux, nus, déchaussés et fesses découvertes, à la honte de l’Égypte. 5 Ils seront pris d’épouvante et de honte à cause de Kush leur espérance et de l’Égypte leur fierté. 6 Et l’habitant de ce rivageg dira en ce jour-là : « Voici ce qu’est devenue notre espérance, ceux vers qui nous avons fui pour chercher un secours, pour échapper au roi d’Assur. Et nous, comment nous sauverons-nous ? » »

g Les Philistins ou les Israélites, toujours tentés de s’appuyer sur l’Égypte et de nouer avec elle des coalitions contre l’Assyrie.

La chute de Babylone.h

21 Oracle sur le désert de la mer.i
Comme des ouragans qui passent dans le Négeb,
il vient du désert, d’un pays redoutable.

h Comme ceux des chap. 13-14, cet oracle annonce la ruine de Babylone, v. 9, par les Perses et les Mèdes de Cyrus en 539, cf. v. 2. Il reste possible qu’il reprenne, en le modifiant, un poème plus ancien dirigé contre Assur. Il pourrait s’agir alors de la chute de Ninive en 612, sous l’attaque conjuguée des Mèdes et des Babyloniens ; ce poème ne serait donc pas d’Isaïe, même sous sa forme primitive.

i L’expression traduit peut-être l’assyrien mât tâmti, « pays de la mer », qui désigne le sud de la Babylonie.

2 Une vision sinistre m’a été révélée :
« Le traître trahit et le dévastateur dévaste.
Monte, Élam, assiège, Mède ! »j
J’ai fait cesser tous les gémissements.

j L’Élam est le pays situé à l’est de la Mésopotamie, d’où sortirent les Mèdes et les Perses qui, au VIe s., renversèrent l’Empire babylonien.

3 C’est pourquoi mes reins sont remplis d’angoisse,
des convulsions m’ont saisi comme les convulsions de la femme qui enfante ;
je suis trop bouleversé pour entendre, trop troublé pour voir.
4 Mon cœur s’égare, un frisson me terrifie ;
le crépuscule auquel j’aspirais devient ma terreur.
5 On dresse la table, on met la nappe ; on mange, on boit.k
Debout, chefs ! Graissez le bouclier !

k D’après une tradition rapportée par Daniel (chap. 5) et par Hérodote, c’est au cours d’une nuit d’orgie que Babylone tomba aux mains des Perses.

6 Car ainsi m’a parlé le Seigneur :
« Va, place un guetteur ! Qu’il annonce ce qu’il voit !
7 Il verra de la cavalerie, des cavaliers deux par deux,
des hommes montés sur des ânes, des hommes montés sur des chameaux ;l
qu’il observe avec attention, avec grande attention. »

l Non l’armée des envahisseurs, mais les messagers rapides puis les caravanes qui viennent annoncer la nouvelle, cf. v. 9.

8 Et le guetteurm a crié :
« Sur la tour de guet, Seigneur, je me tiens tout le long du jour,
à mon poste de garde, je suis debout toute la nuit.

m « le guetteur », litt. « celui qui regarde », haro’eh 1QIsa ; « le lion » ’aryeh TM.

9 Et voici que vient la cavalerie, des cavaliers deux par deux. »
Il a repris la parole et dit :
« Elle est tombée, Babylone, elle est tombée,
et toutes les images de ses dieux, il les a brisées à terre. »
10 Toi que j’ai foulé, grain de mon aire,n
ce que j’ai appris de Yahvé Sabaot, Dieu d’Israël,
je te l’annonce.

n Littéralement « mon écrasé, fils de mon aire ». Ces mots désignent les Israélites exilés à Babylone et dont la délivrance est proche.

Sur Édom.o

11 Oracle sur Duma.
Vers moi on crie depuis Séïr :
« Veilleur, où en est la nuit ? Veilleur, où en est la nuit ? »

o Il est douteux que ce petit oracle sur Séïr=Édom soit d’Isaïe. — À la question posée, aucune réponse claire n’est donnée ; la fin peut être un appel à la conversion. La mention de Duma fait difficulté c’est une oasis du nord de l’Arabie, en dehors d’Édom ; le nom reparaît parmi ceux des fils d’Ismaël, Gn 25.14. Mais le mot signifie aussi « silence » et peut être une allusion à l’obscurité de cet oracle, cf. les titres des oracles du même chap., vv. 1 et 13.

12 Le veilleur répond :
« Le matin vient, puis encore la nuit.
Si vous voulez interroger, interrogez !
Revenez ! Venez ! »
Contre les Arabes.

Contre les Arabes.

13 Oracle dans la steppe.p
Dans les taillis, dans la steppe, vous passez la nuit,
caravanes de Dédanites.

p Le titre « dans la steppe » donné à cet oracle est simplement emprunté à son premier vers. Il s’agit de tribus arabes victimes d’une invasion qui ne peut venir que du Nord. Les habitants de Téma (l’actuelle Teima), Gn 25.15 ; Jr 25.23, sont invités à accueillir les fugitifs de Dédân (l’actuelle oasis d’El Ela), Gn 10.17 ; Jr 49.8 ; Ez 25.13 ; 27.20. Qédar est un nom plus vague pour les mêmes régions, Gn 25.13 ; Jr 49.28 ; Ez 27.21. En 715, Sargon poussera jusque dans le nord-ouest de l’Arabie, à la suite de sa campagne en Transjordanie ; Juda pouvait se sentir alors menacé.

14 À la rencontre de l’assoiffé, apportez de l’eau !
Les habitants du pays de Téma sont allés
avec du pain au-devant du fugitif.
15 Car ils ont fui devant des épées,
devant l’épée nue et devant l’arc tendu,
devant l’acharnement du combat.

16 Car ainsi m’a parlé le Seigneur :

Encore une année comme des années de mercenaire, et c’en est fait de toute la gloire de Qédar. 17 Et du nombre des vaillants archers, des fils de Qédar, il ne restera presque rien, car Yahvé, Dieu d’Israël, a parlé.

Contre la joie à Jérusalem.q

22 Oracle sur la vallée de la Vision.r
Qu’as-tu donc à monter tout entière aux terrasses,

q Cet oracle se situe après la délivrance de Jérusalem en 701, qui mit fin à la campagne jusque-là victorieuse de Sennachérib, cf. 2 R 18.13 ; 19.9 ; 36.1s ; 37.8s. Isaïe, qui avait annoncé cette délivrance, proteste contre la joie exagérée qu’elle a suscitée et rappelle que le châtiment reste menaçant.

r Le titre est emprunté au v. 5, comparer 21.11. On ne connaît aucune vallée de ce nom aux environs de Jérusalem. La corr. « vallée de Hinnom » (la Géhenne) a été proposée, mais elle n’a aucun appui dans les versions.

2 pleine de tumulte, ville bruyante, cité joyeuse ?
Tes tués ne sont pas victimes de l’épée,
ni morts à la guerre.
3 Tous tes chefs ensemble ont pris la fuite,
sans arc, ils ont été capturés,
tous ceux qu’on a trouvés ont été capturés ensemble,
ils s’étaient enfuis au loin.
4 C’est pourquoi j’ai dit :
« Détournez-vous de moi, que je pleure amèrement ;
n’essayez pas de me consoler
de la ruine de la fille de mon peuple. »
5 Car c’est un jour de déroute, de panique et de confusion,
œuvre du Seigneur Yahvé Sabaot, dans la vallée de la Vision.
On sape la muraille, on lance des appels vers la montagne.
6 Élam a pris le carquois,
avec chars montés et cavaliers,
et Qir a sorti son bouclier.s

s Les Élamites et les Araméens (? Qir, cf. Am 1.5 ; 9.7) sont peut-être mentionnés ici comme alliés ou mercenaires de Sennachérib.

7 Dès lors, tes plus belles vallées sont remplies de chars,
et les cavaliers ont pris position aux portes :
8 c’est ainsi qu’est tombée la protection de Juda.
Tu as tourné les yeux, ce jour-là,
vers les armes de la Maison de la Forêt ;
9 et les brèches de la cité de David, vous avez vu comme elles sont nombreuses !
Vous avez collecté les eaux de la piscine inférieure ;
10 vous avez compté les maisons de Jérusalem,
vous avez démoli les maisons pour fortifier le rempart.
11 Vous avez fait un réservoir entre les deux murs,
pour les eaux de l’ancienne piscine.t
Mais vous n’avez pas eu un regard pour l’auteur de ces choses,
celui qui en fit le dessein depuis longtemps, vous ne l’avez pas vu.

t Travaux d’Ézéchias en prévision de l’attaque de Sennachérib, ou entre ses deux campagnes si on accepte cette hypothèse. — Sur la « Maison de la Forêt », cf. 1 R 7.2 ; sur la réparation des remparts, cf. 2 R 20.20 ; sur le réservoir, cf. 2 R 20.20 ; Si 48.17.

12 Et le Seigneur Yahvé Sabaot vous a appelés, en ce jour-là,
à pleurer et à vous lamenter,
à vous tondre et à ceindre le sac.
13 Mais voici la joie et l’allégresse,
on tue les bœufs et on égorge les moutons,
on mange de la viande et on boit du vin :
« Mangeons et buvons, car demain nous mourrons ! »
14 Alors Yahvé Sabaot s’est révélé à mes oreilles :
« Jamais cette faute ne sera pardonnée, jusqu’à votre mort »,
dit le Seigneur Yahvé Sabaot.

Contre Shebna.u

15 Ainsi parle le Seigneur Yahvé Sabaot :
Va trouver cet intendant,
Shebna, le maître du palais :

u Seul oracle d’Isaïe concernant un particulier. Ce Shebna était un parvenu, peut-être un étranger, qui avait accédé à la plus haute charge, celle de maître du palais d’Ézéchias. Isaïe est seul à mentionner sa destitution et son remplacement par Élyaqim, mais le livre des Rois donne le résultat de cette mesure Élyaqim est maître du palais et Shebna n’est plus que secrétaire, 2 R 18.26, 37 ; 19.2 = 36.3, 11, 22 ; 37.2. Il est possible que sa tombe ait été retrouvée, dans l’une des nécropoles de Jérusalem, à Siloé.

16 « Que possèdes-tu ici, de qui te réclames-tu
pour t’y tailler un sépulcre ? »
Il se taille un sépulcre surélevé,
il se creuse une chambre dans le roc.
17 Voici que Yahvé va te rejeter, homme !
t’empoigner avec poigne.
18 Il te roulera comme une boule,
une balle vers un vaste espace.
C’est là que tu mourras, avec tes chars splendides,
déshonneur de la maison de ton maître.
19 Je vais te chasser de ton poste,
je vais t’arracherv de ta place.

v « je t’arracherai » versions ; « il t’arrachera » hébr.

20 Et le même jour, j’appellerai mon serviteur
Élyaqim fils d’Hilqiyyahu.
21 Je le revêtirai de ta tunique,
je le ceindrai de ton écharpe,
je lui remettrai tes pouvoirs,
il sera un père pour l’habitant de Jérusalem
et pour la maison de Juda.
22 Je mettrai la clé de la maison de David sur son épaule,
s’il ouvre, personne ne fermera,
s’il ferme, personne n’ouvrira.w

w L’ouverture et la fermeture des portes de la « maison du roi » était une fonction du vizir égyptien, dont le maître du palais est l’équivalent en Israël. Ce sera la fonction de Pierre dans l’Église, royaume de Dieu, Mt 16.19. Ce texte sera cité par Ap 3.7 et appliqué au Messie, comme le fait la liturgie dans l’antienne du Magnificat aux vêpres du 20 décembre « O clavis David et sceptrum domus Israël ».

23 Et je l’enfoncerai comme un clou en un lieu solide ;
il deviendra un trône de gloire
pour la maison de son père.
24 On y suspendra toute la gloire de la maison paternelle, les descendants et les rejetons, et tous les objets de petite taille, depuis les coupes jusqu’aux jarres.

