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Bible de Jérusalem

Sagesse 9.1-6

Prière pour obtenir la Sagesse.m

9 « Dieu des Pères et Seigneur de miséricorde,n
toi qui, par ta parole, as fait l’univers,

m Cette prière s’inspire librement de celle rapportée par 1 R 3.6-9 et 2 Ch 1.8-10. Salomon y rappelle par divers traits sa condition historique, vv. 5c, 7-8, 12, mais l’horizon est élargi à la condition humaine à laquelle appartient Salomon, vv. 1-3, 5, 6, 13-17. Cette prière comprend trois sections (vv. 1-6 ; 7-12 ; 13-18), avec des correspondances mutuelles et la triple mention (4, 10, 17) de l’envoi de la Sagesse.

n « de miséricorde » mss, versions ; « de ta miséricorde » texte reçu. — Les « Pères » sont tous les ancêtres d’Israël, spécialement les Patriarches, Gn 32.10 ; 2 Ch 20.6, sans omettre David, 1 R 3.6 ; 1 Ch 28.9 ; 2 Ch 1.9.

2 toi qui, par ta Sagesse, as formé l’homme
pour dominer sur les créatures que tu as faites,
3 pour régir le monde en sainteté et justice
et exercer le jugement en droiture d’âme,
4 donne-moi celle qui partage ton trône, la Sagesse,
et ne me rejette pas du nombre de tes enfants.
5 Car je suis ton serviteur et le fils de ta servante,
un homme faible et de vie éphémère,
peu apte à comprendre la justice et les lois.
6 Quelqu’un, en effet, serait-il parfait parmi les fils des hommes,
s’il lui manque la sagesse qui vient de toi, on le comptera pour rien.

Sagesse 7-12

II. Salomon et la quête de la Sagesse

Salomon n’était qu’un homme.

7 Je suis, moi aussi, un hommet mortel, pareil à tous,
un descendant du premier être formé de la terre.
J’ai été ciselé en chair dans le ventre d’une mère,

t « un homme », omis par deux des principaux mss (B et S).

2 où, pendant dix mois,u dans le sang j’ai pris consistance,
à partir d’une semence d’homme et du plaisir, compagnon du sommeil.

u Manière antique d’exprimer que la gestation la meilleure couvre neuf mois (2 M 7.27) et entame le dixième. Sur la façon dont on se représentait la formation de l’embryon, cf. Jb 10.10.

3 À ma naissance, moi aussi j’ai aspiré l’air commun,
je suis tombé sur la terre qui nous reçoit tous pareillement,
et des pleurs, comme pour tous, furent mon premier cri.
4 J’ai été élevé dans les langes et parmi les soucis.
5 Aucun roi ne connut d’autre début d’existence :
6 même façon pour tous d’entrer dans la vie et pareille façon d’en sortir.

Estime de Salomon pour la Sagesse.

7 C’est pourquoi j’ai prié, et l’intelligence m’a été donnée,
j’ai invoqué, et l’esprit de Sagesse m’est venu.
8 Je l’ai préférée aux sceptres et aux trônesv
et j’ai tenu pour rien la richesse en comparaison d’elle.

v Ce développement prend appui sur la notice de 1 R 3.11 et sur les textes sapientiaux qui exaltent la Sagesse au-dessus des biens les plus précieux, Jb 28.15-19 ; Pr 3.14-15 ; 8.10-11, 19. L’auteur explicite des valeurs appréciées surtout par les Grecs (v. 10) : la santé, cf. cependant Si 1.18 ; 30.14-16, la beauté, cf. Ps 45.3 ; Si 26.16-17 ; 36.27, et la lumière du jour, cf. Qo 11.7. Voir la lumière, c’est vivre.

9 Je ne lui ai pas égalé la pierre la plus précieuse ;
car tout l’or, au regard d’elle, n’est qu’un peu de sable,
à côté d’elle, l’argent compte pour de la boue.
10 Plus que santé et beauté je l’ai aimée
et j’ai préféré l’avoir plutôt que la lumière,
car son éclat ne connaît point de repos.
11 Mais avec elle me sont venus tous les biens
et, par ses mains, une incalculable richesse.
12 De tous ces biens je me suis réjoui, parce que c’est la Sagesse qui les amène ;w
j’ignorais pourtant qu’elle en fût la mère.x

w Ou bien « leur commande en maîtresse », en réglant leur usage.

x « la mère », litt. « la génitrice », mss grecs, lat. ; « l’origine » texte reçu.

13 Ce que j’ai appris sans fraude, je le communiquerai sans jalousie,
je ne cacherai pas sa richesse.
14 Car elle est pour les hommes un trésor inépuisable,
ceux qui l’acquièrent s’attirent l’amitié de Dieu,
recommandés par les dons qui viennent de l’instruction.y

y « l’acquièrent » mss grecs, syr. ; « en usent » texte reçu, lat. L’image sous-jacente est celle de cadeaux offerts à un haut personnage pour solliciter son amitié. Ces cadeaux « proviennent de l’instruction », cf. 3.11 ; 6.17, c’est-à-dire d’un enseignement qui règle la vie entière selon une authentique éducation morale et religieuse.

Appel à l’inspiration divine.

15 Que Dieu me donne de parler comme je l’entends
et de concevoir des pensées dignes des dons reçus,
parce qu’il est lui-même et le guide de la Sagesse
et le directeur des sages ;
16 nous sommes en effet dans sa main, et nous et nos paroles,
et toute intelligence et tout savoir pratique.
17 C’est lui qui m’a donné une connaissance infaillible des êtres,
pour connaître la structure du monde et l’activité des éléments,
18 le commencement, la fin et le milieu des temps,
les alternances des solstices et les changements des saisons,
19 les cycles de l’annéez et les positions des astres,

z « de l’année » mss grecs, lat. ; « des années » texte reçu.

20 la nature des animaux et les instincts des bêtes sauvages,
le pouvoir des esprits et les pensées des hommes,
les variétés de plantes et les vertus des racines.
21 Tout ce qui est caché et visible, je l’ai connu ;a

a Modernisant la notice de 1 R 5.9-14, l’auteur prête à Salomon le savoir que recherchait surtout la culture hellénique de son temps. Dans ce contexte, Dieu apparaît comme la source de toute vérité, et les sciences humaines sont placées sous la dépendance de sa sagesse.

22 car c’est l’ouvrière de toutes choses qui m’a instruit, la Sagesse !

Éloge de la Sagesse.b

En elle est, en effet, un esprit intelligent, saint,
unique, multiple, subtil,
mobile, pénétrant, sans souillure,
clair, impassible, ami du bien, prompt,

b L’auteur prolonge ici d’une façon originale les personnifications antérieures de la Sagesse, cf. Pr 8.22. Comme il l’a annoncé, 6.22, il précise à la fois la nature et l’origine, d’abord en énumérant les caractéristiques de l’Esprit divin que la Sagesse possède en propre et qui renseignent déjà sur sa nature, vv. 22-24 (on compte 21 attributs et ce chiffre, 3 × 7, paraît intentionnel pour signifier une perfection éminente) ; ensuite en déterminant la relation de la Sagesse à Dieu, vv. 25-26, à l’aide d’images qui indiquent à la fois provenance et participation intime. Faisant de nombreux emprunts de vocabulaire à la philosophie grecque, l’auteur souligne ensuite les activités caractéristiques de la Sagesse, 7.27-8.1 et en vient à l’identifier à la providence divine, 8.1. Cet éloge de la Sagesse qui partage l’intimité de Dieu, 8.3, qui possède sa toute-puissance, 7.23, 25, 27, et collabore à son œuvre créatrice, 7.12, 22 ; 8.4, 6, annonce déjà toute une théologie de l’Esprit, qui l’habite, 7.22, et à qui elle est assimilée, 1.5 ; 9.17, et dont elle reçoit les fonctions traditionnelles, cf. Isa 11.2, mais surtout la christologie, notamment celle de saint Jean, et aussi celle de saint Paul (cf. Ep et Col) et de l’Épître aux Hébreux.

23 irrésistible, bienfaisant, ami des hommes,
ferme, sûr, sans souci,
qui peut tout, surveille tout,
pénètre à travers tous les esprits,
les intelligents, les purs, les plus subtils.
24 Car plus que tout mouvement la Sagesse est mobile ;
elle traverse et pénètre tout à cause de sa pureté.
25 Elle est en effet un effluve de la puissance de Dieu,
une émanation toute pure de la gloire du Tout-Puissant ;
aussi rien de souillé ne s’introduit en elle.
26 Car elle est un reflet de la lumière éternelle,c
un miroir sans tache de l’activité de Dieu,
une image de sa bonté.

c La « lumière éternelle » s’identifie avec Dieu, désigné sous cet aspect. Certains textes antérieurs suggéraient déjà l’idée d’une lumière transcendante qui émane de Dieu, Ha 3.4, éclaire ses fidèles ou son peuple, Ps 27.1 ; Isa 2.5, constitue le rayonnement de sa gloire, Isa 60.1, 19-20 ; Ba 5.9, ou réside près de lui, Dn 2.22. Mais seul 1 Jn 1.5 dira explicitement que « Dieu est lumière ».

27 D’autre part étant seule, elle peut tout,
demeurant en elle-même, elle renouvelle l’univers
et, d’âge en âge passant en des âmes saintes,
elle en fait des amis de Dieud et des prophètes ;e

d Comme Abraham, Isa 41.8 ; 2 Ch 20.7 ; Jc 2.23, et Moïse, Ex 33.11.

e Non seulement les grands prophètes ou les scribes inspirés (Si 24.33), mais encore tous ceux qui, par leur vie sainte et leur intimité avec Dieu, pénètrent davantage dans la connaissance de ses exigences ou de ses mystères et deviennent ses « interprètes » autorisés, capables d’éclairer les autres hommes.

28 car Dieu n’aime que celui qui habite avec la Sagesse.
29 Elle est, en effet, plus belle que le soleil,
elle surpasse toutes les constellations,
comparée à la lumière, elle l’emporte ;
30 car celle-ci fait place à la nuit,
mais contre la Sagesse le mal ne prévaut pas.

8 Elle s’étend avec force d’un bout du monde à l’autre
et elle gouverne l’univers avec bonté.

La Sagesse épouse idéale pour Salomon.f

2 C’est elle que j’ai chérie et recherchée dès ma jeunesse ;
j’ai cherché à la prendre pour épouse
et je suis devenu amoureux de sa beauté.

f La Sagesse apparaît à présent au jeune homme comme une épouse idéale qui possède, non seulement la beauté (v. 2), mais une noblesse divine, puis (vv. 4-8) la source même du savoir, de la richesse, de l’efficacité, de la vertu et de l’expérience.

