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Bible de Jérusalem

Matthieu

L’ÉVANGILE SELON SAINT MATTHIEU

Introduction à l’évangile selon Matthieu

I. Naissance et enfance de Jésus

Ascendance de Jésus.

1 Livre de la genèse de Jésus Christ, fils de David, fils d’Abraham :a

a La généalogie de Mt, tout en soulignant des influences étrangères du côté des femmes, vv. 3, 5, 6, se restreint à l’ascendance israélite du Christ. Elle vise à le rattacher aux principaux dépositaires des promesses messianiques, Abraham et David, et aux descendants royaux de ce dernier, 2 S 7.1 ; Isa 7.14. La généalogie de Lc, plus universaliste, remonte à Adam, chef de toute l’humanité. De David à Joseph, les deux listes n’ont en commun que deux noms. Cette divergence peut s’expliquer, soit par le fait que a préféré la succession dynastique à la descendance naturelle, soit par l’équivalence mise entre la descendance légale (loi du lévirat, Dt 25.5) et la descendance naturelle. Le caractère systématique de la généalogie est d’ailleurs souligné, chez Mt, par la répartition des ancêtres du Christ en trois séries de deux fois sept noms, cf. 6.9, ce qui oblige à omettre trois rois entre Joram et Ozias, et à compter Jéchonias, vv. 11-12, pour deux (ce même nom grec pouvant traduire les deux noms hébreux voisins de Joiaqim et Joiakîn). Les deux listes aboutissent à Joseph, qui n’est que le père légal de Jésus c’est qu’aux yeux des anciens la paternité légale (par adoption, lévirat, etc.) suffisait à conférer tous les droits héréditaires, ici ceux de la lignée davidique. Cela n’exclut pas que Marie elle-même ait appartenu à cette lignée, encore que les évangélistes ne le disent pas.

2 Abraham engendra Isaac,
Isaac engendra Jacob,
Jacob engendra Juda et ses frères,
3 Juda engendra Pharès et Zara, de Thamar,
Pharès engendra Esrom,
Esrom engendra Aram,
4 Aram engendra Aminadab,
Aminadab engendra Naasson,
Naasson engendra Salmon,
5 Salmon engendra Booz, de Rahab,
Booz engendra Jobed, de Ruth,
Jobed engendra Jessé,

6 Jessé engendra le roi David.

David engendra Salomon, de la femme d’Urie,
7 Salomon engendra Roboam,
Roboam engendra Abia,
Abia engendra Asa,b

b Var. « Asaph ».

8 Asa engendra Josaphat,
Josaphat engendra Joram,
Joram engendra Ozias,
9 Ozias engendra Joatham,
Joatham engendra Achaz,
Achaz engendra Ézéchias,
10 Ézéchias engendra Manassé,
Manassé engendra Amon,c
Amon engendra Josias,

c Var. « Amos ».

11 Josias engendra Jéchonias et ses frères ;
ce fut alors la déportation à Babylone.
12 Après la déportation à Babylone,
Jéchonias engendra Salathiel,
Salathiel engendra Zorobabel,
13 Zorobabel engendra Abioud,
Abioud engendra Éliakim,
Éliakim engendra Azor,
14 Azor engendra Sadok,
Sadok engendra Akhim,
Akhim engendra Élioud,
15 Élioud engendra Éléazar,
Éléazar engendra Matthan,
Matthan engendra Jacob,
16 Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie,
de laquelle naquit Jésus,d que l’on appelle Christ.

d Plusieurs témoins grecs et latins ont précisé « Joseph, auquel fut fiancée la Vierge Marie qui engendra Jésus »; c’est sans doute de cette leçon mal comprise que résulte la syr. sin. « Joseph, auquel était fiancée la Vierge Marie, engendra Jésus. »

17 Le total des générations est donc : d’Abraham à David, quatorze générations ; de David à la déportation de Babylone, quatorze générations ; de la déportation de Babylone au Christ, quatorze générations.

Joseph assume la paternité légale de Jésus.

18 Or telle fut la genèse de Jésus Christ. Marie, sa mère, était fiancée à Joseph :e or, avant qu’ils eussent mené vie commune, elle se trouva enceinte par le fait de l’Esprit Saint.

e Les fiançailles juives étaient un engagement si réel que le fiancé était déjà appelé « mari » et ne pouvait se dégager que par une « répudiation » (v.19).

19 Joseph, son mari, qui était un homme juste et ne voulait pas la dénoncer publiquement, résolut de la répudier sans bruit.f

f La justice de Joseph consiste en ce qu’il ne veut pas couvrir de son nom un enfant dont il ignore le père, mais aussi en ce que, par compassion, il refuse de livrer Marie à la procédure rigoureuse de la Loi, la lapidation, Dt 22.20s. « Sans bruit » en contraste avec l’ordalie prescrite en Nb 5.11-31.

20 Alors qu’il avait formé ce dessein, voici que l’Ange du Seigneurg lui apparut en songeh et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme : car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint ;

g L’« Ange du Seigneur », dans les textes anciens, Gn 16.7, représentait primitivement Yahvé lui-même. Distingué davantage de Dieu par les progrès de l’angélologie, cf. Tb 5.4, il reste le type du messager céleste et apparaît souvent à ce titre dans les Évangiles de l’Enfance 1.20, 24 ; 2.13, 19 ; Lc 1.11 ; 2.9 ; cf. encore 28.2 ; Jn 5.4 ; Ac 5.19 ; 8.26 ; 12.7, 23.

h Comme dans l’AT, Si 34.1, il arrive que Dieu fasse connaître son dessein par un songe 2.12, 13, 19, 22 ; 27.19 ; cf. Ac 16.9 ; 18.9 ; 23.11 ; 27.23 ; et les visions parallèles de Ac 9.10s ; 10.3s, 11s.

21 elle enfantera un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus car c’est lui qui sauverai son peuple de ses péchés. »

i « Jésus » (hébreu Yehoshú`a) veut dire « Yahvé sauve ».

22 Or tout ceci advint pour que s’accomplît cet oracle prophétique du Seigneur :j

j Cette formule et d’autres qui en sont voisines seront fréquentes chez Mt : 2.15, 17, 23 ; 8.17 ; 12.17 ; 13.35 ; 21.4 ; 26.54, 56 ; 27.9 ; cf. 3.3 ; 11.10 ; 13.14, etc. Mais n’est pas le seul à penser que les Écritures s’accomplissent en Jésus. Jésus lui-même déclare qu’elles parlent de lui, 11.4-6 ; Lc 4.21 ; 18.31 ; 24.4 ; Jn 5.39 ; 8.56 ; 17.12 ; etc. Déjà dans l’AT la réalisation des paroles des prophètes était l’un des critères de leur mission, Dt 18.20-22. Aux yeux de Jésus et de ses disciples, Dieu a annoncé ses desseins, soit par des paroles, soit par des faits, et la foi des chrétiens découvre que l’accomplissement littéral des textes dans la personne de Jésus Christ ou dans la vie de l’Église manifeste l’accomplissement réel des vues de Dieu, Jn 2.22 ; 20.9 ; Ac 2.23 ; 2.31, 34-35 ; 3.24 ; Rm 15.4 ; 1 Co 10.11 ; 15.3-4 ; 2 Co 1.20 ; 3.14-16.

23 Voici que la vierge concevra et enfantera un fils, et on l’appellera du nom d’Emmanuel, ce qui se traduit : « Dieu avec nous. » 24 Une fois réveillé, Joseph fit comme l’Ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui sa femme ; 25 et il ne la connut pas jusqu’au jour où elle enfanta un fils,k et il l’appela du nom de Jésus.

k Le texte n’envisage pas la période ultérieure, et de soi n’affirme pas la virginité perpétuelle de Marie, mais le reste de l’Évangile ainsi que la tradition de l’Église la supposent. Sur les « frères » de Jésus, cf. 12.46.

La visite des mages.

2 l Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode,m voici que des mages venus d’Orientn arrivèrent à Jérusalem

l Après avoir présenté au chap. 1 la personne de Jésus, fils de David et fils de Dieu, caractérise au chap. 2 sa mission de salut offert aux païens, dont il attire les sages à sa lumière, vv. 1-12, et de souffrance dans son propre peuple, dont il revit les expériences douloureuses le premier exil en Égypte, 13-15, la deuxième captivité, 16-18, le retour humilié du petit « Reste », naçur , 19-23 (cf. v. 23). Ces récits de caractère haggadique enseignent à l’aide d’événements ce que Lc 2.30-34 enseigne par les paroles prophétiques de Syméon, cf. Lc 2.34.

m Vers l’an 5 ou 4 avant l’ère chrétienne, celle-ci commençant par erreur quelques années après la naissance du Christ, cf. Lc 2.2 ; 3.1. Hérode régna de 37 à 4 avant notre ère. Son royaume en vint à comprendre la Judée, l’Idumée, la Samarie, la Galilée, la Pérée, et d’autres régions du côté du Hauran.

n Un tel récit demande qu’on laisse à ce terme le vague d’une désignation très générale la région par excellence des sages astrologues que sont les « mages ». On peut penser à la Perse, à Babylone, ou à l’Arabie du Sud.

2 en disant : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu, en effet, son astre à son levero et sommes venus lui rendre hommage. »

o Autre traduction (Vulg.) « à l’orient ». De même au v. 9.

3 L’ayant appris, le roi Hérode s’émut, et tout Jérusalem avec lui. 4 Il assembla tous les grands prêtres avec les scribes du peuple,p et il s’enquérait auprès d’eux du lieu où devait naître le Christ.

p Appelés aussi « docteurs de la Loi », Lc 5, 17 ; Ac 5, 34, ou « légistes », Lc 7.30 ; 10.25, etc., les « scribes » avaient pour fonction d’interpréter les Écritures, et en particulier la Loi mosaïque, pour en tirer les règles de conduite de la vie juive cf. Esd 7.6, 11 ; Si 39.2. Ce rôle leur valait prestige et influence parmi le peuple. Ils se recrutaient surtout, mais non exclusivement, parmi les Pharisiens, 3.7. Ils étaient membres du Grand Sanhedrin, avec les grands prêtres et les anciens.

5 « À Bethléem de Judée, lui dirent-ils ; ainsi, en effet, est-il écrit par le prophète :

6 Et toi, Bethléem, terre de Juda,
tu n’es nullement le moindre des clans de Juda ;
car de toi sortira un chef
qui sera pasteur de mon peuple Israël. »

7 Alors Hérode manda secrètement les mages, se fit préciser par eux le temps de l’apparition de l’astre, 8 et les envoya à Bethléem en disant : « Allez vous renseigner exactement sur l’enfant ; et quand vous l’aurez trouvé, avisez-moi, afin que j’aille, moi aussi, lui rendre hommage. » 9 Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route ; et voici que l’astre, qu’ils avaient vu à son lever, les précédait jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant.q

q L’évangéliste songe manifestement à un astre miraculeux, dont il est vain de chercher une explication naturelle.

10 À la vue de l’astre ils se réjouirent d’une très grande joie. 11 Entrant alors dans le logis, ils virent l’enfant avec Marie sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage ; puis, ouvrant leurs cassettes, ils lui offrirent en présents de l’or, de l’encens et de la myrrhe.r

r Richesses et parfums d’Arabie, Jr 6.20 ; Ez 27.22. Les Pères y ont vu symbolisées la Royauté (or), la Divinité (encens) et la Passion (myrrhe) du Christ. L’adoration des Mages accomplit les oracles messianiques sur l’hommage des nations au Dieu d’Israël, cf. Nb 24.17 ; Isa 49.23 ; 60.5s ; Ps 72.10-15.

12 Après quoi, avertis en songe de ne point retourner chez Hérode, ils prirent une autre route pour rentrer dans leur pays.

Fuite en Égypte et massacre des Innocents.

13 Après leur départ, voici que l’Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit : « Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte ; et restes-y jusqu’à ce que je te dise. Car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr. » 14 Il se leva, prit avec lui l’enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Égypte ; 15 et il resta là jusqu’à la mort d’Hérode ; pour que s’accomplît cet oracle prophétique du Seigneur :

D’Égypte j’ai appelé mon filss

s Israël, le « fils » du texte prophétique, était donc une figure du Messie.

16 Alors Hérode, voyant qu’il avait été joué par les mages,t fut pris d’une violente fureur et envoya mettre à mort, dans Bethléem et tout son territoire, tous les enfants de moins de deux ans, d’après le temps qu’il s’était fait préciser par les mages.

t Ce récit a un parallèle, qui est un précédent, dans l’enfance de Moïse racontée par les traditions rabbiniques après que la naissance de l’enfant a été annoncée, soit par des visions, soit par des magiciens, le Pharaon fait massacrer des enfants nouveau-nés.

17 Alors s’accomplit l’oracle du prophète Jérémie :u

u Au sens premier de ce texte, ce sont les hommes d’Éphraïm, Manassé et Benjamin, massacrés ou déportés par les Assyriens, que pleure Rachel leur aïeule. L’application que fait Matthieu a pu lui être suggérée par une tradition qui plaçait le tombeau de Rachel dans le territoire de Bethléem, Gn 35.19s.

18 Une voix dans Rama s’est fait entendre,
pleur et longue plainte :
c’est Rachel pleurant ses enfants ;
et ne veut pas qu’on la console,
car ils ne sont plus.

Retour d’Égypte et établissement à Nazareth.

19 Quand Hérode eut cessé de vivre, voici que l’Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph, en Égypte, 20 et lui dit : « Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et mets-toi en route pour la terre d’Israël ; car ils sont morts, ceux qui en voulaient à la vie de l’enfant. » 21 Il se leva, prit avec lui l’enfant et sa mère, et rentra dans la terre d’Israël. 22 Mais, apprenant qu’Archélaüsv régnait sur la Judée à la place d’Hérode son père, il craignit de s’y rendre ; averti en songe, il se retira dans la région de Galiléew

v Ce fils d’Hérode par Malthaké (de même que Hérode Antipas) fut ethnarque de Judée de 4 av. J.-C. à 6 ap. J.-C.

w Domaine d’Hérode Antipas, cf. Lc 3.1.

23 et vint s’établir dans une ville appelée Nazareth ; pour que s’accomplît l’oracle des prophètes :
Il sera appelé Nazôréen.x

x « Nazôréen » (Nazôraios, forme adoptée par Mt, Jn et Ac) et son synonyme « Nazarénien » (Nazarenos, forme adoptée par Mc ; Lc a les deux formes) sont deux transcriptions courantes d’un adjectif araméen (nasraya), lui-même dérivé du nom de ville « Nazareth » (Nasrath). Appliqué à Jésus, dont il caractérisait l’origine, 26.69, 71 puis à ses sectateurs, Ac 24.5, ce terme s’est maintenu dans le monde sémitique pour désigner les disciples de Jésus, tandis que le nom de « chrétien », Ac 11.26, a prévalu dans le monde gréco-romain. — On ne voit pas clairement à quels oracles prophétiques fait ici allusion ; on peut songer au nazîr de Jg 13.5, 7, ou au neçer « rejeton » de Isa 11.1, ou mieux encore à naçar « garder » d’Isa 42.6 ; 49.8, d’où naçur = le Reste.

II. La promulgation du Royaume des Cieux

1. SECTION NARRATIVE

Prédication de Jean-Baptiste.

3 En ces jours-lày arrive Jean le Baptiste, prêchant dans le désert de Judéez

y Expression stéréotypée, qui n’a qu’une valeur de transition.

z Région montagneuse et désolée qui s’étend entre la chaîne centrale de la Palestine et la dépression du Jourdain et de la mer Morte.

2 et disant : « Repentez-vous,a car le Royaume des Cieuxb est tout proche. »

a La metanoia, étym. changement de sentiments, désigne un renoncement au péché, un « repentir ». Ce regret, qui regarde vers le passé, s’accompagne normalement d’une « conversion » (verbe grec epistrephein), par laquelle l’homme se retourne vers Dieu et s’engage dans une vie nouvelle. Ces deux aspects complémentaires d’un même mouvement de l’âme ne se distinguent pas toujours dans le vocabulaire. Cf. Ac 2.38 ; 3.19. Repentir et conversion sont la condition nécessaire pour recevoir le salut qu’apporte le Règne de Dieu. L’appel au repentir lancé par Jean-Baptiste, cf. encore Ac 13.24 ; 19.4, sera repris par Jésus, 4.17 ; Lc 5.32 ; 13.3, 5, par ses disciples, Mc 6.12 ; Lc 24.47, et par Paul, Ac 20.21 ; 26.20.

b Pour « Royaume de Dieu », cf. 4.17 tournure propre à Mt, répondant à la préoccupation juive de remplacer le Nom redoutable par une métaphore.

3 C’est bien lui dont a parlé Isaïe le prophète :

Voix de celui qui crie dans le désert :
Préparez le chemin du Seigneur,
rendez droits ses sentiers.

4 Ce Jean avait son vêtement fait de poils de chameau et un pagne de peau autour de ses reins ; sa nourriture était de sauterelles et de miel sauvage. 5 Alors s’en allaient vers lui Jérusalem, et toute la Judée, et toute la région du Jourdain, 6 et ils se faisaient baptiser par lui dans les eaux du Jourdain, en confessant leurs péchés.c

c Le rite d’immersion, symbole de purification ou de renouveau, était connu des religions anciennes et du judaïsme (baptême des prosélytes, esséniens). Tout en s’inspirant de ces précédents, le baptême de Jean s’en distingue par trois traits principaux il vise une purification non plus rituelle mais morale, 3.2, 6, 8, 11 ; Lc 3.10-14 ; il ne se répète pas et revêt de ce fait l’aspect d’une initiation ; il a une valeur eschatologique, introduisant dans le groupe de ceux qui professent une attente active du Messie prochain et constituent par avance sa communauté, 3.2, 11 ; Jn 1.19-34. Son efficacité est réelle mais non sacramentelle, dépendante qu’elle est du Jugement de Dieu encore à venir en la personne du Messie, dont le feu purifiera ou consumera selon que l’on sera bien ou mal disposé, et qui seul baptisera « dans l’Esprit Saint », 3.7, 10-12 ; Jn 1.33. Ce baptême de Jean sera encore pratiqué par les disciples du Christ, Jn 4.1-2, jusqu’au jour où il sera absorbé dans le rite nouveau institué par le Christ ressuscité, 28.19 ; Ac 1.5 ; Rm 6.4.

7 Comme il voyait beaucoup de Pharisiensd et de Sadducéense venir au baptême, il leur dit : « Engeance de vipères, qui vous a suggéré d’échapper à la Colère prochaine ?f

d Groupe religieux juif. Observateurs zélés de la Loi, les Pharisiens étaient très attachés à la tradition orale de leurs docteurs. L’interprétation différente que Jésus donne de la Loi et sa fréquentation des pécheurs ne pouvaient que susciter chez eux une opposition dont les Évangiles, surtout Mt, ont gardé maints échos ; cf. 9.11 ; 12.2, 14, 24 ; 15.1 ; 16.1, 6 ; 19.3 ; 21.45 ; 22.15, 34, 41 ; 23 :p ; Lc 5.21 ; 6.7 ; 15.2 ; 16.14s ; 18.10s ; Jn 7.32 ; 8.13 ; 9.13s ; 11.47s. La polémique lancée par contre les successeurs des Pharisiens a influencé très négativement le jugement porté sur eux. Jésus a eu cependant des relations amicales avec certains d’entre eux, Lc 7.36 ; Jn 3.1, et les disciples ont trouvé en eux des alliés contre les Sadducéens, Ac 23.6-10. On ne peut nier leur zèle, cf. Rm 10, 2, voire leur droiture, Ac 5.34s. Paul lui-même se vante de son passé pharisien, Ac 23.6 ; 26.5 ; Ph 3.5.

e Ceux-ci, par réaction contre les Pharisiens, rejetaient toute tradition autre que la Loi écrite, cf. Ac 23.8. Moins zélés et plus préoccupés de politique, ils se recrutaient surtout parmi les grandes familles sacerdotales, cf. 21.23. Le parti des grands prêtres était composé surtout des Sadducéens. Ils se sont aussi heurtés à Jésus, 16.1, 6 ; 22.23, et à ses disciples, Ac 4.1 ; 5.17.

f La colère, Nb 11.1, du Jour de Yahvé, Am 5.18, qui devait inaugurer l’ère messianique, cf. Rm 1.18.

8 Produisez donc un fruit digne du repentir 9 et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes : « Nous avons pour père Abraham. » Car je vous le dis, Dieu peut, des pierres que voici, faire surgir des enfants à Abraham. 10 Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres ; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu. 11 Pour moi, je vous baptise dans de l’eau en vue du repentir ; mais celui qui vient derrière moi est plus fort que moi, dont je ne suis pas digne d’enlever les sandales ; lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu.g

g Le feu, moyen de purification moins matériel et plus efficace que l’eau, symbolise déjà dans l’AT, cf. Isa 1.25 ; Za 13.9 ; Ml 3.2-3 ; Si 2.5, etc., l’intervention souveraine de Dieu et de son Esprit purifiant les consciences.

12 Il tient en sa main la pelle à vanner et va nettoyer son aire ; il recueillera son blé dans le grenier ; quant aux bales, il les consumera au feu qui ne s’éteint pas. »h

h Le feu de la Géhenne, 18.9, qui consume à jamais ce qui n’a pu être purifié, Isa 66.24 ; Jdt 16.17 ; Si 7.17 ; So 1.18 ; Ps 21.10, etc.

Baptême de Jésus.

13 Alors Jésus arrive de la Galilée au Jourdain, vers Jean, pour être baptisé par lui. 14 Celui-ci l’en détournait, en disant : « C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi, et toi, tu viens à moi ! » 15 Mais Jésus lui répondit : « Laisse faire pour l’instant : car c’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice. »i Alors il le laisse faire.j

i L’église naissante fut vite convaincue que Jésus était sans péché, Jn 8.46, He 4.15. On voulait donc expliquer pourquoi Jésus s’était soumis au baptême de Jean (où Jésus reconnaît une démarche voulue de Dieu, cf. Lc 7.29-30, préparation ultime de l’ère messianique, cf. 3.6). Très concis, 3.15 dit (a) que, par son baptême, Jésus a satisfait à la justice salvifique de Dieu qui préside au plan du salut, (b) qu’il était lui-même juste en agissant ainsi, (c) qu’il lui fallait s’identifier avec les pécheurs ; cf. 2 Co 5.21, et (d) qu’il préparait ainsi le baptême futur des chrétiens, 28.19, en se donnant en modèle (à noter le pluriel « nous »).

j Une légende apocryphe s’est glissée ici dans deux mss de la Vet. Lat. « Et tandis qu’il était baptisé, une lumière intense se répandit hors de l’eau, au point que tous les assistants furent saisis de crainte. »

16 Ayant été baptisé, Jésus aussitôt remonta de l’eau ; et voici que les cieux s’ouvrirent :k il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui.l

k Add. « pour lui », c’est-à-dire à ses yeux.

l L’Esprit oint Jésus pour sa mission messianique, Ac 10.38, qu’il va désormais diriger, 4.1 ; Lc 4.14, 18 ; 10.21 ; 12.18, 28 ; en même temps, comme l’ont compris les Pères, il sanctifie l’eau et prépare le baptême chrétien, cf. Ac 1.5.

17 Et voici qu’une voix venue des cieux disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur. »m

m Cette vision interprétative désigne d’abord Jésus comme le vrai Serviteur annoncé par Isaïe. Toutefois, le terme de « Fils » substitué à celui de « Serviteur » (grâce au double sens du terme grec pais) souligne le caractère messianique et proprement filial de sa relation avec le Père, cf. 4.3.