25 Ce jour-là, oracle de Yahvé Sabaot, il cédera, le clou enfoncé dans un lieu solide, il s’arrachera et tombera ; alors se détachera la charge qui pesait sur lui. Car Yahvé a parlé.x

x Cette addition en prose annonce la disgrâce d’Élyaqim lui-même, entraînant dans sa chute toute sa famille qui avait profité de son élévation.

Contre Tyr.

23 Oracle sur Tyr.y
Hurlez, vaisseaux de Tarsis, car tout a été détruit :
plus de maison et plus d’entrée.
Du pays de Kittim,z la nouvelle leur est parvenue.

y Oracle difficile qui annonce la ruine inattendue et spectaculaire de la ville imprenable de Tyr, et décrit l’effet produit par cet événement. Tyr, construite sur une île à peu de distance du rivage, fut attaquée ou assiégée par de nombreux conquérants, Salmanasar, Sennachérib, Nabuchodonosor (siège de 13 ans !), cf. Ez 26-28. Elle sera détruite par Alexandre en 322. Il est difficile de dire quel événement précis le prophète a en vue ici. — La mention de Sidon, vv. 2, 4, 12, ne signifie pas nécessairement que deux oracles aient été combinés ; le nom de Sidon peut désigner la Phénicie en général, cf. 1 R 16.31.

z L’île de Chypre, où les Phéniciens avaient des colonies. — Sur Tarsis, cf. 1 R 10.22.

2 Soyez stupéfaits, habitants de la côte,
marchands de Sidon, toi dont les messagersa passent les mers,

a « dont les messagers » mal’akayk 1QIsa ; « t’emplissaient » mil’ûk TM.

3 aux eaux immenses.
Le grain du Canal, la moisson du Nil, était sa richesse.
Elle était le marché des nations.
4 Rougis de honte, Sidon (la citadelle des mers),b
car la mer a parlé en ces termes :
« Je n’ai pas souffert et je n’ai pas enfanté,
ni élevé de garçons, ni fait grandir de filles. »

b Glose destinée à Sidon et accidentellement déplacée dans l’hébr. après « la mer ».

5 Quand la nouvelle parviendra en Égypte,
on tremblera en apprenant le sort de Tyr.
6 Passez à Tarsis et hurlez, habitants de la côte.
7 Est-ce là votre fière cité
dont l’origine remontait au lointain passé,
elle que ses pas conduisaient au loin
pour s’y établir ?

8 Qui a décidé cela contre Tyr qui distribuait des couronnes,
dont les marchands étaient des princes,
et les trafiquants des grands de la terre ?
9 C’est Yahvé Sabaot qui l’a décidé,
pour flétrir l’orgueil de toute beauté,
pour abaisser tous les grands de la terre.
10 Cultivec ton pays comme le Nil, fille de Tarsis,
car il n’y a plus de chantier maritime.

c « cultive » grec 1QIsa ; « traverse » TM. — « Fille de Tarsis » est difficile à expliquer on attendrait « fille de Tyr », en parallèle à « fille de Sidon » du v. 12.

11 Il a tendu la main contre la mer,
il a fait trembler les royaumes ;
Yahvé a décrété pour Canaan de ruiner ses forteresses.
12 Il a dit : Cesse de faire la fière,
toi, la maltraitée, vierge fille de Sidon !
Lève-toi, passe à Kittim,
là non plus, pas de repos pour toi.
13 Voici le pays des Chaldéens, ce peuple qui n’existait pas ;
Assur l’a constitué pour les bêtes du désert ;
ils y ont dressé leurs tours,
ils ont démoli ses bastions,
ils l’ont réduit en ruine.d

d Tout le v. paraît corrompu et sa traduction est très incertaine.

14 Hurlez, navires de Tarsis, car votre forteresse est détruite.
15 Et il arrivera, en ce jour-là, que Tyr sera oubliée, soixante-dix ans, le temps de vie d’un roi. Mais au bout de soixante-dix ans, il en sera de Tyr comme dans la chanson de la prostituée :

16 « Prends une cithare, parcours la ville,
prostituée délaissée !
Joue de ton mieux, répète ta chanson,
qu’on se souvienne de toi ! »

17 Et il arrivera, au bout de soixante-dix ans, que Yahvé visitera Tyr. Elle recevra de nouveau son salaire, et se prostituera avec tous les royaumes du monde, sur la face de la terre. 18 Mais son gain et son salaire seront consacrés à Yahvé. Ils ne seront ni amassés ni thésaurisés ; mais c’est à ceux qui habitent devant Yahvé qu’ira son gain, pour qu’ils aient nourriture à satiété et vêtement magnifique.e

e Ces vv. en prose (sauf la chanson citée au v. 16) sont une addition tardive, comparable à celles de 18.7 et 19.16-25. Tyr retrouvera sa prospérité ; et le fruit de son commerce, de ses « prostitutions », offert jadis aux faux dieux sera désormais consacré à Yahvé.

4. APOCALYPSEf

Le jugement de Yahvé.

24 Voici que Yahvé dévaste la terre et la ravage,
il en bouleverse la face et en disperse les habitants.

f Les chap. 24-27 visent, au-delà des événements proches, un jugement final de Dieu, dont ils donnent une description poétique entrecoupée de psaumes de supplication ou d’action de grâces. Ils annoncent déjà, bien qu’ils n’en présentent pas tous les caractères, la littérature apocalyptique qui s’exprimera dans Dn, Za 9-14 et le livre apocryphe d’Hénok. C’est sans doute une des parties les plus tardives du livre d’Isaïe on ne peut la mettre avant le Ve s.

2 Il en sera du prêtre comme du peuple,
du maître comme de l’esclave,
de la maîtresse comme de la servante,
du vendeur comme de l’acheteur,
du prêteur comme de l’emprunteur,
du débiteur comme du créancier.
3 Dévastée, dévastée sera la terre,
elle sera pillée, pillée,
car Yahvé a prononcé cette parole.
4 La terre est en deuil, elle dépérit,
le monde s’étiole, il dépérit,
l’élite du peuple de la terreg s’étiole.

g Littéralement « l’élévation du peuple de la terre »; grec « les grands de la terre ».

5 La terre est profanée sous les pieds de ses habitants,
car ils ont transgressé les lois,
violé le décret, rompu l’alliance éternelle.h

h Il semble qu’il s’agisse ici non de l’alliance avec Abraham ou de l’alliance mosaïque, mais d’une alliance universelle de Dieu avec l’humanité telle que fut, selon la tradition sacerdotale de la Genèse, l’alliance avec Noé, Gn 9.9-17. Cette alliance rompue, le jugement survient contre toute la terre, v. 6.

6 C’est pourquoi la malédiction a dévoré la terre,
et ses habitants en subissent la peine ;
c’est pourquoi les habitants de la terre ont été consumés,
il ne reste que peu d’hommes.

Chant sur la ville détruite.i

7 Le vin nouveau est en deuil, la vigne s’étiole,
ils gémissent, ceux qui avaient le cœur en fête.

i La destruction de la « cité du néant », v. 10, constitue l’occasion de cette apocalypse, cf. 25.2 ; 26.5 ; 27.10-11. C’est certainement une ville païenne opposée à Jérusalem, 26.1-6, et dont la destruction devient le symbole du jugement divin. On l’a identifiée à Babylone, détruite par Xerxès I en 485, ou à Tyr, détruite par Alexandre en 332, ou bien à Samarie, détruite par Hyrcan en 110 av. J.-C. Cependant la mention explicite de Moab à 25.10, la citation à 24.17-18 de Jr 48.43-44 sur Moab, ainsi que l’allusion aux vignobles, 24.7-9, qui rappelle les vignes de Moab de 16.7-10, tout cela laisse penser qu’il s’agit de la ruine d’une cité moabite, probablement la capitale, à une époque qu’on ne peut déterminer.

8 Le son allègre des tambourins s’est tu,
les fêtes bruyantes ont pris fin,
le son allègre du kinnor s’est tu.
9 On ne boit plus de vin en chantant,
la boisson est amère à ceux qui la boivent.
10 Elle est en ruines, la cité du néant,
toute maison est fermée, on ne peut entrer.
11 On crie dans les rues pour avoir du vin,
toute joie a disparu :
l’allégresse du pays a été bannie.
12 Dans la ville, ce n’est que décombres,
la porte s’est effondrée en ruines.
13 Car il en est au milieu de la terre, parmi les peuples,
comme au gaulage de l’olivier,
comme pour les grappillons quand est finie la vendange.
14 Mais ceux-ci élèvent la voix, ils crient de joie,
en l’honneur de Yahvé ils clament depuis l’occident.
15 « Oui, à l’orient, glorifiez Yahvé,
dans les îles de la mer, le nom de Yahvé, le Dieu d’Israël. »
16 Des confins de la terre nous avons entendu des psaumes,
« Gloire au Juste ».

Les derniers combats.j

Mais j’ai dit : « Quelle épreuve pour moi ! quelle épreuve pour moi !
malheur à moi ! »
Les traîtres ont trahi, les traîtres ont tramé la trahison !
17 Frayeur, fosse, filet, pour toi, habitant de la terre.

j Reprise de la description du Jugement, interrompue par le chant sur la ville détruite.

18 Et celui qui fuira devant le cri de frayeur
tombera dans la fosse,
et celui qui remontera de la fosse
sera pris dans le filet.
Oui, les vannes d’en haut se sont ouvertes,
les fondements de la terre ont tremblé.
19 Un brisement, la terre s’est brisée,
un sursaut, la terre a sursauté,
un vacillement, la terre a vacillé.
20 La terre va chanceler, chanceler comme l’ivrogne,
elle sera ébranlée comme une hutte,
son crime pèsera sur elle,
elle tombera et ne se relèvera plus.

21 Et il arrivera, en ce jour-là,
que Yahvé visitera l’armée d’en haut, en haut,
et les rois de la terre, sur la terre.
22 Ils seront rassemblés, troupe de prisonniers conduits à la fosse,
ils seront enfermés dans la prison ;
après de nombreux jours, ils seront visités.
23 La lune sera confuse, le soleil aura honte,
car Yahvé Sabaot est roi sur la montagne de Sion et à Jérusalem,
et la Gloire resplendit devant les anciens.

Hymne d’action de grâces.k

25 Yahvé, tu es mon Dieu,
je t’exalterai, je louerai ton nom,
car tu as accompli des merveilles,
les desseins de jadis, fidèlement, fermement.

k Ce cantique se réfère aux événements racontés précédemment, destruction de la ville, v. 2, cf. 24.10, conversion des peuples lointains, v. 3, cf. 24.15, victoire sur les orgueilleux, vv. 2, 4, cf. 24.21, 22.

2 Car tu as fait de la ville un tas de pierres,
la cité fortifiée est une ruine,
la citadelle des étrangers n’est plus une ville,
jamais elle ne sera reconstruite.
3 C’est pourquoi un peuple fort te glorifie,
la cité des nations redoutables te craint.
4 Car tu as été un refuge pour le faible,
un refuge pour le malheureux plongé dans la détresse,
un abri contre la pluie, un ombrage contre la chaleur,
car le souffle des violents est comme la pluie d’hiver.l

l « d’hiver » qor conj. ; « d’un mur » qîr hébr.

5 Comme la chaleur sur une terre aride,
tu apaises le tumulte des étrangers :
la chaleur tiédit à l’ombre d’un nuage,
le chant des violents se tait.