3 Elle fait éclater sa noble origine en vivant dans l’intimité de Dieu,
car le maître de tout l’a aimée.
4 Elle est, de fait, initiée à la science de Dieu
c’est elle qui décide de ce qu’il fait.
5 Si, dans la vie, la richesse est un bien désirable,
quoi de plus riche que la Sagesse, qui opère tout ?
6 Et si c’est l’intelligence qui opère,
qui est plus qu’elle l’ouvrière de ce qui est ?
7 Aime-t-on la justice ?
Ses labeurs, ce sont les vertus,g
elle enseigne, en effet, tempérance et prudence,
justice et force ;
rien de plus utile pour les hommes dans la vie.

g L’auteur reprend peut-être une interprétation allégorique de Pr 31.10-31, appliquée à la Sagesse (cf. Pr 31.30). Il énumère ensuite les quatre grandes vertus des philosophes grecs, qui deviendront plus tard les « vertus cardinales » de la théologie chrétienne.

8 Désire-t-on encore une riche expérience ?
Elle connaît le passé et conjecture l’avenir,
elle sait l’art de tournerh les maximes et de résoudre les énigmes,
les signes et les prodiges, elle les sait d’avance,
ainsi que la successioni des époques et des temps.

h Ou « d’interpréter ». — « maximes » et « énigmes » signifient des sentences morales exprimées en termes volontairement obscurs. Cf. Jg 14.12 ; Pr 1.6 ; Si 39.2-3 ; Ez 17.2. Salomon y excellait, 1 R 5.12 ; 10.1-3 ; Qo 12.9 ; Si 47.15-17. Les termes associés « signes » et « prodiges » renvoient surtout aux miracles de l’Exode, cf. 10.16. D’après l’usage grec, ils désigneraient plutôt des phénomènes naturels extraordinaires ou exceptionnels, considérés comme difficilement prévisibles.

i Ou « les résultats, les issues ». Le texte envisage donc, soit le déroulement de l’histoire, soit les temps favorables aux initiatives ou entreprises humaines, cf. Qo 3.1-8. — Cette description des compétences de la Sagesse complète le tableau de 7.17-21.

La Sagesse indispensable aux souverains.

9 Je décidai donc de la prendre pour compagne de ma vie,
sachant qu’elle me serait une conseillère pour le bien,
et un encouragement dans les soucis et la tristesse :
10 « J’aurai à cause d’elle gloire parmi les foules
et, bien que jeune, honneur auprès des vieillards.
11 On me trouvera pénétrant dans le jugement
et en présence des grands je serai admiré.
12 Si je me tais, ils m’attendront,
si je parle, ils seront attentifs,
si je prolonge mon discours, ils mettront la main sur leur bouche.j

j Attitude du silence, Pr 30.32 ; Si 5.12, sous l’effet, soit de la stupeur ou de la confusion, Mi 7.16 ; Jb 21.5 ; 40.4, soit de l’admiration, Jb 29.9.

13 J’aurai à cause d’elle l’immortalité
et je laisserai un souvenir éternel à ceux qui viendront après moi.
14 Je gouvernerai des peuples, et des nations me seront soumises.
15 En entendant parler de moi, des souverains terribles auront peur ;
je me montrerai bon avec la multitude et vaillant à la guerre.
16 Rentré dans ma maison, je me reposerai auprès d’elle ;
car la fréquenter ne cause pas d’amertume,
ni de peine, vivre en son intimité,
mais du plaisir et de la joie. »

Salomon va demander la Sagesse.

17 Ayant médité cela en moi-même,
et considéré en mon cœur
que l’immortalité se trouve dans la parenték avec la Sagesse,

k Une « parenté » conférée par grâce (cf. v. 21). L’immortalité qui en résulte est d’abord celle du souvenir (cf. v. 13), mais sans doute aussi l’immortalité personnelle (cf. 4.1) car la Sagesse doit communiquer ce qu’elle possède par nature.

18 dans son affection une noble jouissance,
dans les travaux de ses mains une richesse inépuisable,
dans sa fréquentation assidue l’intelligence,
et la renommée à s’entretenir avec elle,
j’allais de tous côtés, cherchant comment l’obtenir pour moi.
19 J’étais un enfant d’un heureux naturel,
et j’avais reçu en partage une âme bonne,
20 qui plus est : étant bon, j’étais venu dans un corps sans souillure ;l

l Ce texte n’enseigne pas la préexistence de l’âme, comme on pourrait le croire si on l’isolait du contexte. Il renchérit sur l’expression du v. 19, qui paraissait donner la priorité au corps comme sujet personnel, et souligne la prééminence de l’âme.

21 mais, comprenant que je ne pourrais devenir possesseur de la Sagesse que si Dieu me la donnait,
— et c’était déjà de l’intelligence que de savoir de qui vient la faveur —
je m’adressai au Seigneur et le priai,
et je dis de tout mon cœur :

Prière pour obtenir la Sagesse.m

9 « Dieu des Pères et Seigneur de miséricorde,n
toi qui, par ta parole, as fait l’univers,

m Cette prière s’inspire librement de celle rapportée par 1 R 3.6-9 et 2 Ch 1.8-10. Salomon y rappelle par divers traits sa condition historique, vv. 5c, 7-8, 12, mais l’horizon est élargi à la condition humaine à laquelle appartient Salomon, vv. 1-3, 5, 6, 13-17. Cette prière comprend trois sections (vv. 1-6 ; 7-12 ; 13-18), avec des correspondances mutuelles et la triple mention (4, 10, 17) de l’envoi de la Sagesse.

n « de miséricorde » mss, versions ; « de ta miséricorde » texte reçu. — Les « Pères » sont tous les ancêtres d’Israël, spécialement les Patriarches, Gn 32.10 ; 2 Ch 20.6, sans omettre David, 1 R 3.6 ; 1 Ch 28.9 ; 2 Ch 1.9.

2 toi qui, par ta Sagesse, as formé l’homme
pour dominer sur les créatures que tu as faites,
3 pour régir le monde en sainteté et justice
et exercer le jugement en droiture d’âme,
4 donne-moi celle qui partage ton trône, la Sagesse,
et ne me rejette pas du nombre de tes enfants.
5 Car je suis ton serviteur et le fils de ta servante,
un homme faible et de vie éphémère,
peu apte à comprendre la justice et les lois.
6 Quelqu’un, en effet, serait-il parfait parmi les fils des hommes,
s’il lui manque la sagesse qui vient de toi, on le comptera pour rien.

7 C’est toi qui m’as choisio pour roi de ton peuple
et pour juge de tes fils et de tes filles.

o De préférence à Adonias et à ses autres frères, 1 R 1 ; 1 Ch 28.5-6.

8 Tu m’as ordonné de bâtir un temple sur ta montagne sainte,
et un autel dans la ville où tu as fixé ta tente,
imitation de la Tente sainte que tu as préparée dès l’origine.p

p Le mot « imitation » concerne à la fois le Temple et l’autel (il s’agit de l’autel des holocaustes, visible par tous, 1 R 8.22, 54, 62-64). On identifie la « Tente sainte », préparée par Dieu lui-même, soit avec le temple céleste de Dieu, Ps 18.7 ; 96.6 ; He 8.2 ; 9.11 ; Ap 3.12, etc. (pour un autel céleste, cf. Ap 6.9 ; 8.3-4 ; 14.18), soit avec l’exemplaire divin du Temple de Jérusalem, Ex 15.17 ; 1 Ch 28.19, soit avec le sanctuaire de l’Exode, Si 24.10, exécuté d’après un modèle donné par Dieu, Ex 25.9, 40, Ac 7.44 ; He 8.5.

9 Avec toi est la Sagesse, qui connaît tes œuvres
et qui était présente quand tu faisais le monde ;
elle sait ce qui est agréable à tes yeux
et ce qui est conforme à tes commandements.
10 Mande-la des cieux saints,
de ton trône de gloire envoie-la,
pour qu’elle me seconde et peine avec moi,
et que je sache ce qui t’est vraiment agréable ;
11 car elle sait et comprend tout.
Elle me guidera prudemment dans mes actions
et me protégera par sa gloire.q

q Par sa puissance, cf. Rm 6.4. Ou « elle me gardera dans sa gloire » en me guidant à sa lumière cf. Isa 60.1-3 ; Ba 5.7, 9, ou en m’enveloppant comme d’une nuée protectrice, cf. Si 14.27.

12 Alors mes œuvres seront agréées,
je jugerai ton peuple avec justice
et je serai digne du trône de mon père.

13 Quel homme en effet peut connaître la volonté de Dieu,
et qui peut concevoir ce que désire le Seigneur ?
14 Car les pensées des mortels sont timides,
et instables nos réflexions ;
15 un corps corruptible, en effet, appesantit l’âme,
et cette tente d’argile alourdit l’esprit aux multiples soucis.r

r Les termes employés dans ce v. rappellent l’opposition établie par la philosophie grecque entre le corps et l’âme ou l’esprit, cf. Rm 7.25, cependant l’auteur estime normale l’union de l’âme et du corps. Dans l’AT, l’image de la « tente » évoque la précarité de l’existence humaine, Jb 4.21 ; Isa 33.20 ; 38.12 ; l’épithète « d’argile », litt. « de terre » peut renvoyer à Jb 4.19 ou Gn 2.7. Dans le NT, on rapprochera 2 Co 4.7 ; 5.1-4 ; 2 P 1.13-14, et aussi l’opposition marquée par Ga 5.17 ; Rm 7.14-15.

16 Aussi avons-nous peine à conjecturer ce qui est sur la terre,
et ce qui est à notre portée nous ne le trouvons qu’avec effort,
mais ce qui est dans les cieux, qui l’a découvert ?
17 Et ta volonté, qui l’a connue, si tu n’avais donné la Sagesse
et envoyé d’en haut ton esprit saint ?s

s Cf. 7.22. Assimilée à l’Esprit divin, Ez 36.25-27 ; Ps 51.8, 10s, la Sagesse est une forme intérieure qui remet le pécheur sur le droit chemin, 10.1, et le soutient dans l’accomplissement de la Loi, Ba 4.4. Ce don de Dieu a déjà trouvé dans l’ancienne Alliance une première réalisation, 10.

18 Ainsi ont été rendus droits les sentiers de ceux qui sont sur la terre,
ainsi les hommes ont été instruits de ce qui t’est agréable
et, par la Sagesse, ont été sauvés. »t

t Des périls temporels et spirituels. Cette action salutaire de la Sagesse est illustrée par le développement suivant qui sert de transition à la troisième partie. — De nombreux mss latins ajoutent ici « tous ceux qui, Seigneur, t’ont plu dès l’origine ».

III. La Sagesse à l’œuvre dans l’histoire

D’Adam à Moïse.