Tentation au désert.n

4 Alors Jésus fut emmené au désert par l’Esprit,o pour être tenté par le diable.p

n Jésus est conduit au désert pour y être tenté durant quarante jours, comme jadis Israël durant quarante ans, Dt 8.2, 4 ; cf. Nb 14.34. Il y connaît trois tentations, soulignées par trois citations reprises de Dt 6-8, chapitres dominés (comme l’éthique de Mt) par le commandement d’aimer Dieu Dt 6.5. Les trois tentations, à première vue énigmatiques, peuvent se comprendre, à la lumière de la tradition juive interprétant Dt 6.5 comme des tentations contre l’amour de Dieu, valeur suprême. a) Ne pas aimer Dieu « de tout ton cœur », c’est-à-dire ne pas soumettre ses désirs intérieurs à Dieu, se rebeller contre la nourriture divine, la manne. b) Ne pas aimer Dieu « de toute ton âme », c’est-à-dire, avec sa vie, son corps physique, jusqu’au martyre si nécessaire. c)‡Ne pas aimer Dieu « de tout ton pouvoir », c’est-à-dire, avec ses richesses, ce que l’on possède, ses biens extérieurs. À la fin, Jésus apparaît comme celui qui aime Dieu parfaitement.

o L’Esprit-Saint. « Souffle » et énergie créatrice de Dieu, qui dirigeait les prophètes, Isa 11.2 ; Jg 3.10, il va diriger Jésus lui-même dans l’accomplissement de sa mission, cf. 3.16 ; Lc 4.1, comme plus tard il dirigea les débuts de l’Église, Ac 1.8.

p Ce nom, qui veut dire Accusateur, Calomniateur, a parfois traduit l’hébreu Satan (Adversaire), Jb 1.6 ; cf. Sg 2.24. Le personnage qui le porte, parce qu’il s’applique à mettre les hommes en faute, est tenu pour responsable de tout ce qui contrecarre l’œuvre de Dieu et du Christ : 13.39 ; Jn 8.44 ; 13.2 ; Ac 10.38 ; Ep 6.11 ; 1 Jn 3.8 ; etc. Sa défaite signalera la victoire ultime de Dieu, 25.41 ; He 2.14 ; Ap 12.9, 12 ; 20.2, 10.

2 Il jeûna durant quarante jours et quarante nuits, après quoi il eut faim. 3 Et, s’approchant, le tentateur lui dit : « Si tu es Fils de Dieu,q dis que ces pierres deviennent des pains. »

q Le titre biblique de « Fils de Dieu » n’exprime pas nécessairement une filiation de nature, mais peut comporter simplement une filiation adoptive, résultant d’un choix divin qui établit entre Dieu et sa créature des relations de protection particulière. C’est ainsi que ce titre est attribué aux anges, Jb 1.6, au Peuple élu, Ex 4.22 ; Sg 18.13 ; aux Israélites, Dt 14.1 ; Os 2.1 ; cf. 5.9, 45, etc. ; à leurs chefs, Ps 82.6. Quand donc il est dit du Roi-Messie, 1 Ch 17.13 ; Ps 2.7 ; 89.27, il n’exige pas que celui-ci soit plus qu’humain ; et il n’est pas requis de supposer davantage dans la pensée de Satan, 4.3, 6, des démoniaques, Mc 3.11 ; 5.7 ; Lc 4.41, a fortiori du centurion, Mc 15.39, cf. Lc 23.47. Même la parole du Baptême, 3.17, et de la Transfiguration, 17.5, n’impliquerait pas de soi plus que la faveur spéciale accordée au Messie Serviteur ; et la question du grand prêtre, 26.63, ne dépassait sans doute guère cette signification messianique. Mais le titre de « Fils de Dieu » reste ailleurs ouvert à la valeur plus haute d’une filiation proprement dite, et Jésus l’a clairement suggérée en se désignant comme « le Fils », 21.37, supérieur aux anges, 24.36, ayant Dieu pour « Père » à un titre tout spécial, Jn 20.17 et cf. « mon Père », 7.21, etc., parce qu’il entretient avec lui des relations uniques de connaissance et d’amour, 11.27. Ces déclarations, appuyées par d’autres sur le rang divin du Messie, 22.42-46, et sur l’origine céleste du « Fils de l’homme », 8.20, confirmées enfin par le triomphe de la Résurrection, ont donné à l’expression « Fils de Dieu » le sens proprement divin qui se retrouvera, par exemple, chez saint Jean, Jn 1.18. Si les disciples n’en ont pas pris clairement conscience dès le vivant de Jésus (14.33 ; 16.16, en ajoutant cette expression au texte plus primitif de Mc, reflètent sans doute une foi plus évoluée), la foi qu’ils ont définitivement acquise après Pâques, avec l’aide du Saint-Esprit, ne s’en appuie pas moins réllement sur les paroles historiques du Maître, qui a exprimé autant que pouvaient le porter ses contemporains sa conscience d’être le propre Fils du Père.

4 Mais il répondit : « Il est écrit :

Ce n’est pas de pain seul que vivra l’homme,
mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »;

5 Alors le diable le prend avec lui dans la Ville sainte, et il le plaça sur le pinacle du Temple 6 et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit :

Il donnera pour toi des ordres à ses anges,
et sur leurs mains ils te porteront,
de peur que tu ne heurtes du pied quelque pierre. »

7 Jésus lui dit : « Il est encore écrit :
Tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu. »

8 De nouveau le diable le prend avec lui sur une très haute montagne, lui montre tous les royaumes du monde avec leur gloire 9 et lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si, te prosternant, tu me rends hommage. » 10 Alors Jésus lui dit : « Retire-toi, Satan ! Car il est écrit :

C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras,
et à Lui seul tu rendras un culte. »

11 Alors le diable le quitte. Et voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient.

Retour en Galilée.

12 Ayant appris que Jean avait été livré, il se retira en Galilée 13 et, laissant Nazara,r vint s’établir à Capharnaüm, au bord de la mer, sur les confins de Zabulon et de Nephtali,

r « Nazara », forme très rare, attestée par d’excellentes autorités B Z Origène k, cf. Lc 4.16 ; la masse des témoins est revenue à la forme commune « Nazareth ».

14 pour que s’accomplît l’oracle d’Isaïe le prophète :

15 Terre de Zabulon et terre de Nephtali,
Route de la mer, Pays de Transjordane,
Galilée des nations !
16 Le peuple qui demeurait dans les ténèbres
a vu une grande lumière ;
sur ceux qui demeuraient dans la région sombre de la mort,
une lumière s’est levée.

17 Dès lors Jésus se mit à prêcher et à dire : « Repentez-vous, car le Royaume des Cieuxs est tout proche. »

s La Royauté de Dieu sur le peuple élu, et par lui sur le monde, est au centre de la prédication de Jésus, comme elle l’était de l’idéal théocratique de l’AT. Elle comporte un Royaume de « saints » dont Dieu sera vraiment le Roi parce que son règne sera reconnu d’eux dans la connaissance et l’amour. Compromise par la révolte du péché, cette Royauté doit être rétablie par une intervention souveraine de Dieu et de son Messie, Dn 2.28, Dn 7.13-14. C’est cette intervention que Jésus, après Jean-Baptiste, 3.2, annonce comme imminente, 4.17, 23 ; Lc 4.43. Avant sa réalisation eschatologique définitive, où les élus vivront près du Père dans la joie du festin céleste, 8.11 ; 13.43 ; 26.29, le Royaume apparaît avec des débuts humbles, 13.31-33, mystérieux, 13.11, et contredits, 13.24-30, comme une réalité déjà commencée, 12.28 ; Lc 17.20-21, en rapport avec l’Église, 16.18. Prêché dans l’univers par la mission apostolique, 10.7 ; 24.14 ; Ac 1.3, il sera définitivement établi et remis au Père, 1 Co 15.24, par le retour glorieux du Christ, 16.27 ; 25.31, lors du Jugement dernier, 13.37-43, 47-50 ; 25.31-46. En attendant, il se présente comme une grande grâce, 20.1-16 ; 22.9-10 ; Lc 12.32, acceptée par les humbles, 5.3 ; 18.3-4 ; 19.14, 23-24, et les renoncés, 13.44-46 ; 19.12 ; Mc 9.47 ; Lc 9.62 ; 18.29s, rejetée par les superbes et les égoïstes, 21.31-32, 43 ; 22.2-8 ; 23.13. On n’y entre qu’avec la robe nuptiale, 22.11-13, de la vie nouvelle, Jn 3.3, 5 ; il y a des exclus, 8.12 ; 1 Co 6.9-10 ; Ga 5.21. Il faut veiller pour être prêt quand il viendra à l’improviste, 25.1-13.

Appel des quatre premiers disciples.

18 Comme il cheminait sur le bord de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et André son frère, qui jetaient l’épervier dans la mer ; car c’étaient des pêcheurs. 19 Et il leur dit : « Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. » 20 Eux, aussitôt, laissant les filets, le suivirent.

21 Et avançant plus loin, il vit deux autres frères, Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, dans leur barque, avec Zébédée leur père, en train d’arranger leurs filets ; et il les appela. 22 Eux, aussitôt, laissant la barque et leur père, le suivirent.

Jésus enseigne et guérit.

23 Il parcourait toute la Galilée, enseignant dans leurs synagogues, proclamant la Bonne Nouvelle du Royaume et guérissant toute maladie et toute langueur parmi le peuple.t

t Les guérisons miraculeuses sont le signe privilégié de l’avènement messianique, cf. 10.1, 7s ; 11.4s.

24 Sa renommée gagna toute la Syrie,u et on lui présenta tous les malades atteints de divers maux et tourments, des démoniaques, des lunatiques,v des paralytiques, et il les guérit.

u Ce terme désigne un vaste territoire divisé en trois grandes provinces parmi lesquelles les « Syrie-Palestine ». veut ici montrer que la parole de Jésus est largement répandue.

v Nous disons aujourd’hui des « épileptiques », cf. 17.15.

25 Des foules nombreuses se mirent à le suivre, de la Galilée, de la Décapole,w de Jérusalem, de la Judée et de la Transjordane.

w La Décapole était un groupement de dix villes libres avec leur territoire, disséminées surtout à l’est et au nord-est du Jourdain jusqu’à inclure Damas.

2. DISCOURS : LE SERMON SUR LA MONTAGNEx

Les Béatitudes.

5 Voyant les foules, il gravit la montagne,y et quand il fut assis, ses disciples s’approchèrent de lui.

x Jésus a exposé l’esprit nouveau du Royaume de Dieu, 4.17, dans un discours inaugural, que Mc a omis, Mc 3.19, et dont et Lc (Lc 6.20-49) présentent deux rédactions différentes. Luc a supprimé, comme moins intéressant pour ses lecteurs, ce qui concernait les lois ou pratiques juives, 5.17—6.18 ; au contraire a inséré des paroles prononcées en d’autres occasions (voir leurs parallèles dans Lc), afin d’obtenir un programme plus complet. La structure de base : 1° introduction 5.1-16, 2° nouvelle interprétation de la Loi morale biblique (le Décalogue, les grands commandements d’amour de Dieu et du prochain, les devoirs de piété) 5.17—7.12, 3° conclusion 7.13-29. Cette interprétation nouvelle représente un approfondissement et une intériorisation.

y Une des collines proches de Capharnaüm.

2 Et prenant la parole, il les enseignait en disant :

3 « Heureuxz ceux qui ont une âme de pauvre,a car le Royaume des Cieux est à eux.

z L’AT employait parfois des formules de félicitations comme celles-ci, à propos de piété, de sagesse, de prospérité, Ps 1.1-2 ; 33.12 ; 127.5-6 ; Pr 3.3 ; Si 31.8 ; etc. Des béatitudes similaires de caractère sapientiel ont été découvertes à Qûmran. Jésus rappelle, dans l’esprit des prophètes, que les pauvres aussi ont part à ces « bénédictions » les trois premières « béatitudes », 5.3-5, Lc 6.20-21, déclarent que des hommes considérés d’ordinaire comme malheureux et maudits sont heureux, puisqu’ils sont aptes à recevoir la bénédiction du Royaume. Les béatitudes suivantes intéressent plus directement l’attitude morale de l’homme. Autres béatitudes de Jésus, 11.6 ; 13.16 ; 16.17 ; 24.46 ; Lc 11.27-28 ; etc. Voir aussi Lc 1.45 ; Ap 1.3 ; 14.13 ; etc.

a Le Christ reprend le mot « pauvre » avec la nuance morale déjà perceptible chez Sophonie, cf. So 2.3, explicitée ici par l’expression « en esprit », absente de Lc 6.20. Démunis et opprimés, les « pauvres » ou les « humbles » sont disponibles pour le Royaume des Cieux, tel est le thème des Béatitudes, cf. Lc 4.18 ; 7.22 = 11.5 ; Lc 14.13 ; Jc 2.5. La « pauvreté » va de pair avec l’« enfance spirituelle » nécessaire pour entrer dans le Royaume, 18.1s = Mc 9.33s, cf. Lc 9.46 ; 19.13s ; 11.25s (le mystère révélé aux « petits » nèpioi, cf. Lc 12.32 ; 1 Co 1.26s). Aux « pauvres », ptôchoi, correspondent encore les « humbles », tapeinoi, Lc 1.48, 52 ; 14.11 ; 18.14 ; 23.12 ; 18.4, les « derniers » opposés aux « premiers », Mc 9.35, les « petits » opposés aux « grands », Lc 9.48 ; cf. 19.30 ; 20.26 (cf. Lc 17.10). Bien que la formule de 5.3 souligne l’esprit de pauvreté, chez le riche comme chez le pauvre, ce que le Christ envisage généralement est une pauvreté effective, en particulier pour ses disciples, 6.19s, cf. Lc 12.33s ; 6.25 ; 4.18s (cf. Lc 5.1s) ; 9.9 ; 19.21 ; 19.27 (cf. Mc 10.28) ; cf. Ac 2.44s ; 4.32s. Lui-même donne l’exemple de la pauvreté, Lc 2.7 ; 8.20, et de l’humilité, 11.29 ; 20.28 ; 21.5 ; Jn 13.12s ; cf. 2 Co 8.9 ; Ph 2.7s. Il s’identifie aux petits et aux malheureux, 25.45, cf. 18.5s.

4 Heureux les doux,b
car ils posséderont la terre.

b Ou « les humbles ». Repris du Ps selon le grec. Le v. 4 pourrait n’être qu’une glose du v. 3 ; son omission ramènerait le nombre des béatitudes à sept, cf. 6.9.

5 Heureux les affligés,
car ils seront consolés.
6 Heureux les affamés et assoiffés de la justice,
car ils seront rassasiés.
7 Heureux les miséricordieux,
car ils obtiendront miséricorde.
8 Heureux les cœurs purs,
car ils verront Dieu.
9 Heureux les artisans de paix,
car ils seront appelés fils de Dieu.
10 Heureux les persécutés pour la justice,
car le Royaume des Cieux est à eux.

11 Heureux êtes-vous quand on vous insultera, qu’on vous persécutera, et qu’on dira faussement contre vous toute sorte d’infamie à cause de moi. 12 Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux : c’est bien ainsi qu’on a persécuté les prophètes, vos devanciers.c

c Les disciples sont les successeurs des prophètes, cf. 10.41 ; 13.17 ; 23.34.

Sel de la terre et lumière du monde.

13 « Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel vient à s’affadir, avec quoi le salera-t-on ? Il n’est plus bon à rien qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds par les gens.

14 « Vous êtes la lumière du monde. Une ville ne se peut cacher, qui est sise au sommet d’un mont. 15 Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau,d mais bien sur le lampadaire, où elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison.

d Dans l’Antiquité, le boisseau était un petit meuble à trois ou quatre pieds. Il ne serait donc question ici que de cacher la lampe sous ce meuble, un peu comme sous le lit de Mc 4.21, non de l’éteindre en la couvrant d’un boisseau moderne.

16 Ainsi votre lumière doit-elle briller devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux.

L’accomplissement de la Loi.

17 « N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir.e

e Jésus ne vient ni détruire la Loi, Dt 4.8 (et toute l’économie ancienne) ni la consacrer comme intangible, mais lui donner par son enseignement et son comportement une forme nouvelle et définitive, où se réalise enfin en plénitude ce vers quoi la Loi acheminait. C’est vrai en particulier de la « Justice », v. 20, cf. 3.15 ; Lv 19.15 ; Rm 1.16, justice « parfaite », v. 42, dont les sentences des vv. 21-48 donnent plusieurs exemples marquants. Le précepte ancien devient intérieur et porte jusqu’au désir et au motif secrets, cf. 12.34 ; 23.25-28. Aucun détail de la Loi ne doit donc être omis à moins d’avoir été ainsi conduit à son achèvement, vv. 18-19 ; cf. 13.52. Il s’agit moins d’allègement que d’approndissement, 11.28. L’amour, où déjà se résumait la Loi ancienne, 7.12 ; 22.34-40, devient le commandement nouveau et inépuisable de Jésus, Jn 13.34, et accomplit toute la Loi, Rm 13.8-10 ; Ga 5.14 ; cf. Col 3.14.

18 Car je vous le dis, en vérité :f avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas un point sur l’i,g ne passera de la Loi, que tout ne soit réalisé.

f En introduisant par Amen, Ps 41.14 ; Rm 1.25, certaines de ses paroles, Jésus en marque l’autorité 6.2, 5, 16, etc. ; Jn 1.51, etc. Le mot hébreu qui désignait à l’origine la fermeté a évolué dans deux directions celle de vérité et celle de fidélité. Ici cela signifie simplement « en vérité ».

g Littéralement « pas un iota, pas un menu trait ».

19 Celui donc qui violera l’un de ces moindres préceptes, et enseignera aux autres à faire de même, sera tenu pour le moindre dans le Royaume des Cieux ; au contraire, celui qui les exécutera et les enseignera, celui-là sera tenu pour grand dans le Royaume des Cieux.

La justice nouvelle supérieure à l’ancienne.

20 « Car je vous le dis : si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux.

21 « Vous avez entenduh qu’il a été dit aux ancêtres : Tu ne tueras point ; et si quelqu’un tue, il en répondra au tribunal.

h L’enseignement traditionnel était donné oralement, surtout dans les synagogues.

22 Eh bien ! moi je vous dis : Quiconque se fâche contre son frère en répondra au tribunal ; mais s’il dit à son frère : « Crétin ! »,i il en répondra au Sanhédrin ;j et s’il lui dit : « Renégat ! »,k il en répondra dans la géhenne de feu.

i Le mot Raqa, traduit de l’araméen, signifie tête vide, sans cervelle.

j Ici le Grand Sanhédrin, qui siégeait à Jérusalem, par opposition aux simples « tribunaux », vv. 21-22, répandus dans le pays.

k Au sens premier du terme grec « insensé », l’usage juif ajoutait une nuance beaucoup plus grave d’impiété religieuse.

23 Quand donc tu présentes ton offrande à l’autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, 24 laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; puis reviens, et alors présente ton offrande. 25 Hâte-toi de t’accorder avec ton adversaire, tant que tu es encore avec lui sur le chemin, de peur que l’adversaire ne te livre au juge, et le juge au garde, et qu’on ne te jette en prison. 26 En vérité, je te le dis : tu ne sortiras pas de là, que tu n’aies rendu jusqu’au dernier sou.

27 « Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu ne commettras pas l’adultère. 28 Eh bien ! moi je vous dis : Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis, dans son cœur, l’adultère avec elle. 29 Que si ton œil droit est pour toi une occasion de péché, arrache-le et jette-le loin de toi : car mieux vaut pour toi que périsse un seul de tes membres et que tout ton corps ne soit pas jeté dans la géhenne. 30 Et si ta main droite est pour toi une occasion de péché, coupe-la et jette-la loin de toi : car mieux vaut pour toi que périsse un seul de tes membres et que tout ton corps ne s’en aille pas dans la géhenne.

31 « Il a été dit d’autre part : Quiconque répudiera sa femme, qu’il lui remette un acte de divorce. 32 Eh bien ! moi je vous dis : Tout homme qui répudie sa femme, hormis le cas de « prostitution », l’expose à l’adultère ; et quiconque épouse une répudiée, commet un adultère.

33 « Vous avez encore entendu qu’il a été dit aux ancêtres : Tu ne te parjureras pas, mais tu t’acquitteras envers le Seigneur de tes serments. 34 Eh bien ! moi je vous dis de ne pas jurer du tout : ni par le Ciel, car c’est le trône de Dieu ;

35 ni par la Terre, car c’est l’escabeau de ses pieds ; ni par Jérusalem, car c’est la Ville du grand Roi. 36 Ne jure pas non plus par ta tête, car tu ne peux en rendre un seul cheveu blanc ou noir. 37 Que votre langage soit : « Oui ? Oui », « Non ? Non » :l ce qu’on dit de plus vient du Mauvais.

l Cette formule apparemment bien connue, cf. 2 Co 1.17 ; Jc 5.12, peut s’expliquer de diverses façons : 1° Véracité si c’est oui, dites oui ; si c’est non, dites non. 2° Sincérité que le oui (ou le non) de la bouche corresponde au oui (ou au non) du cœur. 3° Solennité la répétition du oui ou du non serait une forme solennelle d’affirmation ou de négation qui doit suffire et dispenser de recourir à un serment engageant la divinité.

38 « Vous avez entendu qu’il a été dit : Œil pour œil et dent pour dent. 39 Eh bien ! moi je vous dis de ne pas tenir tête au méchant :m au contraire, quelqu’un te donne-t-il un soufflet sur la joue droite, tends-lui encore l’autre ;

m Jésus fait allusion à ce qu’on appelle la « loi du talion ». En proportionnant la punition au tort causé, celle-ci représentait une restriction de la vengeance (cf. Gn 4, 23-24). Avec cette injonction de Jésus, on franchit une nouvelle étape de l’évolution des mœurs, dont on retrouve d’ailleurs l’écho dans des textes rabbiniques ultérieurs. On notera que tous les exemples concernent un mal par lequel on est soi-même lésé. Jésus n’interdit, ni de s’opposer dignement aux attaques injustes, cf. Jn 18.22s, ni, encore moins, de combattre le mal dans le monde.

40 veut-il te faire un procès et prendre ta tunique,n laisse-lui même ton manteau ;

n À titre de gage, cf. Ex 22.25s ; Dt 24.12s. Le tour volontairement paradoxal de la pensée est manifeste ; cf. 19.24.

41 te requiert-il pour une course d’un mille, fais-en deux avec lui. 42 À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos.

43 « Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.o

o La deuxième partie de ce commandement ne se trouve pas telle quelle dans la Loi, et ne saurait s’y trouver. Cette expression forcée d’une langue pauvre en nuances (l’original araméen) équivaut à « Tu n’as pas à aimer ton ennemi. » Comparer Lc 14.26 et son parallèle 10.37. On trouve toutefois en Si 12.4-7 et dans les écrits de Qumrân (1 QS 1.10, etc.) une détestation des pécheurs qui n’est pas loin de la haine, et à laquelle Jésus a pu songer.

44 Eh bien ! moi je vous dis : Aimez vos ennemis,p et priez pour vos persécuteurs,q

p Add. « faites du bien à ceux qui vous haïssent ».

q Add. « et pour ceux qui vous maltraitent », cf. Lc 6.27s.

45 afin de devenir fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. 46 Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? Les publicainsr eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?

r Percepteurs d’impôts (et donc souvent coupables d’extorsions), que leur profession vouait au mépris public ; cf. 9.10 ; 18.17.

47 Et si vous réservez vos saluts à vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? 48 Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait.

Faire l’aumône en secret.

6 « Gardez-vous de pratiquer votre justices devant les hommes, pour vous faire remarquer d’eux ; sinon, vous n’aurez pas de récompense auprès de votre Père qui est dans les cieux.

s Littéralement « faire votre justice » (var. « faire l’aumône »), c’est-à-dire pratiquer les bonnes œuvres qui rendent un homme juste devant Dieu. Les principales étaient, aux yeux des Juifs, l’aumône, vv. 2-4, la prière, vv. 5-6, et le jeûne, vv. 16-18.

2 Quand donc tu fais l’aumône, ne va pas le claironner devant toi ; ainsi font les hypocrites,t dans les synagogues et les rues, afin d’être glorifiés par les hommes ; en vérité je vous le dis, ils tiennent déjà leur récompense.

t Cette épithète, qui vise tous les faux dévots de piété affectée et tapageuse, s’applique spécialement, dans l’esprit de Matthieu, à la secte des Pharisiens voir 15.7 ; 22.18 ; 23.13-15.

3 Pour toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, 4 afin que ton aumône soit secrète ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.

Prier en secret.