Le festin divin.m

6 Yahvé Sabaot prépare pour tous les peuples, sur cette montagne,
un festin de viandes grasses, un festin de bons vins,
de viandes mœlleuses, de vins dépouillés.

m Reprenant et amplifiant des conceptions universalistes déjà répandues chez les prophètes antérieurs, 2.2-3 ; 56.6-8 ; 60.11-14 ; Za 8.20 ; 14.16, etc., l’auteur décrit l’affluence des peuples à Jérusalem comme un immense festin. À partir de ce texte, l’idée d’un festin messianique est devenue courante dans le judaïsme et se retrouve dans le NT Mt 22.2-10 ; Lc 14.14, 16-24.

7 Il fait disparaître sur cette montagne
le voile qui voilait tous les peuples
et le tissu tendu sur toutes les nations ;
8 il fait disparaître la mort à jamais.
Le Seigneur Yahvé essuie les pleurs sur tous les visages,
il ôtera l’opprobre de son peuple sur toute la terre,
car Yahvé a parlé.

9 Et on dira, en ce jour-là :
Voyez, c’est notre Dieu,
en lui nous espérions pour qu’il nous sauve ;
c’est Yahvé, nous espérions en lui.
Exultons, réjouissons-nous du salut qu’il nous a donné.
10 Car la main de Yahvé reposera sur cette montagne
et Moabn sera foulé sur place,
comme on foule la paille dans la fosse à fumier.

n Cf. la note sur 24.7. Cependant la mention de Moab a étonné, car c’est le seul nom propre du poème qui a même évité « Moab » dans la citation de Jr 48.43-44 en 24.17-18. On a donc proposé de corriger en ’oyeb, « ennemi », mais cette correction n’a aucun appui textuel.

11 Il étend les mains, au milieu de la montagne,
comme le nageur les étend pour nager.
Mais il rabaissera son orgueil,
malgré les efforts de ses mains.
12 Et la place forte inaccessible de tes remparts,
il l’a abattue, abaissée, renversée à terre, dans la poussière.

Hymne d’action de grâces.

26 En ce jour-là, on chantera ce chant au pays de Juda :
Nous avons une ville forte ;o
pour nous protéger, il a mis mur et avant-mur.

o Jérusalem, que Yahvé a fortifiée et qui sert de refuge aux justes, est opposée à la « cité élevée », v. 5, la ville détruite des chap. 24-25, cf. 24.7.

2 Ouvrez les portes ! Qu’elle entre, la nation juste
qui observe la fidélité.
3 C’est un dessein arrêté : tu assureras la paix,
la paix qui t’est confiée.
4 Confiez-vous en Yahvé à jamais !
Car Yahvé est un rocher, éternellement.
5 C’est lui qui a précipité les habitants des hauteurs, la cité élevée ;
il l’abaisse, il l’abaisse jusqu’à terre,
il lui fait mordre la poussière.
6 Elle sera foulée aux pieds,
par les pieds du malheureux, par les pas du faible.

Psaume.p

7 Le sentier du juste, c’est la droiture,
tu aplanis la droite trace du juste.

p Le jugement de Yahvé s’accomplit selon la justice, vv. 7-10, et assure la délivrance et la gloire de son peuple, vv. 11-15 ; les épreuves actuelles préparent la renaissance, vv. 16-19. Les douleurs de l’enfantement sont devenues l’image des tribulations qui doivent précéder la venue du Messie, cf. Mt 24.8 ; Mc 13.8 ; Jn 16.20-22.

8 Oui, dans le sentier de tes jugements, nous t’attendions, Yahvé,
à ton nom et à ta mémoire va le désir de l’âme.
9 Mon âme t’a désiré pendant la nuit,
oui, au plus profond de moi, mon esprit te cherche,
car lorsque tu rends tes jugements pour la terre,
les habitants du monde apprennent la justice.
10 Si l’on fait grâce au méchant sans qu’il apprenne la justice,
au pays de la droiture il fait le mal,
sans voir la majesté de Yahvé.
11 Yahvé, ta main est levée et ils ne voient pas !
Ils verront, pleins de confusion, ton amour jaloux pour ce peuple,
oui, le feu préparé pour tes ennemis les dévorera.

12 Yahvé, tu nous assures la paix,
et même toutes nos œuvres, tu les accomplis pour nous.
13 Yahvé notre Dieu, d’autres maîtres que toi ont dominé sur nous,
mais, attachés à toi seul, nous invoquons ton nom.
14 Les morts ne revivront pas, les ombres ne se relèveront pas,
car tu les as visités, exterminés,
tu as détruit jusqu’à leur souvenir.
15 Tu as fait de nous une nation, Yahvé,
tu as fait de nous une nation et tu as été glorifié.
Tu as fait reculer les limites du pays.

16 Yahvé, dans la détresse ils t’ont cherché,
ils se répandirent en prièreq
car ton châtiment était sur eux.

q Sens incertain.

17 Comme la femme enceinte à l’heure de l’enfantement
souffre et crie dans ses douleurs,
ainsi étions-nous devant ta face, Yahvé.
18 Nous avons conçu, nous avons souffert,
mais c’était pour enfanter du vent :
nous n’avons pas donné le salut à la terre,
il ne naît pas d’habitants au monde.
19 Tes morts revivront, tes cadavres ressusciteront.
Réveillez-vous et chantez, vous qui habitez la poussière,
car ta rosée est une rosée lumineuse,
et le pays va enfanter des ombres.

Le passage du Seigneur.r

20 Va, mon peuple, entre dans tes chambres,
ferme tes portes sur toi ;
cache-toi un tout petit instant,
jusqu’à ce qu’ait passé la fureur.

r Le peuple est invité à se mettre à l’abri pendant que Yahvé exécutera son jugement contre les méchants.

21 Car voici Yahvé qui sort de sa demeure
pour châtier la faute des habitants de la terre ;
et la terre dévoilera son sang,
elle cessera de recouvrir ses cadavres.

27 Ce jour-là, Yahvé châtiera
avec son épée dure, grande et forte,
Léviathan, le serpent fuyard,
Léviathan, le serpent tortueux ;
il tuera le dragon qui habite la mer.s

s Sur Léviathan, cf. Jb 3.8. — Le texte est ici influencé par un poème de Râs-Shamra (XIVe s. av. J.-C.) où on lit « Tu écraseras Léviathan, serpent fuyard, tu consumeras le serpent tortueux, le puissant aux sept têtes ».

La vigne de Yahvé.t

2 Ce jour-là, la vigne délicieuse chantez-la !

t Comme en 5.1-7, Israël est représenté comme une vigne sur laquelle Dieu veille avec amour si l’on fait appel à lui.

3 Moi, Yahvé, j’en suis le gardien,
de temps en temps, je l’irrigue ;
pour qu’on ne lui fasse pas de mal,
nuit et jour je la garde.

4 — Je ne suis plus en colère.
Qui va me réduire en ronces et en épines ?u

— Dans la guerre, je la foulerai, je la brûlerai en même temps.

u — « qui... épines » incertain. Le TM, très obscur, se traduirait litt. « qui me donnera ronces et épines dans (par ?) la guerre ? »; le texte est peut-être corrompu. On comprend ce v. comme une réponse de la vigne personnifiée.

5 Ou bien que l’on fasse appel à ma protection,
que l’on fasse la paix avec moi,
la paix, qu’on la fasse avec moi.

Grâce et châtiment.v

6 À l’avenir Jacob s’enracinera,
Israël bourgeonnera et fleurira,
la face du monde se couvrira de récolte.

v L’interprétation de ce passage est entravée par le désordre apparent et l’état corrompu du texte. Il semble que les vv. 7-8, 10-11 concernent le châtiment des oppresseurs d’Israël, identifiés avec la « ville forte » de cette apocalypse, v. 10. Les vv. 6 et 9, qui sont une promesse à Israël dont la faute est expiée, pourraient préparer l’oracle de 12-13.

7 L’a-t-il frappé comme avaient frappé ceux qui le frappaient ?
A-t-il assassiné comme avaient assassiné ses assassins ?
8 En la chassant, en l’excluant, tu as exercé un jugement,
il l’a chassée de son souffle violent, tel le vent d’orient.
9 Car ainsi sera pardonnée la faute de Jacob,
tel sera le fruit qu’il recueillera en renonçant à son péché,
quand toutes les pierres de l’autel seront mises en pièces
comme des pierres à chaux,
quand les Ashéras et les brûle-parfums ne seront plus debout.
10 Car la ville fortifiée est devenue une solitude,
abandonnée, délaissée comme un désert,
où les veaux paissent, où ils se couchent
en détruisant les branchages.
11 Quand sèchent les branches on les brise,
des femmes viennent et y mettent le feu.
Or ce peuple n’est pas intelligent,
aussi son créateur n’aura pas pitié de lui,
celui qui l’a modelé ne lui fera pas grâce.

Retour des Israélites.w

12 Et il arrivera qu’en ce jour-là, Yahvé fera le battage,
depuis le cours du Fleuve jusqu’au torrent d’Égypte,
et vous, vous serez glanés un à un, enfants d’Israël.

w Cet « oracle », placé ici comme une conclusion, annonce le retour à Jérusalem de tous les Israélites dispersés.

13 Et il arrivera qu’en ce jour-là, on sonnera du grand cor,x
alors viendront ceux qui se meurent au pays d’Assur,
et ceux qui sont bannis au pays d’Égypte,
ils adoreront Yahvé sur la montagne sainte, à Jérusalem.

x Le cor (shofar) qui a plusieurs emplois, cf. Jl 2.1, sonne ici le rassemblement du dernier jour. Il convenait que cette apocalypse s’achevât par une sonnerie de la trompette du jugement, cf. Mt 24.31 ; 1 Co 15.52 ; 1 Th 4.16.

5. POÈMES SUR ISRAËL ET JUDA

Contre Samarie.y

28 Malheur à l’orgueilleuse couronne des ivrognes d’Éphraïm,
à la fleur fanée de sa superbe splendeur
sise au sommet de la grasse vallée, à ceux que terrasse le vin.

y Oracle prononcé quelque temps avant la chute de Samarie (721). La ville de Samarie, édifiée sur une colline, est comparée à une couronne de fleurs dont s’ornait la tête des convives dans les festins antiques. D’autres prophètes, Os 7.5-7 ; Am 3.9, 15, etc., ont fait allusion à la richesse et à la corruption de Samarie.

2 Voici un homme fort et puissant au service du Seigneur,
comme une tornade de grêle, une tempête dévastatrice,
comme d’énormes trombes d’eau qui se déversent,
de sa main il les jette à terre.
3 Elles seront foulées aux pieds,
l’orgueilleuse couronne des ivrognes d’Éphraïm
4 et la fleur fanée de sa superbe splendeur
sise au sommet de la grasse vallée.
C’est comme une figue mûre avant l’été :
qui l’aperçoit aussitôt la saisit et l’avale.

5 Ce jour-là,z c’est Yahvé Sabaot
qui deviendra une couronne de splendeur et un superbe diadème
pour le reste de son peuple,

z Les vv. 5-6 opposent à la couronne fanée de Samarie, la couronne de gloire que Yahvé lui-même sera pour le reste de son peuple. Cette mention du « reste » fait penser que ce passage est postérieur, cf. 4.3 ; la similitude des images l’aurait fait rapprocher de l’oracle précédent.

6 un esprit de justice pour qui doit rendre la justice,
et la force de ceux qui repoussent l’assaut aux portes.

Contre les faux prophètes.a

7 Eux aussi, ils ont été troublés par le vin, ils ont divagué sous l’effet de la boisson.
Prêtre et prophète, ils ont été troublés par la boisson,
ils ont été pris de vin, ils ont divagué sous l’effet de la boisson,
ils ont été troublés dans leurs visions, ils ont divagué dans leurs sentences.

a Les oracles des vv. 7-22 sont de peu antérieurs à la campagne de Sennachérib en 701, à un moment où Ézéchias songeait à participer à une coalition anti-assyrienne. Le premier vise des participants à des banquets religieux dans le Temple, qui traitent de bredouillage d’enfant les paroles d’Isaïe qu’ils ne comprennent pas. Mais ils ne comprendront pas plus le langage des soldats assyriens que Yahvé va lancer contre eux.