10 C’est elle qui protégea le premier modelé, père du monde,
qui avait été créé seul,u
c’est elle qui le tira de sa propre chutev

u Adam, seul dans le monde, comme Dieu est seul au ciel.

v Certains mss latins portent ici « et elle le tira du limon de la terre, et elle l’arracha à sa faute ». La première leçon provient sans doute d’une glose explicative sur « premier modelé ». — Le thème du repentir et du relèvement d’Adam (une opinion juive souvent reprise par les Pères de l’Église) est mis en relation avec l’influence miséricordieuse de la Sagesse qui permet à Adam de garder, après la faute, sa domination sur le monde et lui donne la force de l’exercer.

2 et lui donna la force de devenir maître de tout.
3 Mais quand, dans sa colère, un injustew se fut écarté d’elle,
il périt par ses fureurs fratricides.

w Caïn, cf. Gn 4.8-13. — Par son meurtre, ou bien il se condamna lui-même à une existence misérable (terminée tragiquement selon certaines légendes juives), ou bien il fut la cause de l’extermination de sa race par le déluge, v. 4, ou bien il se livra volontairement à la mort véritable, cf. 1.11,12,16.

4 Lorsqu’à cause de lui la terre fut submergée, c’est la Sagesse encore qui la sauva,
en pilotant le justex à l’aide d’un bois sans valeur.

x Noé, cf. Gn 6.9.

5 Et lorsque, unanimes en leur perversité, les nations eurent été confondues,
c’est elle qui reconnut le juste,y le conserva sans reproche devant Dieu,
et le garda fort contre sa tendresse pour son enfant.

y Abraham, cf. Gn 22.

6 C’est elle qui, lors de la destruction des impies, délivra le justez
qui fuyait le feu descendant sur la Pentapole.

z Lot. cf. Gn 19.

7 En témoignage de sa perversité,
une terre désolée continue de fumer ;
les arbustes y donnent des fruits qui ne mûrissent pas en leur temps
et, mémorial d’une âme incrédule, se dresse une colonne de sel.
8 Car, pour s’être écartés du chemin de la Sagesse,
non seulement ils ont subi le dommage de ne pas connaître le bien,
mais ils ont encore laissé aux vivants le souvenir de leur folie,
afin que leurs fautes mêmes, ils ne puissent les cacher.

9 Mais la Sagesse a délivré ses fidèles de leurs peines.
10 Ainsi le justea qui fuyait la colère de son frère,
elle le guida par de droits sentiers ;
elle lui montra le royaume de Dieu
et lui donna la connaissance des choses saintes,b
elle le fit réussir dans ses durs travaux
et fit fructifier ses peines ;

a Jacob, cf. Gn 27.41-45 ; 28.5-6.

b Ou « des saints », c’est-à-dire des anges, Gn 28.12. Les « choses saintes » peuvent désigner les révélations concernant la cour céleste ou s’entendre des promesses faites à Jacob, Gn 28.13-15.

11 elle l’assista contre la cupidité de ceux qui l’opprimaient,
et elle le rendit riche ;
12 elle le garda de ses ennemis
et le protégea de ceux qui lui dressaient des embûches ;
elle lui donna la palme en un rude combat,
pour qu’il sût que la piété est plus puissante que tout.c

c Dans sa « lutte avec Dieu » Jacob l’aurait donc emporté, non par la force physique, mais par la vigueur de sa piété. Seule celle-ci peut contraindre Dieu et obtenir l’assurance de sa bénédiction. L’épisode est donc interprété dans le sens d’une expérience spirituelle.

13 C’est elle qui n’abandonna pas le juste vendu,d
mais elle l’arracha au péché ;

d Joseph, cf. Gn 37.12-36 ; 39-41.

14 elle descendit avec lui dans la fosse,
elle ne le délaissa pas dans les fers,
jusqu’à ce qu’elle lui eût apporté le sceptre royal
et l’autorité sur ceux qui le tyrannisaient,
jusqu’à ce qu’elle eût convaincu de mensonge ceux qui l’avaient diffamé
et qu’elle lui eût donné une gloire éternelle.

L’Exode.

15 C’est elle qui délivra un peuple saint et une race irréprochablee
d’une nation d’oppresseurs.

e Le peuple de l’Exode est « saint » et « irréprochable » en raison de sa vocation, Ex 19.6 ; Lv 19.2, et des valeurs religieuses qu’il incarne. En même temps l’auteur idéalise le passé et continuera de le faire dans toute la troisième partie ; son but est triple :illustrer par l’histoire le traitement différent des justes et des impies, exalter la supériorité religieuse et morale du judaïsme, enfin montrer que le passé préfigure le futur apocalyptique.

16 Elle entra dans l’âme d’un serviteur du Seigneur
et tint tête à des rois redoutablesf par des prodiges et des signes.

f Généralisation oratoire :il s’agit du Pharaon.

17 Aux saints elle remit le salaire de leurs peines,
elle les guida par un chemin merveilleux,
elle devint pour eux un abri pendant le jour,
et une lumière d’astres pendant la nuit.g

g L’auteur attribue à la Sagesse ce qu’Ex dit de Dieu présent dans la Nuée.

18 Elle leur fit traverser la mer Rouge
et les conduisit à travers l’onde immense,
19 tandis qu’elle submergea leurs ennemis,
puis les rejeta des profondeurs de l’abîme.
20 Aussi les justes dépouillèrent-ils les impies ;h
ils chantèrent, Seigneur, ton saint Nom
et, d’un cœur unanime, célébrèrent ta main qui avait lutté pour eux ;

h Selon la tradition juive, les Israélites dépouillèrent de leurs armes les Égyptiens morts.

21 car la Sagesse ouvrit la bouche des muets
et elle rendit claire la langue des tout-petits.i

i Jadis Dieu avait délié la langue de Moïse pour parler à Pharaon, Ex 4.10 ; 6.12, 30. Cette fois il intervient pour que tous les Israélites sans exception puissent s’associer à sa louange. L’auteur suit ici une tradition juive qui va s’amplifiant dans les textes rabbiniques.

11 Elle fit prospérer leurs entreprises par la main d’un saint prophète.j

j Moïse, cf. Nb 12.7 ; Dt 18.15.

2 Ils traversèrent un désert inhabité
et plantèrent leurs tentes en des lieux inaccessibles.
3 Ils tinrent tête à leurs ennemis et repoussèrent leurs adversaires.k

k La longue marche au désert est résumée en quelques phrases pour préparer un développement distinct. La sagesse n’est plus mentionnée, sauf 14.2, 5 et l’auteur s’adresse à Dieu dans une sorte de méditation sur les événements de l’Exode. Par ses libertés à l’égard des sources bibliques antérieures, tout ce développement s’apparente au midrash ou commentaire rabbinique de l’Écriture.

Le miracle de l’eau. Première antithèse.l

4 Dans leur soif, ils t’invoquèrent :
de l’eau leur fut donnée d’un rocher escarpé
et, d’une pierre dure, un remède à leur soif.

l Désormais l’auteur va opposer constamment le traitement des Israélites considérés comme un peuple de justes, cf. 10.15, et celui des Égyptiens, devenus symbole de l’endurcissement des impies. Cette comparaison, très grecque, se fonde sur deux principes, 11.5, 16. Sept antithèses vont ainsi se succéder. Cependant la deuxième et la troisième, cf. 16.1-14, céderont tout d’abord la place à deux digressions, 11.15, 12.27, 13:-15.

5 Ainsi ce par quoi avaient été châtiés leurs ennemis
devint un bienfait pour eux dans leurs difficultés.
6 Tandis que les premiers n’avaient que le cours intarissable
d’un fleuve que troublait un sang mêlé de boue,
7 en punition d’un décret infanticide,m
tu donnas aux tiens, contre tout espoir, une eau abondante,

m Selon Ex 7.14-25, c’est pour contraindre Pharaon à laisser partir les Israélites que Yahvé changea les eaux du Nil en sang. L’auteur fait ici de ce miracle le châtiment du décret de Ex 1.15s. Cf. aussi 18.5.

8 montrant par la soif qu’alors ils ressentirent
comment tu avais châtié leurs adversaires.
9 Par leurs épreuves, qui n’étaient pourtant qu’une correction de miséricorde,
ils comprirent comment un jugement de colère torturait les impies ;n

n La soif et peut-être aussi les autres souffrances que les Israélites endurèrent au désert devaient leur faire comprendre le châtiment des Égyptiens.

10 car eux, tu les avais éprouvés en père qui avertit,
mais ceux-là, tu les avais punis en roi inexorable qui condamne,
11 et de loin comme de près, ils se consumaient pareillement.
12 Car une double tristesse les saisit,
et un gémissement, au souvenir du passé ;o

o « au souvenir du passé » corr. d’après certains mss ; « des souvenirs passés » texte reçu.

13 lorsqu’ils apprirent, en effet, que cela même qui les châtiait
était un bienfait pour les autres,p ils reconnurent le Seigneur,q

p L’eau retirée aux Égyptiens, miraculeusement donnée aux Israélites, 11.4.

q De nombreux mss latins ajoutent ici « pleins d’admiration à l’issue des événements », addition qui provient de 14.

14 car celui que jadis, en l’exposant, ils avaient rejeté,r
ils l’admirèrent au terme des événements,
ayant souffert d’une soif bien différente de celle des justes.

r Moïse exposé sur les eaux, Ex 1.22 ; 2.3, rebuté par Pharaon, Ex 5.2-5 ; 7.13, 22, etc.

Première digression. Modération divine envers l’Égypte.s

15 Pour leurs sottes et coupables pensées,
qui les égaraient en leur faisant rendre un culte à des reptiles sans raison et à de misérables bestioles,
tu leur envoyas en punition une multitude d’animaux sans raisont

s En guise d’introduction à sa relecture des différentes plaies provoquées par des animaux, 16.1-14, l’auteur, les présentant ensemble, 11.15-16 ; 12.23-27 ; cf. 15.18-19, ouvre une première digression, 11.4 le culte des animaux « reptiles » (crocodile, serpent, lézard, grenouille), « misérables bestioles » (scarabée), étaient très en honneur dans l’Égypte des Ptolémées ; pourtant cette aberration cultuelle fut châtiée avec modération la pédagogie divine vise en fait à la conversion du pécheur, 11, 23 ; 12.2, 10.

t Grenouilles, Ex 8.1-2 ; moustiques, 8.13-14 ; taons, 8.20 ; sauterelles, 10.12-15.

16 afin qu’ils sachent qu’on est châtié par où l’on pèche.u

u Que l’instrument de la faute devienne celui du châtiment, cf. 12.23, 27 ; 16.1 ; 18.4, est un principe distinct du talion, Ex 21.23-25, et de ceux qu’impliquent des textes comme Gn 9.6 ; Jg 1.6-7 ; 1 S 15.23 ; 2 M 4.26 ; 13.8 ; Pr 5.22, etc.