5 « Et quand vous priez,u ne soyez pas comme les hypocrites : ils aiment, pour faire leurs prières, à se camper dans les synagogues et les carrefours, afin qu’on les voie. En vérité je vous le dis, ils tiennent déjà leur récompense.

u Par son exemple, 14.23, comme par ses instructions, Jésus a enseigné à ses disciples le devoir et la façon de prier. La prière doit être humble devant Dieu, Lc 18.10-14, et devant les hommes, 6.5-6 ; Mc 12.40, du cœur plus que des lèvres, 6.7, confiante en la bonté du Père, 6.8 ; 7.7-11, et insistante jusqu’à l’importunité, Lc 11.5-8 ; 18.1-8. Elle est exaucée si elle est faite avec foi, 21.22, au nom de Jésus, 18.19-20 ; Jn 14.13-14 ; Jn 15.7, 16 ; 16.23-27, et demande de bonnes choses, 7.11, telles que l’Esprit Saint, Lc 11.13, le pardon, Mc 11.25, le bien des persécuteurs 5.44 ; cf. Lc 23.34, surtout l’avènement du Règne de Dieu et la préservation lors de l’épreuve eschatologique, 24.20 ; 26.41 ; Lc 21.36 ; cf. Lc 22.31-32 : c’est toute la substance de la Prière modèle enseignée par Jésus lui-même, 6.9-15.

6 Pour toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père qui est là, dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.

La vraie prière. Le Pater.

7 « Dans vos prières, ne rabâchez pas comme les païens : ils s’imaginent qu’en parlant beaucoup ils se feront mieux écouter. 8 N’allez pas faire comme eux ; car votre Père sait bien ce qu’il vous faut, avant que vous le lui demandiez.

9 « Vous donc, priez ainsi :v

Notre Père qui es dans les cieux,
que ton Nom soit sanctifié,

v Dans la rédaction de Mt, le Pater contient sept demandes. Ce chiffre est cher à deux fois sept générations dans la Généalogie, 1.17 ; sept béatitudes, 5.3 ; sept paraboles, 13.3 ; pardonner non sept fois mais soixante-dix-sept fois, 18.22 ; sept malédictions des Pharisiens, 23.13. C’est peut-être pour obtenir ce chiffre de sept que a ajouté au texte de base (Lc 11.2-4) les troisième, cf. 7.21 ; 21.31 ; 26.42, et septième demandes, cf. le « Mauvais » 13.19, 38.

10 que ton Règne vienne,
que ta Volonté soit faite
sur la terre comme au ciel.
11 Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien.w

w Traduction traditionnelle et probable d’un mot difficile. On a pu proposer aussi « nécessaire à la subsistance » et « de demain ». De toute façon la pensée est qu’il faut demander à Dieu le soutien indispensable de la vie matérielle, mais rien que cela, non la richesse ni l’opulence. — Les Pères ont appliqué ce texte à la nourriture de la foi, le pain de la parole de Dieu et le pain eucharistique : cf. Jn 6.22.

12 Remets-nous nos dettes
comme nous-mêmes avons remis à nos débiteurs.
13 Et ne nous laisse pas entrer en tentation ;x
mais délivre-nous du Mauvais.y

x « ne nous laisse pas entrer » (litt. « ne nous fais pas entrer ») le sens permissif du verbe araméen, utilisé par Jésus, n’a pas été rendu par le grec ni par la Vulgate, d’où la traduction usuelle « ne nous soumets pas ». Mais dès les premiers siècles, beaucoup des mss. latins remplaçaient Ne nos inducas par Ne nos patiaris induci.

y Ou « du mal ». — Add. « Car à toi appartiennent le Royaume et la puissance et la gloire pour les siècles. Amen. » Glose liturgique inspirée de 1 Ch 29.11-12, qui fait revenir la prière à son thème central, le Royaume de Dieu, v. 10. Absente des grands mss du NT, elle se trouve déjà dans le Didachè (2e s.) et dans des mss byzantins.

14 « Oui, si vous remettez aux hommes leurs manquements, votre Père céleste vous remettra aussi ; 15 mais si vous ne remettez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous remettra pas vos manquements.

Jeûner en secret.

16 « Quand vous jeûnez, ne vous donnez pas un air sombre comme font les hypocrites : ils prennent une mine défaite, pour que les hommes voient bien qu’ils jeûnent. En vérité je vous le dis, ils tiennent déjà leur récompense. 17 Pour toi, quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage, 18 pour que ton jeûne soit connu, non des hommes, mais de ton Père qui est là, dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.

Le vrai trésor.

19 « Ne vous amassez point de trésors sur la terre, où la mite et le ver consument, où les voleurs percent et cambriolent. 20 Mais amassez-vous des trésors dans le ciel : là, point de mite ni de ver qui consument, point de voleurs qui perforent et cambriolent. 21 Car où est ton trésor, là sera aussi ton cœur.

L’œil lampe du corps.

22 « La lampe du corps, c’est l’œil. Si donc ton œil est sain, ton corps tout entier sera lumineux. 23 Mais si ton œil est malade, ton corps tout entier sera ténébreux. Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, quelles ténèbres !z

z À la lumière matérielle, dont l’œil, sain ou malade, dispense ou refuse le bienfait au corps, est comparée la lumière spirituelle qui rayonne de l’âme si elle-même se trouve obscurcis, l’aveuglement sera bien pire que celui de la cécité physique.

Dieu et l’argent.

24 « Nul ne peut servir deux maîtres : ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent.

S’abandonner à la Providence.

25 « Voilà pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? 26 Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent ni ne recueillent en des greniers, et votre Père céleste les nourrit ! Ne valez-vous pas plus qu’eux ? 27 Qui d’entre vous d’ailleurs peut, en s’en inquiétant, ajouter une seule coudée à la longueur de sa vie ? 28 Et du vêtement, pourquoi vous inquiéter ? Observez les lis des champs, comme ils poussent : ils ne peinent ni ne filent. 29 Or je vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme l’un d’eux. 30 Que si Dieu habille de la sorte l’herbe des champs, qui est aujourd’hui et demain sera jetée au four, ne fera-t-il pas bien plus pour vous, gens de peu de foi ! 31 Ne vous inquiétez donc pas en disant : Qu’allons-nous manger ? Qu’allons-nous boire ? De quoi allons-nous nous vêtir ? 32 Ce sont là toutes choses dont les païens sont en quête. Or votre Père céleste sait que vous avez besoin de tout cela. 33 Cherchez d’abord son Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. 34 Ne vous inquiétez donc pas du lendemain : demain s’inquiétera de lui-même. À chaque jour suffit sa peine.

Ne pas juger.

7 « Ne jugez pas, afin de n’être pas jugés ;a

a Ne jugez pas les autres, pour n’être pas jugés par Dieu. De même au v. suivant ; cf. Jc 4.12.

2 car, du jugement dont vous jugez on vous jugera, et de la mesure dont vous mesurez on mesurera pour vous. 3 Qu’as-tu à regarder la paille qui est dans l’œil de ton frère ? Et la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ! 4 Ou bien comment vas-tu dire à ton frère : « Laisse-moi ôter la paille de ton œil », et voilà que la poutre est dans ton œil ! 5 Hypocrite, ôte d’abord la poutre de ton œil, et alors tu verras clair pour ôter la paille de l’œil de ton frère.

Ne pas profaner les choses saintes.

6 « Ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré,b ne jetez pas vos perles devant les porcs, de crainte qu’ils ne les piétinent, puis se retournent contre vous pour vous déchirer.

b Les viandes sacrées, aliments sanctifiés pour avoir été offerts au Temple, cf. Ex 22.30 ; Lv 22.14. — De même, il ne faut pas proposer une doctrine précieuse et sainte à des gens incapables de la bien recevoir et qui pourraient en abuser. Le texte ne précise pas qui sont ces gens les Juifs hostiles ? ou les païens (cf. 15.26) ?

Efficacité de la prière.

7 « Demandez et l’on vous donnera ; cherchez et vous trouverez ; frappez et l’on vous ouvrira. 8 Car quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; et à qui frappe on ouvrira. 9 Quel est d’entre vous l’homme auquel son fils demandera du pain, et qui lui remettra une pierre ? 10 Ou encore, s’il lui demande un poisson, lui remettra-t-il un serpent ? 11 Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux en donnera-t-il de bonnes à ceux qui l’en prient !

La Règle d’or.c

12 « Ainsi, tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : voilà la Loi et les Prophètes.

c Cette maxime de conduite était bien connue de l’Antiquité, notamment dans le judaïsme cf. Tb 4.15 ; lettre d’Aristée, Targum de Lv 19.18, Hillel, Philon, etc., mais sous forme négative ne pas faire à autrui ce qu’on ne voudrait pas qu’il nous fasse. Jésus, et après lui les écrits chrétiens, donnent à cette maxime un tour positif, qui est bien plus exigeant.

Les deux voies.d

13 « Entrez par la porte étroite. Large, en effet, et spacieux est le chemine qui mène à la perdition, et il en est beaucoup qui s’y engagent ;

d La doctrine des deux voies, du bien et du mal, entre lesquelles l’homme doit choisir, est un thème ancien et répandu dans le judaïsme, cf. Dt 30.15-20 ; Ps 1 ; Pr 4.18-19 ; 12.28 ; 15.24 ; Si 15.17 ; 33.14. Il s’est exprimé dans un petit traité de morale qui nous est parvenu à travers la Didachè et sa traduction latine Doctrina Apostolorum. On croit sentir son influence en 5.14-18 ; 7.12-14 ; 19.16-26 ; 22.34-40 et en Rm 12.16-21 ; 13.8-12.

e Var. « large est la porte, et spacieux le chemin ».

14 mais étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la Vie, et il en est peu qui le trouvent.

Les faux prophètes.

15 « Méfiez-vous des faux prophètes,f qui viennent à vous déguisés en brebis, mais au-dedans sont des loups rapaces.

f Docteurs de mensonge qui séduisent le peuple par des faux semblants de piété tout en poursuivant des fins intéressées ; cf. 24.4s, 24 ; Ez 22.28 ; Jr 23.9-14.

16 C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. Cueille-t-on des raisins sur des épines ? Ou des figues sur des chardons ? 17 Ainsi tout arbre bon produit de bons fruits, tandis que l’arbre gâté produit de mauvais fruits. 18 Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni un arbre gâté porter de bons fruits. 19 Tout arbre qui ne donne pas un bon fruit, on le coupe et on le jette au feu. 20 Ainsi donc, c’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez.

Les vrais disciples.

21 « Ce n’est pas en me disant : « Seigneur, Seigneur », qu’on entrera dans le Royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est dans les cieux. 22 Beaucoup me diront en ce jour-là :g « Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé ? En ton nom que nous avons chassé les démons ? En ton nom que nous avons fait bien des miracles ? »

g Au jour du Jugement dernier.

23 Alors je leur dirai en face : « Jamais je ne vous ai connus ; écartez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité.

24 « Ainsi, quiconque écoute ces paroles que je viens de dire et les met en pratique, peut se comparer à un homme avisé qui a bâti sa maison sur le roc.

25 La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison, et elle n’a pas croulé : c’est qu’elle avait été fondée sur le roc. 26 Et quiconque entend ces paroles que je viens de dire et ne les met pas en pratique, peut se comparer à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable. 27 La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont rués sur cette maison, et elle s’est écroulée. Et grande a été sa ruine ! »

Étonnement de la foule.

28 Et il advint, quand Jésus eut achevé ces discours, que les foules étaient frappées de son enseignement : 29 car il les enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme leurs scribes.h

h Qui abritaient tous leurs enseignements derrière la « tradition » des anciens, cf. 15.2. — Add. « et les Pharisiens ».

III. La prédication du Royaume des Cieux

1. SECTION NARRATIVE : DIX MIRACLES

Guérison d’un lépreux.

8 Quand il fut descendu de la montagne, des foules nombreuses se mirent à le suivre. 2 Or voici qu’un lépreux s’approcha et se prosterna devant lui en disant : « Seigneur, si tu le veux, tu peux me purifier. » 3 Il étendit la main et le toucha, en disant : « Je le veux, sois purifié. » Et aussitôt sa lèpre fut purifiée.i

i Par ses miracles Jésus manifeste son pouvoir sur la nature, 8.23-27 ; 14.22-23, particulièrement sur la maladie, 8.1-4, 5-13, 14-15 ; 9.1-8, 20-22, 27-31 ; 14.34-36 ; 15.30 ; 20.29-34 et p ; Mc 7.32-37 ; 8.22-26 ; Lc 14.1-6 ; 17.11-19 ; Jn 5.1-16 ; 9.1-41 ; sur la mort, 9.23-26 ; Lc 7.11-17 ; Jn 11.1-44, et sur les démons, 8.29. Différents par leur simplicité des prodiges merveilleux de l’hellénisme et du judaïsme rabbinique, les miracles de Jésus s’en distinguent surtout par leur signification spirituelle et symbolique ils annoncent les châtiments, 21.18-22, et les dons de l’ère messianique, 11.5 ; 14.13-21 ; 15.32-39 ; Lc 5.4-11 ; Jn 2.1-11 ; 21.4-14, et inaugurent le triomphe de l’Esprit sur l’empire de Satan, 8.29, et les forces du Mal, péchés, 9.2, et maladies, 8.17. Accomplis parfois par pitié, 20.34 ; Mc 1.41 ; Lc 7.13, ils sont destinés surtout à confirmer la foi, 8.10 ; Jn 2.11. Aussi Jésus ne les opère-t-il qu’à bon escient, réclamant le secret pour ceux qu’il veut bien consentir, Mc 1.34, et se réservant de fournir plus tard le miracle décisif de sa propre Résurrection, 12.39-40. Ce pouvoir de guérison, Jésus l’a communiqué à ses apôtres en les envoyant prêcher le Royaume, 10.1, 8 ; c’est pourquoi a fait précéder les consignes de la mission, 10, par une série de dix miracles, 8-9, comme signes du missionnaire, Mc 16.17s ; Ac 2.22 ; cf. Ac 1.8.

4 Et Jésus lui dit : « Garde-toi d’en parler à personne, mais va te montrer au prêtre et offre le don qu’a prescrit Moïse : ce leur sera une attestation. »

Guérison de l’enfant d’un centurion.

5 Comme il était entré dans Capharnaüm, un centurion s’approcha de lui en le suppliant : 6 « Seigneur, dit-il, mon enfant gît dans ma maison, atteint de paralysie et souffrant atrocement. » 7 Il lui dit : « Je vais aller le guérir. » — 8 « Seigneur, reprit le centurion, je ne mérite pas que tu entres sous mon toit ; mais dis seulement un mot et mon enfant sera guéri. 9 Car moi, qui ne suis qu’un subalterne, j’ai sous moi des soldats, et je dis à l’un : Va ! et il va, et à un autre : Viens ! et il vient, et à mon serviteur : Fais ceci ! et il le fait. » 10 Entendant cela, Jésus fut dans l’admiration et dit à ceux qui le suivaient : « En vérité, je vous le dis, chez personne je n’ai trouvé une telle foij en Israël.

j Cette foi que Jésus requiert dès le début de son activité, Mc 1.15, et qu’il requerra sans cesse, est un mouvement de confiance et d’abandon par lequel l’homme renonce à compter sur ses pensées et sur ses forces, pour s’en remettre à la parole et à la puissance de Celui en qui il croit, Lc 1.20, 45 ; 21.25, 32. Jésus la demande en particulier à l’occasion de ses miracles, 8.13 ; 9.2, 22, 28-29 ; 15.28 ; Mc 5.36 ; 10.52 ; Lc 17.19, qui sont moins des actes de miséricorde que des signes de sa mission et du Royaume, 8.3, cf. Jn 2.11 ; aussi ne peut-il en accomplir s’il ne trouve pas cette foi qui doit leur donner leur vrai sens, 12.38-39 ; 13.58 ; 16.1-4. Exigeant un sacrifice de l’esprit et de tout l’être, la foi est un geste difficile d’humilité, 18.6, que beaucoup refusent de faire, particulièrement en Isräel, 8.10 ; 15.28 ; 27.42 ; Lc 18.8, ou ne font qu’à moitié, Mc 9.24 ; Lc 8.13. Les disciples eux-mêmes sont lents à croire, 8.26 ; 14.31 ; 16.8 ; 17.20, même après la Résurrection, 28.17 ; Mc 16.11-14 ; Lc 24.11, 25, 41. La foi la plus sincère de leur chef, le « Roc », 16.16-18, sera ébranlée par le scandale de la Passion, 26.69-75, mais elle en triomphera, Lc 22.32. Quand elle est forte, la foi opère des merveilles, 17.20 ; 21.21 ; Mc 16.17, obtient tout, 21.22 ; Mc 9.23, en particulier la rémission des péchés, 9.2 ; Lc 7.50, et le salut, dont elle est la condition indispensable, Lc 8.12 ; Mc 16.16, cf. Ac 3.16.

11 Eh bien ! je vous dis que beaucoup viendront du levant et du couchant prendre place au festink avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des Cieux,

k À la suite de Isa 25.6 ; 55.1-2 ; Ps 22.27, etc., le judaïsme a souvent représenté les joies de l’ère messianique sous l’image d’un festin cf. 22.2-14 ; 26.29 ; Lc 14.15 ; Ap 3.20 ; 19.9.

12 tandis que les fils du Royaumel seront jetés dans les ténèbres extérieures : là seront les pleurs et les grincements de dents. »m

l C’est-à-dire les Juifs, héritiers naturels des promesses. Ceux d’entre eux qui n’auront pas cru au Christ verront des païens prendre leurs places.

m Image biblique de la colère et du dépit des impies à l’égard des justes : cf. Ps 35.16 ; 37.12 ; 112.10 ; Jb 16.9. Elle décrit chez la damnation.

13 Puis il dit au centurion : « Va ! Qu’il t’advienne selon ta foi ! » Et l’enfant fut guéri sur l’heure.

Guérison de la belle-mère de Pierre.

14 Étant venu dans la maison de Pierre, Jésus vit sa belle-mère alitée, avec la fièvre. 15 Il lui toucha la main, la fièvre la quitta, elle se leva et elle le servait.

Guérisons multiples.

16 Le soir venu, on lui présenta beaucoup de démoniaques ; il chassa les esprits d’un mot, et il guérit tous les malades, 17 afin que s’accomplît l’oracle d’Isaïe le prophète :

Il a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies.n

n Pour Isaïe, le Serviteur a « pris » sur lui-même nos douleurs par sa propre souffrance expiatrice. entend que Jésus les a « prises » en les enlevant par ses guérisons miraculeuses. Cette interprétation, apparemment forcée, est en réalité d’une profonde vérité théologique ; c’est parce que Jésus, le « Serviteur », est venu prendre sur lui l’expiation des péchés, qu’il a pu soulager les hommes des maux corporels, qui sont la suite et la peine du péché.

Exigences de la vocation apostolique.

18 Se voyant entouré de foules nombreuses, Jésus donna l’ordre de s’en aller sur l’autre rive.o

o La rive orientale du lac de Tibériade.

19 Et un scribe s’approchant lui dit : « Maître, je te suivrai où que tu ailles. » 20 Jésus lui dit : « Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids ; le Fils de l’homme,p lui, n’a pas où reposer la tête. »

p Fils de l’homme. Ce sémitisme énigmatique revêt deux sens un sens ordinaire « homme », « être humain » (Ez 2.1, Ps 8.4) ; souvent simple équivalent de « je », « moi », parfois par modestie comme c’est le cas ici ; un sens théologique par référence à Dn 7.13-14, où le titre de Fils de l’homme désigne un être céleste, transcendant, peut-être angélique, voire divin, auquel est donné le Royaume de Dieu. Cet être céleste est plus clairement dessiné dans les livres apocryphes, 1 Henok 46-9 etc, et 4 Esdras 13, où il est identifié avec le Messie. Il s’agit donc d’une expression qui se réfère paradoxalement à la fois à l’humilité et à l’exaltation divine, ce qui en fait, malgré de possibles confusions, une clé christologique. Dans le NT l’expression ne se trouve que sur les lèvres de Jésus (4 exceptions Jn 12.34, Ac 7.56, Ap 1.13 ; 14.14), le plus souvent comme une référence à sa propre personne. Dans les Synoptiques cette formule se réfère (a) à la vie présente, terrestre de Jésus (par ex. ici) ; (b) aux prédictions de sa souffrance, mort et résurrection (par ex., Mc 8.31, 9.31, 10.33-34) ; (c) à sa venue comme Fils de l’homme dans un avenir glorieux (par ex. Mc 8.38, 13.26, 14.62 et par.).

21 Un autre des disciples lui dit : « Seigneur, permets-moi de m’en aller d’abord enterrer mon père. » 22 Mais Jésus lui dit : « Suis-moi, et laisse les morts enterrer leurs morts. »

La tempête apaisée.

23 Puis il monta dans la barque, suivi de ses disciples. 24 Et voici qu’une grande agitation se fit dans la mer, au point que la barque était couverte par les vagues. Lui cependant dormait. 25 S’étant approchés, ils le réveillèrent en disant : « Au secours, Seigneur, nous périssons ! » 26 Il leur dit : « Pourquoi avez-vous peur, gens de peu de foi ? » Alors, s’étant levé, il menaça les vents et la mer, et il se fit un grand calme. 27 Saisis d’étonnement, les hommes se dirent alors : « Quel est celui-ci, que même les vents et la mer lui obéissent ? »

Les démoniaques gadaréniens.

28 Quand il fut arrivé sur l’autre rive, au pays des Gadaréniens,q deux démoniaques,r sortant des tombeaux, vinrent à sa rencontre, des êtres si sauvages que nul ne se sentait de force à passer par ce chemin.

q Ainsi nommés d’après la ville de Gadara, sise au sud-est du lac. La var. « Géraséniens » (Mc, Lc et Vulg. de Mt) dérive du nom d’une autre ville, Gérasa ou peut-être Chorsia ; la var. « Gergéséniens » provient d’une conjecture d’Origène.

r Deux démoniaques, au lieu d’un chez Mc et Lc ; de même deux aveugles à Jéricho, 20.30, et deux aveugles à Bethsaïde, 9.27, miracle qui est un démarquage du précédent. Ce dédoublement des personnages peut être un procédé de style de Mt.

29 Les voilà qui se mirent à crier : « Que nous veux-tu, Fils de Dieu ? Es-tu venu ici pour nous tourmenter avant le temps ? »s

s En attendant le jour du Jugement, les démons jouissent d’une certaine liberté d’exercer leurs sévices sur la terre. Ap 9.5, ce qu’ils font de préférence en possédant les hommes, 12.43-45. Cette possession s’accompagne souvent d’une maladie, celle-ci étant, à titre de suite du péché, 9.2, une autre manifestation de l’emprise de Satan, Lc 13.16. Aussi les exorcismes de l’Évangile, qui apparaissent parfois comme ici à l’état pur, cf. 15.21-28 ; Mc 1.23-28 ; Lc 8.2, se font-ils souvent par mode de guérison, 9.32-34 ; 12.22-24 ; 17.14-18 ; Lc 13.10-17. Par son pouvoir sur les démons, Jésus décrit l’empire de Satan, 12.28 ; Lc 10.17-19 ; cf. Lc 4.6 ; Jn 12.31, et inaugure le règne messianique dont l’Esprit Saint est la promesse caractéristique, Isa 11.2 ; Jl 3.1s. Si les hommes refusent de le comprendre, 12.24-32, les démons, eux, le savent bien, ici et Mc 1.24 ; 3.11 ; Lc 4.41 ; Ac 16.17 ; 19.15. Ce pouvoir d’exorcisme, Jésus le communique à ses disciples en même temps que le pouvoir des guérisons miraculeuses, 10.1, 8, qui lui est connexe, 8.3 ; 4.24 ; 8.16 ; Lc 13.32.

30 Or il y avait, à une certaine distance, un gros troupeau de porcs en train de paître. 31 Et les démons suppliaient Jésus : « Si tu nous expulses, envoie-nous dans ce troupeau de porcs. » — 32 « Allez », leur dit-il. Sortant alors, ils s’en allèrent dans les porcs, et voilà que tout le troupeau se précipita du haut de l’escarpement dans la mer et périt dans les eaux.t

t Pour un auditoire judéochrétien, un tel récit avait un aspect humoristique et un aspect pragmatique utilitaire, comme l’élimination de rats ou de vermine.