8 Oui, toutes les tables sont couvertes de vomissements abjects,
pas une place nette !
9 À qui enseigne-t-il la leçon ? À qui explique-t-il la doctrine ?
À des enfants à peine sevrés, à peine éloignés de la mamelle,
10 quand il dit : çav laçav, çav laçav ; qav laqav, qav laqav ;
ze`êr sham, ze`êr sham.b

b Littéralement « ordre sur ordre... mesure sur mesure... un peu ici, un peu là ». Mais il ne faut pas chercher à traduire ces mots qui sont choisis seulement pour leur sonorité.

11 Oui, c’est par des lèvres bégayantes et dans une langue étrangère
qu’il parlera à ce peuple.
12 Il leur avait dit : « Voici le repos ! Donnez le repos à l’accablé :
ceci est un endroit tranquille. » Mais ils n’ont pas voulu écouter.
13 Aussi Yahvé va leur parler ainsi :
çav laçav, çav laçav ; qav laqav, qav laqav ;
ze`êr sham, ze`êr sham
afin qu’en marchant ils tombent à la renverse,
qu’ils soient brisés, pris au piège, emprisonnés.

Contre les mauvais conseillers.

14 C’est pourquoi, écoutez la parole de Yahvé, hommes insolents,
gouverneurs de ce peuple qui est à Jérusalem.
15 Vous avez dit : « Nous avons conclu une alliance avec la mort,
avec le shéol nous avons fait un pacte.
Quant au fléau menaçant, il passera sans nous atteindre,
car nous avons fait du mensonge notre refuge,
et dans la fausseté nous nous sommes cachés. »c

c L’alliance contre l’Assyrie, que conseillaient les dirigeants du peuple, est une alliance avec la mort et l’enfer.

16 C’est pourquoi, ainsi parle le Seigneur Yahvé :d
Voici que je vais poser en Sion une pierre,
une pierre de granit, pierre angulaire, précieuse,
pierre de fondation bien assise :
celui qui s’y fie ne sera pas ébranlé.

d Les vv. 16-17 forment un bref oracle qui rompt le développement. L’architecte divin de la Jérusalem nouvelle pose sur le droit et la justice la pierre de fondation qui porte peut-être comme nom « Celui qui s’y fie ne sera pas ébranlé », équivalent des noms symboliques « Ville-de-Justice, Cité-fidèle » de 1.26. Dans le NT, l’image de la pierre de fondation ou de la pierre angulaire sera appliquée au Christ, Mt 21.42 ; Ep 2.20 ; 1 P 2.4-8, ou à Pierre, Mt 16.18.

17 Et je prendrai le droit comme mesure et la justice comme niveau.

Mais la grêle balaiera le refuge de mensonge
et les eaux inonderont la cachette ;
18 votre alliance avec la mort sera rompue,e
votre pacte avec le shéol ne tiendra pas.
Quant au fléau destructeur, lorsqu’il passera,
vous serez piétinés par lui.

e « rompue » tupar Targ. ; « couverte » kuppar hébr.

19 Chaque fois qu’il passera, il vous saisira,
car chaque matin il passera, et le jour et la nuit,
et seule la terreur fera comprendre la révélation.
20 Car la couche sera trop courte pour s’y étendre,
et la couverture trop étroite pour s’en envelopper.f

f Le prophète doit citer un proverbe populaire.

21 Oui, comme au mont de Peraçim, Yahvé se lèvera,
comme au val de Gabaôn, il frémira,
pour opérer son œuvre, son œuvre étrange,
pour accomplir sa tâche, sa tâche mystérieuse.
22 Et maintenant, cessez de vous moquer,
de peur que ne se resserrent vos liens,
car je l’ai entendu : c’est irrévocablement décidé
par le Seigneur Yahvé Sabaot, contre tout le pays.

Parabole.g

23 Prêtez l’oreille et entendez ma voix ;
soyez attentifs, entendez ma parole.

g La sagesse du cultivateur qui plante ses semences et les bat selon leurs espèces est une image de la sagesse de Dieu dans la conduite de son peuple.

24 Le laboureur passe-t-il tout son temps à labourer pour semer,
à défoncer et herser son coin de terre ?
25 Après avoir aplani la surface,
ne jette-t-il pas la nigelle, ne répand-il pas le cumin ?
Puis il met le blé, le millet, l’orge (...)h
et l’épeautre en bordure.

h Après « l’orge », l’hébr. ajoute un mot inconnu, peut-être le nom d’une autre céréale.

26 Son Dieu lui a enseigné cette règle et l’a instruit.
27 On n’écrase pas la nigelle avec le traîneau,i
on ne fait pas passer sur le cumin les roues du chariot.
C’est avec un bâton qu’on bat la nigelle,
et le cumin se bat au fléau.

i Le traîneau muni de roues tranchantes ou de silex qui sert à dépiquer le blé.

28 Lorsqu’on foule le froment,
on ne s’attarde pas à l’écraser ;
on met en marche la roue du chariot et son attelage,
on ne le broie pas.
29 Tout cela est un don de Yahvé Sabaot,
merveilleux conseil qui fait de grandes choses.

Sur Jérusalem.j

29 Malheur, Ariel, Ariel, cité où campa David !
ajoutez année sur année,
que les fêtes accomplissent leur cycle,

j Cet oracle paraît daté de la période précédant le siège de Jérusalem en 701. Le nom symbolique Ariel qui désigne Jérusalem, ici et à 33.7 (corrigé), est expliqué de diverses façons. Le plus souvent, on en rapproche le nom har’el ou ’ari’êl, donné par Ézéchiel 43.15 à la partie supérieure de l’autel, le foyer, où l’on brûlait les victimes cela exprimerait le caractère sacré de la ville. Cette interprétation paraît confirmée par la fin du v. 1 qui se réfère au culte régulier du Temple de Jérusalem.

2 j’opprimerai Ariel ; ce sera gémissements et sanglots,
et elle sera pour moi comme Ariel.
3 Je camperai en cercle contre toi,
j’entreprendrai contre toi un siège
et je dresserai contre toi des retranchements.
4 Tu seras abaissée, ta voix s’élèvera de la terre,
de la poussière elle s’élèvera comme un murmure ;
ta voix comme celle d’un esprit viendra de la terre,
comme venant de la poussière elle murmurera.
5 La horde de tes ennemis sera comme des grains de poussière,
la horde des guerriers, comme la bale qui s’envole.

Et soudain, en un instant,
6 tu seras visitée de Yahvé Sabaot
dans le fracas, le tremblement, le vacarme,
ouragan et tempête, flamme de feu dévorant.
7 Ce sera comme un rêve, une vision nocturne :
la horde de toutes les nations en guerre contre Ariel,
tous ceux qui le combattent, l’assiègent et l’oppriment.
8 Et ce sera comme le rêve de l’affamé :
le voici qui mange, puis il s’éveille, l’estomac creux ;
ou comme le rêve de l’assoiffé :
le voici qui boit, puis il s’éveille épuisé, la gorge sèche.
Ainsi en sera-t-il de la horde de toutes les nations
en guerre contre la montagne de Sion.

9 Soyez stupides et stupéfaits,k
devenez aveugles et sans vue ;
soyez ivres, mais non de vin,
titubants, mais non de boisson,

k La traduction cherche à rendre l’allitération de l’hébr., qui d’ailleurs sacrifie à cet effet littéraire le sens précis du premier verbe qui est « s’attarder ».

10 car Yahvé a répandu sur vous un esprit de torpeur,
il a fermé vos yeux (les prophètes),
il a voilé vos têtes (les voyants).l

l Les mots entre parenthèses sont des gloses qui éclairent les expressions figurées.

11 Et toutes les visions sont devenues pour vous
comme les mots d’un livre scellé
que l’on remet à quelqu’un qui sait lire en disant : « Lis donc cela. »
Mais il répond : « Je ne puis, car il est scellé. »
12 Et on remet le livre à quelqu’un qui ne sait pas lire
en disant : « Lis donc cela. »
Mais il répond : « Je ne sais pas lire. »m

m Les vv. 11-12 sont peut-être une addition voulant expliciter les vv. 9-10.

Oracle.n

13 Le Seigneur a dit :
Parce que ce peuple est près de moi en paroles
et me glorifie de ses lèvres,
mais que son cœur est loin de moi
et que sa crainte n’est qu’un commandement humain, une leçon apprise,

n Oracle difficile à dater. Le prophète s’en prend au culte hypocrite, comme en 1.10-20.

14 eh bien ! voici que je vais continuer
à étonner ce peuple par des prodiges et des merveilles ;
la sagesse des sages se perdra
et l’intelligence des intelligents s’envolera.

Le triomphe du droit.o

15 Malheur à ceux qui se terrent pour dissimuler à Yahvé leurs desseins,
qui trament dans les ténèbres leurs actions
et disent : « Qui nous voit ? Qui nous connaît ? »

o La clairvoyance de Yahvé perce les mauvais desseins, vv. 15-16. Il va délivrer les humbles de leurs ennemis et faire régner la justice, vv. 17-21. Les vv. 22-24 semblent être une addition. Ce n’est pas dans la manière d’Isaïe de parler de la « maison de Jacob » ni de se reporter à l’histoire du passé, ici Abraham.

16 Quelle perversité !
Le potier ressemble-t-il à l’argile
pour qu’une œuvre ose dire à celui qui l’a faite : « Il ne m’a pas faite »,
et un pot à son potier : « Il ne sait pas travailler ? »p

p Déjà le vieux récit de la création, Gn 2.7, représentait Yahvé façonnant l’homme avec de la terre à la manière d’un potier. L’image sera fréquemment reprise par les prophètes, après Isaïe, et enfin par saint Paul, pour souligner la totale dépendance de l’homme et sa fragilité entre les mains de Dieu.

17 N’est-il pas vrai que dans peu de temps
le Liban redeviendra un verger,
et le verger fera penser à une forêt ?
18 En ce jour-là, les sourds entendront les paroles du livre
et, délivrés de l’ombre et des ténèbres, les yeux des aveugles verront.
19 Les malheureux trouveront toujours plus de joie en Yahvé,
les plus pauvres des hommes exulteront à cause du Saint d’Israël.
20 Car le tyran ne sera plus, le moqueur aura disparu,
tous les veilleurs infâmes auront été retranchés :
21 ceux dont la parole porte condamnation,
ceux qui tendent un piège à celui qui juge à la porte,
et sans raison font débouter le juste.

22 C’est pourquoi, ainsi parle Yahvé, Dieu de la maison de Jacob,
lui qui a racheté Abraham :
Désormais Jacob ne sera plus déçu,
désormais son visage ne blêmira plus,
23 car lorsqu’il verra ses enfants,q l’œuvre de mes mains, chez lui,
il sanctifiera mon nom, il sanctifiera le Saint de Jacob,
il redoutera le Dieu d’Israël.

q « ses enfants » probablement une glose des mots suivants.

24 Les esprits égarés apprendront l’intelligence,
et ceux qui murmurent recevront l’instruction.

Contre l’ambassade envoyée en Égypte.r

30 Malheur aux fils rebelles ! oracle de Yahvé.
Ils font des projets qui ne viennent pas de moi,
ils trament des alliances que mon esprit n’inspire pas,
accumulant péché sur péché.

r Oracle prononcé au départ d’une ambassade envoyée par Ézéchias au pharaon, vers 703-702, pour demander le secours de l’Égypte contre les Assyriens.

2 Ils partent pour descendre en Égypte,
sans m’avoir consulté,
pour se mettre sous la protection du Pharaon
et s’abriter à l’ombre de l’Égypte.
3 Mais la protection du Pharaon tournera à votre honte,
l’abri de l’ombre de l’Égypte à votre confusion.
4 Car ses princes ont été à Çoân
et ses messagers ont atteint Hanès.s

s Çoân c’est Tanis, et Hanès, Anousis d’Hérodote (Heracleopolis magna des Romains), deux villes du Delta.