17 Ta main toute-puissante, certes, n’était pas embarrassée,
— elle qui a créé le monde d’une matière informev
pour envoyer contre eux une multitude d’ours ou de lions intrépides,

v Expression philosophique inspirée partiellement de Platon (Timée 51 A) et devenue courante à l’époque pour désigner l’état indifférencié de la matière, supposée éternelle. L’auteur n’a aucune raison de soustraire la matière à l’activité créatrice et songe sans doute à l’organisation du monde à partir de la masse chaotique, Gn 1.1.

18 ou bien des bêtes féroces inconnues, nouvellement créées, pleines de fureur,
exhalant un souffle enflammé,
émettant une fumée infecte,w
ou faisant jaillir de leurs yeux de terribles étincelles,

w « une fumée infecte », litt. « une puanteur de fumée »; « puanteur » mss, versions ; « grondement » texte reçu. Dans ces descriptions, l’auteur s’inspire des monstres fabuleux de la Grèce, chimères, gorgones, etc.

19 des bêtes capables, non seulement de les anéantir par leur malfaisance,
mais encore de les faire périr par leur aspect terrifiant.
20 Sans cela même, d’un seul souffle ils pouvaient tomber,
poursuivis par la Justice,
balayés par le souffle de ta puissance.
Mais tu as tout réglé avec mesure, nombre et poids.

Raisons de cette modération.

21 Car ta grande puissance est toujours à ton service,
et qui peut résister à la force de ton bras ?
22 Le monde entier est devant toi comme ce rien qui fait pencher la balance,x
comme la goutte de rosée matinale qui descend sur la terre.

x On peut encore comprendre « qui ne fait pas pencher la balance ».

23 Mais tu as pitié de tous,y parce que tu peux tout,
tu fermes les yeux sur les péchés des hommes, pour qu’ils se repentent.

y La pensée des vv. 23s n’est pas nouvelle en Israël, mais jamais on n’avait exprimé avec autant de force et sous forme de raisonnement, l’universalité de la pitié de Dieu pour les pécheurs (cf. Jon 3-4), le rôle déterminant de l’amour dans la création et la conservation des êtres.

24 Tu aimes en effet tout ce qui existe,
et tu n’as de dégoût pour rien de ce que tu as fait ;
car si tu avais haï quelque chose, tu ne l’aurais pas formé.
25 Et comment une chose aurait-elle subsisté, si tu ne l’avais voulue ?
Ou comment ce que tu n’aurais pas appelé aurait-il été conservé ?
26 En réalité, tu épargnes tout, parce que tout est à toi, Maître ami de la vie !

12 Car ton esprit incorruptible est en toutes choses !z

z C’est le souffle vital répandu par Dieu dans les créatures, Gn 2.7 ; 6.3 ; Ps 104.29-30 ; Jb 27.3 ; 34.14-15. Il semble que l’auteur fasse allusion également à l’esprit de la philosophie stoïcienne ou à l’âme du monde. — La Vulg. et de nombreux mss latins traduisent (à tort) « comme il est bon et doux, Seigneur, ton esprit en tous les êtres ».

2 Aussi est-ce peu à peu que tu reprends ceux qui tombent ;
tu les avertis, leur rappelant en quoi ils pèchent,
pour que, s’étant débarrassés du mal, ils croient en toi, Seigneur.

Modération de Dieu envers Canaan.

3 Les anciens habitantsa de ta terre sainte,

a Une liste est donnée par Dt 7.1, mais l’auteur vise principalement les Cananéens.

4 tu les avais pris en haine pour leurs détestables pratiques,
actes de sorcellerie, rites impies.
5 Ces impitoyables tueurs d’enfants,
ces mangeurs d’entrailles en des banquets de chairs humaines et de sang,
ces initiés membres de confrérie,b

b « mangeurs d’entrailles » lat. ; « (banquet) où l’on mange les entrailles » 3 mss ; « (banquet) de mangeurs d’entrailles » texte reçu. — « membres de confrérie », litt. « du milieu du thiase » plusieurs mss ; dans le texte reçu, l’expression est corrompue et n’a pas de sens. Ce cannibalisme n’est pas attesté en Canaan, mais se rencontre chez d’autres peuples de l’Antiquité. L’auteur emprunte des traits aux « mystères » hellénistiques et fait allusion aux rites mal famés de certains d’entre eux.

6 ces parents meurtriers d’êtres sans défense,
tu avais voulu les faire périr par les mains de nos pères,
7 pour que cette terre, qui de toutes t’est la plus chère,
reçût une digne colonie d’enfants de Dieu.
8 Eh bien ! même ceux-là, parce que c’étaient des hommes, tu les as ménagés,c
et tu as envoyé des frelons comme avant-coureurs de ton armée,
pour les exterminer petit à petit.d

c Ce trait insiste moins sur la fragilité de l’homme, Gn 8.31 ; Ps 78.39 ; Ps 103.14-15, etc., que sur sa dignité essentielle, Gn 1.26-27 ; Ps 8.5-7 autorisant des relations privilégiées avec la Sagesse divine, Pr 8.31. Cette dignité était reconnue aussi par le stoïcisme, mais avec une insistance particulière sur la notion commune d’humanité.

d L’auteur transforme le sens donné à l’épisode des « frelons », Ex 23.28 ; Dt 7.20, par les textes anciens, préoccupés d’expliquer le retard apporté à l’extermination des Cananéens. Au lieu de se soucier seulement d’Israël, Dieu exerçait ainsi sa miséricorde envers les Cananéens pécheurs.

9 Non qu’il te fût impossible de livrer des impies aux mains de justes en une bataille rangée,
ou de les anéantir d’un seul coup au moyen de bêtes cruelles ou d’une parole inexorable ;
10 mais en exerçant tes jugements peu à peu, tu laissais place au repentir.
Tu n’ignorais pourtant pas que leur nature était perverse,
leur malice innée,
et que leur mentalité ne changerait jamais ;e

e Non pas en vertu d’une prédestination positive au mal, mais en raison de leur refus de se repentir. Dieu savait que, comme le Pharaon, ils « s’endurciraient », ce qu’illustre le rappel de la malédiction de Canaan, Gn 9.25, transposée sur un plan moral, cf. 3.12, 19 ; 4.3-6.

11 car c’était une race maudite dès l’origine.

Raisons de cette modération.

Et ce n’est pas non plus par crainte de personne que tu accordais l’impunité à leurs fautes.
12 Car qui dira : Qu’as-tu fait ?
Ou qui s’opposera à ta sentence ?
Et qui te citera en justice pour avoir fait périr des nations que tu as créées ?
Ou qui se portera contre toi le vengeur d’hommes injustes ?
13 Car il n’y a pas, en dehors de toi, de Dieu qui ait soin de tous,
pour que tu doives lui montrer que tes jugements n’ont pas été injustes.
14 Il n’y a pas non plus de roi ou de souverain qui puisse te regarder en face au sujet de ceux que tu as châtiés.
15 Mais, étant juste, tu régis l’univers avec justice,
et tu estimes que condamner celui qui ne doit pas être châtié,f serait incompatible avec ta puissance.

f Par suite d’une altération ancienne du verbe « condamner » et d’une coupure malheureuse, presque tous les mss latins portent « celui-là aussi qui ne doit pas être puni, tu le condamnes ».

16 Car ta force est le principe de ta justice,g
et de dominer sur tout te fait ménager tout.

g Parce qu’il possède la plénitude de la force et n’a aucune raison d’en abuser (cf. au contraire 2.11), Dieu exerce sa justice avec une entière impartialité et liberté ; de même sa souveraine maîtrise sur tous les êtres l’autorise et l’invite à user de clémence envers tous.

17 Tu montres ta force, si l’on ne croit pas à la plénitude de ta puissance,
et tu confonds l’audace de ceux qui la connaissent ;
18 mais toi, dominant ta force, tu juges avec modération, et tu noush gouvernes avec de grands ménagements,
car tu n’as qu’à vouloir, et ta puissance est là.

h Ou bien l’auteur s’identifie avec tous les hommes, ou bien il amorce déjà (cf. vv. 21-22) l’idée d’un traitement de faveur réservé aux Israélites.

Leçons données par Dieu à Israël.

19 En agissant ainsi, tu as enseigné à ton peuple
que le juste doit être ami des hommes,i
et tu as donné le bel espoir à tes fils
qu’après les péchés tu donnes le repentir.

i À l’exemple de la Sagesse, 1.6 ; 7.23. Cette attitude correspond à l’universalisme foncier des écrits de sagesse et trouvera une expression nouvelle dans le NT, cf. Mt 5.43-48.

20 Car, si ceux qui étaient les ennemis de tes enfants et promis à la mort,
tu les as punis avec tant d’attention et d’indulgence,j
leur donnant temps et lieu pour se défaire de leur malice,k

j « d’indulgence » une partie des mss ; « de prière » texte reçu, syr. « tu as sauvé » quelques mss, lat., arm. ; d’autres témoins omettent le mot.

k Cf. 12.2. L’idée que Dieu tente d’arracher son peuple au péché par des épreuves et des châtiments est fréquente dans l’AT, cf. Am 4.6. L’auteur l’étend délibérément à tous les hommes pécheurs, cf. déjà Jb 33.14-22 ; 34.29-32 ; Jon 3-4.

21 avec quelle précaution n’as-tu pas jugé tes fils,
toi qui, par serments et alliances, as fait à leurs pères de si belles promesses ?
22 Ainsi, quand tu châties nos ennemis avec mesure,l tu nous apprends
à songer à ta bonté quand nous jugeons,
et, quand nous sommes jugés, à compter sur ta miséricorde.

l « avec mesure » en métriotèti conj. ; « avec une myriade (de coups) » en muriotèti texte reçu.

Retour aux Égyptiens. Leur châtiment progressif.

23 Voilà pourquoi aussi ceux qui avaient mené dans l’injustice une vie insensée,
tu les as torturés par leurs propres abominations ;m

m Désignation biblique des faux dieux et des idoles, cf. Dt 7.26 ; 27.15, etc. Le culte des animaux est ici visé et l’auteur renoue avec 11.15-16.

24 car ils avaient erré au-delà sur les chemins de l’erreur,
en prenant pour des dieux les plus vils et les plus méprisés des animaux,n
trompés comme de tout petits enfants sans intelligence.

n « les plus vils et les plus méprisés des animaux », litt. « ceux qui même chez les animaux sont méprisés parmi les vils »; « parmi les vils » mss ; « chez les animaux des ennemis » ou « parmi les hostiles » texte reçu.