33 Les gardiens prirent la fuite et s’en furent à la ville tout rapporter, avec l’affaire des démoniaques. 34 Et voilà que toute la ville sortit au-devant de Jésus ; et, dès qu’ils le virent, ils le prièrent de quitter leur territoire.

Guérison d’un paralytique.

9 S’étant embarqué, il traversa et vint dans sa ville.u

u Capharnaüm, cf. 4.13.

2 Et voici qu’on lui apportait un paralytique étendu sur un lit. Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique : « Aie confiance, mon enfant, tes péchés sont remis. »v

v Jésus envisage la guérison de l’âme avant celle du corps et n’opère celle-ci qu’en vue de celle-là. Mais déjà cette parole enfermait une promesse de guérison, les infirmités étant considérées comme la conséquence d’un péché commis par le patient ou par ses parents, cf. 8.29 ; Jn 5.14 ; 9.2.

3 Et voici que quelques scribes se dirent par-devers eux : « Celui-là blasphème. » 4 Et Jésus, connaissant leurs sentiments, dit : « Pourquoi ces mauvais sentiments dans vos cœurs ? 5 Quel est donc le plus facile, de dire : Tes péchés sont remis, ou de dire : Lève-toi et marche ?w

w Remettre les péchés de l’âme est en soi plus difficile que de guérir le corps ; mais c’est plus facile à dire, parce que cela ne peut se vérifier extérieurement.

6 Eh bien ! pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés, lève-toi, dit-il alors au paralytique, prends ton lit et va-t’en chez toi. » 7 Et se levant, il s’en alla chez lui. 8 À cette vue, les foules furent saisies de crainte et glorifièrent Dieu d’avoir donné un tel pouvoir aux hommes.x

x Noter le pluriel songe sans doute aux ministres de l’Église, qui ont reçu ce pouvoir du Christ, 18.18.

Appel de Matthieu.

9 Étant sorti, Jésus vit, en passant, un homme assis au bureau de la douane, appelé Matthieu,y et il lui dit : « Suis-moi ! » Et, se levant, il le suivit.

y Le même qui est appelé Lévi par Mc et Lc.

Repas avec des pécheurs.

10 Comme il était à table dans la maison, voici que beaucoup de publicains et de pécheursz vinrent se mettre à table avec Jésus et ses disciples.

z Gens que leurs mœurs personnelles ou leur profession malfamée, cf. 5.46, rendaient « impurs » et à ne pas fréquenter. Ils étaient particulièrement suspects de ne pas observer les nombreuses lois concernant l’alimentation, d’où des problèmes de commensalité, Mc 7.3-4, 14-23 ; Ac 10.15 ; 15.20 ; Ga 2.12 ; cf. 1 Co 8-9 ; Rm 14.

11 Ce qu’ayant vu, les Pharisiens disaient à ses disciples : « Pourquoi votre maître mange-t-il avec les publicains et les pécheurs ? » 12 Mais lui, qui avait entendu, dit : « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. 13 Allez donc apprendre ce que signifie : C’est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice.a En effet, je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. »

a À la pratique rigoriste et extérieure de la Loi, Dieu préfère les sentiments intérieurs d’un cœur sincère et compatissant. C’est là un thème fréquent des prophètes, Am 5.21.

Discussion sur le jeûne.

14 Alors les disciples de Jeanb s’approchent de lui en disant : « Pourquoi nous et les Pharisiens jeûnons-nous, et tes disciples ne jeûnent-ils pas ? »

b Jean-Baptiste. Ses disciples, comme les Pharisiens, pratiquaient des jeûnes surérogatoires pour hâter par leur piété la venue du Royaume. Cf. Lc 18.12.

15 Et Jésus leur dit : « Les compagnons de l’époux peuvent-ils mener le deuil tant que l’épouxc est avec eux ? Mais viendront des jours où l’époux leur sera enlevé ;d et alors ils jeûneront.

c L’époux est Jésus, dont les compagnons, c’est-à-dire les « garçons d’honneur », ne peuvent jeûner parce qu’avec lui les temps messianiques sont déjà commencés.

d Claire annonce de la mort de Jésus.

16 Personne ne rajoute une pièce de drap non foulé à un vieux vêtement ; car le morceau rapporté tire sur le vêtement et la déchirure s’aggrave.

17 On ne met pas non plus du vin nouveau dans des outres vieilles ; autrement, les outres éclatent, le vin se répand et les outres sont perdues. Mais on met du vin nouveau dans des outres neuves, et l’un et l’autre se conservent. »e

e Matthieu retouche légèrement Mc 2.21-22, afin de souligner la continuité entre l’ancienne économie du salut et la nouvelle, entre ce qui, pour lui, est bon mais incomplet et ce qui est complet. Le « morceau » (v. 16), en grec plérôma qui signifie aussi « plénitude » cf. 5.17s, est un jeu de mot volontaire.

Guérison d’une hémorroïsse et résurrection de la fille d’un chef.

18 Tandis qu’il leur parlait, voici qu’un cheff s’approche, et il se prosternait devant lui en disant : « Ma fille est morte à l’instant ; mais viens lui imposer ta main et elle vivra. »

f Chef de synagogue, et qui s’appelait Jaïre d’après Mc et Lc.

19 Et, se levant, Jésus le suivait ainsi que ses disciples.

20 Or voici qu’une femme, hémorroïsse depuis douze années, s’approcha par derrière et toucha la frange de son manteau. 21 Car elle se disait en elle-même : « Si seulement je touche son manteau, je serai sauvée. » 22 Jésus se retournant la vit et lui dit : « Aie confiance, ma fille, ta foi t’a sauvée. » Et de ce moment la femme fut sauvée.

23 Arrivé à la maison du chef et voyant les joueurs de flûte et la foule en tumulte,g Jésus dit :

g Manifestations bruyantes du deuil oriental.

24 « Retirez-vous ; car elle n’est pas morte, la fillette, mais elle dort. » Et ils se moquaient de lui. 25 Mais, quand on eut mis la foule dehors, il entra, prit la main de la fillette et celle-ci se dressa. 26 Le bruit s’en répandit dans toute cette contrée.

Guérison de deux aveugles.

27 Comme Jésus s’en allait de là, deux aveugles le suivirent, qui criaient et disaient : « Aie pitié de nous, Fils de David ! »h

h Titre messianique, 2 S 7.1 ; cf. Lc 1.32 ; Ac 2.30 ; Rm 1.3, communément reçu dans le judaïsme, Mc 12.35 ; Jn 7.42, et dont a particulièrement souligné l’application à Jésus, 1.1 ; 12.23 ; 15.22 ; 20.30 ; 21.9, 15. Jésus ne l’a pourtant accepté qu’avec réserve, parce qu’engageant une conception trop purement humaine du Messie, 22.41-46 ; cf. Mc 1.34, et lui a préféré le titre mystérieux de Fils de l’homme, 8.20. Pourquoi s’adresser au « fils de David » pour demander une guérison ? David n’était pas guérisseur. Mais Salomon, fils et successeur de David, était vu comme guérisseur par des juifs au temps de l’évangile (voir le Testament de Salomon).

28 Étant arrivé à la maison, les aveugles s’approchèrent de lui et Jésus leur dit : « Croyez-vous que je puis faire cela » — « Oui, Seigneur », lui disent-ils. 29 Alors il leur toucha les yeux en disant : « Qu’il vous advienne selon votre foi. » 30 Et leurs yeux s’ouvrirent. Jésus alors les rudoya : « Prenez garde ! dit-il. Que personne ne le sache ! » 31 Mais eux, étant sortis, répandirent sa renommée dans toute cette contrée.

Guérison d’un démoniaque muet.

32 Comme ils sortaient, voilà qu’on lui présenta un démoniaque muet. 33 Le démon fut expulsé et le muet parla. Les foules émerveillées disaient : « Jamais pareille chose n’a paru en Israël ! » 34 Mais les Pharisiens disaient : « C’est par le Prince des démons qu’il expulse les démons. »i

i V. omis par des témoins du texte « occidental ».

Misère des foules.

35 Jésus parcourait toutes les villes et les villages, enseignant dans leurs synagogues, proclamant la Bonne Nouvelle du Royaume et guérissant toute maladie et toute langueur.

36 À la vue des foules il en eut pitié, car ces gens étaient las et prostrés comme des brebis qui n’ont pas de berger.j

j Image biblique Nb 27.17 ; 1 R 22.17 ; Jdt 11.19 ; Ez 34.5 ; 2 Ch 18.16.

37 Alors il dit à ses disciples : « La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux ; 38 priez donc le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson. »

2. DISCOURS APOSTOLIQUE

Mission des Douze.

10 Ayant appelé à lui ses douze disciples,k Jésus leur donna pouvoir sur les esprits impurs, de façon à les expulser et à guérir toute maladie et toute langueur.

k suppose connu le choix des Douze, que Mc et Lc mentionnent explicitement en le distinguant de la mission.

2 Les noms des douze apôtresl sont les suivants : le premier, Simon appelé Pierre, et André son frère ; puis Jacques, le fils de Zébédée, et Jean son frère ;

l Le catalogue des douze apôtres, cf. Mc 3.14 et Lc 6.13, nous est parvenu sous quatre formes, selon Mt, Mc Lc, et Ac. Il se divise en trois groupes de quatre noms, dont le premier est le même dans toutes les formes Pierre, Philippe et Jacques d’Alphée. Mais l’ordre peut changer à l’intérieur de chaque groupe. Dans le premier groupe, celui des disciples les plus proches de Jésus, et Lc rapprochent les frères Pierre et André, Jacques et Jean ; mais chez Mc Ac, André est reporté au quatrième rang pour céder la place aux deux fils de Zébédée, devenus avec Pierre les trois intimes du Seigneur, cf. Mc 5.37. Plus tard encore, dans Ac, Jacques de Zébédée passera après son frère plus jeune, Jean, devenu plus important, cf. Ac 1.13 ; 12.2, et déjà Lc 8.51 ; 9.28. Dans le deuxième groupe, qui semble avoir eu des affinités spéciales avec les non-Juifs, Matthieu passe au dernier rang dans les listes de et de Ac ; et dans seul il est appelé « le publicain ». Quant au troisième groupe, le plus judaïsant, si Thaddée (var. Lebbée) de Mc est le même que Judas (fils) de Jacques de Lc Ac, il descend chez ces derniers du deuxième au troisième rang. Simon le Zélote de Lc Ac n’est que la traduction grecque de l’araméen Simon Qan’ana de et Mc. Judas Iscariote, le traître, figure toujours en dernier lieu. Son nom est souvent interprété comme « homme de Qerioth », cf. Jos 15.25, mais il pourrait aussi venir de l’araméen sheqarya « le menteur, l’hypocrite ».

3 Philippe et Barthélemy ; Thomas et Matthieu le publicain ; Jacques, le fils d’Alphée, et Thaddée ; 4 Simon le Zélé et Judas l’Iscariote, celui-là même qui l’a livré. 5 Ces douze, Jésus les envoya en mission avec les prescriptions suivantes :
« Ne prenez pas le chemin des païens et n’entrez pas dans une ville de Samaritains ; 6 allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël.m

m Hébraïsme biblique le peuple d’Israël. — Comme héritiers de l’élection et des promesses, les Juifs doivent recevoir les premiers l’offre du salut messianique mais cf. Ac 8.5 ; 13.5.

7 Chemin faisant, proclamez que le Royaume des Cieux est tout proche. 8 Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. 9 Ne vous procurez ni or, ni argent, ni menue monnaie pour vos ceintures, 10 ni besace pour la route, ni deux tuniques, ni sandales, ni bâton : car l’ouvrier mérite sa nourriture.

11 « En quelque ville ou village que vous entriez, faites-vous indiquer quelqu’un d’honorable et demeurez-y jusqu’à ce que vous partiez. 12 En entrant dans la maison, saluez-la :n

n Le salut oriental consiste à souhaiter la paix. Ce souhait est conçu, v. 13, comme quelque chose de très concret, qui ne peut rester vain et revient, s’il ne peut s’accomplir, à celui qui l’a émis.

13 si cette maison en est digne, que votre paix vienne sur elle ; si elle ne l’est pas, que votre paix vous soit retournée. 14 Et si quelqu’un ne vous accueille pas et n’écoute pas vos paroles, sortez de cette maison ou de cette ville et secouez la poussière de vos pieds.o

o Locution d’origine judaïque. Est regardée comme impure la poussière de tout pays qui n’est pas la Terre sainte, ici de tout pays qui n’accueille pas la Parole.

15 En vérité je vous le dis : au Jour du Jugement, il y aura moins de rigueur pour le pays de Sodome et de Gomorrhe que pour cette ville-là. 16 Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups ; montrez-vous donc prudents comme les serpents et candides comme les colombes.

Les missionnaires seront persécutés.p

17 « Méfiez-vous des hommes : ils vous livreront aux sanhédrinsq et vous flagelleront dans leurs synagogues ;

p Les enseignements des vv. 17-39 dépassent manifestement l’horizon de cette première mission des Douze et ont dû être prononcés plus tard (voir leur place en Mc et Lc). les a groupés ici pour composer un bréviaire complet du missionnaire.

q Les petits sanhédrins de province, et le Grand Sanhédrin de Jérusalem ; cf. 5.21-22.

18 vous serez traduits devant des gouverneurs et des rois, à cause de moi, pour rendre témoignage en face d’eux et des païens. 19 Mais, lorsqu’on vous livrera, ne cherchez pas avec inquiétude comment parler ou que dire : ce que vous aurez à dire vous sera donné sur le moment, 20 car ce n’est pas vous qui parlerez, mais l’Esprit de votre Père qui parlera en vous.

21 « Le frère livrera son frère à la mort, et le père son enfant ; les enfants se dresseront contre leurs parents et les feront mourir. 22 Et vous serez haïs de tous à cause de mon nom, mais celui qui aura tenu bon jusqu’au bout, celui-là sera sauvé.

23 « Si l’on vous pourchasse dans telle ville, fuyez dans telle autre, et si l’on vous pourchasse dans celle-là, fuyez dans une troisième ;r en vérité je vous le dis, vous n’achèverez pas le tour des villes d’Israël avant que ne vienne le Fils de l’homme.s

r Om. « et si... une troisième ».

s L’avènement ici annoncé concerne, non le monde en général mais Israël en particulier, avec la ruine de Jérusalem et de son Temple ; cf. au contraire 24.1.

24 « Le disciple n’est pas au-dessus du maître, ni le serviteur au-dessus de son patron. 25 Il suffit pour le disciple qu’il devienne comme son maître, et le serviteur comme son patron. Du moment qu’ils ont traité de Béelzéboul le maître de maison, que ne diront-ils pas de sa maisonnée !

Parler ouvertement et sans crainte.

26 « N’allez donc pas les craindre ! Rien, en effet, n’est voilé qui ne sera révélé, rien de caché qui ne sera connu. 27 Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le au grand jour ; et ce que vous entendez dans le creux de l’oreille, proclamez-le sur les toits.t

t Jésus n’a pu délivrer son message que de façon voilée, parce que ses auditeurs ne pouvaient le comprendre, Mc 1.34, et que lui-même n’avait pas encore accompli son œuvre en mourant et ressuscitant. Plus tard ses disciples pourront et devront tout proclamer sans aucune crainte. Le sens des mêmes paroles dans Lc est tout différent que les disciples n’imitent pas l’hypocrisie des Pharisiens ; tout ce qu’ils prétendraient cacher finirait bien par être connu ; qu’ils parlent donc ouvertement.

28 « Ne craignez rien de ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l’âme ; craignez plutôt Celui qui peut perdre dans la géhenne à la fois l’âme et le corps.

29 Ne vend-on pas deux passereaux pour un as ? Et pas un d’entre eux ne tombera au sol à l’insu de votre Père ! 30 Et vous donc ! vos cheveux même sont tous comptés ! 31 Soyez donc sans crainte ; vous valez mieux, vous, qu’une multitude de passereaux.

32 « Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, moi aussi je me déclarerai pour lui devant mon Père qui est dans les cieux ;u

u Lors du Jugement dernier, quand le Fils remettra les élus à son Père, cf. 25.34.

33 mais celui qui m’aura renié devant les hommes, à mon tour je le renierai devant mon Père qui est dans les cieux.

Jésus cause de dissensions.v

34 « N’allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive.

v Jésus est un « signe de contradiction », Lc 2.34, qui, sans vouloir les discordes, les provoque nécessairement par les exigences du choix qu’il requiert.

35 Car je suis venu opposer l’homme à son père, la fille à sa mère et la bru à sa belle-mère : 36 on aura pour ennemis les gens de sa famille.

Se renoncer pour suivre Jésus.

37 « Qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. Qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. 38 Qui ne prend pas sa croix et ne suit pas derrière moi n’est pas digne de moi. 39 Qui aura trouvé sa vie la perdra et qui aura perdu sa vie à cause de moi la trouvera.w

w Dans cette parole, de forme plus archaïque qu’en Mc et Lc, « trouver » est à entendre avec la nuance de « gagner, obtenir, se procurer », cf. Gn 26.12 ; Os 12.9 ; Pr 3.13 ; 21.21. Voir 16.25.

Conclusion du discours apostolique.x

40 « Qui vous accueille m’accueille, et qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé.

x Dans ces trois versets on trouve vraisemblablement la structure de l’Église matthéenne. Au sommet l’autorité apostolique (v. 40), utilisant une formule juridique juive pour la transmission de pouvoirs mais ici mise en rapport avec Dieu. Puis, v. 41, les enseignants (voir 13.52 ; 23.34 pour plus de précisions) et les témoins qui ont résisté héroïquement pendant les persécutions (cf. 13.17 ; 23.29) ; enfin (v. 42) les petits (voir 18.10, 14).

41 « Qui accueille un prophète au nom d’un prophète recevra une récompense de prophète, et qui accueille un juste au nom d’un juste recevra une récompense de juste.

42 « Quiconque donnera à boire à l’un de ces petits rien qu’un verre d’eau fraîche, au nom d’un disciple, en vérité je vous le dis, il ne perdra pas sa récompense. »

IV. Le mystère du Royaume des Cieux

1. SECTION NARRATIVE

11 Et il advint, quand Jésus eut achevé de donner ces consignes à ses douze disciples, qu’il partit de là pour enseigner et prêcher dans leurs villes.y

y Les villes des Juifs.

Question de Jean-Baptiste et témoignage que lui rend Jésus.

2 Or Jean, dans sa prison, avait entendu parler des œuvres du Christ. Il lui envoya de ses disciplesz pour lui dire :

z Var. « deux de ses disciples », cf. Lc 7.18.

3 « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? »a

a Sans douter absolument de Jésus, Jean-Baptiste s’étonne de le voir réaliser un type du Messie si différent de celui qu’il attendait, cf. 3.10-12.

4 Jésus leur répondit : « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : 5 les aveugles voient et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres ;b

b Littéralement « les pauvres sont évangélisés », cf. 4.23 ; Lc 1.19. Par cette allusion aux oracles d’Isaïe, Jésus montre à Jean que ses œuvres inaugurent bien l’ère messianique, mais par mode de bienfaits et de salut, non de violence et de châtiment. Cf. Lc 4.17-21.

6 et heureux celui qui ne trébuchera pas à cause de moi ! »

7 Tandis que ceux-là s’en allaient, Jésus se mit à dire aux foules au sujet de Jean : « Qu’êtes-vous allés contempler au désert ? Un roseau agité par le vent ?

8 Alors qu’êtes-vous allés voir ? Un homme vêtu de façon délicate ? Mais ceux qui portent des habits délicats se trouvent dans les demeures des rois. 9 Alors qu’êtes-vous allés faire ? Voir un prophète ? Oui, je vous le dis, et plus qu’un prophète. 10 C’est celui dont il est écrit :

Voici que moi j’envoie mon messager en avant de toi
pour préparer ta route devant toi.

11 « En vérité je vous le dis, parmi les enfants des femmes, il n’en a pas surgi de plus grand que Jean le Baptiste ; et cependant le plus petit dans le Royaume des Cieux est plus grand que lui.c

c Par ce seul fait qu’il appartient au Royaume, tandis que Jean, en tant que Précurseur est resté à la porte. Cette parole oppose deux époques de l’œuvre divine, deux « économies », sans déprécier en rien la personne de Jean les temps du Royaume transcendent totalement ceux qui les ont précédés et préparés.

12 Depuis les jours de Jean le Baptiste jusqu’à présent le Royaume des Cieux souffre violence,d et des violents s’en emparent.

d Expression diversement interprétée. Il peut s’agir :1° de la sainte violence de ceux qui s’emparent du royaume au prix des plus durs renoncements ; 2° de la mauvaise violence de ceux qui veulent établir le Royaume par les armes (les Zélotes) ; 3° de la tyrannie des Puissances démoniaques, ou de leurs suppôts terrestres, qui prétendent garder l’empire de ce monde et entraver l’essor du Royaume de Dieu. Enfin certains traduisent « le Royaume des Cieux se fraie sa voie avec violence », c’est-à-dire s’établit avec puissance en dépit de tous les obstacles.

13 Tous les prophètes en effet, ainsi que la Loi, ont mené leurs prophéties jusqu’à Jean. 14 Et lui, si vous voulez m’en croire, il est cet Élie qui doit revenir.e

e Jean est venu achever, dans la perspective de Matthieu, l’économie de l’ancienne Alliance en prenant la succession du dernier des prophètes, Malachie, dont il accomplit la dernière prédiction, Ml 3.23.

15 Que celui qui a des oreilles entende !

Jugement de Jésus sur sa génération.

16 « Mais à qui vais-je comparer cette génération ? Elle ressemble à des gamins qui, assis sur les places, en interpellent d’autres, 17 en disant :

« Nous vous avons joué de la flûte,
et vous n’avez pas dansé !
Nous avons entonné un chant funèbre,
et vous ne vous êtes pas frappé la poitrine ! »

18 Jean vient en effet, ne mangeant ni ne buvant, et l’on dit : « Il est possédé ! »

19 Vient le Fils de l’homme, mangeant et buvant, et l’on dit : « Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs ! » Et justice a été rendue à la Sagesse par ses œuvres. »f

f Var. « par ses enfants », cf. Lc 7.35. — À la façon d’enfants boudeurs qui repoussent tous les jeux qu’on leur offre (ici jeux de mariage et d’enterrement), les Juifs rejettent toutes les avances de Dieu, aussi bien la pénitence de Jean que la condescendance de Jésus. L’une et l’autre se légitiment pourtant par les situations différentes de Jean-Baptiste et de Jésus par rapport à l’ère messianique cf. 9.14-15 ; 11.11-13. — En dépit de la mauvaise volonté des hommes, le sage dessein de Dieu se réalise et se justifie lui-même par la conduite qu’il inspire à Jean-Baptiste et à Jésus. Les « œuvres » de ce dernier, en particulier, c’est-à-dire ses miracles, v. 2, sont le témoignage qui convainc ou condamne, vv. 6 et 20-24. Jésus est encore rapproché de la Sagesse en 11.28-30 ; 12.42 ; 23.34 ; Jn 6.35 ; 1 Co 1.24. — Une autre exégèse ne voit ici qu’un proverbe dont l’application aux incrédules annonce que leur fausse sagesse, cf. v. 25, récoltera ses justes fruits, à savoir les châtiments divins, vv. 20-24.

Malheur aux villes des bords du lac.

20 Alors il se mit à invectiver contre les villes qui avaient vu ses plus nombreux miracles mais n’avaient pas fait pénitence.

21 « Malheur à toi, Chorazeïn ! Malheur à toi, Bethsaïde ! Car si les miracles qui ont eu lieu chez vous avaient eu lieu à Tyr et à Sidon,g il y a longtemps que, sous le sac et dans la cendre, elles se seraient repenties.

g Villes dont les menaces des prophètes avaient fait des types d’impiété : Am 1.9-10 ; Isa 23 ; Ez 26-28 ; Za 9.2-4.