5 Tout le monde est déçu par un peuple qui ne peut secourir,
qui n’apporte ni aide ni profit,
mais déception et confusion.

Autre oracle contre une ambassade.t

6 Oracle sur les bêtes du Négeb.
Au pays d’angoisse et de détresse,
de la lionne et du lion rugissant,u
de la vipère et du dragon volant,
ils apportent sur l’échine des ânes leurs richesses,
sur la bosse des chameaux leurs trésors,
vers un peuple qui ne peut secourir :

t Probablement la même ambassade que celle visée par l’oracle précédent. Le titre s’inspire des premiers mots de l’oracle comme en 21.13. Le prophète oppose les fatigues et les dangers du voyage à la vanité du résultat.

u « rugissant » nohem conj. ; « d’eux » mehem hébr.

7 l’Égypte dont l’aide est vanité et néant ;
c’est pourquoi je lui ai donné ce nom : Rahab la déchue.v

v « déchue » hammoshbat conj. ; hemshebet hébr., inintell. — Rahab est, comme Léviathan, cf. 27.1, un monstre du chaos primitif, 51.9 ; Jb 2.6 ; 12.13, Ps 89.11. Ici et dans Ps 87.4, c’est une désignation de l’Égypte. En gardant la même correction, on pourrait aussi traduire « Rahab la domptée » le monstre a été rendu inoffensif, comparer Jb 40.25-26 à propos de Léviathan, le crocodile d’Égypte.

Testament.w

8 Maintenant va, écris-le sur une tablette,
grave-le sur un document,
que ce soit pour un jour à venir,
pour toujours et à jamais.

w Le poème des vv. 9-17 date du début du règne d’Ézéchias. Il est composé de trois oracles bien distincts, vv. 9-11 ; 12-14 ; 15-17, qui reprennent les griefs d’Isaïe contre ses contemporains. Ceux-ci ne l’ont pas écouté et le prophète met par écrit ses menaces l’avenir lui donnera raison, v. 8. Cela semble marquer le début d’une période de silence, dont le prophète sortira avant l’invasion de Sennachérib. Une autre période de silence était peut-être marquée par 8.16-18, après la guerre syro-éphraïmite, cf. Introd.

9 Car c’est un peuple révolté, des fils menteurs,
des fils qui refusent d’écouter la Loi de Yahvé,
10 qui ont dit aux voyants : « Vous ne verrez pas »,
et aux prophètes : « Vous ne percevrez pour nous rien de clair.
Dites-nous des choses flatteuses, ayez des visions trompeuses.
11 Éloignez-vous du chemin, écartez-vous du sentier,
ôtez de devant nous le Saint d’Israël. »

12 C’est pourquoi, ainsi parle le Saint d’Israël :
Parce que vous avez rejeté cette parole
et que vous vous êtes fiés à la fraude et à la déloyauté
pour vous y appuyer,
13 à cause de cela, cette faute sera pour vous
comme une brèche qui se produit,
une saillie en haut d’un rempart
qui soudain, d’un seul coup, vient à s’écrouler.
14 Il va le briser comme on brise une jarre de potier,
mise en pièces sans pitié,
et l’on ne trouvera pas dans ses débris un tesson
pour racler le feu du foyer
ou pour puiser l’eau d’un bassin.
15 Car ainsi parle le Seigneur Yahvé, le Saint d’Israël :
Dans la conversion et le calme était votre salut,
dans la sérénité et la confiance était votre force,
mais vous n’avez pas voulu !x

x Ce que Dieu exigeait c’était, comme déjà au temps de la guerre syro-éphraïmite, cf. 7.9, la confiance en lui, cf. 28.16, au lieu de la recherche d’une alliance étrangère, ici celle de l’Égypte.

16 Vous avez dit : « Non, car nous fuirons à cheval ! »
Eh bien ! oui, vous fuirez.
Et encore : « Nous aurons des montures rapides ! »
Eh bien ! vos poursuivants seront rapides.
17 Mille trembleronty devant la menace d’un seul,
devant la menace de cinq vous vous enfuirez,
jusqu’à ce qu’il reste de vous comme un mât en haut de la montagne,
comme un signal sur la colline.

y « trembleront » yeherad conj. ; « un » ehad hébr.

Dieu pardonnera.z

18 C’est pourquoi Yahvé attend l’heure de vous faire grâce,
c’est pourquoi il se lèvera pour vous prendre en pitié,
car Yahvé est un Dieu de justice ;
bienheureux tous ceux qui espèrent en lui.

z Morceau de rythme incertain. À la pauvreté de la forme correspond celle du contenu c’est une compilation de thèmes qu’on retrouve dans la deuxième et la troisième partie d’Isaïe, cf. par exemple 44.9 ; 60.20 ; 65.10. Cette composition est postérieure à l’Exil, et le v. 18 sert de lien avec les oracles authentiques qui précèdent.

19 Oui, peuple de Sion, qui habites Jérusalem,
tu n’auras plus à pleurer,
car il va te faire grâce à cause du cri que tu pousses,
dès qu’il l’entendra il te répondra.
20 Le Seigneur vous donnera le pain de l’angoisse et l’eau rationnée,
celui qui t’instruit ne se cachera plus,
et tes yeux verront celui qui t’instruit.
21 Tes oreilles entendront une parole prononcée derrière toi :
« Telle est la voie, suivez-la,
que vous alliez à droite ou à gauche. »
22 Tu jugeras impur le placage de tes idoles d’argent
et le revêtement de tes statues d’or ;
tu les rejetteras comme un objet immonde :
« Hors d’ici ! » diras-tu.
23 Et il donnera la pluie pour la semence que tu sèmeras en terre,
et le pain, produit du sol, sera riche et nourrissant.
Ton bétail paîtra, ce jour-là, sur de vastes pâtures.
24 Les bœufs et les ânes, qui travaillent le sol,
mangeront comme fourrage de l’oseille sauvage
que l’on étend à la pelle et à la fourche.
25 Sur toute haute montagne et sur toute colline élevée,
il y aura des ruisseaux et des cours d’eau au jour du grand carnage,
quand s’écrouleront les forteresses.
26 Alors la lumière de la lune sera comme la lumière du soleil,
et la lumière du soleil sera sept fois plus forte,
comme la lumière de sept jours,
au jour où Yahvé pansera la blessure de son peuple
et guérira la trace des coups reçus.

Contre Assur.a

27 Voici que le nom de Yahvé vient de loin,
ardente est sa colère, pesante sa menace.
Ses lèvres débordent de fureur,
sa langue est comme un feu dévorant.

a Cet oracle a probablement été prononcé lorsque Sennachérib menaçait Jérusalem. Le caractère terrifiant de l’intervention de Yahvé est exprimé ici avec une force inégalée.

28 Son souffle est comme un torrent débordant
qui monte jusqu’au cou,
pour secouer les nations d’une secousse fatale,
mettre un mors d’égarement aux mâchoires des peuples.
29 Le chant sera sur vos lèvres comme en une nuit de fête,
et la joie sera dans vos cœurs
comme lorsqu’on marche au son de la flûte
pour aller à la montagne de Yahvé, le rocher d’Israël.
30 Yahvé fera entendre la majesté de sa voix,
il fera sentir le poids de son bras,
dans l’ardeur de sa colère accompagnée d’un feu dévorant,
de la foudre, d’averses et de grêlons.
31 Car à la voix de Yahvé, Assur sera terrorisé,
il le frappera de sa baguette ;
32 chaque fois qu’il passera, ce sera la férule du châtimentb
que Yahvé lui infligera,
au son des tambourins et des kinnors,
et dans les combats qu’il livrera, la main levée, contre lui.

b « châtiment » qques mss ; « fondation » hébr. — La fin du v. est difficile. On peut traduire litt. « et dans des combats de main levée, il combattra contre lui ». Le mot traduit par « main levée » signifie ailleurs le geste de balancement des mains par lequel le prêtre consacre les offrandes, mais en 19.16, c’est un geste de menace.

33 Car depuis longtemps est préparé Tophèt,c
— il sera aussi pour le roi —
profond et large son bûcher,
feu et bois y abondent ;
le souffle de Yahvé, comme un torrent de soufre,
va y mettre le feu.

c « Tophèt », qui peut signifier « brûloir », est l’endroit de la vallée de Ben-Hinnom où l’on sacrifiait des enfants par le feu à « Molek », cf. Lv 18.21, à quoi peut faire allusion le « roi » (melek) de la ligne suivante, s’il ne s’agit pas du roi d’Assyrie.

Contre l’alliance égyptienne.d

31 Malheur à ceux qui descendent en Égypte
pour y chercher du secours.
Ils comptent sur les chevaux,
ils mettent leur confiance dans les chars, car ils sont nombreux,
et dans les cavaliers, car ils sont très forts.
Ils ne se sont pas tournés vers le Saint d’Israël,
ils n’ont pas consulté Yahvé.

d Oracle prononcé probablement dans les mêmes circonstances que ceux de 30.1-5, 6-7.

2 Pourtant il est sage, lui aussi, et peut faire venir le malheur,
il n’a jamais manqué à sa parole.
Il se lèvera contre l’engeance des méchants,
contre la protection des malfaisants.
3 L’Égyptien est un homme et non un dieu,
ses chevaux sont chair et non esprit ;
Yahvé étendra la main :
le protecteur trébuchera, le protégé tombera,
tous ensemble ils périront.

Contre l’Assyrie.e

4 Car ainsi m’a parlé Yahvé :
Comme gronde le lion, le lionceau après sa proie,
quand on fait appel contre lui à l’ensemble des bergers,
sans qu’il se laisse terroriser par leurs cris
ni troubler par leur fracas,
ainsi descendra Yahvé Sabaot
pour guerroyer sur le mont Sion, sur sa colline.f

e Probablement au temps de l’attaque de Sennachérib.

f On peut traduire aussi « contre le mont Sion et contre sa colline »; il s’agirait alors d’un oracle indépendant contre Jérusalem. Mais la suite, cf. v. 5, est en faveur de la traduction adoptée.

5 Comme des oiseaux qui volent,
ainsi Yahvé Sabaot protégera Jérusalem ;
par sa protection il la sauvera,
par son soutien il la délivrera.
6 Revenez à celui qu’ont si profondément trahi
les enfants d’Israël.
7 Car en ce jour-là, chacun rejettera
ses faux dieux d’argent et ses faux dieux d’or,
qu’ont fabriqué pour vous vos mains pécheresses.
8 Assur tombera par l’épée, non celle d’un homme,
il sera dévoré par l’épée, non celle d’un mortel.
Il s’enfuira devant l’épée,
et ses jeunes gens seront asservis.
9 Dans sa terreur il abandonnera son rocher,
et ses chefs apeurés déserteront l’étendard.
Oracle de Yahvé dont le feu est à Sion
et la fournaise à Jérusalem.

Le roi juste.g

32 Voici qu’un roi régnera avec justice
et des princesh gouverneront selon le droit.

g C’est une description du gouvernement idéal, donnée en termes messianiques, cf. 29.18 ; 35.5, cependant moins accusés qu’en 9.1-6 et 11.1-9.

h « des princes » grec ; « pour des princes » hébr.

2 Chacun sera comme un abri contre le vent,
un refuge contre l’averse,
comme des ruisseaux sur une terre aride,
comme l’ombre d’une roche solide dans un pays désolé.
3 Les yeux des voyants ne seront plus englués,
les oreilles des auditeurs seront attentives.
4 Le cœur des inconstants s’appliquera à comprendre,
et la langue des bègues dira sans hésiter des paroles claires.
5 On ne donnera plus à l’insensé le titre de noble,
ni au fourbe celui de grand.