25 Aussi, comme à des enfants sans raison,
leur as-tu envoyé un jugement de dérision.
26 Mais eux qui ne s’étaient pas laissé avertir par une réprimande dérisoire
ils allaient subir un jugement digne de Dieu.
27 Sur ces êtres qui les faisaient souffrir et contre lesquels ils s’indignaient,
ces êtres qu’ils tenaient pour dieux et par lesquels ils étaient châtiés,
ils virent clair, et celui que jadis ils refusaient de connaître, ils le reconnurent pour vrai Dieu.
Et c’est pourquoi l’ultime condamnation s’abattit sur eux.o

o Pharaon reconnut enfin l’action de Dieu, Ex 12.31-32, après s’y être longtemps refusé, Ex 7-11, mais n’en continua pas moins à le braver. Cela ira jusqu’à la noyade dans la mer Rouge, Ex 14.25-28 ; 19.1, 4s.

Sagesse 13-18

Seconde digression. Procès des cultes païens. Divinisation de la nature.p

13 Oui, vains par nature tous les hommes en qui se trouvait l’ignorance de Dieu,
qui, en partant des biens visibles, n’ont pas été capables de connaître Celui-qui-est,
et qui, en considérant les œuvres, n’ont pas reconnu l’Artisan.q

p La mention de la zoolâtrie, 11.15 ; 12.24, amène l’auteur à critiquer les religions du paganisme ambiant :la divinisation du monde, prônée par les philosophes hellénistiques, 13.1-9 ; l’idolâtrie, avec ses fabricants et son commerce, 13.10-19 ; 15.7-13, son origine et ses conséquences, 14.11-31, avec l’expérience biblique en contraste, 14.1-10 ; 15.1-6 ; enfin les cultes égyptiens culminant dans la zoolâtrie, 15.14-19 ; les plaies provoquées par des animaux lors de l’Exode, 11.15 ; 16.1s, s’en trouvent ainsi justifiées. Cf. Dt 4.16-19 ; Jr 7:-8.3 ; Ez 8 ; Dn 14 ; des schèmes analogues circulaient dans le judaïsme hellénisé.

q Le spectacle et l’étude de la nature devraient élever l’esprit humain jusqu’à un Dieu transcendant et créateur de tout.

2 Mais c’est le feu, ou le vent, ou l’air rapide,
ou la voûte étoilée, ou l’eau impétueuse,
ou les luminaires du ciel, princes du monde, qu’ils ont considérés comme des dieux !

3 Que si, charmés de leur beauté, ils les ont pris pour des dieux,
qu’ils sachent combien leur Maître est supérieur,
car c’est la source même de la beauté qui les a créés.r

r Touche grecque, cf. encore vv. 5, 7 ; Si 43.9-12. L’AT avait souvent célébré la grandeur et la puissance de Dieu dans la création, Jb 36.22-26 ; Ps 19.2 ; Isa 40.12-14, etc., mais non la beauté de l’univers conçu comme une œuvre d’art reflétant son auteur.

4 Et si c’est leur puissance et leur activité qui les ont frappés,
qu’ils en déduisent combien plus puissant est Celui qui les a formés,
5 car la grandeur et la beauté des créatures
font, par analogie, contempler leur Auteur.

6 Ceux-ci toutefois ne méritent qu’un blâme léger ;s
peut-être en effet ne s’égarent-ils
qu’en cherchant Dieu et en voulant le trouver :

s ou « moindre », par comparaison avec les idolâtres du v. 10.

7 versés dans ses œuvres, ils les explorent
et se laissent prendre aux apparences, tant ce qu’on voit est beauté !
8 Et pourtant eux non plus ne sont point pardonnables :
9 s’ils ont été capables d’acquérir assez de science
pour postuler l’unité du monde,
comment n’en ont-ils pas plus tôt découvert le Maître !

L’idolâtrie. Les fabricants d’idoles.t

10 Mais malheureux sont-ils, avec leurs espoirs mis en des choses mortes,
ceux qui ont appelé dieux des ouvrages de mains d’hommes,
or, argent, traités avec art,
figures d’animaux,
ou pierre inutile, ouvrage d’une main antique.

t La polémique contre les idoles, qui apparaît chez les philosophes grecs, était un lieu commun dans les écrits bibliques, cf. surtout Isa 44.9-20 ; Jr 10.1-16 ; Ba 6, etc.

11 Et voici encore un bûcheron : il scie un arbre facile à manier,
il en racle soigneusement toute l’écorce,
il le travaille avec adresse,
il en forme un objet propre aux usages de la vie.
12 Quant aux déchets de son travail,
il les emploie à préparer sa nourriture et il se rassasie.
13 Et le déchet qui en reste et qui n’est bon à rien,
un bois tordu et poussé tout en nœuds :
il le prend et le sculpte avec l’application des heures de loisir,
il le façonne, avec le savoir-faire des instants de détente ;
il lui donne une figure humaine,
14 ou bien il le fait semblable à quelque vil animal,
le recouvre de vermillon, en rougit la surface à la sanguine,
recouvre d’un enduit toutes ses taches.
15 Puis il lui fait une niche qui lui convienne,
le place dans un mur et l’assure avec du fer.
16 Ainsi veille-t-il à ce qu’il ne tombe pas,
sachant bien qu’il est incapable de s’aider lui-même,
car ce n’est qu’une image, et il a besoin d’aide !u

u Description calculée pour jeter le ridicule sur l’idole :la matière est du bois de rebut, l’artiste un vulgaire artisan, le travail est fait sans soin et l’objet ne tiendra même pas debout.

17 Pourtant, s’il veut prier pour ses biens, son mariage, ses enfants,
il ne rougit pas d’adresser la parole à cet objet sans vie ;
pour la santé, il invoque ce qui est faible,
18 pour la vie, il implore ce qui est mort,
pour un secours, il supplie ce qui a le moins d’expérience,
pour un voyage, ce qui ne peut même pas se servir de ses pieds,
19 pour un gain, une entreprise, le succès du travail de ses mains,
il demande de la vigueur à ce qui n’a pas la moindre vigueur dans les mains !

Providence et Sagesse.

14 Tel autre qui prend la mer pour traverser les flots farouches
invoque à grands cris un bois plus fragile que le bateau qui le porte.v

v Figure de proue ou de poupe, à l’effigie d’une divinité protectrice de la navigation, cf. Ac 28.11.

2 Car ce bateau, c’est la soif du gain qui l’a conçu,
c’est la sagesse artisanew qui l’a construit ;

w L’habileté technique de l’artisan, fruit de la Sagesse, 8.6 ; cf. Ex 31.3 ; 35.31.

3 mais c’est ta Providence,x ô Père, qui le pilote,
car tu as mis un chemin jusque dans la mer,
et dans les flots un sentier assuré,y

x Le terme, qui paraît ici pour la première fois dans les LXX, est emprunté à la philosophie et à la littérature grecques. Cependant l’idée est biblique, Jb 10.12 ; Ps 145.8s, 15s ; 147.9, etc.

y En reprenant deux textes qui font allusion au passage de la mer Rouge, Ps 77.20 ; Isa 43.16, l’auteur veut illustrer la maîtrise de Dieu sur la mer et son pouvoir de protéger efficacement les navigateurs.

4 montrant que tu peux sauver de tout,
en sorte que, même sans expérience, on puisse embarquer.
5 Tu ne veux pas que les œuvres de ta Sagesse soient stériles ;
c’est pourquoi les hommes confient leur vie même à un bois minuscule,
traversent les vagues sur un radeau et demeurent sains et saufs.
6 Et de fait, aux origines, tandis que périssaient les géants orgueilleux,z
l’espoir du monde se réfugia sur un radeaua
et, piloté par ta main, laissa aux siècles futurs le germe d’une génération nouvelle.

z Ces géants tiennent une grande place dans les traditions ou légendes juives, cf. Gn 6.4 ; Si 16.7 ; Ba 3.26, et l’apocryphe qu’on appelle troisième livre des Maccabées (3 M 2.4), de même que dans certaines légendes grecques.

a L’arche de Noé, cf. déjà 10.4.

7 Car il est béni, le bois par lequel advient la justice,b

b En servant à l’accomplissement des desseins de Dieu. Plusieurs Pères ont appliqué ce texte au bois de la Croix.

8 mais maudite l’idole fabriquée,c elle et celui qui l’a faite,
lui, pour y avoir travaillé, et elle parce que,
corruptible, elle a été appelée dieu.

c Littéralement « la chose faite à la main », c.-à-d. de main d’homme, mais ce mot composé désigne souvent les idoles dans les LXX.

9 Car Dieu déteste également l’impie et son impiété.
10 Oui, l’œuvre sera châtiée avec l’ouvrier.

Origine des idoles.

11 Il y aura une visite même pour les idoles des nations,
parce que, dans la création de Dieu, elles sont devenues une abomination,
un scandale pour les âmes des hommes,
un piège pour les pieds des insensés.
12 L’idée de faire des idoles a été l’origine de la fornication,
leur découverte a corrompu la vie.d

d La « fornication » est à entendre au sens d’infidélité religieuse, cf. Os 1.2, mais l’erreur de l’esprit a entraîné le dérèglement des mœurs, cf. Rm 1.24-32 ; Ep 4.17-19.

13 Car elles n’existaient pas à l’origine, et elles n’existeront pas toujours ;
14 c’est par une illusion humaine qu’elles ont fait leur entrée dans le monde,e
aussi bien une prompte fin leur a-t-elle été réservée.

e Plusieurs bons mss ont ici « que la mort a fait son entrée », sous l’influence de 2.24. — Pour notre auteur, le monothéisme a précédé le polythéisme. Même conception dans Gn.

15 Un pèref que consumait un deuil prématuré
a fait faire une image de son enfant si tôt ravi,
et celui qui hier encore n’était qu’un homme mort, il l’honore maintenant comme un dieu
et il transmet aux siens des mystères et des rites.

f Deux exemples vont montrer comment l’illusion humaine a inventé les idoles, en insistant sur le culte idolâtrique rendu à des hommes divinisés plus que sur la divinisation elle-même. Le premier exemple s’éclaire par la coutume grecque d’élever les enfants défunts au rang de « héros protecteurs », une coutume rappelée et imitée par Cicéron après la mort de sa fille Tullia. Le second, la divinisation du souverain de son vivant, vise une coutume hellénistique, puis romaine.

16 Puis avec le temps la coutume impie se fortifia, on l’observa comme loi,
et sur l’ordre des souverains, les images sculptées reçurent un culte :
17 des hommes qui ne pouvaient les honorer en personne, parce qu’ils habitaient à distance,
représentèrent leur lointaine figure
et firent une image visible du roi qu’ils honoraient ;
ainsi, grâce à ce zèle, on flatterait l’absent comme s’il était présent.
18 Ceux-là mêmes qui ne le connaissaient pas
furent amenés par l’ambition de l’artiste à étendre son culte ;
19 car, désireux sans doute de plaire au maître,
il força son art à faire plus beau que nature,
20 et la foule, attirée par le charme de l’œuvre,
considéra désormais comme un objet d’adoration celui que naguère on honorait comme un homme.
21 Et voilà qui devint un piège pour la vie :
que des hommes, asservis au malheur ou au pouvoir,
eussent conféré à des pierres et à des morceaux de bois le Nom incommunicable.g

g Le nom révélé à Moïse, Ex 3.14, ou le nom même de « Dieu ».