22 Aussi bien, je vous le dis, pour Tyr et Sidon, au Jour du Jugement, il y aura moins de rigueur que pour vous. 23 Et toi, Capharnaüm, crois-tu que tu seras élevée jusqu’au ciel ? Jusqu’à l’Hadès tu descendras. Car si les miracles qui ont eu lieu chez toi avaient eu lieu à Sodome, elle subsisterait encore aujourd’hui. 24 Aussi bien, je vous le dis, pour le pays de Sodome il y aura moins de rigueur, au Jour du Jugement, que pour toi. »

L’Évangile révélé aux simples. Le Père et le Fils.

25 En ce temps-là Jésus prit la parole et dit : « Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché celah aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits.

h Ce passage, vv. 25-27, étant sans connexion étroite avec le contexte où l’a inséré (cf. sa place différente en Lc), « cela » ne se rapporte pas à ce qui précède, mais doit s’entendre absolument des « mystères du Royaume », 13.11, découverts aux « tout-petits », les disciples, cf. 10.42, mais cachés aux « sages », les Pharisiens et leurs docteurs.

26 Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir. 27 Tout m’a été remis par mon Père, et nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler.i

i La profession de relations intimes avec Dieu, vv. 26-27, et l’appel à se faire disciple, vv. 28-30, évoquent maints passages des livres sapientiaux, Pr 8.22-36 ; Si 24.3-9 et 19-20 ; Sg 8.3-4 ; 9.9-18, etc. Jésus s’attribue ainsi le rôle de la Sagesse, cf. 11.19, mais d’une façon éminente, non plus comme une personnification mais comme une personne, « le Fils » par excellence du « Père », cf. 4.3. Ce passage de ton johannique, cf. Jn 1.18 ; 3.11, 35 ; 6.46 ; 10.15, etc., exprime, dans le fond le plus primitif de la tradition synoptique comme chez Jn, la conscience claire que Jésus avait de sa filiation divine. La structure de ce passage aurait pu être influencée par Si 51 sur ce thème des relations privilégiées avec Dieu, voir aussi Ex. 33.12-23.

Jésus maître au fardeau léger.

28 « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau,j et moi je vous soulagerai.

j Allusion à la Loi, dont le « fardeau » est parfois alourdi par certaines observances surajoutées (notamment par les pharisiens). Le « joug de la Loi » est une métaphore fréquente chez les rabbins, voir déjà So 3.9 (LXX) ; Lm 3.27 ; Jr 2.20 ; 5.5 ; cf. Isa 14.25. Si 6.24-30 ; 51.26-27 l’exploite déjà dans un contexte de sagesse, avec l’idée de labeur facile et reposant.

29 Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur,k et vous trouverez soulagement pour vos âmes.

k Épithètes classiques des « Pauvres » de l’AT, cf. So 2.3 ; Dn 3.87. Jésus revendique leur attitude religieuse et s’en autorise pour se faire leur maître de sagesse, comme c’était annoncé du « Serviteur », Isa 61.1-2 et Lc 4.18 ; voir encore 12.18-21 ; 21.5. De fait c’est pour eux qu’il a prononcé les Béatitudes, 5.3, et mainte autre instruction de sa Bonne Nouvelle.

30 Oui, mon joug est aisé et mon fardeau léger. »

Les épis arrachés.

12 En ce temps-là Jésus vint à passer, un jour de sabbat, à travers les moissons. Ses disciples eurent faim et se mirent à arracher des épis et à les manger. 2 Ce que voyant, les Pharisiens lui dirent : « Voilà tes disciples qui font ce qu’il n’est pas permis de faire pendant le sabbat ! »l

l On ne reproche pas aux disciples de cueillir en passant des épis dans le champ d’autrui (Dt 23.26 le permettait), mais de le faire le jour du sabbat. Les casuistes voyaient là un « travail », interdit par la Loi, Ex 34.21.

3 Mais il leur dit : « N’avez-vous pas lu ce que fit David lorsqu’il eut faim, lui et ses compagnons ? 4 Comment il entra dans la demeure de Dieu et comment ils mangèrent les pains d’oblation, qu’il ne lui était pas permis de manger, ni à ses compagnons, mais aux prêtres seuls ? 5 Ou n’avez-vous pas lu dans la Loi que, le jour du sabbat, les prêtres dans le Temple violent le sabbat sans être en faute ?m

m Le sabbat ne supprimait pas, mais aggravait plutôt les activités des ministres du culte.

6 Or, je vous le dis, il y a ici plus grand que le Temple. 7 Et si vous aviez compris ce que signifie : C’est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice, vous n’auriez pas condamné des gens qui sont sans faute. 8 Car le Fils de l’homme est maître du sabbat. »n

n En cette occasion et lors de guérisons qu’il opère le jour du sabbat, 12.9 14 ; Lc 13.10 17 ; 14.1-6 ; Jn 5.1-18 et 7.19 24 ; 9, Jésus affirme que même une institution divine comme celle du repos sabbatique n’a pas une valeur absolue, qu’elle doit céder à la nécessité ou à la charité, et que lui-même a le pouvoir d’interpréter avec autorité la Loi mosaïque, cf. 5.17 ; 15.1-7 ; 19.1-9. Il l’a en tant que « Fils de l’homme », chef du Royaume messianique, 8.20, et chargé dès ici-bas, 9.6, d’en établir l’économie nouvelle, 9.17, supérieure à l’ancienne car « il y a ici plus grand que le Temple ». — Les rabbins admettaient des dispenses de la loi du sabbat, mais leurs scrupules les restreignaient le plus possible.

Guérison d’un homme à la main sèche.

9 Parti de là, il vint dans leur synagogue. 10 Et voici un homme qui avait une main sèche, et ils lui posèrent cette question : « Est-il permis de guérir, le jour du sabbat ? » afin de l’accuser. 11 Mais il leur dit : « Quel sera d’entre vous l’homme qui aura une seule brebis, et si elle tombe dans un trou, le jour du sabbat, n’ira la prendre et la relever ? 12 Or, combien un homme vaut plus qu’une brebis ! Par conséquent il est permis de faire une bonne action le jour du sabbat. » 13 Alors il dit à l’homme : « Étends ta main. » Il l’étendit et elle fut remise en état, saine comme l’autre. 14 Étant sortis, les Pharisiens tinrent conseil contre lui, en vue de le perdre.

Jésus est le « Serviteur de Yahvé ».

15 L’ayant su, Jésus se retira de là. Beaucoup le suivirent et il les guérit tous

16 et il leur enjoignit de ne pas le faire connaître, 17 pour que s’accomplît l’oracle d’Isaïe le prophète :

18 Voici mon Serviteur que j’ai choisi,
mon Bien-Aimé qui a toute ma faveur.
Je placerai sur lui mon Esprit
et il annoncera le Droito aux nations.

o Le « Droit » divin, qui règle les rapport de Dieu avec les hommes et s’exprime essentiellement par la Révélation et la vraie Religion qui en découle.

19 Il ne fera point de querelles ni de cris
et nul n’entendra sa voix sur les grands chemins.
20 Le roseau froissé, il ne le brisera pas,
et la mèche fumante, il ne l’éteindra pas,
jusqu’à ce qu’il ait mené le Droit au triomphe :
21 en son nom les nations mettront leur espérance.

Jésus et Béelzéboul.

22 Alors on lui présenta un démoniaque aveugle et muet ; et il le guérit, si bien que le muet pouvait parler et voir. 23 Frappées de stupeur, toutes les foules disaient : « Celui-là n’est-il pas le Fils de David ? » 24 Mais les Pharisiens, entendant cela, dirent : « Celui-là n’expulse les démons que par Béelzéboul,p le prince des démons. »

p Divinité cananéenne dont le nom signifie « Baal le Prince » (et non « Baal du fumier » comme on l’a souvent dit), ce qui explique que l’orthodoxie monothéiste en ait fait le « Prince des démons ». La forme « Béelzéboub » (syr. et Vulg.) est un jeu de mots méprisant (cf. déjà 2 R 1.2s) qui transforme ce titre en « Baal des mouches ».

25 Connaissant leurs sentiments, il leur dit : « Tout royaume divisé contre lui-même court à la ruine ; et nulle ville, nulle maison, divisée contre elle-même, ne saurait se maintenir. 26 Or, si Satan expulse Satan, il s’est divisé contre lui-même : dès lors, comment son royaume se maintiendra-t-il ? 27 Et si moi, c’est par Béelzéboul que j’expulse les démons, par qui vos adeptesq les expulsent-ils ? Aussi seront-ils eux-mêmes vos juges.

q Littéralement « vos fils », tournure sémitique.

28 Mais si c’est par l’Esprit de Dieu que j’expulse les démons, c’est donc que le Royaume de Dieu est arrivé jusqu’à vous.

29 « Ou encore, comment quelqu’un peut-il pénétrer dans la maison d’un homme fort et s’emparer de ses affaires, s’il n’a d’abord ligoté cet homme fort ? Et alors il pillera sa maison.

30 « Qui n’est pas avec moi est contre moi, et qui n’amasse pas avec moi dissipe. 31 Aussi je vous le dis, tout péché et blasphème sera remis aux hommes, mais le blasphème contre l’Esprit ne sera pas remis. 32 Et quiconque aura dit une parole contre le Fils de l’homme, cela lui sera remis ; mais quiconque aura parlé contre l’Esprit Saint, cela ne lui sera remis ni en cet âge ni en l’autre.r

r L’homme est excusable de se méprendre sur la dignité divine de Jésus, voilée par ses humbles apparences de « Fils de l’homme », 8.20 ; il ne l’est pas de fermer ses yeux et son cœur aux œuvres éclatantes de l’Esprit. En les niant, il rejette l’avance suprême que lui fait Dieu, et se met hors du salut, cf. He 6.4-6 ; 10.26-31.

Les paroles font juger du cœur.

33 « Prenez un arbre bon : son fruit sera bon ; prenez un arbre gâté : son fruit sera gâté. Car c’est au fruit qu’on reconnaît l’arbre. 34 Engeance de vipères, comment pourriez-vous tenir un bon langage, alors que vous êtes mauvais ? Car c’est du trop-plein du cœur que la bouche parle. 35 L’homme bon, de son bon trésor tire de bonnes choses ; et l’homme mauvais, de son mauvais trésor en tire de mauvaises. 36 Or je vous le dis : de toute parole sans fondements que les hommes auront proférée, ils rendront compte au Jour du Jugement.

s Il ne s’agit pas simplement de parole « oiseuse », mais de parole mauvaise, en somme de calomnie.

37 Car c’est d’après tes paroles que tu seras justifié et c’est d’après tes paroles que tu seras condamné. »

Le signe de Jonas.

38 Alors quelques-uns des scribes et des Pharisiens prirent la parole et lui dirent : « Maître, nous désirons que tu nous fasses voir un signe. »t

t Un prodige qui exprime et justifie l’autorité que revendique Jésus, cf. Isa 2.11s ; Lc 1.18 ; Jn 2.11. Aucun autre signe ne sera donné que celui de sa résurrection, qui sera le signe décisif et dont ici l’annonce est voilée.

39 Il leur répondit : « Génération mauvaise et adultère !u elle réclame un signe, et de signe, il ne lui sera donné que le signe du prophète Jonas.v

u Image tirée de la Bible, cf. Os 1.2.

v En 16.4 Matthieu ne précise pas, comme ici au v. 40, le sens du « signe de Jonas », et Lc 11.29s l’entend de la prédication de Jésus, qui est un signe pour ses contemporains comme Jonas le fut pour les Ninivites. Cette deuxième interprétation est d’alleurs sous-jacente ici au v. 41. Or elle est moins vraisemblable. Non seulement la prédication déjà actuelle de Jésus ne peut être annoncée comme future, mais encore, et surtout, dans la tradition juive Jonas était célèbre pour sa délivrance miraculeuse, bien plus que pour sa prédication aux païens, qui déplaisait plutôt. Même si son explicitation du v. 40 est tardive, l’interprétation de doit donc mieux refléter que celle de Lc la pensée de Jésus il annonce de façon voilée son triomphe final. Marc n’a pas d’allusion à Jonas, cf. Mc 8.12.

40 De même, en effet, que Jonas fut dans le ventre du monstre marin durant trois jours et trois nuits, de même le Fils de l’homme sera dans le sein de la terre durant trois jours et trois nuits.w

w Cette expression toute faite, tirée telle quelle de Jon 2.1 ne s’applique que de façon approximative à l’intervalle entre la mort et la résurrection du Christ.

41 Les hommes de Ninive se dresseront lors du Jugement avec cette génération et ils la condamneront, car ils se repentirent à la proclamation de Jonas, et il y a ici plus que Jonas ! 42 La reine du Midi se lèvera lors du Jugement avec cette génération et elle la condamnera, car elle vint des extrémités de la terre pour écouter la sagesse de Salomon, et il y a ici plus que Salomon !

Retour offensif de l’esprit impur.

43 Lorsque l’esprit impur est sorti de l’homme, il erre par des lieux arides en quête de repos,x et il n’en trouve pas.

x Les anciens considéraient les lieux déserts comme peuplés de démons, cf. Lv 16.8 ; 17.7 ; Isa 13.21 ; 34.14 ; Ba 4.35 ; Ap 18.2 ; 8.28. Toutefois ceux-ci préfèrent encore habiter au milieu des hommes, 8.29.

44 Alors il dit : « Je vais retourner dans ma demeure, d’où je suis sorti. » Étant venu, il la trouve libre, balayée, bien en ordre. 45 Alors il s’en va prendre avec lui sept autres esprits plus mauvais que lui ; ils reviennent et y habitent. Et l’état final de cet homme devient pire que le premier. Ainsi en sera-t-il également de cette génération mauvaise. »

La vraie parenté de Jésus.

46 Comme il parlait encore aux foules, voici que sa mère et ses frèresy se tenaient dehors, cherchant à lui parler.

y Il y a plusieurs mentions des « frères » (et des « sœurs ») de Jésus : voir 13.55 ; Jn 7.3 ; Ac 1.14 ; 1 Co 9.5 ; Ga 1.19. Tout en ayant le sens premier de « frère de sang » le mot grec utilisé (adelphos), comme le mot correspondant en hébreu et en araméen, peut désigner des relations de parenté plus larges (cf. Gn 13.8 ; 29.15 ; Lv 10.4), et notamment un cousin germain (1 Ch 23.22). Le grec possède un autre terme pour « cousin » (anèpsios, voir Col 4.10, seul emploi de ce terme dans le NT). Mais le livre de Tobie témoigne de ce que les deux mots peuvent être utilisés indifféremment pour parler de la même personne voir Tb 7.4 « notre frère Tobit » (adelphos ou anèpsios selon les manuscrits). Depuis les Pères de l’Église, l’interprétation prédominante a vu dans ces « frères » de Jésus des « cousins », en accord avec la croyance en la virginité perpétuelle de Marie. En outre, cela est cohérent avec Jn 19.26-27 qui laisse supposer qu’à la mort de Jésus, Marie était seule.

47 Quelqu’un lui dit : « Voici ta mère et tes frères qui se tiennent dehors et cherchent à te parler. »z

z Le v. 47 est omis par de bons témoins, le scribe ayant probablement sauté de la fin du v. 46 à la fin, presque identique, du v. 47. (= « homeotéleuton »).

48 À celui qui l’en informait Jésus répondit : « Qui est ma mère et qui sont mes frères ? » 49 Et tendant sa main vers ses disciples, il dit : « Voici ma mère et mes frères. 50 Car quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là m’est un frère et une sœur et une mère. »a

a Les liens de la parenté charnelle passent après ceux de la parenté spirituelle, cf. 8.21s ; 10.37 ; 19.29.

2. DISCOURS PARABOLIQUE

Introduction.

13 En ce jour-là,b Jésus sortit de la maison et s’assit au bord de la mer.

b Cette expression stéréotypée est une simple transition, sans valeur chronologique.

2 Et des foules nombreuses s’assemblèrent auprès de lui, si bien qu’il monta dans une barque et s’assit ; et toute la foule se tenait sur le rivage. 3 Et il leur parla de beaucoup de choses en paraboles.c

Parabole du semeur.

Il disait : « Voici que le semeur est sorti pour semer.

c Aux deux paraboles qu’il a en commun avec Mc, en ajoute cinq autres, ce qui fait sept, cf. 6.9.

4 Et comme il semait, des grains sont tombés au bord du chemin, et les oiseaux sont venus tout manger.

5 D’autres sont tombés sur les endroits rocheux où ils n’avaient pas beaucoup de terre, et aussitôt ils ont levé, parce qu’ils n’avaient pas de profondeur de terre ; 6 mais une fois le soleil levé, ils ont été brûlés et, faute de racine, se sont desséchés. 7 D’autres sont tombés sur les épines, et les épines ont monté et les ont étouffés. 8 D’autres sont tombés sur la bonne terre et ont donné du fruit, l’un cent, l’autre soixante, l’autre trente. 9 Entende qui a des oreilles ! »d

d Add. « pour entendre ». De même en 11.15 ; 13.43.

Pourquoi Jésus parle en paraboles.

10 Les disciples s’approchant lui dirent : « Pourquoi leur parles-tu en paraboles ? » — 11 « C’est que, répondit-il, à vous il a été donné de connaître les mystères du Royaume des Cieux, tandis qu’à ces gens-là cela n’a pas été donné.

12 Car celui qui a, on lui donnera et il aura du surplus, mais celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera enlevé.e

e Pour les âmes bien disposées, on ajoutera à l’acquis de l’ancienne Alliance le perfectionnement de la nouvelle, cf. 5.17, 20 ; aux âmes mal disposées, on ôtera même ce qu’elles ont.

13 C’est pour cela que je leur parle en paraboles : parce qu’ils voient sans voir et entendent sans entendre ni comprendre.f

f Endurcissement volontaire et coupable qui entraîne et explique le retrait de la grâce. Tous les récits qui précèdent ont préparé le discours parabolique en illustrant cet endurcissement, 11.16-19, 20-24 ; 12.7, 14, 24-32, 34, 39, 45. À ces esprits obscurcis, que la pleine lumière sur le caractère humble et caché du vrai messianisme ne ferait qu’aveugler davantage, Mc 1.34, Jésus ne pourra donner qu’une lumière tamisée par les symboles demi-lumière qui sera encore une grâce, un appel à demander mieux et à recevoir plus.

14 Ainsi s’accomplit pour eux la prophétie d’Isaïe qui disait :

Vous aurez beau entendre, vous ne comprendrez pas ;
vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas.
15 C’est que l’esprit de ce peuple s’est épaissi :
ils se sont bouché les oreilles, ils ont fermé les yeux,
de peur que leurs yeux ne voient,
que leurs oreilles n’entendent,
que leur esprit ne comprenne,
qu’ils ne se convertissent,
et que je ne les guérisse.

16 « Quant à vous, heureux vos yeux parce qu’ils voient ; heureuses vos oreilles parce qu’elles entendent. 17 En vérité je vous le dis, beaucoup de prophètes et de justesg ont souhaité voir ce que vous voyez et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l’ont pas entendu !

g Ceux de l’ancienne Alliance, 23.29 ; cf. 10.41. Saint Paul a insisté sur les longs silences dont a été entouré le « Mystère » Rm 16.25 ; Ep 3.4-5 ; Col 1.26. Cf. aussi 1 P 1.11-12.

Explication de la parabole du semeur.

18 « Écoutez donc, vous, la parabole du semeur. 19 Quelqu’un entend-il la Parole du Royaume sans la comprendre, arrive le Mauvais qui s’empare de ce qui a été semé dans le cœur de cet homme : tel est celui qui a été seméh au bord du chemin.

h Cette tournure étrange vient d’une certaine confusion dans l’interprétation de la parabole, qui identifie les hommes, tantôt avec les divers terrains qui reçoivent plus ou moins bien la Parole, tantôt avec la semence elle-même, de plus ou moins bonne qualité, qui produit soit trente, soit soixante, soit cent.

20 Celui qui a été semé sur les endroits rocheux, c’est l’homme qui, entendant la Parole, l’accueille aussitôt avec joie ; 21 mais il n’a pas de racine en lui-même, il est l’homme d’un moment : survienne une tribulation ou une persécution à cause de la Parole, aussitôt il succombe. 22 Celui qui a été semé dans les épines, c’est celui qui entend la Parole, mais le souci du monde et la séduction de la richesse étouffent cette Parole, qui demeure sans fruit. 23 Et celui qui a été semé dans la bonne terre, c’est celui qui entend la Parole et la comprend : celui-là porte du fruit et produit tantôt cent, tantôt soixante, tantôt trente. »

Parabole de l’ivraie.

24 Il leur proposa une autre parabole : « Il en va du Royaume des Cieux comme d’un homme qui a semé du bon grain dans son champ. 25 Or, pendant que les gens dormaient, son ennemi est venu, il a semé à son tour de l’ivraie, au beau milieu du blé, et il s’en est allé. 26 Quand le blé est monté en herbe, puis en épis, alors l’ivraie est apparue aussi. 27 S’approchant, les serviteurs du propriétaire lui dirent : « Maître, n’est-ce pas du bon grain que tu as semé dans ton champ ? D’où vient donc qu’il s’y trouve de l’ivraie ? » 28 Il leur dit : « C’est quelque ennemi qui a fait cela. » Les serviteurs lui disent : « Veux-tu donc que nous allions la ramasser ? » 29 « Non, dit-il, vous risqueriez, en ramassant l’ivraie, d’arracher en même temps le blé. 30 Laissez l’un et l’autre croître ensemble jusqu’à la moisson ; et au moment de la moisson je dirai aux moissonneurs : Ramassez d’abord l’ivraie et liez-la en bottes que l’on fera brûler ; quant au blé, recueillez-le dans mon grenier ». »

Parabole du grain de sénevé.

31 Il leur proposa une autre parabole : « Le Royaume des Cieux est semblable à un grain de sénevé qu’un homme a pris et semé dans son champ. 32 C’est bien la plus petite de toutes les graines, mais, quand il a poussé, c’est la plus grande des plantes potagères, qui devient même un arbre, au point que les oiseaux du ciel viennent s’abriter dans ses branches. »

Parabole du levain.

33 Il leur dit une autre parabole : « Le Royaume des Cieux est semblable à du levain qu’une femme a pris et enfoui dans trois mesures de farine, jusqu’à ce que le tout ait levé. »i

i Comme le grain de sénevé et le levain, le Royaume a des débuts modestes, mais un grand et soudain développement.

Les foules n’entendent que des paraboles.

34 Tout cela, Jésus le dit aux foules en paraboles, et il ne leur disait rien sans parabole ; 35 pour que s’accomplît l’oracle du prophète :

J’ouvrirai la bouche pour dire des paraboles,
je clamerai des choses cachées depuis la fondation du monde.
j

j Plusieurs témoins omettent « du monde ».

Explication de la parabole de l’ivraie.

36 Alors, laissant les foules, il vint à la maison ; et ses disciples s’approchant lui dirent : « Explique-nous la parabole de l’ivraie dans le champ. » 37 En réponse il leur dit : « Celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’homme ; 38 le champ, c’est le monde ; le bon grain, ce sont les sujets du Royaume ; l’ivraie, ce sont les sujets du Mauvais ;k

k Littéralement « les fils du Royaume » et « les fils du Mauvais », sémitismes.

39 l’ennemi qui la sème, c’est le Diable ; la moisson, c’est la fin de l’âge ; et les moissonneurs, ce sont les anges. 40 De même donc qu’on enlève l’ivraie et qu’on la consume au feu, de même en sera-t-il à la fin de l’âge :

41 le Fils de l’homme enverra ses anges, qui ramasseront de son Royaume tous les scandales et tous les fauteurs d’iniquité, 42 et les jetteront dans la fournaise ardente : là seront les pleurs et les grincements de dents. 43 Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le Royaume de leur Père.l Entende, qui a des oreilles !

l Au Royaume du Fils (règne messianique) du v. 41 succède le Royaume du Père auquel le Fils remet les élus qu’il a sauvés. Cf. 25.34 ; 1 Co 15.24.