L’insensé et le noble.i

6 Car l’insensé dit des insanités
et son cœur s’adonne au mal,
en pratiquant l’impiété,
en tenant sur Yahvé des propos aberrants,
en laissant l’affamé sans nourriture ;
il refuse la boisson à celui qui a soif.

i Cette description est dans le ton de certains passages du livre des Proverbes. Elle pourrait provenir de la plume d’un Sage, et avoir été introduite comme commentaire du v. 5 où sont mentionnés l’insensé et le noble.

7 Quant au fourbe, ses fourberies sont perverses,
il a ourdi des machinations
pour perdre le pauvre par des paroles mensongères,
alors que le malheureux a le droit pour lui.
8 Le noble, lui, n’a eu que de nobles desseins,
il se lève pour agir avec noblesse.

Contre les femmes de Jérusalem.j

9 Femmes altières, levez-vous, écoutez ma voix,
filles pleines de superbe, prêtez l’oreille à ma parole.

j Avertissement aux femmes dans le style de 3.16-24, mais peut-être plus tardif. L’indication chronologique du v. 10 rappelle 29.1 ; il faut peut-être, ici aussi, l’entendre de façon assez large.

10 Dans un an et quelques jours, vous tremblerez, présomptueuses,
car c’en est fait de la vendange,
il n’y a plus de récolte.
11 Frémissez, vous qui êtes altières,
tremblez, vous qui êtes pleines de superbe ;
dépouillez-vous, dénudez-vous, ceignez-vous les reins.
12 Frappez-vous les seins sur le sort des campagnes riantes,
des vignes chargées de fruits ;
13 sur le terroir de mon peuple croîtra le buisson de ronces,
comme sur toute maison joyeuse de la cité délirante.
14 Car la citadelle est abandonnée,
la ville tapageuse est désertée,
Ophel et Donjonk seront dénudés à jamais,
délices des ânes sauvages, pacage de troupeaux,

k L’Ophel est le site de l’ancienne Jérusalem, au sud du Temple, cf. 2 Ch 27.3 ; Ne 3.27. Le « Donjon » traduction incertaine d’un mot unique ; c’est probablement l’équivalent de la grande tour de Ne 3.26-27.

L’effusion de l’Esprit.l

15 jusqu’à ce que se répande sur nous l’Esprit d’en haut,
et que le désert devienne un verger,
un verger qui fait penser à une forêt.

l Ce poème postexilique ajoute aux menaces de l’oracle précédent l’annonce d’une venue de l’Esprit, cf. Jl 3.1-2. Une coïncidence de vocabulaire entre les vv. 9-11 et 18 a peut-être facilité son insertion ici.

16 Dans le désert s’établira le droit
et la justice habitera le verger.
17 Le fruit de la justice sera la paix,
et l’effet de la justice repos et sécurité à jamais.
18 Mon peuple habitera dans un séjour de paix,
des demeures superbes, des résidences altières.
19 Et si la forêt est totalement détruite,m
si la ville est gravement humiliée,

m « détruite » weyarad conj. d’après syr. et Targ. ; « il grêlera » ûbarad hébr.

20 heureux serez-vous de semer partout où il y a de l’eau,
de laisser en liberté le bœuf et l’âne.

Le salut attendu.n

33 Malheur à toi qui détruis et n’es pas détruit,
qui es traître alors qu’on ne te trahit pas ;
quand tu auras fini de détruire, tu seras détruit,
quand tu auras terminéo tes trahisons, on te trahira.

n Malgré de nombreuses références à des thèmes isaïens, le style et le vocabulaire de tout ce chap. ne permettent pas de l’attribuer au grand prophète. Les parallèles fréquents avec des Psaumes autorisent à y voir une liturgie prophétique postérieure à l’Exil. L’absence de noms propres et d’allusions claires empêche d’en préciser la date.

o « aura terminé » 1QIsa ; TM. inintelligible.

2 Yahvé, fais-nous grâce, en toi nous espérons.
Sois notre brasp chaque matin, et aussi notre salut au temps de la détresse.

p « notre bras » versions ; « leur bras » hébr.

3 Au bruit du tumulte les peuples s’enfuient,
lorsque tu te lèves les nations se dispersent.
4 On amasse chez vous le butin comme amasse le criquet,
on se rue sur lui comme une ruée de sauterelles.
5 Yahvé est exalté car il trône là-haut,
il comble Sion de droit et de justice.
6 Et ce sera la sécurité pour tes jours :
sagesse et connaissance sont les richesses qui sauvent,
la crainte de Yahvé, tel est son trésor.

7 Voici qu’Ariel pousse des cris dans les rues,q
les messagers de paix pleurent amèrement.

q « Ariel » conj. ; cf. 29.1 ; ’er ’ellam hébr., inintelligible. — Le rappel des malheurs de Jérusalem est un thème habituel des psaumes de supplication.

8 Les routes sont désolées, plus de passants sur les chemins,
on a rompu l’alliance, méprisé les témoins,r
on n’a tenu compte de personne.

r « témoins » 1QIsa ; « villes » TM.

9 Endeuillée, la terre languit.
Couvert de honte, le Liban se dessèche,
Saron est devenue comme la steppe,
Bashân et le Carmel frémissent.
10 Maintenant je me lève, dit Yahvé,
maintenant je me dresse, maintenant je m’élève.
11 Vous concevez du foin, vous enfantez de la paille,
mon souffle,s comme un feu, vous dévorera.

s « mon souffle » Targ. ; « votre souffle » hébr.

12 Les peuples seront consumés comme par la chaux,
épines coupées, ils seront brûlés au feu.
13 Écoutez, vous qui êtes loin, ce que j’ai fait,
sachez, vous qui êtes proches, quelle est ma puissance.
14 Les pécheurs ont été terrifiés à Sion,
un tremblement a saisi les impies.
Qui de nous tiendra devant un feu dévorant ?
Qui de nous tiendra devant des brasiers éternels ?
15 Celui qui se conduit avec justice et parle loyalement,
qui refuse un gain extorqué et repousse de la main le pot-de-vin,
qui se bouche les oreilles pour ne pas entendre les propos sanguinaires,
et ferme les yeux pour ne pas voir le mal,
16 celui-là habitera dans les hauteurs,
les roches escarpées seront son refuge,
on lui donnera du pain, l’eau ne lui manquera pas.t

t Les vv. 14-16, avec leur interrogation à quoi répond l’énumération des vertus exigées pour s’approcher de Dieu, ont la forme d’une liturgie dialoguée, comparable à Ps 15 et Ps 24.3-5.

Le retour à Jérusalem.

17 Tes yeux contempleront le roi dans sa beauté,
ils verront un pays qui s’étend au loin.
18 Ton cœur méditera ses frayeurs :
« Où est celui qui comptait ? où est celui qui pesait ?
où est celui qui comptait les tours ? »
19 Tu ne verras plus le peuple insolent,
le peuple au langage incompréhensible,
à la langue barbare et dénuée de sens.
20 Contemple Sion, cité de nos fêtes,
que tes yeux voient Jérusalem,
résidence sûre, tente qu’on ne déplacera pas,
dont on n’arrachera jamais les piquets,
dont les cordes ne seront jamais rompues.
21 Mais c’est là que Yahvé nous montre sa puissance,
comme un lieu de fleuves et de canaux très larges
où ne vogueront pas les bateaux à rame,
que ne traverseront pas les grands vaisseaux.u

u Certains comprennent que, pour Israël, Yahvé tiendra lieu de fleuves qui, en Égypte et en Assyrie, assurent la richesse et la défense du pays. On peut aussi comprendre que Yahvé donnera aux pays d’Israël tout un réseau fluvial, source de bénédictions ; mais ces cours d’eau ne porteront pas de navires ennemis. — L’imagerie du v. 21 se poursuit au v. 23 ; le v. 22 doit être une surcharge.

22 (Car Yahvé nous juge et Yahvé nous régente,
Yahvé est notre roi, c’est lui notre sauveur.)
23 Tes cordages ont lâché, ils ne maintiennent plus le mât,
ils ne hissent plus le signal.
Alors on s’est partagé un énorme butin,
les boiteux se sont livrés au pillage.
24 Aucun habitant ne dira plus : « Je suis malade »,
le peuple qui y demeure verra sa faute remise.

Le jugement contre Édom.v

34 Approchez, nations, pour écouter,
peuples, soyez attentifs,
que la terre écoute, et ce qui l’emplit,
le monde et tout son peuplement.

v On donne parfois aux chap. 34-35 d’Isaïe le nom de Petite Apocalypse ; ils contiennent en effet une description des derniers et terribles combats que Yahvé doit mener contre les nations en général, et contre Édom en particulier, chap. 34, suivie de l’annonce du dernier jugement qui rétablira Jérusalem dans toute sa gloire. L’intention et le style de cet ensemble, qui dépend du Second Isaïe, sont comparables à ceux des chap. 24-27 (l’« Apocalypse d’Isaïe ») et appartiennent, comme ceux-ci, à la dernière étape de composition du livre.

2 Car c’est une colère de Yahvé contre toutes les nations,
une fureur contre toute leur armée.
Il les a vouées à l’anathème,
livrées au carnage.
3 Leurs victimes sont jetées dehors,
la puanteur de leurs cadavres se répand,
les montagnes ruissellent de sang,
4 toute l’armée des cieux se disloque.
Les cieux s’enroulent comme un livre,
toute leur armée se flétrit,
comme se flétrissent les feuilles qui tombent de la vigne,
comme se flétrissent celles qui tombent du figuier.

5 Car mon épée s’est abreuvée dans les cieux :
Voici qu’elle s’abat sur Édom,w
sur le peuple voué à l’anathème, pour le punir.

w Lors de la chute de Jérusalem en 587, les Édomites se montrèrent particulièrement hostiles au royaume de Juda et profitèrent de ses malheurs. Aussi les prophètes et les écrivains postérieurs sont-ils généralement sévères contre Édom, cf. Ps 137.7 ; Lm 4.21-22 ; Ez 25.12 ; 35.15 ; Ab 10-16 ; 63.1. Ici, la ruine d’Édom illustre le jugement général de Yahvé contre les nations. Comparer la « cité du néant » (ville de Moab) dans l’apocalypse des chap. 24-27, cf. 24.10.

6 L’épée de Yahvé est pleine de sang,
gluante de graisse,
du sang des agneaux et des boucs,
de la graisse des rognons de béliers ;
car il y a pour Yahvé un sacrifice à Boçra,
un grand carnage au pays d’Édom.
7 Les buffles tombent avec eux,
les veaux avec les bœufs gras,
leur terre est abreuvée de sang,
leur poussière engluée de graisse.
8 Car c’est un jour de vengeance pour Yahvé,
l’année de la rétribution, dans le procès de Sion.

9 Ses torrents se changent en poix,
sa poussière en soufre,
son pays devient de la poix brûlante.
10 Nuit et jour il ne s’éteint pas,
éternellement s’élève sa fumée,
d’âge en âge il sera desséché,
toujours et à jamais, personne n’y passera.
11 Ce sera le domaine du pélican et du hérisson,
la chouette et le corbeau l’habiteront ;
Yahvé y tendra le cordeau du chaos
et le niveau du vide.

12 De nobles, il n’y en a plus
pour proclamer la royauté,
c’en est fini de tous ses princes.
13 Dans ses bastions croîtront les ronces,
dans ses forteresses, l’ortie et l’épine ;
ce sera une tanière de chacals,
un enclos pour les autruches.
14 Les chats sauvages rencontreront les hyènes,
le satyre appellera le satyre,
là encore se tapira Lilith,x
elle trouvera le repos.

x « satyres » ou « boucs sauvages », cf. 13.21, mais le parallèle fait préférer ici des êtres mythologiques, cf. Lv 17.7. Lilith est un démon femelle qui hante les ruines.