Conséquences du culte des idoles.

22 En outre il ne leur a pas suffi d’errer au sujet de la connaissance de Dieu ;
mais alors que l’ignorance les fait vivre dans une grande guerre,h
ils donnent à de tels maux le nom de paix !

h Guerre au-dedans par le déchaînement des passions, au-dehors par les désordres que ces passions provoquent dans la société. Allusion possible à la Pax Romana.

23 Avec leurs rites infanticides, leurs mystères occultes,
ou leurs orgies furieuses aux coutumes extravagantes,i

i Allusion aux Bacchanales des mystères dionysiaques, ou aux violences et immoralités des mystères phrygiens.

24 ils ne gardent plus aucune pureté ni dans la vie ni dans le mariage,
l’un supprime l’autre insidieusement ou l’afflige par l’adultère.
25 Partout, pêle-mêle, sang et meurtre, vol et fourberie,
corruption, déloyauté, trouble, parjure,
26 confusion des gens de bien, oubli des bienfaits,
souillure des âmes, crimes contre nature,j
désordres dans le mariage, adultère et débauche.k

j Littéralement « inversion de la génération ».

k Réflexion sur la société, ébranlée dans ses fondements par le mépris de la vie et des droits d’autrui, par la profanation du mariage, par la déloyauté et surtout par la violation constante du serment (cf. vv. 29-31). Ce déséquilibre foncier est mis en relation immédiate, non avec la simple méconnaissance du vrai Dieu, mais avec les cultes idolâtriques. Cf. Rm 1.22-31, proche de ce passage :l’erreur en matière religieuse engendre l’immoralité.

27 Car le culte des idoles sans noml
est le commencement, la cause et le terme de tout mal.

l C’est-à-dire inexistantes. Peut-être faut-il entendre « qu’on ne doit pas nommer », cf. Ex 23.13.

28 Ou bien en effet ils poussent leurs réjouissances jusqu’au délire, ou bien ils prophétisent le mensonge,
ou ils vivent dans l’injustice, ou ils ont tôt fait de se parjurer :
29 comme ils mettent leur confiance en des idoles sans vie,
ils n’attendent aucun préjudice de leurs faux serments.
30 Mais de justes arrêts les frapperont pour ce double crime :
parce qu’ils ont mal pensé de Dieu en s’attachant à des idoles, parce qu’ils ont juré frauduleusement contre la justice, au mépris de la sainteté.
31 Car ce n’est pas la puissance de ceux par qui l’on jure,
mais le châtiment réservé aux pécheurs
qui poursuit toujours la transgression des injustes.

Israël n’est pas idolâtre.

15 Mais toi, notre Dieu, tu es bon et vrai,
lent à la colère et gouvernant l’univers avec miséricorde.
2 Pécherions-nous, nous sommes à toi, nous qui reconnaissons ta souveraineté,m
mais nous ne pécherons pas, sachant que nous sommes comptés pour tiens.

m Les Israélites continuent à reconnaître en lui le seul Seigneur, qui s’est engagé solennellement vis-à-vis de leurs Pères et qui reste fidèle, 12.19, 21-22 ; 15.1 ; ou encore, même pécheurs, comme lors du veau d’or, Ex 32, ils ne cessent d’appartenir à Dieu, car ils savent qu’il exerce son pouvoir sur tous avec bonté et miséricorde, offrant la possibilité du repentir, 11.23-12.2 ; 12.16-18.

3 Te connaître, en effet, est la justice intégrale,
et reconnaître ta souveraineté est la racine de l’immortalité.n

n Il s’agit d’une connaissance vitale, cf. Jr 9.23 qui est au principe de la vraie justice. La notion d’immortalité, avec l’image de la racine, cf. 3.15, prolonge celle de justice, cf. 1.1, 15 ; 3.1-9. Pour l’idée d’ensemble, cf. Jn 17.3.

4 Non, les inventions humaines d’un art pervers ne nous ont pas égarés,
ni le travail stérile des peintres,
ces figures barbouillées de couleurs disparates,
5 dont la vue éveille la passion chez les insensés
et leur fait désirer la forme inanimée d’une image morte.
6 Amants du mal et dignes de tels espoirs,
et ceux qui les font, et ceux qui les désirent, et ceux qui les adorent !

Folie des artisans d’idoles.o

7 Voici donc un potier qui laborieusement pétrit une terre molle
et modèle chaque objet pour notre usage.
De la même argile il a modelé
les vases destinés à de nobles emplois
et ceux qui auront un sort contraire, tous pareillement ;
mais dans chacun des deux groupes, quel sera l’usage de chacun,
c’est celui qui travaille l’argile qui en est juge.

o L’auteur s’en prend aux fabricants d’idoles et met en scène un potier modeleur de statuettes, comme il y en avait tant dans le monde hellénistique. La description est parallèle à celle du bûcheron, 13.11-19.

8 Puis — peine bien mal employée ! — de la même argile il modèle une divinité vaine,
lui qui, depuis peu né de la terre,
retournera sous peu à la terre dont il fut pris,
quand on lui redemandera l’âme qui lui a été prêtée.
9 Cependant il ne se soucie pas de ce qu’il doit mourir
et qu’il a une vie brève,
mais il rivalisep avec les orfèvres et les fondeurs d’argent,
il imite ceux qui coulent le bronze,
il met sa gloire à modeler du faux.

p Au lieu de songer à ses fins dernières, que lui rappelle l’argile qu’il travaille, Gn 3.19, ce potier se donne le ridicule de rivaliser avec les artistes dont le talent s’emploie sur une matière noble.

10 Cendres, que son cœur !
plus vil que la terre, son espoir !
plus misérable que l’argile, sa vie !
11 Car il a méconnu Celui qui l’a modelé,
qui lui a insufflé une âme agissante
et inspiré un souffle vital ;q

q « Âme agissante » et « souffle vital » sont synonymes.

12 Mais il a estimé que notre vie est un jeu d’enfant,
et notre existence une foire à profits :
« Il faut gagner, dit-il, par tous les moyens, même mauvais. »r

r Le potier se voit attribuer ces expressions proverbiales courantes dans le monde gréco-romain.

13 Oui, plus que tout autre, celui-là sait qu’il pèche,
lui qui, d’une matière terreuse, fabrique des vases fragiles et des statues d’idoles.

Le comble : de l’idolâtrie à la zoolâtrie.

14 Mais ils sont tous très insensés et plus infortunés que l’âme d’un petit enfant,s ces ennemis de ton peuple qui l’ont opprimé ;t

s L’enfant peut être facilement abusé.

t L’auteur revient aux Égyptiens « oppresseurs » de son peuple avant l’Exode et encore sous le règne des Ptolémées ; cf. 12.23-27 ; 13.1.

15 en effet, ils ont tenu aussi pour dieux toutes les idoles des nations,
qui n’ont ni l’usage des yeux pour voir,
ni de narines pour aspirer l’air,
ni d’oreilles pour entendre,
ni de doigts aux mains pour palper,
et dont les pieds ne servent à rien pour marcher.
16 Car c’est un homme qui les a faites,
un être au souffle d’emprunt qui les a modelées ;
nul homme, en effet, n’est capable de modeler un dieu qui lui soit semblable ;
17 mortel, c’est une chose morte qu’il produit de ses mains impies.
Il vaut mieux, certes, que les objets qu’il adore :
lui du moins aura vécu, eux jamais !
18 Et ils adorent même les bêtes les plus odieuses ;
car en fait de stupidité, elles sont pires que les autres.
19 Et pour autant qu’on puisse éprouver du désir à la vue d’animaux, rien de beau ne s’y trouve,
au contraire, ils ont échappé à l’éloge de Dieu et à sa bénédiction.u

u Au début de la création, Dieu avait béni son œuvre de vie, Gn 1.22, 28 ; 2.3. Après la chute le serpent fut maudit, Gn 3.14-15. Les animaux-dieux des Égyptiens méritent la même réprobation.

Seconde antithèse : grenouilles et cailles.v

16 Voilà pourquoi ils ont été châtiés justement par des êtres semblables,
et torturés par une multitude de bestioles.

v Après les deux digressions, la fin du livre, 16-19, reprend le parallèle entre Égyptiens et Israélites ; cf. 11.4. La deuxième et la troisième antithèse ont été préparées de loin par la mention générale des plaies causées par des animaux, 11.15-16 ; 12.23-27. L’auteur continue à ajouter maints détails aux récits bibliques anciens (ainsi v. 3), en les interprétant librement à la façon d’un midrash.

2 Au lieu de ce châtiment, tu as accordé un bienfait à ton peuple
pour satisfaire son ardent appétit,
c’est une nourriture d’une saveur extraordinaire que tu leur ménageas, des cailles !
3 si bien que, malgré leur désir de manger,
ceux-là, devant l’aspect repoussant des bêtes envoyées contre eux,
perdirent jusqu’à leur appétit naturel,
tandis que ceux-ci, après avoir été pour peu de temps dans la disette,
eurent en partage une saveur extraordinaire.
4 Car il fallait que sur ceux-là, les oppresseurs, s’abattît une irrémédiable disette ;
il suffisait à ceux-ci qu’on leur montrât comment leurs ennemis étaient torturés.

Troisième antithèse : sauterelles et serpent d’airain.

5 Et même lorsque s’abattit sur eux la fureur terrible de bêtes féroces,
et qu’ils périssaient sous les morsures de serpents tortueux,
ta colère ne dura pas jusqu’au bout ;
6 mais c’est par manière d’avertissement et pour peu de temps qu’ils furent inquiétés,
et ils avaient un signe de salutw pour leur rappeler le commandement de ta Loi,

w Au lieu de « signe » plusieurs mss importants ont « conseiller ».

7 car celui qui se tournait vers lui était sauvé, non par ce qu’il avait sous les yeux,
mais par toi, le Sauveur de tous.x

x L’auteur interprète Nb 21.4-9 dans le sens de la miséricorde. Il affirme aussi que le serpent d’airain n’avait aucun pouvoir par lui-même. Il y voit le rappel de la Loi et le signe d’un salut offert à tous par Dieu, ce qui ne ressort pas du texte ancien. — Serpent d’airain et dessein salvifique universel de Dieu figurent dans un même contexte en Jn 3.14-17.

8 Et par là tu prouvas à nos ennemis
que c’est toi qui délivres de tout mal ;y

y Les ennemis sont supposés informés de ces événements, cf. 11.13, à moins que l’auteur ne songe à un enseignement toujours valable dans le présent.