Paraboles du trésor et de la perle.m

44 « Le Royaume des Cieux est semblable à un trésor qui était caché dans un champ et qu’un homme vient à trouver : il le recache, s’en va ravi de joie vendre tout ce qu’il possède, et achète ce champ.

m Qui trouve le Royaume des Cieux doit tout quitter pour y entrer, cf. 19.21 ; Lc 9.57-62.

45 « Le Royaume des Cieux est encore semblable à un négociant en quête de perles fines : 46 en ayant trouvé une de grand prix, il s’en est allé vendre tout ce qu’il possédait et il l’a achetée.

Parabole du filet.

47 « Le Royaume des Cieux est encore semblable à un filet qu’on jette en mer et qui ramène toutes sortes de choses. 48 Quand il est plein, les pêcheurs le tirent sur le rivage, puis ils s’asseyent, recueillent dans des paniers ce qu’il y a de bon, et rejettent ce qui ne vaut rien. 49 Ainsi en sera-t-il à la fin de l’âge : les anges se présenteront et sépareront les méchants d’entre les justes 50 pour les jeter dans la fournaise ardente : là seront les pleurs et les grincements de dents.

Conclusion.

51 « Avez-vous compris tout cela ? » — « Oui », lui disent-ils. 52 Et il leur dit : « Ainsi donc tout scribe devenu disciple du Royaume des Cieux est semblable à un propriétaire qui tire de son trésor du neuf et du vieux. »n

n Le docteur juif devenu disciple du Christ possède et administre toute la richesse de l’ancienne Alliance augmentée par les perfectionnements de la nouvelle, v. 12. Cet éloge du « scribe chrétien » résume tout l’idéal de l’évangéliste Matthieu et paraît bien être sa signature discrète. Le verset invite les disciples à être eux aussi créateurs de nouvelles paraboles.

V. L’Église, prémices du Royaume des Cieux

1. SECTION NARRATIVE

Visite à Nazareth.

53 Et il advint, quand Jésus eut achevé ces paraboles, qu’il partit de là ; 54 et s’étant rendu dans sa patrie,o il enseignait les gens dans leur synagogue, de telle façon qu’ils étaient frappés et disaient : « D’où lui viennent cette sagesse et ces miracles ?

o Nazareth, la ville de son enfance, cf. 2.23.

55 Celui-là n’est-il pas le fils du charpentier ? N’a-t-il pas pour mère la nommée Marie, et pour frères Jacques, Joseph, Simon et Jude ? 56 Et ses sœurs ne sont-elles pas toutes chez nous ? D’où lui vient donc tout cela ? » 57 Et ils étaient choqués à son sujet. Mais Jésus leur dit : « Un prophète n’est méprisé que dans sa patrie et dans sa maison. » 58 Et il ne fit pas là beaucoup de miracles, à cause de leur manque de foi.

Hérode et Jésus.

14 En ce temps-là, la renommée de Jésus parvint aux oreilles d’Hérode le tétrarque, 2 qui dit à ses serviteurs : « Celui-là est Jean le Baptiste ! Le voilà ressuscité des morts : d’où les pouvoirs miraculeux qui se déploient en sa personne ! »

Exécution de Jean le Baptiste.

3 C’est qu’en effet Hérode avait fait arrêter, enchaîner et emprisonner Jean, à cause d’Hérodiade, la femme de Philippe son frère.p

p Om. (Vulg.) « Philippe »; ce nom faisait difficulté. Ce personnage n’est pas le tétrarque d’Iturée et de Trachonitide, Lc 3.1 ; cf. 16.13, mais un autre fils d’Hérode le Grand par Marianne II, donc demi-frère d’Antipas, et que Josèphe appelle lui-même Hérode. Sa situation de simple particulier n’avait pu satisfaire l’ambition de sa femme Hérodiade, elle-même petite-fille d’Hérode le Grand par son père Aristobule et donc nièce d’Antipas, qui préféra à cet oncle trop modeste l’oncle tétrarque de Galilée. — Le crime d’Antipas consistait moins à avoir épousé sa nièce qu’à l’avoir prise à son frère encore vivant, non d’ailleurs sans répudier lui-même sa première femme.

4 Car Jean lui disait : « Il ne t’est pas permis de l’avoir. » 5 Il avait même voulu le tuer, mais avait craint la foule, parce qu’on le tenait pour un prophète. 6 Or, comme Hérode célébrait son anniversaire de naissance, la fille d’Hérodiadeq dansa en public et plut à Hérode

q Elle s’appelait Salomé, d’après Josèphe.

7 au point qu’il s’engagea par serment à lui donner ce qu’elle demanderait. 8 Endoctrinée par sa mère, elle lui dit : « Donne-moi ici, sur un plat, la tête de Jean le Baptiste. » 9 Le roi fut contristé, mais, à cause de ses serments et des convives, il commanda de la lui donner 10 et envoya décapiter Jean dans la prison. 11 Sa tête fut apportée sur un plat et donnée à la jeune fille, qui la porta à sa mère. 12 Les disciples de Jean vinrent prendre le cadavre et l’enterrèrent ; puis ils allèrent informer Jésus.

Première multiplication des pains.r

13 L’ayant appris, Jésus se retira en barque dans un lieu désert, à l’écart ;s ce qu’apprenant, les foules partirent à sa suite, venant à piedt des villes.

r Alors que Lc 9.10-17 et Jn 6.1-13 ne racontent qu’une seule multiplication des pains, 14.13-21 ; 15.32-39 et Mc 6.30-44 ; 8.1-10 en rapportent deux. Sans doute s’agit-il d’un doublet, assurément très ancien, cf. 16.9s, qui présente le même événement selon deux traditions différentes. La première, plus archaïque, d’origine palestinienne, semble placer l’événement sur la rive occidentale du lac (voir la note suivante) et parle de douze couffins, chiffre des tribus d’Israël et des apôtres, Mc 3.14. La deuxième, qui viendrai de milieux chrétiens d’origine païenne, situe l’événement sur la rive orientale, païenne, du lac, cf. Mc 7.31, et parle de sept corbeilles, chiffre des nations de Canaan, Ac 13.19, et des diacres hellénistes, Ac 6.5 ; 21.8. Les deux traditions dépeignent l’événement à la lumière de précédents vétéro-testamentaires, en particulier la multiplication d’huile et de pain par Élisée, 2 R 4.1-7, 42-44, et l’épisode de la manne et des cailles, Ex 16 ; Nb 11. Reprenant avec une puissance encore supérieure ces gratifications de nourritures célestes, le geste de Jésus a été compris dès la plus ancienne tradition comme une préparation de la nourriture eschatologique par excellence, l’Eucharistie. C’est ce que soulignent la présentation littéraire des Synoptiques, comp. 14.19 ; 15.36 ; 26.26, et le discours sur le pain de vie de Jn 6.

s Rien n’oblige à penser à la rive orientale de lac. Jésus a pu traverser du nord au sud et du sud au nord en longeant la côte occidentale, et atteindre ainsi « l’autre rive », v. 22, de l’anse que trace cette côte.

t En suivant sur le rivage la barque qui navigue au large.

14 En débarquant, il vit une foule nombreuse et il en eut pitié ; et il guérit leurs infirmes.

15 Le soir venu, les disciples s’approchèrent et lui dirent : « L’endroit est désert et l’heure est déjà passée ; renvoie donc les foules afin qu’elles aillent dans les villages s’acheter de la nourriture. » 16 Mais Jésus leur dit : « Il n’est pas besoin qu’elles y aillent ; donnez-leur vous-mêmes à manger » — 17 « Mais, lui disent-ils, nous n’avons ici que cinq pains et deux poissons. » Il dit : 18 « Apportez-les moi ici. » 19 Et, ayant donné l’ordre de faire étendre les foules sur l’herbe, il prit les cinq pains et les deux poissons, leva les yeux au ciel, bénit, puis, rompant les pains, il les donna aux disciples, qui les donnèrent aux foules. 20 Tous mangèrent et furent rassasiés, et l’on emporta le reste des morceaux : douze pleins couffins ! 21 Or ceux qui mangèrent étaient environ cinq mille hommes, sans compter les femmes et les enfants.

Jésus marche sur les eaux, et Pierre avec lui.u

22 Et aussitôt il obligea les disciples à monter dans la barque et à le devancer sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules.

u Le récit, où l’on peut noter les réminiscences du Ps 107 (voir v. 23-32), nous présente Jésus exerçant un contrôle divin sur les eaux symboles du chaos et des puissances du mal. Jésus a le pouvoir de sauver des disciples. La forme narrative a pu être influencée par les Testaments des 12 Patriarches, Naphtali 6.

23 Et quand il eut renvoyé les foules, il gravit la montagne, à l’écart, pour prier.v Le soir venu, il était là, seul.

v Les évangélistes, surtout Luc, notent souvent que Jésus prie, dans la solitude ou la nuit, 14.23 ; Mc 1.35 ; Lc 5.16, au moment des repas, 14.19 ; 15.36 ; 26.26-27, et lors d’événements importants au Baptême, Lc 3.21, avant le choix des Douze, Lc 6.12, l’enseignement du Pater, Lc 11.1 ; cf. 6.5, et la confession de Césarée, Lc 9.18, a la Transfiguration, Lc 9.28-29, à Gethsémani, 26.36-44, sur la croix, 27.46 ; Lc 23.46. Il prie pour ses bourreaux, Lc 23.34, pour Pierre, Lc 22.32, pour ses disciples et ceux qui les suivront, Jn 17.9-24. Il prie aussi pour lui-même, 26.39 ; cf. Jn 17.1-5 ; He 5.7. Ces prières manifestent un commerce permanent avec le Père, 11.25-27, qui ne le laisse jamais seul, Jn 8.29 et l’exauce toujours, Jn 11.22, 42 ; cf. 26.53. Par cet exemple comme par son enseignement, Jésus a inculqué à ses disciples la nécessité et la façon de prier, 6.5. À présent dans la gloire, il continue d’intercéder pour les siens, Rm 8.34 ; He 7.25 ; 1 Jn 2.1, comme il l’a promis, Jn 14.16.

24 La barque, elle, se trouvait déjà éloignée de la terre de plusieurs stades,w harcelée par les vagues, car le vent était contraire.

w Cf. Jn 6.19 ; var. « au milieu de la mer », cf. Mc 6.47.

25 À la quatrième veille de la nuit,x il vint vers eux en marchant sur la mer.

x De trois à six heures du matin.

26 Les disciples, le voyant marcher sur la mer, furent troublés : « C’est un fantôme », disaient-ils, et pris de peur ils se mirent à crier. 27 Mais aussitôt Jésus leur parla en disant : « Ayez confiance, c’est moi, soyez sans crainte. » 28 Sur quoi, Pierrey lui répondit : « Seigneur, si c’est bien toi, donne-moi l’ordre de venir à toi sur les eaux. » —

y Trois épisodes concernant Pierre, celui-ci, 16.16-20 ; 17.24-27, jalonnent intentionnellement la partie historique de Mt, l’évangile de l’Église.

29 « Viens », dit Jésus. Et Pierre, descendant de la barque, se mit à marcher sur les eaux et vint vers Jésus. 30 Mais, voyant le vent, il prit peur et, commençant à couler, il s’écria : « Seigneur, sauve-moi ! » 31 Aussitôt Jésus tendit la main et le saisit, en lui disant : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » 32 Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba. 33 Ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui, en disant : « Vraiment, tu es Fils de Dieu ! »

Guérisons au pays de Gennésaret.

34 Ayant achevé la traversée, ils touchèrent terre à Gennésaret. 35 Les gens de l’endroit, l’ayant reconnu, mandèrent la nouvelle à tout le voisinage, et on lui présenta tous les malades : 36 on le priait de les laisser simplement toucher la frange de son manteau, et tous ceux qui touchèrent furent sauvés.

Discussion sur les traditions pharisaïques.

15 Alors des Pharisiens et des scribes de Jérusalem s’approchent de Jésus et lui disent : 2 « Pourquoi tes disciples transgressent-ils la tradition des anciens ?z En effet, ils ne se lavent pas les mains au moment de prendre leur repas. »a

z Tradition orale qui, sous prétexte de faire observer la Loi écrite, renchérissait sur elle. Les rabbins la faisaient remonter, par les « anciens », à Moïse.

a Littéralement « manger du pain ».

3 « Et vous, répliqua-t-il, pourquoi transgressez-vous le commandement de Dieu au nom de votre tradition ? 4 En effet, Dieu a dit : Honoreb ton père et ta mère, et Que celui qui maudit son père ou sa mère soit puni de mort.

b « Honore », mais par des bons offices et des services réels.

5 Mais vous, vous dites : Quiconque dira à son père ou à sa mère : « Les biens dont j’aurais pu t’assister, je les consacre »,c

c Vulg. a compris « Tout don que je fais (à Dieu) t’est utile. »

6 celui-là sera quitte de ses devoirs envers son père ou sa mère.d Et vous avez annulé la parole de Dieu au nom de votre tradition.

d Parce que les biens ainsi voués (korbân) ont revêtu un caractère « sacré » qui interdit désormais aux parents d’y prétendre en rien. Ce vœu, qui restait d’ailleurs fictif et n’entraînait aucune donation véritable, était un moyen odieux de s’affranchir d’un devoir sacré. Les rabbins, tout en reconnaissant son caractère immoral, tenaient un tel vœu pour valable.

7 Hypocrites ! Isaïe a bien prophétisé de vous, quand il a dit :

8 Ce peuple m’honore des lèvres,
mais leur cœur est loin de moi.
9 Vain est le culte qu’ils me rendent :
les doctrines qu’ils enseignent ne sont que préceptes humains. »

Enseignement sur le pur et l’impur.e

10 Et ayant appelé la foule près de lui, il leur dit : « Écoutez et comprenez !

e À propos de l’impureté des mains, objectée par les Pharisiens, v. 2, Jésus envisage la question plus générale de l’impureté attribuée par la Loi à certains aliments, Lv 11, et il enseigne à faire passer l’impureté légale après l’impureté morale, la seule qui importe vraiment, cf. Ac 10.9-16, 28 ; Rm 14.14s. Cf. Ep 4.29 ; Jc 3.6.

11 Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme ; mais ce qui sort de sa bouche, voilà ce qui souille l’homme. »

12 Alors s’approchant, les disciples lui disent : « Sais-tu que les Pharisiens se sont choqués de t’entendre parler ainsi ? » 13 Il répondit : « Tout plant que n’a point planté mon Père céleste sera arraché. 14 Laissez-les : ce sont des aveugles qui guident des aveugles ! Or si un aveugle guide un aveugle, tous les deux tomberont dans un trou. »

15 Pierre, prenant la parole, lui dit : « Explique-nous la parabole. » 16 Il dit : « Vous aussi, maintenant encore, vous êtes sans intelligence ? 17 Ne comprenez-vous pas que tout ce qui pénètre dans la bouche passe dans le ventre, puis s’évacue aux lieux d’aisance, 18 tandis que ce qui sort de la bouche procède du cœur, et c’est cela qui souille l’homme ? 19 Du cœur en effet procèdent mauvais desseins, meurtres, adultères, débauches, vols, faux témoignages, diffamations. 20 Voilà les choses qui souillent l’homme ; mais manger sans s’être lavé les mains, cela ne souille pas l’homme. »

Guérison de la fille d’une Cananéenne

21 En sortant de là, Jésus se retira dans la région de Tyr et de Sidon. 22 Et voici qu’une femme cananéenne, étant sortie de ce territoire,f criait en disant : « Aie pitié de moi, Seigneur, fils de David : ma fille est fort malmenée par un démon. »

f La grâce finalement accordée par Jésus à cette païenne le sera probablement en terre d’Israël.

23 Mais il ne lui répondit pas un mot. Ses disciples, s’approchant, le priaient : « Fais-lui grâce,g car elle nous poursuit de ses cris. »

g Les disciples demandent sans doute au Maître de lui donner congé en l’exauçant ; même terme grec en 18.27 ; 27.15.

24 À quoi il répondit : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. » 25 Mais la femme était arrivée et se tenait prosternée devant lui en disant : « Seigneur, viens à mon secours ! » 26 Il lui répondit : « Il ne sied pas de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. »h

h Jésus doit s’employer au salut des Juifs, « enfants » de Dieu et des promesses, avant de s’occuper des païens, qui n’étaient, aux yeux des Juifs, que des « chiens ». Le caractère traditionnel de cette image et la forme diminutive employée atténuent dans la bouche de Jésus ce que l’épithète aurait de méprisant.

27 « Oui, Seigneur ! dit-elle, et justement les petits chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ! » 28 Alors Jésus lui répondit : « Ô femme, grande est ta foi ! Qu’il t’advienne selon ton désir ! » Et de ce moment sa fille fut guérie.

Nombreuses guérisons près du lac.

29 Étant parti de là, Jésus vint au bord de la mer de Galilée. Il gravit la montagne, et là il s’assit. 30 Et des foules nombreuses s’approchèrent de lui, ayant avec elles des boiteux, des estropiés, des aveugles, des muets et bien d’autres encore, qu’ils déposèrent à ses pieds ; et il les guérit. 31 Et les foules de s’émerveiller en voyant ces muets qui parlaient, ces estropiés qui redevenaient valides,i ces boiteux qui marchaient et ces aveugles qui recouvraient la vue ; et ils rendirent gloire au Dieu d’Israël.

i Om. « ces estropiés qui redevenaient valides ».

Seconde multiplication des pains.

32 Jésus, cependant, appela à lui ses disciples et leur dit : « J’ai pitié de la foule, car voilà déjà trois jours qu’ils restent auprès de moi et ils n’ont pas de quoi manger. Les renvoyer à jeun, je ne le veux pas : ils pourraient défaillir en route. »

33 Les disciples lui disent : « Où prendrons-nous, dans un désert, assez de pains pour rassasier une telle foule ? » 34 Jésus leur dit : « Combien de pains avez-vous » — « Sept, dirent-ils, et quelques petits poissons. » 35 Alors il ordonna à la foule de s’étendre à terre ; 36 puis il prit les sept pains et les poissons, rendit grâces, les rompit et il les donnait à ses disciples, qui les donnaient à la foule. 37 Tous mangèrent et furent rassasiés, et des morceaux qui restaient on ramassa sept pleines corbeilles ! 38 Or ceux qui mangèrent étaient quatre mille hommes, sans compter les femmes et les enfants. 39 Après avoir renvoyé les foules, Jésus monta dans la barque et s’en vint dans le territoire de Magadan.

On demande à Jésus un signe dans le ciel.

16 Les Pharisiens et les Sadducéens s’approchèrent alors et lui demandèrent, pour le mettre à l’épreuve, de leur faire voir un signe venant du ciel. 2 Il leur répondit : « Au crépuscule vous dites : Il va faire beau temps, car le ciel est rouge feu ; 3 et à l’aurore : Mauvais temps aujourd’hui, car le ciel est d’un rouge sombre. Ainsi, le visage du ciel vous savez l’interpréter, et pour les signes des tempsj vous n’en êtes pas capables !k

j Des temps messianiques. Ces signes sont les miracles qu’opère Jésus : cf. 11.3-5 ; 12.28.

k Om. « Au crépuscule... pas capables ».

4 Génération mauvaise et adultère ! elle réclame un signe, et de signe, il ne lui sera donné que le signe de Jonas. » Et les laissant, il s’en alla.

Le levain des Pharisiens et des Sadducéens.

5 Comme ils passaient sur l’autre rive, les disciples avaient oublié de prendre des pains. 6 Or Jésus leur dit : « Ouvrez l’œil et méfiez-vous du levain des Pharisiens et des Sadducéens ! » 7 Et eux de faire en eux-mêmes cette réflexion : « C’est que nous n’avons pas pris de pains. » 8 Le sachant, Jésus dit : « Gens de peu de foi, pourquoi faire en vous-mêmes cette réflexion, que vous n’avez pas de pains ? 9 Vous ne comprenez pas encore ? Vous ne vous rappelez pas les cinq pains pour les cinq mille hommes, et le nombre de couffins que vous en avez retirés ? 10 Ni les sept pains pour les quatre mille hommes, et le nombre de corbeilles que vous en avez retirées ? 11 Comment ne comprenez-vous pas que ma parole ne visait pas des pains ? Méfiez-vous, dis-je, du levain des Pharisiens et des Sadducéens ! » 12 Alors ils comprirent qu’il avait dit de se méfier, non du levain dont on fait le pain, mais de l’enseignement des Pharisiens et des Sadducéens.l

l Comme le levain fait fermenter la masse, 13.33, mais aussi peut la corrompre, cf. 1 Co 5.6 ; Ga 5.9, la doctrine faussée des chefs juifs menace de pervertir tout le peuple qu’ils dirigent, cf. 15.14.

Profession de foi et primauté de Pierre.m

13 Arrivé dans la région de Césarée de Philippe, Jésus posa à ses disciples cette question : « Au dire des gens, qu’est le Fils de l’homme ? »

m On trouve dans le Pentateuque des parallèles à l’institution d’un « haut fonctionnaire ».

14 Ils dirent : « Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou quelqu’un des prophètes. »n

n Ce titre de « prophète » que Jésus n’a revendiqué que de façon indirecte et voilée, 13.57 ; Lc 13.33, mais que les foules lui ont clairement donné, 16.14 ; 21.11, 46 ; Mc 6.15 ; Lc 7.16, 39 ; 24.19 ; Jn 4.19 ; 9.17, avait une valeur messianique. Car l’esprit de prophétie, éteint depuis Malachie, devait, selon l’attente du judaïsme, revenir comme signe de l’ère messianique, soit dans la personne d’Élie, 17.10-11, soit sous forme d’une effusion générale de l’Esprit, Ac 2.17-18, 33. En fait, il s’est présenté, du temps de Jésus, bien des (faux) prophètes, 24.11, 24, etc. Jean-Baptiste, lui, fut vraiment un prophète, 11.9 ; 14.5 ; 21.26 ; Lc 1.76, mais à titre de Précurseur venu avec l’esprit d’Élie, 11.10, 14 ; 17.12 ; et il a nié (Jn 1.21) être « le Prophète » qu’avait annoncé Moïse, Dt 18.15. C’est en Jésus seul que la foi chrétienne a reconnu ce Prophète, Ac 3.22-26 ; Jn 6.14 ; 7.40. Toutefois, le charisme de prophétie s’étant répandu dans l’Église primitive à la suite de la Pentecôte, Ac 11.27, ce titre de Jésus s’est effacé bientôt devant d’autres titres plus spécifiques de la christologie.

15 « Mais pour vous, leur dit-il, qui suis-je ? » 16 Simon-Pierre répondit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. »o

o À la confession de la messianité de Jésus, rapportée par Mc et Lc, ajoute celle de la filiation divine. Cf. déjà 14.33 comparé à Mc 6.51s. Cf. 4.3.

17 En réponse, Jésus lui dit : « Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car cette révélation t’est venue, non de la chair et du sang,p mais de mon Père qui est dans les cieux.

p Cette expression désigne l’homme, en soulignant le côté matériel et borné de sa nature, par opposition au monde des esprits, Si 14.18 ; Rm 7.5 ; 1 Co 15.50 ; Ga 1.16 ; Ep 6.12 ; He 2.14 ; cf. Jn 1.13.

18 Eh bien ! moi je te dis : Tu es Pierre,q et sur cette pierre je bâtirai mon Église,r et les Portes de l’Hadèss ne tiendront pas contre elle.

q Ce changement de nom a pu se produire plus tôt, cf. Jn 1.42 ; Mc 3.16 ; Lc 6.14 ; Gn 17.5. Le mot grec Petros ne servait pas comme nom personnel avant que Jésus eût appelé ainsi le chef des apôtres pour symboliser son rôle dans la fondation de l’Église. Mais son correspondant araméen Kepha (« rocher ») est attesté au moins une fois dans un document d’Éléphantine, 416 av. J.-C.

r Le terme sémitique que traduit ekklèsia signifie « assemblée » et se rencontre souvent dans l’AT pour désigner la communauté du peuple élu, notamment dans le désert, cf. Dt 4.10, etc. ; Ac 7.38. Des cercles juifs se considérant comme le Reste d’Israël (Isa 4.3) des derniers temps, tels les Esséniens de Qumrân, ont ainsi nommé leur groupement. En reprenant ce terme, Matthieu désigne la communauté messianique ; en l’employant parallèlement à celui de « Royaume des Cieux », 4.17, il marque que cette communauté eschatologique commencera déjà sur la terre par une société organisée dont Jésus institue le chef. Cf. Ac 5.11 ; 1 Co 1.2.

s Sur l’Hadès (en hébreu le Sheol), désignation du séjour des morts, cf. Nb 16.33. Ici, ses « Portes » personnifiées évoquent les puissances du Mal qui, après avoir entraîné les hommes dans la mort du péché, les enchaînent définitivement dans la mort éternelle. À la suite de son Maître, mort, « descendu aux Enfers », 1 P 3.19, et ressuscité, Ac 2.27, 31, l’Église aura pour mission d’arracher les élus à l’empire de la mort, temporelle et surtout éternelle, pour les faire entrer dans le Royaume des Cieux, cf. Col 1.3 ; 1 Co 15.26 ; Ap 6.8 ; 20.13.