15 Là nichera le serpent, il pondra,
fera éclore ses œufs, groupera ses petits à l’ombre.
Là encore se rassembleront les vautours,
les uns vers les autres.
16 Cherchez dans le livre de Yahvéy et lisez :
il n’en manque pas un,
pas un n’est privé de son compagnon.
C’est ainsi que sa bouchez l’a ordonné,
son esprit, lui, les rassemble.

y On y a reconnu le livre authentique d’Isaïe, ou un recueil de prophéties qu’on lui attribuait ; il est effectivement question des mêmes animaux sauvages en 13.20-22. Mais on peut aussi y voir le livre des décrets de Yahvé concernant sa création, vv. 16-17, cf. Ps 139.16.

z « sa bouche » 1QIsa ; « ma bouche » TM.

17 Et c’est lui qui pour eux a jeté le sort,
sa main a fixé leur part au cordeau,
pour toujours ils la posséderont,
d’âge en âge ils y habiteront.a

a Il s’agit toujours des bêtes sauvages des vv. 11s. Le territoire dévasté d’Édom, cf. v. 11, leur est réparti en héritage, comme la Terre Promise l’a été aux Israélites.

Le triomphe de Jérusalem.b

35 Que soient pleins d’allégresse désert et terre aride,
que la steppe exulte et fleurisse ;
comme l’asphodèle

b Au jugement prononcé contre Édom s’opposent les bénédictions réservées à Jérusalem. Les contacts avec le Second Isaïe sont ici particulièrement nombreux.

2 qu’elle se couvre de fleurs,
qu’elle exulte de joie et pousse des cris,
la gloire du Liban lui a été donnée,
la splendeur du Carmel et de Saron.
C’est eux qui verront la gloire de Yahvé,
la splendeur de notre Dieu.
3 Fortifiez les mains affaiblies,
affermissez les genoux qui chancellent.
4 Dites aux cœurs défaillants :
« Soyez forts, ne craignez pas ;
voici votre Dieu.
C’est la vengeance qui vient,
la rétribution divine.
C’est lui qui vient vous sauver. »

5 Alors se dessilleront les yeux des aveugles,
et les oreilles des sourds s’ouvriront.
6 Alors le boiteux bondira comme un cerf,
et la langue du muet criera sa joie.
Parce qu’auront jailli les eaux dans le désert
et les torrents dans la steppe.
7 La terre brûlée deviendra un marécage,
et le pays de la soif, des eaux jaillissantes ;
dans les repaires où gîtaient les chacals
on verra des enclos de roseaux et de papyrus.

8 Il y aura là une chaussée et un chemin,
on l’appellera la voie sacrée ;
l’impur n’y passera pas ;
c’est Lui qui pour eux ira par ce chemin,c
et les insensés ne s’y égareront pas.

c Il s’agit de Yahvé ; mais certains considèrent ce vers comme une glose parce qu’il surcharge le rythme.

9 Il n’y aura pas de lion
et la plus féroce des bêtes n’y montera pas,
on ne l’y rencontrera pas,
mais les rachetés y marcheront.
10 Ceux qu’a libérés Yahvé reviendront,
ils arriveront à Sion criant de joie,
portant avec euxd une joie éternelle.
La joie et l’allégresse les accompagneront,
la douleur et les plaintes cesseront.

d Littéralement « sur leur tête »; il faut comprendre qu’ils portent leur joie comme un bagage de voyageur.

COMPLÉMENTSe

L’invasion de Sennachérib.

36 Il arriva qu’en la quatorzième année du roi Ézéchias, Sennachérib, roi d’Assyrie, monta contre toutes les villes fortes de Juda et s’en empara.

e Les chap. 36-39 reproduisent, à quelques variantes près, 2 R 18 (13) 17 — 20.19 (voir les notes à 2 R). Ces chap. ont été empruntés au livre des Rois et placés à la fin de la première partie d’Isaïe, pour compléter le recueil des traditions relatives au prophète. Dans les chap. 36-37, le rédacteur a combiné deux sources 36.1 — 37.9, 37-38 provient, comme les chap. 38-39, des cercles prophétiques, peut-être d’une biographie d’Isaïe ; un récit parallèle, 37.9-36, insiste sur la piété d’Ézéchias et sur l’intervention d’Isaïe, auquel sont attribués plusieurs oracles qui, s’ils sont authentiques, ont au moins été retouchés par ses disciples, desquels semble provenir ce récit. Il s’achève par une touche de merveilleux, 37.36.

2 De Lakish, le roi d’Assyrie envoya vers le roi Ézéchias, à Jérusalem, le grand échanson avec un important corps de troupes. Le grand échanson se posta près du canal de la piscine supérieure, sur le chemin du champ du Foulon. 3 Le maître du palais Élyaqim, fils de Hilqiyyahu, le secrétaire Shebna et le héraut Yoah, fils d’Asaph, sortirent à sa rencontre. 4 Le grand échanson leur dit : « Dites à Ézéchias : Ainsi parle le grand roi, le roi d’Assyrie : Quelle est cette confiance sur laquelle tu te reposes ? 5 Tu t’imaginesf que paroles en l’air valent conseil et vaillance pour faire la guerre. En quoi donc mets-tu ta confiance pour t’être révolté contre moi ?

f « tu t’imagines » litt. « tu dis », 2 R 18.20 ; « je dis » hébr.

6 Voici que tu te fies au soutien de ce roseau brisé, l’Égypte, qui pénètre et perce la main de qui s’appuie sur lui. Tel est Pharaon, roi d’Égypte, pour tous ceux qui se fient à lui. 7 Vous me direz peut-être : « C’est en Yahvé notre Dieu que nous avons confiance », mais n’est-ce pas lui dont Ézéchias a supprimé les hauts lieux et les autels en disant aux gens de Juda et de Jérusalem : « C’est devant cet autel que vous vous prosternerez » ? 8 Eh bien ! fais un pari avec Monseigneur le roi d’Assyrie : je te donnerai deux mille chevaux si tu peux trouver des cavaliers pour les monter. 9 Comment ferais-tu reculer un seulg des moindres serviteurs de mon maître ? Mais tu t’es fié à l’Égypte pour avoir chars et cavaliers !

g « un seul » conj., « un seul gouverneur » hébr., glose ou ditt.

10 Et puis, est-ce sans la volonté de Yahvé que je suis monté contre ce pays pour le dévaster ? C’est Yahvé qui m’a dit : “Monte contre ce pays et dévaste-le !” »

11 Élyaqim, Shebna et Yoah dirent au grand échanson : « Je t’en prie, parle à tes serviteurs en araméen, car nous l’entendons, ne nous parle pas en judéen à portée des oreilles du peuple qui est sur les remparts. » 12 Mais le grand échanson dit : « Est-ce à toi ou à ton maître que Monseigneur m’a envoyé dire ces choses ? N’est-ce pas plutôt aux gens assis sur le rempart et condamnés à manger leurs excréments et à boire leur urine avec vous ? »

13 Alors le grand échanson se tint debout, il cria d’une voix forte, en langue judéenne, et dit : « Écoutez les paroles du grand roi, le roi d’Assyrie ! 14 Ainsi parle le roi : Qu’Ézéchias ne vous abuse pas ! Il ne pourra vous délivrer. 15 Qu’Ézéchias n’entretienne pas votre confiance en Yahvé en disant : « Sûrement Yahvé nous délivrera, cette ville ne tombera pas entre les mains du roi d’Assyrie. » 16 N’écoutez pas Ézéchias, car ainsi parle le roi d’Assyrie : Faites la paix avec moi, rendez-vous à moi, et chacun de vous mangera le fruit de sa vigne et de son figuier, chacun boira l’eau de sa citerne, 17 jusqu’à ce que je vienne et que je vous emmène vers un pays comme le vôtre, un pays de froment et de moût, un pays de pain et de vignobles. 18 Qu’Ézéchias ne vous abuse pas en vous disant : « Yahvé nous délivrera. » Les dieux des
nations ont-ils vraiment délivré chacun son pays des mains du roi d’Assyrie ?

19 Où sont les dieux de Hamat et d’Arpad, où sont les dieux de Sepharvayim, où sont les dieux du pays de Samarie ?h Ont-ils délivré Samarie de ma main ?

h « où sont les dieux du pays de Samarie » conj. d’après 2 R 18.34 grec et vet. lat., et cf. la suite.

20 Parmi tous les dieux de ces pays, lesquels ont délivré leur pays de ma main, pour que Yahvé délivre Jérusalem ? »

21 Ils gardèrent le silence et ne lui répondirent pas un mot, car tel était l’ordre du roi : « Vous ne lui répondrez pas. » 22 Le maître du palais Élyaqim, fils de Hilqiyyahu, le secrétaire Shebna et le héraut Yoah, fils d’Asaph, vinrent auprès d’Ézéchias, les vêtements déchirés, et ils lui rapportèrent les paroles du grand échanson.

Recours au prophète Isaïe.

37 À ce récit, le roi Ézéchias déchira ses vêtements, se couvrit d’un sac et se rendit au Temple de Yahvé. 2 Il envoya le maître du palais Élyaqim, le secrétaire Shebna et les anciens des prêtres, couverts de sacs, auprès du prophète Isaïe, fils d’Amoç. 3 Ceux-ci lui dirent : « Ainsi parle Ézéchias : Ce jour-ci est un jour d’angoisse, de châtiment et d’opprobre. Les enfants sont à terme et la force manque pour les enfanter. 4 Puisse Yahvé ton Dieu entendre les paroles du grand échanson que le roi d’Assyrie, son maître, a envoyé insulter le Dieu vivant, et puisse Yahvé ton Dieu punir les paroles qu’il a entendues ! Adresse une prière en faveur du reste qui subsiste encore. »

5 Lorsque les ministres du roi Ézéchias furent arrivés auprès d’Isaïe, 6 celui-ci leur dit : « Vous direz à votre maître : Ainsi parle Yahvé. N’aie pas peur des paroles que tu as entendues, des blasphèmes que les valets du roi d’Assyrie ont lancés contre moi. 7 Voici que je vais mettre en lui un esprit et, sur une nouvelle qu’il entendra, il retournera dans son pays et, dans son pays, je le ferai tomber sous l’épée. »

Départ du grand échanson.

8 Le grand échanson s’en retourna et retrouva le roi d’Assyrie en train de combattre contre Libna. Le grand échanson avait appris en effet que le roi avait décampé de Lakish, 9 car il avait reçu cette nouvelle au sujet de Tirhaqa, roi de Kush : « Il est parti en guerre contre toi. »

Second récit de l’intervention de Sennachérib.

De nouveau,i Sennachérib envoya des messagers à Ézéchias pour lui dire :

i « de nouveau » 2 R 19.19 et 1QIsa ; omis par TM.

10 « Vous parlerez ainsi à Ézéchias roi de Juda : Que ton Dieu en qui tu te confies ne t’abuse pas en disant : « Jérusalem ne sera pas livrée aux mains du roi d’Assyrie. » 11 Tu as appris ce que les rois d’Assyrie ont fait à tous les pays, les vouant à l’anathème, et toi, tu serais délivré ! 12 Les ont-ils délivrées, les dieux des nations que mes pères ont dévastées, Gozân, Harân, Réçeph, et les Édénites qui étaient à Telassar ?j

j Probablement Tell Basar ; sur l’Euphrate, cf. 2 R 19.12.

13 Où sont le roi de Hamat, le roi d’Arpad, le roi de Laïr,k de Sepharvayim, de Héna, de Ivva ? »

k Ou « un roi par ville », qui serait une glose.

14 Ézéchias prit la lettre de la main des messagers et la lut. Puis il monta au Temple de Yahvé et la déplia devant Yahvé. 15 Et Ézéchias fit cette prière en présence de Yahvé : 16 « Yahvé Sabaot, Dieu d’Israël, qui sièges sur les chérubins, c’est toi qui es seul Dieu de tous les royaumes de la terre, c’est toi qui as fait le ciel et la terre.