9 eux, en effet, les morsures de sauterelles et de mouches les tuèrent,
sans qu’on trouvât de remède pour leur sauver la vie,
car ils méritaient d’être châtiés par de telles bêtes,z

z À la plaie des sauterelles, Ex 10.4-15, l’auteur semble vouloir associer par un terme assez vague les taons, Ex 8.16-20, et les moustiques, Ex 8.12-15. L’idée de leur prêter une action meurtrière peut résulter d’une amplification d’Ex 10.17 (« fléau meurtrier ») et de Ps 78.45 (« des taons qui dévoraient ») ; on rapproche aussi, pour une transposition apocalyptique de ces plaies, Ap 9.3-12.

10 tandis que tes fils, même les dents de serpents venimeux n’en eurent pas raison ;
car ta miséricorde leur vint en aide et les guérit.
11 Ainsi tes oracles leur étaient rappelés par des coups d’aiguillon, bien vite guéris,
de peur que, tombés dans un profond oubli,
ils ne fussent exclus de ta bienfaisance.a

a Ou « ils ne devinssent insensibles à tes bienfaits ».

12 Et de fait, ce n’est ni herbe ni émollient qui leur rendit la santé,
mais ta parole, Seigneur, elle qui guérit tout !
13 Oui, c’est toi qui as pouvoir sur la vie et sur la mort,
qui fais descendre aux portes de l’Hadès et en fais remonter.b

b L’auteur enseigne ici le pouvoir absolu de Dieu sur la vie et la mort, non seulement en ce sens qu’il peut tirer qui il lui plaît du péril de mort, cf. Ps 9.14 ; 107.17-19 ; Isa 38.10-17, mais encore, semble-t-il, en ce sens plus profond qu’il peut rendre à la vie corporelle l’âme descendue au shéol, cf. 1 R 17.17-23 ; 2 R 4.33-35 ; 13.21.

14 L’homme, dans sa malice, peut bien tuer,
mais il ne ramène pas le souffle une fois parti,
et ne libère pas l’âme que l’Hadès a reçue.c

c « Hadès » n’est pas exprimé (litt. « l’âme qui a été reçue ») mais le sens ne fait pas de doute.

Quatrième antithèse : la grêle et la manne.

15 Il est impossible d’échapper à ta main.
16 Les impies qui refusaient de te connaître
furent fustigés par la force de ton bras ;
pluies insolites, grêle, averses inexorables les assaillirent,
et le feu les consuma.d

d Tous les traits de cette énumération renvoient à la plaie de la grêle, Ex 9.13-35, mais l’auteur exploite à la manière du midrash toutes les indications bibliques :pour les « pluies » cf. Ex 9.29 (LXX), 33, 34 ; pour « le feu » cf. Ex 9.23-24 ; Ps 78.47-49 ; 105.32 (où l’on trouve aussi la « pluie »).

17 Car voici le plus étrange : dans l’eau, qui éteint tout,
le feu n’avait que plus d’ardeur ;
l’univers en effet combat pour les justes.
18 Tantôt en effet la flamme s’apaisait,
de peur de brûler complètement les animaux envoyés contre les impies,e
et pour leur faire comprendre, à cette vue, qu’ils étaient poursuivis par un jugement de Dieu ;

e L’auteur semble penser que les premières plaies durent encore quand la septième, celle de la grêle (Ex 9.13-35) s’abat sur l’Égypte.

19 tantôt, au sein même de l’eau, elle brûlait avec plus de force que le feu,
pour détruire les produits d’une terre inique.
20 Au contraire, c’est une nourriture d’anges que tu as donnée à ton peuple,
et c’est un pain tout préparé que du ciel tu leur as fournif sans fatigue,
un pain capable de procurer toutes les délices et de satisfaire tous les goûts ;g

f Var. attestée par de bons mss « tu leur as envoyé ».

g La manne, « pain des anges », Ps 78.25, ou « pain du ciel », Ps 105.40, qui avait le « goût d’un gâteau de miel », Ex 16.31, devient une nourriture susceptible de se plier à tous les goûts et de prendre toutes les saveurs désirables — symbole même de la douceur de Dieu (v. 21). Ce trait trouve des parallèles très concrets dans les textes rabbiniques et atteste déjà l’existence d’une légende juive sur la manne. La liturgie chrétienne a appliqué ce passage à l’Eucharistie.

21 Et la substance que tu donnais manifestait ta douceur envers tes enfants,
et, s’accommodant au goût de celui qui la prenait,
elle se changeait en ce que chacun voulait.
22 Neige et glaceh supportaient le feu sans fondre :
on saurait ainsi que c’était pour détruire les récoltes des ennemis
que le feu brûlait au milieu de la grêle et flamboyait sous la pluie,

h C’est encore la manne, qu’Ex 16.14 compare à la rosée, et Nb 11.7 (LXX) à la glace, cf. 19.21.

23 tandis qu’au contraire, pour respecter la nourriture des justes,
il oubliait jusqu’à sa propre vertu.

24 Car la création qui est à ton service, à toi, son Créateur,
se tend à fond pour le châtiment des injustes
et se détend pour faire du bien à ceux qui se confient en toi.i

i « se tend... se détend », image empruntée aux instruments à cordes cf. 19.18.

25 C’est pourquoi, alors aussi, en se changeant en tout,j
elle se mettait au service de ta libéralité, nourricière universelle,
selon le désir de ceux qui étaient dans le besoin ;k

j L’auteur tente d’expliquer cette particularité de la manne, cf. vv. 20c, 21c, à l’aide de la physique de l’époque, par une mutation des éléments ou un échange de leurs propriétés. Mais il insiste moins sur ce fait extraordinaire que sur l’enseignement qui s’en dégage.

k Ou « de ceux qui demandaient », ou « priaient ».

26 ainsi tes fils que tu as aimés, Seigneur, l’apprendraient :
ce ne sont pas les diverses espèces de fruits qui nourrissent l’homme,
mais c’est ta parole qui conserve ceux qui croient en toi.
27 Car ce qui n’était pas détruit par le feu
fondait à la simple chaleur d’un bref rayon de soleil,
28 afin que l’on sache qu’il faut devancer le soleil pour te rendre grâce,
et te rencontrer dès le lever du jour ;l

l Cette leçon, appuyée sur une interprétation très libre d’Ex 16.21, enregistre l’usage de faire coïncider la prière du matin avec l’aurore ou les premiers rayons du soleil.

29 l’espoir de l’ingrat fond, en effet, comme le givre hivernal,
comme une eau inutile, il s’écoule.

Cinquième antithèse : ténèbres et colonne de feu.m

17 Oui, tes jugements sont grands et difficiles à saisir !
C’est pourquoi des âmes sans instruction se sont égarées.

m À la plaie des ténèbres, Ex 10.21-23 ; Ps 105.28, l’auteur oppose la lumière qui continuait d’éclairer le monde entier et les Israélites, v. 18 et 18.1, puis la lumière de la Loi, 18.4, mais l’antithèse proprement dite fait intervenir la « colonne de feu » 18.3.

2 Alors que des impies s’imaginaient tenir en leur pouvoir une nation sainte,
devenus prisonniers des ténèbres, dans les entraves d’une longue nuit,
ils gisaient enfermés sous leurs toits, s’étant exclus de la providence éternelle.
3 Alors qu’ils pensaient demeurer cachés avec leurs péchés commis dans le secret,
sous le sombre voile de l’oubli,
ils furent dispersés, en proie à de terribles frayeurs,
épouvantés par des hallucinations.n

n L’auteur va dramatiser étrangement la plaie des ténèbres. La description qui suit amplifie en divers sens le récit biblique et s’apparente au midrash hellénistique, utilisant peut-être des légendes juives et des spéculations rabbiniques qu’on retrouve chez Philon d’Alexandrie. On relèvera en même temps l’orientation apocalyptique de l’ensemble :les ténèbres d’Égypte deviennent l’anticipation ou l’image des ténèbres infernales, cf. surtout vv. 14, 21. L’auteur s’en prend à la magie, 17.7 et aux mystères du milieu alexandrin. Il analyse aussi la psychologie de la peur, surtout 17.12 ; cf. 5.2, et les discours des impies, 2 ; 5, sont à l’arrière-plan.

4 Car l’antre qui les détenait ne les préservait pas de la peur ;
des bruits en se répercutant résonnaient autour d’eux,
et des spectres lugubres, au visage morne, leur apparaissaient.
5 Aucun feu n’avait assez de force pour les éclairer,
et l’éclat étincelant des étoiles
ne parvenait pas à illuminer cette nuit infernale.
6 Ils n’entrevoyaient
qu’un bûcher qui s’allumait de lui-même, semant la peur.
Terrifiés par cette vision qu’ils distinguaient mal,
ils tenaient pour pire ce qu’ils venaient de voir.

7 Les artifices de l’art magique demeuraient impuissants,o
et le démenti infligé à la prétention de savoir était humiliant ;

o Après une réussite temporaire, Ex 7.11, 22 ; 8.3, ils avaient échoué, Ex 8.14, et même porté malheur à leurs auteurs, Ex 9.11. Il semble bien qu’à travers les magiciens du Pharaon, l’auteur s’en prenne aux magiciens de son temps. Cf. 12.4 ; 18.13.

8 car ceux qui promettaient de bannir de l’âme malade les terreurs et les troubles
étaient eux-mêmes malades d’une appréhension ridicule.
9 Même si rien d’effrayant n’avait à leur faire peur,
effarouchés aux passages de bestioles et par les sifflements de reptiles,
10 ils tremblaient à en mourir,
et refusaient même de regarder cet air, que d’aucune manière on ne peut fuir.
11 Car la perversité s’avère singulièrement lâche et se condamne elle-même ;
pressée par la conscience, toujours elle grossit les difficultés.p

p Première mention de la « conscience » dans la Bible grecque, cf. Ac 23.1 ; le mot désigne ici la conscience morale reprochant les péchés commis. — La réflexion élimine les causes imaginaires de la peur. Mais la conscience chargée la trouble et l’empêche d’accomplir son œuvre.

12 La peur en effet n’est rien d’autre
que la défaillance des secours de la réflexion ;q

q Cette définition de la peur, unique dans la Bible, s’inspire de textes hellénistiques qui soulignent eux aussi combien alors la raison défaille et trahit ; l’originalité de l’auteur consiste à relier la peur à la mauvaise conscience et, plus encore, à la méconnaissance de Dieu, 17.1.

13 moins on compte intérieurement sur eux,
plus on trouve grave d’ignorer la cause qui provoque le tourment.r

r On peut comprendre aussi « L’incapacité de prévoir intérieurement (les maux) exagère l’ignorance de la cause... ».