19 Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux : quoi que tu lies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour lié, et quoi que tu délies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour délié. »t

t Tout comme la Cité de la Mort, la Cité de Dieu a des portes, qui ne laissent entrer que ceux qui en sont dignes ; comparer 23.13. Pierre en reçoit les clefs. Il lui appartiendra donc d’ouvrir ou de fermer l’accès du Royaume des Cieux, par l’intermédiaire de l’Église. — « Lier » et « délier » sont deux termes techniques du langage rabbinique qui s’appliquent premièrement au domaine disciplinaire de l’excommunication dont on « condamne » (lier) ou « absout » (délier) quelqu’un, et ultérieurement aux décisions doctrinales ou juridiques, avec le sens de « défendre » (lier) ou « permettre » (délier). Pierre, en tant que majordome (dont les clefs sont l’insigne, cf. Isa 22.22) de la Maison de Dieu, exercera le pouvoir disciplinaire d’y admettre ou d’en exclure qui il jugera bon, et il administrera la communauté par toutes les décisions opportunes en matière de doctrine et de morale. Sentences et décisions seront ratifiées par Dieu du haut du ciel. — L’exégèse catholique tient que ces promesses éternelles valent, non seulement pour la personne de Pierre, mais aussi pour ses successeurs ; bien que cette conséquence ne soit pas explicitement indiquée dans le texte, elle est cependant légitime en raison de l’intention manifeste qu’a Jésus de pourvoir à l’avenir de son Église par une institution que la mort de Pierre ne saurait rendre caduque. — Deux autres textes, Lc 22.31s et Jn 21.15s, souligneront que la primauté de Pierre doit s’exercer en particulier dans l’ordre de la foi et qu’elle le rend chef, non seulement de l’Église future, mais déjà des autres apôtres.

20 Alors il ordonna aux disciples de ne dire à personne qu’il était le Christ.u

u Vulg. « Jésus Christ ».

Première annonce de la Passion.

21 À dater de ce jour,v Jésus commença de montrer à ses disciples qu’il lui fallait s’en aller à Jérusalem, y souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué et, le troisième jour, ressusciter.

v Après le moment crucial où les disciples font la première profession de foi explicite en la messianité de Jésus, l’Évangile introduit la première annonce de sa Passion au rôle glorieux du Messie il joint le rôle douloureux du Serviteur souffrant. Cette séquence de traditions, qu’on retrouve avec la Transfiguration, suivie d’une consigne de silence et d’une annonce analogues, 17.1-12, prépare la foi des disciples à la crise prochaine de la mort et de la Résurrection de Jésus.

22 Pierre, le tirant à lui, se mit à le morigéner en disant : « Dieu t’en préserve, Seigneur ! Non, cela ne t’arrivera point ! » 23 Mais lui, se retournant, dit à Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! tu me fais obstacle,w car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ! »

w Pierre, en prétendant se mettre en travers de la voie que doit suivre le Messie, lui fait « obstacle » (sens premier du grec skan dalon) et devient le suppôt, inconscient certes, de Satan lui même, cf. 4.1-10.

Conditions pour suivre Jésus.

24 Alors Jésus dit à ses disciples : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive. 25 Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi la trouvera.x

x Ce logion à forme paradoxale et ceux qui le suivent jouent sur deux étapes de la vie humaine présente et future. Le grec psychè, équivalent ici de l’hébreu nephesh, combine les trois sens de vie, âme, personne. Voir Gn 2.7 ; Dt 6.5.

26 Que servira-t-il donc à l’homme de gagner le monde entier, s’il ruine sa propre vie ? Ou que pourra donner l’homme en échange de sa propre vie ?

27 « C’est qu’en effet le Fils de l’homme doit venir dans la gloire de son Père, avec ses anges, et alors il rendra à chacun selon sa conduite.y

y « sa conduite »; var. « ses œuvres ».

28 En vérité je vous le dis : il en est d’ici présents qui ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le Fils de l’homme venant avec son Royaume.

La Transfiguration.z

17 Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques, et Jean son frère, et les emmène, à l’écart, sur une haute montagne.a

z Selon la présentation de Mt, différente de celles de Mc 9.2 et de Lc 9.28, Jésus transfiguré apparaît surtout comme le nouveau Moïse, cf. 4.1, rencontrant Dieu sur un nouveau Sinaï dans la nuée, v. 5 ; Ex 24.15-18, le visage lumineux, v. 2 ; Ex 34.29-35 ; cf. 2 Co 3.7—4.6, assisté des deux personnages de l’AT qui ont bénéficié de révélations sur le Sanaï, Ex 19 ; 33-34 ; 1 R 19.9-13, et qui personnifient la Loi et les Prophètes que Jésus vient accomplir, 5.17. La voix céleste ordonne de l’écouter comme le nouveau Moïse, Dt 18.15 ; cf. Ac 3.20-26, et les disciples se prosternent en révérence du Maître, cf. 28.17. Quand l’apparition se termine, il reste seul, « lui », v. 8, car il suffit comme docteur de la Loi parfaite et définitive. Sa gloire n’est d’ailleurs que transitoire, car il est aussi le « Serviteur », v. 5 Isa 42.1 ; cf. 3.16s, qui doit souffrir et mourir, 16.21 ; 17.22-23, tout comme son Précurseur, vv. 9-13, avant d’entrer définitivement dans la gloire par la Résurrection.

a Le Tabor, d’après l’opinion traditionnelle. Certains pensent au grand Hermon, ou au Carmel, mais c’est surtout une montagne symbolique, un nouveau Sinaï, où s’opère une nouvelle révélation eschatologique.

2 Et il fut transfiguré devant eux : son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière.b

b Var « comme la neige », cf. 28.3.

3 Et voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui. 4 Pierre alors, prenant la parole, dit à Jésus : « Seigneur, il est heureux que nous soyons ici ;c si tu le veux, je vais faired ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. »

c Autre traduction « il nous est bon d’être ici ».

d Vulg. « faisons », cf. Mc et Lc.

5 Comme il parlait encore, voici qu’une nuée lumineuse les prit sous son ombre, et voici qu’une voix disait de la nuée : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur, écoutez-le. » 6 À cette voix, les disciples tombèrent sur leurs faces, tout effrayés. 7 Mais Jésus, s’approchant, les toucha et leur dit : « Relevez-vous, et n’ayez pas peur. » 8 Et eux, levant les yeux, ne virent plus personne que lui, Jésus, seul.

Question au sujet d’Élie.

9 Comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez à personne de cette vision, avant que le Fils de l’homme ne ressuscite d’entre les morts. » 10 Et les disciples lui posèrent cette question : « Que disent donc les scribes, qu’Élie doit venir d’abord ? »e

e Ayant vu le Messie déjà venu, 16.16, et dans sa gloire, 17.1-7, les disciples s’étonnent qu’Élie n’ait pas joué le rôle de Précurseur que lui assignait Malachie. Il l’a joué, répond Jésus, mais en la personne de Jean-Baptiste, que l’on n’a pas reconnu. Voir Lc 1.17.

11 Il répondit : « Oui, Élie doit venir et tout remettre en ordre ; 12 or, je vous le dis, Élie est déjà venu, et ils ne l’ont pas reconnu, mais l’ont traité à leur guise. De même le Fils de l’homme aura lui aussi à souffrir d’eux. » 13 Alors les disciples comprirent que ses paroles visaient Jean le Baptiste.

Le démoniaque épileptique.

14 Comme ils rejoignaient la foule, un homme s’approcha de lui et, s’agenouillant, lui dit : 15 « Seigneur, aie pitié de mon fils, qui est lunatique et va très mal : souvent il tombe dans le feu, et souvent dans l’eau. 16 Je l’ai présenté à tes disciples, et ils n’ont pas pu le guérir. » — 17 « Engeance incrédule et pervertie, répondit Jésus, jusques à quand serai-je avec vous ? Jusques à quand ai-je à vous supporter ? Apportez-le-moi ici. » 18 Et Jésus le menaça, et le démon sortit de l’enfant qui, de ce moment, fut guéri.

19 Alors les disciples, s’approchant de Jésus, dans le privé, lui demandèrent : « Pourquoi nous autres, n’avons-nous pu l’expulser ? » — 20 « Parce que vous avez peu de foi,f leur dit-il. Car, je vous le dis en vérité, si vous avez de la foi gros comme un grain de sénevé, vous direz à cette montagne : Déplace-toi d’ici à là, et elle se déplacera, et rien ne vous sera impossible. »g

f Var. « pas de foi ».

g Add. v. 21 « Quant à cette espèce (de démons), on ne la fait sortir que par la prière et par le jeûne », cf. Mc 9.29.

[21 ]

Deuxième annonce de la Passion.

22 Comme ils se trouvaient réunis en Galilée, Jésus leur dit : « Le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes, 23 et ils le tueront, et, le troisième jour, il ressuscitera. » Et ils en furent tout consternés.

La redevance du Temple acquittée par Jésus et Pierre.

24 Comme ils étaient venus à Capharnaüm, les collecteurs du didrachmeh s’approchèrent de Pierre et lui dirent : « Est-ce que votre maître ne paie pas le didrachme ? » —

h Taxe annuelle et personnelle pour les besoins du Temple.

25 « Mais si », dit-il. Quand il fut arrivé à la maison, Jésus devança ses paroles en lui disant : « Qu’en penses-tu, Simon ? Les rois de la terre, de qui perçoivent-ils taxes ou impôts ? De leurs filsi ou des étrangers ? »

i C’est-à-dire « de leurs sujets », cf. 13.38. Mais Jésus joue sur la métaphore sémitique de « fils » pour se désigner, lui le Fils, cf. 3.17 ; 17.5 et 10.32s ; 11.25-27, etc., et avec lui les disciples qui sont ses frères, 12.50, et les fils du même Père, 5.45, etc. Cf. 4.3.

26 Et comme il répondait : « Des étrangers », Jésus lui dit : « Par conséquent, les fils sont exempts. 27 Cependant, pour ne pas les scandaliser, va à la mer, jette l’hameçon, saisis le premier poisson qui montera, et ouvre-lui la bouche : tu y trouveras un statère ; prends-le et donne-le leur, pour moi et pour toi. »

2. DISCOURS ECCLÉSIASTIQUE

Qui est le plus grand ?

18 À ce moment les disciples s’approchèrent de Jésus et dirent : « Qui donc est le plus grand dans le Royaume des Cieux ? » 2 Il appela à lui un petit enfant, le plaça au milieu d’eux 3 et dit : « En vérité je vous le dis, si vous ne retournez à l’état des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux. 4 Qui donc se fera petit comme ce petit enfant-là, celui-là est le plus grand dans le Royaume des Cieux.

Le scandale.

5 « Quiconque accueille un petit enfant tel que luij à cause de mon nom, c’est moi qu’il accueille.

j C’est-à-dire un homme redevenu enfant par la simplicité, cf. v. 4.

6 Mais si quelqu’un doit scandaliser l’un de ces petits qui croient en moi, il serait préférable pour lui de se voir suspendre autour du cou une de ces meules que tournent les ânes et d’être englouti en pleine mer. 7 Malheur au monde à cause des scandales ! Il est fatal, certes, qu’il arrive des scandales, mais malheur à l’homme par qui le scandale arrive !

8 « Si ta main ou ton pied sont pour toi une occasion de péché,k coupe-les et jette-les loin de toi : mieux vaut pour toi entrer dans la Viel manchot ou estropié que d’être jeté avec tes deux mains ou tes deux pieds dans le feu éternel.

k Littéralement « un scandale », selon l’acception première du terme grec (« occasion de chute », cf. 16.23) que n’évoque plus directement le terme français. — C’est par association verbale fondée sur ce mot que les vv. 8-9 (déjà utilisés en 5.29-30) sont venus s’insérer ici, non sans rompre le contexte.

l La vie éternelle.

9 Et si ton œil est pour toi une occasion de péché, arrache-le et jette-le loin de toi : mieux vaut pour toi entrer borgne dans la Vie que d’être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne de feu.m

m Hébr. Gê-Hinnom, nom d’une vallée de Jérusalem souillée jadis par des sacrifices d’enfants, Lv 18.21, désigna plus tard le lieu maudit, réservé au châtiment des méchants, notre « enfer ».

10 « Gardez-vous de mépriser aucun de ces petits : car, je vous le dis, leurs anges aux cieux voient constamment la facen de mon Père qui est aux cieux

n Expression biblique qui désigne la présence des courtisans devant leur souverain, cf. 2 S 14.24 ; 2 R 25.19 ; Tb 12.15. Ici donc, l’accent est moins sur la contemplation des anges, cf. Ps 11.7, que sur l’assiduité et la familiarité de leur commerce avec Dieu.

[11 ].o

o Add. v. 11 « Car le Fils de l’homme est venu sauver ce qui était perdu », cf. Lc 19.10.

La brebis égarée.

12 « À votre avis, si un homme possède cent brebis et qu’une d’elles vienne à s’égarer, ne va-t-il pas laisser les quatre-vingt-dix neuf autres sur les montagnes pour s’en aller à la recherche de l’égarée ? 13 Et s’il parvient à la retrouver, en vérité je vous le dis, il tire plus de joie d’elle que des quatre-vingt-dix-neuf qui ne se sont pas égarées. 14 Ainsi on ne veut pas, chez votre Père qui est aux cieux, qu’un seul de ces petits se perde.

Correction fraternelle.

15 « Si ton frère vient à pécher,p va le trouver et reprends-le, seul à seul. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère.

p La précision « contre toi », ajoutée par de nombreux témoins, semble à rejeter. Il s’agit d’une faute grave et publique qui n’est pas nécessairement contre celui qui la corrige. Le cas du v. 21 est différent.

16 S’il n’écoute pas, prends encore avec toi un ou deux autres, pour que toute affaire soit décidée sur la parole de deux ou trois témoins. 17 Que s’il refuse de les écouter, dis-le à la communauté.q Et s’il refuse d’écouter même la communauté, qu’il soit pour toi comme le païen et le publicain.r

q L’ekklèsia, c’est-à-dire l’assemblée des frères. Cf 16.18.

r Gens « impurs » avec lesquels les Juifs pieux ne pouvaient frayer, cf. 5.46 ; 9.10. Voir l’excommunication de 1 Co 5.11.

18 « En vérité je vous le dis : tout ce que vous lierez sur la terre sera tenu au ciel pour lié, et tout ce que vous délierez sur la terre sera tenu au ciel pour délié.s

s Extension aux ministres de l’Église (auxquels s’adresse d’abord tout ce discours) d’un des pouvoirs conférés à Pierre.

Prière en commun.

19 « De même, je vous le dis en vérité, si deux d’entre vous, sur la terre, unissent leurs voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux. 20 Que deux ou trois, en effet, soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux. »

Pardon des offenses.t

21 Alors Pierre, s’avançant, lui dit : « Seigneur, combien de fois mon frère pourra-t-il pécher contre moi et devrai-je lui pardonner ? Irai-je jusqu’à sept fois ? »

t À l’exemple de Dieu et de Jésus, Lc 23.34, et comme le faisaient déjà entre eux les Israélites, Lv 19.18-19 ; cf. Ex 21.25, les chrétiens doivent se pardonner mutuellement, 5.39 ; 6.12 (cf. 7.2) ; 2 Co 2.7 ; Ep 4.32 ; Col 3.13, mais « le prochain » s’étend à tout homme, y compris ceux à qui il faut rendre le bien pour le mal, 5.44-45 ; Rm 12.17-21 ; 1 Th 5.15 ; 1 P 3.9 ; cf. Ex 21.25 ; Ps 5.11. Ainsi l’amour couvre une multitude de péchés, Pr 10.12 cité par Jc 5.20 ; 1 P 4.8.

22 Jésus lui dit : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix-sept fois.u

u D’autres entendent « soixante-dix fois sept fois », cf. 6.9.

Parabole du débiteur impitoyable.

23 « À ce propos, il en va du Royaume des Cieux comme d’un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs. 24 L’opération commencée, on lui en amena un qui devait dix mille talents.v

v Près de soixante millions de francs-or somme choisie à dessein comme exorbitante.

25 Cet homme n’ayant pas de quoi rendre, le maître donna l’ordre de le vendre, avec sa femme, ses enfants et tous ses biens, et d’éteindre ainsi la dette. 26 Le serviteur alors se jeta à ses pieds et il s’y tenait prosterné en disant : « Consens-moi un délai, et je te rendrai tout. »

27 Apitoyé, le maître de ce serviteur le relâcha et lui fit remise de sa dette.

28 En sortant, ce serviteur rencontra un de ses compagnons, qui lui devait cent deniers ;w il le prit à la gorge et le serrait à l’étrangler, en lui disant : « Rends tout ce que tu dois. »

w Moins de cent francs-or.

29 Son compagnon alors se jeta à ses pieds et il le suppliait en disant : « Consens-moi un délai, et je te rendrai. » 30 Mais l’autre n’y consentit pas ; au contraire, il s’en alla le faire jeter en prison, en attendant qu’il eût remboursé son dû. 31 Voyant ce qui s’était passé, ses compagnons en furent navrés, et ils allèrent raconter toute l’affaire à leur maître. 32 Alors celui-ci le fit venir et lui dit : « Serviteur méchant, toute cette somme que tu me devais, je t’en ai fait remise, parce que tu m’as supplié ; 33 ne devais-tu pas, toi aussi, avoir pitié de ton compagnon comme moi j’ai eu pitié de toi ? » 34 Et dans son courroux son maître le livra aux tortionnaires, jusqu’à ce qu’il eût remboursé tout son dû. 35 C’est ainsi que vous traitera aussi mon Père céleste, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur. »

VI. L’avènement du Royaume des Cieux

1. SECTION NARRATIVE

Question sur le divorce.

19 Et il advint, quand Jésus eut achevé ces discours, qu’il quitta la Galilée et vint dans le territoire de la Judée au-delà du Jourdain. 2 Des foules nombreuses le suivirent, et là il les guérit. 3 Des Pharisiens s’approchèrent de lui et lui dirent, pour le mettre à l’épreuve : « Est-il permis de répudier sa femme pour n’importe quel motif ? » 4 Il répondit : « N’avez-vous pas lu que le Créateur, dès l’origine, les fit homme et femme, 5 et qu’il a dit : Ainsi donc l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair ? 6 Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Eh bien ! ce que Dieu a uni, l’homme ne doit point le séparer. »x

x Affirmation catégorique de l’indissolubilité du lien conjugal.

7 « Pourquoi donc, lui disent-ils, Moïse a-t-il prescrit de donner un acte de divorce quand on répudie ? » — 8 « C’est, leur dit-il, en raison de votre dureté de cœur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes ; mais dès l’origine il n’en fut pas ainsi. 9 Or je vous le dis : quiconque répudie sa femme — pas pour « prostitution »y — et en épouse une autre, commet un adultère. »

y Étant donné la forme absolue des parallèles Mc 10.11s ; Lc 16.18 et 1 Co 7.10s, il est peu vraisemblable que tous trois aient supprimé une clause restrictive de Jésus, et plus problable qu’un des derniers rédacteurs du premier évangile l’ait ajoutée pour répondre à une certaine problématique rabbinique (discussion entre Hillel et Shammaï sur les motifs légitimant le divorce), évoquée d’ailleurs par son contexte, v. 3, qui pouvait préoccuper le milieu judéo-chrétien pour lequel il écrivait. On aurait donc ici une décision ecclésiastique de portée locale et temporaire, comme fut celle du Décret de Jérusalem concernant la région d’Antioche, Ac 15.23-29. Le sens de porneia oriente la recherche dans la même direction. Certains veulent y voir la fornication dans le mariage, c’est-à-dire l’adultère, et trouvent ici la permission de divorcer en pareil cas ; ainsi les Églises orthodoxes et protestantes. Mais en ce sens on aurait attendu un autre terme, moicheia. Au contraire porneia, dans le contexte, paraît avoir le sens technique de la zenût ou « prostitution » des écrits rabbiniques, dite de toute union rendue incestueuse par un degré de parenté interdit selon la Loi, Lv 18. Dc telles unions, contractées légalement entre païens ou tolérées par les Juifs eux-mêmes chez les prosélytes, ont dû faire difficulté quand ces gens se convertissaient, dans des milieux judéo-chrétiens légalistes comme celui de d’où la consigne de rompre de telles unions irrégulières qui n’étaient en somme que de faux mariages. — Une autre solution envisage que la licence accordée par la clause restrictive ne soit pas celle du divorce, mais de la « séparation » sans remariage. Une telle institution était inconnue du judaïsme, mais les exigences de Jésus ont entraîné plus d’une solution nouvelle, et celle-ci est déjà clairement supposée par Paul en 1 Co 7.11.

La continence volontaire.

10 Les disciples lui disent : « Si telle est la condition de l’homme envers la femme, il n’est pas expédient de se marier. » 11 Il leur dit : « Tous ne comprennent pas ce langage, mais ceux-là à qui c’est donné. 12 Il y a, en effet, des eunuques qui sont nés ainsi du sein de leur mère, il y a des eunuques qui le sont devenus par l’action des hommes, et il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes rendus tels à cause du Royaume des Cieux. Qui peut comprendre, qu’il comprenne ! »z

z Jésus invite à la continence perpétuelle ceux qui veulent se consacrer exclusivement au Royaume des Cieux.

Jésus et les petits enfants.

13 Alors des petits enfants lui furent présentés, pour qu’il leur imposât les mains en priant ; mais les disciples les rabrouèrent. 14 Jésus dit alors : « Laissez les petits enfants et ne les empêchez pas de venir à moi ; car c’est à leurs pareils qu’appartient le Royaume des Cieux. » 15 Puis il leur imposa les mains et poursuivit sa route.

Le jeune homme riche.

16 Et voici qu’un homme s’approcha et lui dit : « Maître,a que dois-je faire de bon pour obtenir la vie éternelle ? »

a Var. « Bon Maître », cf. Mc et Lc.

17 Il lui dit : « Qu’as-tu à m’interroger sur ce qui est bon ? Un seul est le Bon.b Que si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements. » —

b C’est-à-dire Dieu, comme le précisent Mc et Lc, et ici Vulg. — Autre leçon, empruntée à Mc et Lc « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Nul n’est bon que Dieu seul ».

18 « Lesquels ? » lui dit-il. Jésus reprit : « Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas d’adultère, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage, 19 honore ton père et ta mère, et tu aimeras ton prochain comme toi-même. » — 20 « Tout cela, lui dit le jeune homme, je l’ai observé ;c que me manque-t-il encore ? » —

c Add. « dès ma jeunesse », cf. Mc et Lc.

21 Jésus lui déclara : « Si tu veux être parfait,d va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux ; puis viens, suis-moi. »

d Jésus n’institue pas ici une catégorie de « parfaits », supérieurs aux chrétiens ordinaires. La « perfection » envisagée est celle de l’économie nouvelle, qui surpasse l’ancienne en l’accomplissant, cf. 5.17. Tous y sont également appelés, cf. 5.48. Mais, pour établir le Royaume, Jésus a besoin de collaborateurs spécialement disponibles ; c’est à eux qu’il demande de renoncer radicalement aux soucis de la famille, 8.21-22, et des richesses, 8.19-20.