17 Prête l’oreille, Yahvé, et entends,
ouvre les yeux, Yahvé, et vois.
Entends les paroles de Sennachérib
qui a envoyé dire des insultes au Dieu vivant.

18 Il est vrai, Yahvé, les rois d’Assyrie ont exterminé toutes les nations (et leurs pays). 19 Ils ont jeté au feu leurs dieux, car ce n’étaient pas des dieux mais l’ouvrage de mains d’hommes, du bois et de la pierre, alors ils les ont anéantis.

20 Mais maintenant, Yahvé notre Dieu, sauve-nous de sa main, je t’en supplie, et que tous les royaumes de la terre sachent que toi seul es Dieu, Yahvé. »

Intervention d’Isaïe.

21 Alors Isaïe fils d’Amoç envoya dire à Ézéchias : « Ainsi parle Yahvé, Dieu d’Israël, à propos de la prière que tu m’as adressée au sujet de Sennachérib, roi d’Assyrie. 22 Voici l’oracle que Yahvé a prononcé contre lui :

Elle te méprise, elle te raille,
la vierge, fille de Sion ;
elle hoche la tête après toi,
la fille de Jérusalem.
23 Qui donc as-tu insulté, blasphémé ?
contre qui as-tu parlé haut
et levé ton regard altier ?
Vers le Saint d’Israël !
24 Par tes valets tu as insulté le Seigneur,
tu as dit : « Avec mes nombreux chars
j’ai gravi les sommets des monts,
les dernières cimes du Liban.
J’ai coupé sa haute futaie de cèdres
et ses plus beaux cyprès.
J’ai atteint son ultime sommet,
son parc forestier.
25 Moi, j’ai creusé et j’ai bu
des eaux étrangères ;l
j’ai asséché sous la plante de mes pieds
tous les fleuves de l’Égypte. »

l « étrangères » 2 R 19.24 ; omis par hébr.

26 Entends-tu bien ? De longue date
j’ai préparé cela,
aux jours anciens j’en fis le dessein,
maintenant je le réalise.
Ton destin fut de réduire en tas de ruines
des villes fortifiées.
27 Leurs habitants, les mains débiles,
épouvantés et confondus,
furent comme plantes des champs,
verdure de gazon,
herbe des toits et guérets,
sous le vent d’orient.m

m « sous le vent d’orient » 1QIsa ; TM lit « avant la croissance » (?) et omet « Quand tu te lèves », au début du v. suivant.

28 Quand tu te lèves et quand tu t’assieds,
quand tu sors ou tu entres, je le sais
(et que tu t’emportes contre moi).n

n Le dernier stique, omis par grec, est probablement un doublet de 29a.

29 Parce que tu t’es emporté contre moi,
que ton insolence est montée à mes oreilles,
je passerai mon anneau à ta narine
et mon mors à tes lèvres,
je te ramènerai sur le chemin
par lequel tu es venu.

Le signe donné à Ézéchias.

30 Ceci te servira de signe :
On mangera cette année du grain tombé
et l’an prochain du grain de jachère,
mais, le troisième an, semez et moissonnez,
plantez des vignes et mangez de leur fruit.
31 Le reste survivant de la maison de Juda
produira de nouvelles racines en bas et des fruits en haut.
32 Car de Jérusalem sortira un reste
et des survivants du mont Sion.
L’amour jaloux de Yahvé Sabaot fera cela.

Oracle sur l’Assyrie.

33 Voici donc ce que dit Yahvé sur le roi d’Assyrie :

Il n’entrera pas dans cette ville,
il n’y lancera pas une flèche,
il ne tendra pas de bouclier contre elle,
il n’y entassera pas de remblai.
34 Par la route qui l’amena, il s’en retournera,
il n’entrera pas dans cette ville, oracle de Yahvé.
35 Je protégerai cette ville et la sauverai
à cause de moi et de mon serviteur David. »

Châtiment de Sennachérib.

36 L’Ange de Yahvé sortito et frappa dans le camp assyrien cent quatre-vingt-cinq mille hommes. Le matin, au réveil, ce n’étaient plus que des cadavres.

o Le texte parallèle de 2 R 19.35 précise « cette même nuit ».

37 Sennachérib leva le camp et partit. Il s’en retourna et resta à Ninive. 38 Un jour qu’il était prosterné dans le temple de Nisrok, son dieu, ses fils Adrammélek et Saréçer le frappèrent de l’épée et se sauvèrent au pays d’Ararat. Asarhaddon, son fils, devint roi à sa place.

Maladie et guérison d’Ézéchias.

38 En ces jours-là, Ézéchias fut atteint d’une maladie mortelle. Le prophète Isaïe, fils d’Amoç, vint lui dire : « Ainsi parle Yahvé. Mets ordre à ta maison, car tu vas mourir, tu ne vivras pas. » 2 Ézéchias se tourna vers le mur et fit cette prière à Yahvé : 3 « Ah ! Yahvé, souviens-toi, de grâce, que je me suis conduit fidèlement et en toute probité de cœur devant toi, et que j’ai fait ce qui était bien à tes yeux. » Et Ézéchias versa d’abondantes larmes.

4 Alors la parole de Yahvé se fit entendre à Isaïe : 5 « Va dire à Ézéchias : Ainsi parle Yahvé, Dieu de ton ancêtre David. J’ai entendu ta prière, j’ai vu tes larmes.p J’ajouterai quinze années à ta vie.

p 2 R 20.5 ajoute ici « je vais te guérir ; dans trois jours tu monteras au Temple de Yahvé »; omis par hébr. mais cf. v. 22.

6 Je te délivrerai, toi et cette ville, de la main du roi d’Assyrie, et je protégerai cette ville.

7 q « Voici, de la part de Yahvé, le signe qu’il fera ce qu’il a dit.

q Il serait tentant d’insérer les vv. 21-22 entre les vv. 6 et 7 pour reconstituer un récit plus logique, correspondant mieux à celui de 2 R 20. Mais aucun témoin ancien ne donne l’exemple de cette transposition.

8 Voici que je vais faire reculer l’ombre des degrés que le soleil a descendusr sur les degrés de la chambre haute d’Achaz — dix degrés en arrière. » Et le soleil recula de dix degrés, sur les degrés qu’il avait descendus.

r « le soleil » versions, Targ. ; hébr. lit « avec le soleil », déplacé après « degrés ». — « De la chambre haute d’Achaz » 1QIsa ; « d’Achaz » TM.

Cantique d’Ézéchias.s

9 Cantiquet d’Ézéchias, roi de Juda, lors de la maladie dont il fut guéri :

s Rien dans le texte ne rattache à Ézéchias ce cantique, absent du récit parallèle des Rois. Il s’agit d’un psaume postexilique exprimant la plainte d’un fidèle atteint d’une grave et soudaine maladie. Le texte est en mauvais état et l’insertion est maladroite (voir v. 7 note et v. 21 note).

t « Cantique » ou « poème », litt. « écrit ».

10 Je disais : Au midi de mes jours,
je m’en vais,
aux portes du shéol je serai gardé
pour le reste de mes ans.
11 Je disais : Je ne verrai pas Yahvé
sur la terre des vivants,
je n’aurai plus un regard pour personne
parmi les habitants du monde.u

u « du monde » haled mss hébr., Targ. ; hadel hébr. inintelligible.

12 Ma demeure est arrachée, jetée loin de moi,
comme une tente de bergers ;v
comme un tisserand j’ai enroulé ma vie,
il m’a séparé de la chaîne.
Du point du jour jusqu’à la nuit tu m’as achevé ;

v « de bergers » versions ; « de mon berger » hébr.

13 j’ai criéw jusqu’au matin ;
comme un lion, c’est ainsi qu’il broie tous mes os,
du point du jour jusqu’à la nuit tu m’as achevé.

w « j’ai crié » shiwa`tî conj. cf. Targ. ; « j’ai apaisé » shiwwîti hébr. ; 1Qshappotî « je suis dénudé ».

14 Comme l’hirondelle,x je pépie,
je gémis comme la colombe,
mes yeux faiblissent à regarder en haut.
Seigneur je suis accablé, viens à mon aide.

x Après le mot traduit par « hirondelle », l’hébr. ajoute le nom d’un autre oiseau (le martinet ?) doublet qui a sans doute pour objet de préciser qu’il faut lire sîs « hirondelle », et non sûs « cheval » comme le fait le TM (cf. Jr 8 7).

15 Comment parlerai-je pour qu’il me réponde ?y
car c’est lui qui agit.
Je m’avancerai toutes mes années durant
dans l’amertume de mon âme.

y « pour qu’il me réponde » TM ; « et que lui dirai-je ? » 1QIsa et Targ.

16 Le Seigneur est sur eux, ils vivent
et tout ce qui est en eux est vie de son esprit.z
Tu me guériras, fais-moi vivre.

z « en eux » 1QIsa ; « en elles » TM. — « son esprit » 1QIsa ; « mon esprit » TM. Il s’agit peut-être d’une « relecture » de l’époque maccabéenne, en fonction de la croyance en la résurrection.

17 Voici que mon amertume se change en bien-être.
C’est toi qui as préservé mon âme
de la fosse du néant,
tu as jeté derrière toi tous mes péchés.
18 Ce n’est pas le shéol qui te loue,
ni la mort qui te célèbre.
Ils n’espèrent plus en ta fidélité,
ceux qui descendent dans la fosse.
19 Le vivant, le vivant lui seul te loue,
comme moi aujourd’hui.
Le père à ses fils fait connaître
ta fidélité.
20 Yahvé, viens à mon aide,
et nous ferons résonner nos harpes
tous les jours de notre vie
dans le Temple de Yahvé.

21 a Isaïe dit : « Qu’on apporte un pain de figues, qu’on l’applique sur l’ulcère, et il vivra. »

a Les vv. 21-22 ont dû être déplacés au moment de l’insertion du cantique d’Ézéchias (voir v. 7 note). Le parallèle des Rois semble moins troublé et témoigne peut-être de l’existence de deux recensions.

22 Ézéchias dit : « À quel signe connaîtrai-je que je monterai au Temple de Yahvé ? »

Ambassade babylonienne.

39 En ce temps-là, Mérodak-Baladan, fils de Baladan, roi de Babylone, envoya des lettres et un présent à Ézéchias, car il avait appris sa maladie et son rétablissement. 2 Ézéchias s’en réjouit et il montra aux messagers sa chambre du trésor, l’argent, l’or, les aromates, l’huile précieuse ainsi que son arsenal et tout ce qui se trouvait dans ses magasins. Il n’y eut rien qu’Ézéchias ne leur montrât dans son palais et dans tout son domaine.

3 Alors le prophète Isaïe vint trouver le roi Ézéchias et lui demanda : « Qu’ont dit ces gens-là, et d’où sont-ils venus chez toi ? » Ézéchias répondit : « Ils sont venus d’un pays lointain, de Babylone. » 4 Isaïe reprit : « Qu’ont-ils vu dans ton palais ? » Ézéchias répondit : « Ils ont vu tout ce qu’il y a dans mon palais : il n’y a dans mes magasins rien que je ne leur aie montré. »

5 Alors Isaïe dit à Ézéchias : « Écoute la parole de Yahvé Sabaot ! 6 Des jours viennent où tout ce qui est dans ton palais, tout ce qu’ont amassé tes pères jusqu’à ce jour, sera emporté à Babylone. Rien ne sera laissé, dit Yahvé. 7 Parmi les fils issus de toi, ceux que tu as engendrés, on en prendra pour être eunuques dans le palais du roi de Babylone. » 8 Ézéchias dit à Isaïe : « C’est une parole favorable de Yahvé que tu annonces. » Il pensait en effet : « Il y aura paix et sûreté ma vie durant. »