14 Pour eux, durant cette nuit sortie des antres de l’Hadès impuissant,
endormis d’un même sommeil,
15 ils étaient tantôt poursuivis par des spectres monstrueux,
tantôt paralysés par la défaillance de leur âme ;
car une peur subite et inattendue les avait inondés.s

s « avait inondés » mss ; « s’était abattue » texte reçu.

16 Ainsi encore, celui qui tombait là, quel qu’il fût,
se trouvait emprisonné, enfermé dans cette geôle sans verrous.
17 Qu’on fût laboureur ou berger,
ou qu’on fût occupé à peiner dans le désert,
surpris, on subissait l’inéluctable nécessité ;
18 car tous avaient été liés par une même chaîne de ténèbres.
Le vent qui siffle,
le chant mélodieux des oiseaux dans les rameaux touffus,
le bruit cadencé d’une eau coulant avec violence,
19 le rude fracas des pierres dégringolant,
la course invisible d’animaux bondissants,
le rugissement des bêtes les plus sauvages,
l’écho se répercutant au creux des montagnes,
tout les terrorisait et les paralysait.
20 Car le monde entier était éclairé par une lumière étincelante
et vaquait librement à ses travaux ;
21 sur eux seuls s’étendait une pesante nuit,
image des ténèbres qui devaient les recevoir.
Mais ils étaient à eux-mêmes plus pesants que les ténèbres.

18 Cependant pour tes saints il y avait une très grande lumière.
Les autres, qui entendaient leur voix sans voir leur figure,t
les proclamaient heureux de n’avoir pas eux-mêmes souffert,u

t Les Hébreux sont supposés ici mêlés aux Égyptiens, cf. Ex 11.4-7 ; 12.12-13, 29-36.

u « de n’avoir pas » mss, lat. « quoiqu’ils aient (eux-mêmes souffert) » texte reçu.

2 ils leur rendaient grâce de ne pas sévir, après avoir été maltraités,
et leur demandaient pardon pour leur attitude hostile.v

v On pourrait aussi traduire « leur demandaient en grâce de partir », cf. Ex 10.24 ; 11.8 ; 12.33 ; 19.2.

3 Au lieu de ces ténèbres, tu donnas aux tiens une colonne flamboyante,
pour leur servir de guide en un voyage inconnu,
de soleil inoffensif en leur glorieuse migration.
4 Mais ceux-là méritaient bien d’être privés de lumière et d’être prisonniers des ténèbres,
qui avaient gardé enfermés tes fils,
par qui devait être donnée au monde l’incorruptible lumière de la Loi.

Sixième antithèse : mort des premiers-nés et fléau mortel écarté.w

5 Comme ils avaient résolu de tuer les petits enfants des saints,
et qu’un seul enfant exposé avait été sauvé,
tu leur enlevas, pour les châtier, une multitude d’enfantsx
et tu les fis périr tous ensemble dans l’eau impétueuse.y

w En alléguant un autre exemple de la correspondance entre faute et châtiment, cf. 11.16, l’auteur annonce à la fois l’extermination des premiers-nés et le désastre de la mer Rouge (v. 5). Mais son attention se fixe ensuite sur le premier épisode ; celui-ci est placé dans son cadre de la nuit pascale, 18.6-19, avant d’être comparé à l’intercession d’Aaron qui arrêta le fléau mortel sévissant contre le peuple hébreu en révolte au désert, 18.20-25.

x Cette correspondance s’appuie peut-être sur Ex 4.22-23. Précédemment, 11.6-7, le décret infanticide était invoqué pour justifier la plaie du Nil changé en sang.

y Cet autre épisode, développé en 19.1-9, est mis également en relation avec le décret infanticide par le livre des Jubilés (48.14) et un commentaire rabbinique.

6 Cette nuit-là fut à l’avance connue de nos pères,z
pour que, sachant d’une manière sûre à quels serments ils avaient cru, ils se réjouissent.

z Soit les Israélites du temps de l’Exode, Ex 11.4-7, soit plutôt les patriarches, à qui Dieu avait promis de délivrer leurs descendants de la servitude d’Égypte, Gn 15.13-14 ; 46.3-4. Cf. 18.23-24.

7 Ton peuple l’attendit,
salut des justes et perte des ennemis ;
8 car, par la vengeance même que tu tiras de nos adversaires,
tu nous glorifias en nous appelant à toi.a

a L’extermination des premiers-nés d’Égypte, la célébration de la Pâque et l’Exode désignaient définitivement Israël comme le peuple de Dieu, cf. Dt 7.6.

9 Aussi les saints enfants des bonsb sacrifiaient-ils en secret,
et ils établirent d’un commun accord cette loi divine,
que les saints partageraient également biens et périls ;
et ils entonnaient déjà les cantiques des Pères.c

b C’est-à-dire les descendants de bonne souche, d’une lignée sainte ; on peut aussi traduire « les saints enfants des biens », c’est-à-dire les héritiers des biens promis aux Pères. — La Pâque est appelée sacrifice, Ex 12.27 ; Dt 16.2, 5. Ce sacrifice est dit « secret » parce que célébré à l’intérieur des maisons, Ex 12.46.

c L’auteur interprète le repas pascal comme on le faisait de son temps. Pâque et alliance sont liées, cf. Jr 31.32 ; 2 Ch 30.1-27 ; 34.31—35.1 ; Lc 22.20. La solidarité entre les participants, les « saints », se fonde probablement sur la circoncision exigée par Ex 12.43-49 ; cf. Jn 13.34. Le repas pascal s’achève par le chant du Hallel, Ps 113-118 ; cf. Mt 26.30.

10 La clameur discordante de leurs ennemis faisait écho,
et les accents plaintifs de ceux qui se lamentaient sur leurs enfants se répandaient au loin.
11 Un même châtiment frappait esclave et maître,
l’homme du peuple endurait les mêmes souffrances que le roi.
12 Tous donc pareillement, frappés d’un même trépas,
eurent des morts innombrables.
Les vivants ne suffisaient plus aux funérailles,
car, en un instant, leur plus précieuse descendance avait été détruite.
13 Ainsi, ceux que des sortilèges avaient rendus absolument incrédules
confessèrent, devant la perte de leurs premiers-nés, que ce peuple était fils de Dieu.d

d Dans leur foi aux sortilèges, les Égyptiens avaient espéré jusque-là que leurs magiciens finiraient par l’emporter sur Moïse, cf. Ex 7.11-13 ; 8.3, 14 ; 9.11, qui semblait mettre en œuvre une magie rivale. Cette fois, Dieu frappe directement.

14 Alors qu’un silence paisible enveloppait toutes choses
et que la nuit parvenait au milieu de sa course,
15 du haut des cieux, ta Parole toute-puissante s’élança du trône royal,
guerrier inexorable, au milieu d’une terre vouée à l’extermination.e
Portant pour glaive aigu ton irrévocable décret,

e La mort des premiers-nés, attribuée directement à Dieu par Ex 11.4s ; 12.12, 23, 27, 29, accompagné de l’Exterminateur, Ex 12.23, devient l’œuvre de la Parole divine. Celle-ci était représentée déjà comme exécutant les jugements par Isa 11.4 ; 55.11 ; Jr 23.29 ; Os 6.5. Dans cette évocation dramatique, l’auteur s’inspire, au v. 16 de 1 Ch 21.15-27, et peut-être aussi d’Homère (Iliade IV, 443). L’ensemble prend une signification apocalyptique et la Parole de jugement préfigure, non l’Incarnation du Verbe (contrairement à l’usage que la liturgie a fait de ce texte), mais l’aspect redoutable de son second avènement. On rapproche 1 Th 5.2-4 ; Ap 19.11-21.

16 elle s’arrêta et remplit de mort l’univers ;
elle touchait au ciel et se tenait sur la terre.
17 Alorsf brusquement des apparitions en des songes terribles les épouvantèrent,
des peurs inattendues les assaillirent.

f Ce qui suit n’a aucune attache avec le récit de l’Exode.

18 Jetés à demi morts, l’un d’un côté, l’autre de l’autre,
ils faisaient savoir pour quelle raison ils mouraient,
19 car les songes qui les avaient troublés les en avaient avertis d’avance,
afin qu’ils ne périssent pas sans savoir pourquoi ils subissaient le mal.

Menace d’extermination au désert.

20 Cependant l’expérience de la mort atteignit aussi les justesg
et une multitude fut massacrée au désert.
Mais la Colère ne dura pas longtemps,

g En punition de la révolte qui suivit le châtiment de Coré, Datân et Abiram, Nb 17.6-15.

21 car un homme irréprochableh se hâta de les défendre.
Prenant les armes de son ministère,
prière et encens expiatoire,i
il affronta le Courroux et mit un terme au fléau,
montrant qu’il était ton serviteur.

h Aaron, « irréprochable » parce que, choisi par Yahvé, il lui est demeuré fidèle.

i Littéralement « le sacrifice expiatoire de l’encens ». En ajoutant la « prière » non mentionnée par le récit biblique, le texte transforme le grand prêtre en intercesseur, cf. 2 M 3.31 ; 15.12 ; Ps 99.6 ; He 7.25.

22 Il vainquit l’Animosité,j non par la vigueur du corps,
non par la puissance des armes ;
c’est par la parolek qu’il eut raison de celui qui châtiait,
en rappelant les serments faits aux Pères et les alliances.

j « l’Animosité » ton cholon conj. ; « la foule » ton ochlon texte reçu.

k Parole liturgique d’intercession, dont la suite de la phrase indique les motifs. Cette parole qui sauve de l’Exterminateur contraste avec la Parole qui frappait, 18.15.

23 Alors que déjà par monceaux les morts étaient tombés les uns sur les autres,
il s’interposa, arrêta la Colère,
et lui barra le chemin des vivants.
24 Car sur sa robe talaire était le monde entier,
les noms glorieux des Pères étaient gravés sur les quatre rangées de pierres,
et sur le diadème de sa tête il y avait ta Majesté.l

l L’auteur se représente Aaron revêtu d’une robe descendant jusqu’aux talons, avec l’ephod et le pectoral aux douze pierres gravées du nom des « Pères » (les douze fils de Jacob), cf. Ex 28.6s ; 39.2s, avec sur la tête la fleur d’or du « diadème » portant l’inscription « consacré à Yahvé », Ex 28.36s ; 39 : 30s. Ces insignes de la dignité de grand prêtre reçoivent ici un symbolisme cosmique qui devait être habituel dans les milieux juifs hellénisés.

25 Devant cela l’Exterminateurm recula, il en eut peur ;
la seule expérience de la Colère suffisait.

m Peut-être un ange, comme celui de 1 Ch 21.15-16. Cf. Ex 12.23 et 1 Co 10.10. — « il eut peur » mss, versions ; « ils eurent peur » texte reçu.