22 Entendant cette parole, le jeune homme s’en alla contristé, car il avait de grands biens.

Le danger des richesses.

23 Jésus dit alors à ses disciples : « En vérité, je vous le dis, il sera difficile à un riche d’entrer dans le Royaume des Cieux. 24 Oui, je vous le répète, il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume des Cieux. » 25 Entendant cela, les disciples restèrent tout interdits : « Qui donc peut être sauvé ? » disaient-ils. 26 Fixant son regard, Jésus leur dit : « Pour les hommes c’est impossible, mais pour Dieu tout est possible. »

Récompense promise au détachement.

27 Alors, prenant la parole, Pierre lui dit : « Voici que nous, nous avons tout laissé et nous t’avons suivi, quelle sera donc notre part ? » 28 Jésus leur dit : « En vérité je vous le dis, à vous qui m’avez suivi : dans la régénération,e quand le Fils de l’homme siégera sur son trône de gloire, vous siégerez vous aussi sur douze trônes, pour jugerf les douze tribus d’Israël.

e Il s’agit du renouveau messianique qui se manifestera à la fin du monde, mais qui sera déjà commencé, sur un mode spirituel, par la Résurrection du Christ et son règne dans l’Église. Cf. Ac 3.21.

f Au sens biblique pour « gouverner ». Les « douze tribus » désignent l’Israël nouveau, l’Église.

29 Et quiconque aura laissé maisons, frères, sœurs, père, mère, enfantsg ou champs, à cause de mon nom, recevra bien davantage et aura en héritage la vie éternelle.

g Add. « femme ».

30 « Beaucoup de premiers seront derniers, et de derniers seront premiers. »

Parabole des ouvriers envoyés à la vigne.h

20 « Car il en va du Royaume des Cieux comme d’un propriétaire qui sortit au point du jour afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne.

h En embauchant jusqu’au soir des ouvriers sans travail et en leur donnant à tous plein salaire, le maître de la vigne fait preuve d’une bonté qui va plus loin que la justice, sans d’ailleurs léser celle-ci. Tel est Dieu, qui introduit dans son Royaume des tard-venus comme les pécheurs et les païens. Les appelés de la première heure (les Juifs bénéficaires de l’Alliance depuis Abraham) ne doivent pas s’en scandaliser.

2 Il convint avec les ouvriers d’un denier pour la journée et les envoya à sa vigne. 3 Sorti vers la troisième heure, il en vit d’autres qui se tenaient, désœuvrés, sur la place, 4 et à ceux-là il dit : « Allez, vous aussi, à la vigne, et je vous donnerai un salaire équitable. » 5 Et ils y allèrent. Sorti de nouveau vers la sixième heure, puis vers la neuvième heure, il fit de même. 6 Vers la onzième heure, il sortit encore, en trouva d’autres qui se tenaient là et leur dit : « Pourquoi restez-vous ici tout le jour sans travailler ? » — 7 « C’est que, lui disent-ils, personne ne nous a embauchés. » Il leur dit : « Allez, vous aussi, à la vigne. » 8 Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : « Appelle les ouvriers et remets à chacun son salaire, en remontant des derniers aux premiers. » 9 Ceux de la onzième heure vinrent donc et touchèrent un denier chacun. 10 Les premiers, venant à leur tour, pensèrent qu’ils allaient toucher davantage ; mais c’est un denier chacun qu’ils touchèrent, eux aussi. 11 Tout en le recevant, ils murmuraient contre le propriétaire : 12 « Ces derniers venus n’ont fait qu’une heure, et tu les as traités comme nous, qui avons porté le fardeau de la journée, avec sa chaleur. » 13 Alors il répliqua en disant à l’un d’eux : « Mon ami, je ne te lèse en rien : n’est-ce pas d’un denier que nous sommes convenus ? 14 Prends ce qui te revient et va-t’en. Il me plaît de donner à ce dernier venu autant qu’à toi : 15 n’ai-je pas le droit de disposer de mes biens comme il me plaît ? Ou faut-il que tu sois jaloux parce que je suis bon ? » 16 Voilà comment les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. »i

i Add. « Car beaucoup sont appelés, mais peu élus », sans doute par emprunt à 22.14.

Troisième annonce de la Passion.

17 Devant monter à Jérusalem, Jésus prit avec lui les Douze en particulier et leur dit pendant la route : 18 « Voici que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l’homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes ; ils le condamneront à mort 19 et le livreront aux païens pour être bafoué, flagellé et mis en croix ; et le troisième jour, il ressuscitera. »

Demande de la mère des fils de Zébédée.

20 Alors la mère des fils de Zébédée s’approcha de lui, avec ses fils, et se prosterna pour lui demander quelque chose. 21 « Que veux-tu ? » lui dit-il. Elle lui dit : « Ordonne que mes deux fils que voici siègent, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ton Royaume. »j

j Les apôtres attendent pour le Royaume du Christ une manifestation immédiate et glorieuse qui sera en fait reportée à son second avènement, cf. 4.17 ; Ac 1.6.

22 Jésus répondit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupek que je vais boire ? » Ils lui disent : « Nous le pouvons. » —

k Métaphore biblique, cf. Isa 51.17, qui désigne ici la Passion prochaine.

23 « Soit, leur dit-il, vous boirez ma coupe ;l quant à siéger à ma droite et à ma gauche, il ne m’appartient pas d’accorder cela, mais c’est pour ceux à qui mon Père l’a destiné. »m

l Jacques, fils de Zébédée, fut mis à mort par Hérode Agrippa, vers 44, Ac 12.2. S’il n’a pas lui-même subi le martyre, Jean son frère n’en fut pas moins étroitement associé aux souffrances du Maître.

m La mission du Christ sur terre n’est pas de distribuer aux hommes des récompenses, mais de souffrir pour les sauver, cf. Jn 3.17 ; 12.47.

Les chefs doivent servir.

24 Les dix autres, qui avaient entendu, s’indignèrent contre les deux frères.

25 Les ayant appelés près de lui, Jésus dit : « Vous savez que les chefs des nations dominent sur elles en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir. 26 Il n’en doit pas être ainsi parmi vous : au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous, sera votre serviteur, 27 et celui qui voudra être le premier d’entre vous, sera votre esclave. 28 C’est ainsi que le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançonn pour une multitude. »o

n Les péchés des hommes entraînent une dette à l’égard de la Justice divine, la peine de mort exigée par la Loi, 1 Co 15.56 ; 2 Co 3.7, 9 ; Ga 3.13 ; Rm 8.3-4 (et les notes). Pour les affranchir de cet esclavage du péché et de la mort, Rm 3.24, Jésus paiera la rançon et acquittera la dette en versant le prix de son sang, 1 Co 6.20 ; 7.23 ; Ga 3.13 ; 4.5 (et les notes), c’est-à-dire en mourant à la place des coupables, ainsi qu’il était annoncé du « Serviteur de Yahvé », Isa 53. Le terme sémitique que traduit « une multitude », Isa 53.11s, oppose le grand nombre des rachetés à l’unique Rédempteur, sans impliquer que ce nombre soit limité, Rm 5.6-21. Cf. 26.28.

o Des témoins ajoutent ici un passage qui provient sans doute de quelque évangile apocryphe « Mais vous, vous cherchez de petits à devenir grands, et de grands vous vous rendez petits. Lorsque vous venez à un banquet auquel on vous a invités, ne prenez pas les places d’honneur, de peur que survienne un plus digne que toi et que le maître du banquet vienne te dire « Recule vers le bas », et tu seras couvert de confusion. Mais si tu prends la place inférieure, et que survienne un moins digne que toi, le maître du banquet te dira « Avance vers le haut », et cela te sera avantageux ». Cf. Lc 14.8-10.

Les deux aveugles de Jéricho.

29 Comme ils sortaient de Jéricho, une foule nombreuse le suivit. 30 Et voici que deux aveugles étaient assis au bord du chemin ; quand ils apprirent que Jésus passait, ils s’écrièrent : « Seigneur ! aie pitié de nous, fils de David ! » 31 La foule les rabroua pour leur imposer silence ; mais ils redoublèrent leurs cris : « Seigneur ! aie pitié de nous, fils de David ! » 32 Jésus, s’arrêtant, les appela et dit : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » Ils lui disent : 33 « Seigneur, que nos yeux s’ouvrent ! » 34 Pris de pitié, Jésus leur toucha les yeux et aussitôt ils recouvrèrent la vue. Et ils se mirent à sa suite.

Entrée messianique à Jérusalem.

21 Quand ils approchèrent de Jérusalem et arrivèrent en vue de Bethphagé, au mont des Oliviers, alors Jésus envoya deux disciples 2 en leur disant : « Rendez-vous au village qui est en face de vous ; et aussitôt vous trouverez, à l’attache, une ânesse avec son ânon près d’elle ; détachez-la et amenez-les-moi. 3 Et si quelqu’un vous dit quelque chose, vous direz : « Le Seigneur en a besoin, mais aussitôt il les renverra ». » 4 Ceci advint pour que s’accomplît l’oracle du prophète :

5 Dites à la fille de Sion :
Voici que ton Roi vient à toi ;
modeste, il monte une ânesse,
et un ânon, petit d’une bête de somme.
p

p Dans la pensée du prophète, cet attirail modeste du Roi messianique devait manifester le caractère humble et pacifique de son règne. Matthieu applique cette prophétie à Jésus, Messie humble.

6 Les disciples allèrent donc et, faisant comme leur avait ordonné Jésus, 7 ils amenèrent l’ânesse et l’ânon. Puis ils disposèrent sur eux leurs manteaux et Jésus s’assit dessus. 8 Alors les gens, en très nombreuse foule, étendirent leurs manteaux sur le chemin ; d’autres coupaient des branches aux arbres et en jonchaient le chemin. 9 Les foules qui marchaient devant lui et celles qui suivaient criaient :

« Hosannaq au fils de David !
Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !
Hosanna au plus haut des cieux ! »

q Terme hébraïque (au sens premier « Sauve donc ») devenu une acclamation, cf. Ps 118.26.

10 Quand il entra dans Jérusalem, toute la ville fut agitée. « Qui est-ce ? » disait-on, 11 et les foules disaient : « C’est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée. »

Les vendeurs chassés du Temple.

12 Puis Jésus entra dans le Temple et chassa tous les vendeurs et acheteurs qui s’y trouvaient : il culbuta les tables des changeurs, ainsi que les sièges des marchands de colombes.r

r Ils fournissaient aux pèlerins la monnaie et les victimes requises pour les offrandes. Mais cet usage légitime donnait lieu à des abus.

13 Et il leur dit : « Il est écrit : Ma maison sera appelée une maison de prière. Mais vous, vous en faites un repaire de brigands ! » 14 Il y eut aussi des aveugles et des boiteux qui s’approchèrent de lui dans le Temple, et il les guérit. 15 Voyant les prodiges qu’il venait d’accomplir et ces enfants qui criaient dans le Temple : « Hosanna au fils de David ! », les grands prêtres et les scribes furent indignés 16 et ils lui dirent : « Tu entends ce qu’ils disent, ceux-là ? » — « Parfaitement, leur dit Jésus ; n’avez-vous jamais lu ce texte :

De la bouche des tout-petits et des nourrissons,
tu t’es ménagé une louange ?
 »

17 Et les laissant, il sortit de la ville pour aller à Béthanie, où il passa la nuit.

Le figuier stérile et desséché. Foi et prière.

18 Comme il rentrait en ville de bon matin, il eut faim. 19 Voyant un figuier près du chemin, il s’en approcha, mais n’y trouva rien que des feuilles. Il lui dit alors : « Jamais plus tu ne porteras de fruit ! » Et à l’instant même le figuier devint sec.s

s « Ce n’était pas la saison des figues », dit Mc. comme ont fait les prophètes, cf. Jr 18.1, pour mettre Israël désobéissant en garde ; cf. Jr 8.13. Jésus a voulu faire un geste symbolique.

20 À cette vue, les disciples dirent tout étonnés : « Comment, en un instant, le figuier est-il devenu sec ? » 21 Jésus leur répondit : « En vérité je vous le dis, si vous avez une foi qui n’hésite point, non seulement vous ferez ce que je viens de faire au figuier, mais même si vous dites à cette montagne : « Soulève-toi et jette-toi dans la mer », cela se fera. 22 Et tout ce que vous demanderez dans une prière pleine de foi, vous l’obtiendrez. »

Question des Juifs sur l’autorité de Jésus.

23 Il était entré dans le Temple et il enseignait, quand les grands prêtres et les anciens du peuple s’approchèrent et lui dirent : « Par quelle autorité fais-tu cela ?t Et qui t’a donné cette autorité ? »

t Les actes insolites que Jésus vient de permettre dans le Temple même triomphe messianique, expulsion des trafiquants, guérisons miraculeuses.

24 Jésus leur répondit : « De mon côté, je vais vous poser une question, une seule ; si vous m’y répondez, moi aussi je vous dirai par quelle autorité je fais cela. 25 Le baptême de Jean, d’où était-il ? Du Ciel ou des hommes ? » Mais ils se faisaient en eux-mêmes ce raisonnement : « Si nous disons : « Du Ciel », il nous dira : « Pourquoi donc n’avez-vous pas cru en lui ? »

26 Et si nous disons : « Des hommes », nous avons à craindre la foule, car tous tiennent Jean pour un prophète. » 27 Et ils firent à Jésus cette réponse : « Nous ne savons pas. » De son côté il répliqua : « Moi non plus, je ne vous dis pas par quelle autorité je fais cela. »

Parabole des deux enfants.

28 « Mais dites-moi votre avis. Un homme avait deux enfants. S’adressant au premier, il dit : « Mon enfant, va-t’en aujourd’hui travailler à la vigne. » — 29 « Je ne veux pas », répondit-il ; ensuite pris de remords, il y alla. 30 S’adressant au second, il dit la même chose ; l’autre répondit : « Entendu, Seigneur », et il n’y alla point. 31 Lequel des deux a fait la volonté du père ? » — « Le premier », disent-ils. Jésus leur dit : « En vérité je vous le dis, les publicains et les prostituées arrivent avant vous au Royaume de Dieu. 32 En effet, Jean est venu à vous dans la voie de la justice,u et vous n’avez pas cru en lui ; les publicains, eux, et les prostituées ont cru en lui ; et vous, devant cet exemple, vous n’avez même pas eu un remords tardif qui vous fît croire en lui. »

u Expression biblique Jean pratiquait et prêchait cette conformité à la volonté de Dieu qui rend l’homme « juste ».

Parabole des vignerons homicides.v

33 « Écoutez une autre parabole. Un homme était propriétaire, et il planta une vigne ; il l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et y bâtit une tour ; puis il la loua à des vignerons et partit en voyage.

v On dirait mieux une « allégorie », car chaque trait du récit a sa signification le propriétaire est Dieu ; la vigne, le peuple élu, Israël, cf. Isa 5.1 ; les serviteurs, les prophètes ; le fils, Jésus, tué hors des murs de Jérusalem ; les vignerons homicides, les Juifs infidèles ; l’autre peuple à qui sera confiée la vigne, les païens et les juifs croyants.

34 Quand approcha le moment des fruits, il envoya ses serviteurs aux vignerons pour en recevoir les fruits. 35 Mais les vignerons se saisirent de ses serviteurs, battirent l’un, tuèrent l’autre, en lapidèrent un troisième. 36 De nouveau il envoya d’autres serviteurs, plus nombreux que les premiers, et ils les traitèrent de même. 37 Finalement il leur envoya son fils, en se disant : « Ils respecteront mon fils. » 38 Mais les vignerons, en voyant le fils, se dirent par-devers eux : « Celui-ci est l’héritier : venez ! tuons-le, que nous ayons son héritage. » 39 Et, le saisissant, ils le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent. 40 Lors donc que viendra le maître de la vigne, que fera-t-il à ces vignerons-là ? » 41 Ils lui disent : « Il fera misérablement périr ces misérables, et il louera la vigne à d’autres vignerons, qui lui en livreront les fruits en leur temps. » 42 Jésus leur dit : « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures :

La pierre qu’avaient rejetée les bâtisseurs
c’est elle qui est devenue pierre de faîte ;
c’est là l’œuvre du Seigneur
et elle est admirable à nos yeux ?
w

w Ce verset est bien dans la perspective de Mt, pour qui c’est l’Église, génération nouvelle de croyants, qui prend la relève d’Israël (cf. Jr 7.27-28).

43 Aussi, je vous le dis : le Royaume de Dieu vous sera retiré pour être confié à un peuple qui lui fera produire ses fruits. » 44 Celui qui tombera sur cette pierre s’y fracassera et celui sur qui elle tombera, elle l’écrasera.x

x Ce verset est absent des mss occidentaux, peut-être parce que leurs scribes y voyaient une reprise de Lc 20.18. Le verset est à retenir parce qu’il rend plus explicite l’allusion à Dn 2.34s, 44s.

45 Les grands prêtres et les Pharisiens, en entendant ses paraboles, comprirent bien qu’il les visait.

46 Mais, tout en cherchant à l’arrêter, ils eurent peur des foules, car elles le tenaient pour un prophète.

Parabole du festin nuptial.y

22 Et Jésus se remit à leur parler en paraboles :

y Parabole parsemée de traits allégoriques comme la précédente, et qui comporte la même leçon le roi est Dieu, le festin de noces est la félicité messianique, le fils du roi étant le Messie ; les envoyés sont les prophètes et les apôtres ; les invités qui les négligent ou les outragent sont les Juifs ; ceux qu’on appelle de la rue sont les pécheurs et les païens ; l’incendie de la ville, c’est la ruine de Jérusalem. — À partir du v. 11, la scène change et il s’agit alors du Jugement dernier. Il semble que a combiné deux paraboles, l’une analogue à celle de Lc 14.16-24, l’autre dont on trouve vv. 11s la conclusion l’homme qui répond à l’invitation doit porter la tenue de noces ; les œuvres de justice doivent accompagner la foi, cf. 3.8 ; 5.20 ; 7.21s ; 13.47s ; 21.28s.

2 « Il en va du Royaume des Cieux comme d’un roi qui fit un festin de noces pour son fils. 3 Il envoya ses serviteurs convier les invités aux noces, mais eux ne voulaient pas venir. 4 De nouveau il envoya d’autres serviteurs avec ces mots : « Dites aux invités : « Voici, j’ai apprêté mon banquet, mes taureaux et mes bêtes grasses ont été égorgés, tout est prêt, venez aux noces. » 5 Mais eux, n’en ayant cure, s’en allèrent, qui à son champ, qui à son commerce ; 6 et les autres, s’emparant des serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent. 7 Le roi fut pris de colère et envoya ses troupes qui firent périr ces meurtriers et incendièrent leur ville. 8 Alors il dit à ses serviteurs : « La noce est prête, mais les invités n’en étaient pas dignes. 9 Allez donc aux départs des chemins, et conviez aux noces tous ceux que vous pourrez trouver. » 10 Ces serviteurs s’en allèrent par les chemins, ramassèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, les mauvais comme les bons, et la salle de noces fut remplie de convives.

11 « Le roi entra alors pour examiner les convives, et il aperçut là un homme qui ne portait pas la tenue de noces. 12 « Mon ami, lui dit-il, comment es-tu entré ici sans avoir une tenue de noces ? » L’autre resta muet. 13 Alors le roi dit aux valets : « Jetez-le, pieds et poings liés, dehors, dans les ténèbres : là seront les pleurs et les grincements de dents. » 14 Car beaucoup sont appelés, mais peu sont élus.z

z Cette sentence semble se rapporter à la première partie de la parabole plutôt qu’à la seconde. Ce n’est pas des élus en général qu’il s’agit, mais des Juifs, les premiers invités. La parabole ne dit pas, mais n’exclut pas non plus, que quelque « peu » d’entre eux ont répondu et sont élus, cf. 24.22.

L’impôt dû à César.

15 Alors les Pharisiens allèrent se concerter en vue de le surprendre en parole ;

16 et ils lui envoient leurs disciples, accompagnés des Hérodiens,a pour lui dire : « Maître, nous savons que tu es véridique et que tu enseignes la voie de Dieu en vérité sans te préoccuper de qui que ce soit, car tu ne regardes pas au rang des personnes.

a Partisans de la dynastie des Hérodes, Mc 3.6, tout désignés pour aller déférer à l’autorité romaine le mot hostile à César qu’on espérait faire dire à Jésus.

17 Dis-nous donc ton avis : Est-il permis ou non de payer l’impôt à César ? » 18 Mais Jésus, connaissant leur perversité, riposta : « Hypocrites ! pourquoi me tendez-vous un piège ? 19 Faites-moi voir l’argent de l’impôt. » Ils lui présentèrent un denier 20 et il leur dit : « De qui est l’effigie que voici ? Et l’inscription ? » Ils disent : 21 « De César. » Alors il leur dit : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »b

b Puisqu’ils acceptent pratiquement l’autorité et les bienfaits du pouvoir romain, dont cette monnaie est le symbole, ils peuvent et même doivent lui rendre l’hommage de leur obéissance et de leurs biens, sans préjudice de ce qu’ils doivent par ailleurs à l’autorité supérieure de Dieu.

22 À ces mots ils furent tout surpris et, le laissant, ils s’en allèrent.

La résurrection des morts.

23 Ce jour-là, des Sadducéens, gens qui disent qu’il n’y a pas de résurrection,c s’approchèrent de lui et l’interrogèrent en disant :

c Cette secte, 3.7, s’en tenait strictement à la tradition écrite, surtout du Pentateuque, et assurait n’y pas trouver la doctrine de la résurrection de la chair, cf. 2 M 7.9. Les Pharisiens s’opposaient à eux sur ce point. Cf. Ac 4.1 ; 23.8.

24 « Maître, Moïse a dit : Si quelqu’un meurt sans avoir d’enfants, son frère épousera la femme, sa belle-sœur, et suscitera une postérité à son frère. 25 Or il y avait chez nous sept frères. Le premier se maria, puis mourut sans postérité, laissant sa femme à son frère. 26 Pareillement le deuxième, puis le troisième, jusqu’au septième. 27 Finalement, après eux tous, la femme mourut. 28 À la résurrection, duquel des sept sera-t-elle donc la femme ? Car tous l’auront eue. » 29 Jésus leur répondit : « Vous êtes dans l’erreur, en ne connaissant ni les Écritures ni la puissance de Dieu. 30 À la résurrection, en effet, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans le ciel. 31 Quant à ce qui est de la résurrection des morts, n’avez-vous pas lu l’oracle dans lequel Dieu vous dit :

32 Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ? Ce n’est pas de morts mais de vivants qu’il est le Dieu ! »d

d Quand Dieu accorde sa protection à un individu ou à un peuple au point de devenir « son Dieu », ce ne peut être d’une manière imparfaite et éphémère qui le laisse retourner au néant. Cette exigence d’éternité de la part de l’amour divin ne fut pas clairement perçue aux débuts de la révélation biblique, d’où cette croyance à un « shéol » sans résurrection (Isa 38.10-20 ; Ps 6.6 ; 88.11-13), à laquelle le traditionalisme conservateur des Sadducéens, Ac 28.8, prétendait rester fidèle. Mais le progrès de la Révélation a peu a peu compris et satisfait cette exigence, Ps 16.10-11 ; 49.16 ; 73.24, en annonçant le retour à la vie. Sg 3.1-9, de tout homme, sauvé jusque dans son corps. Dn 12.2-3 ; 2 M 7.9s ; 12.43-46 ; 14.46. C’est cette révélation ultime que Jésus sanctionne par son interprétation de Ex 3.6.

33 Et les foules, qui avaient entendu, étaient frappées de son enseignement.

Le plus grand commandement.

34 Apprenant qu’il avait fermé la bouche aux Sadducéens, les Pharisiens se réunirent en groupe, 35 et l’un d’euxe lui demanda pour l’embarrasser :

e Add. « un légiste », sans doute emprunté à Lc 10.25.

36 « Maître, quel est le plus grand commandement de la Loi ? » 37 Jésus lui dit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit : 38 voilà le plus grand et le premier commandement. 39 Le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même.f

f Ces deux préceptes de l’amour, de Dieu et du prochain, se trouvent également associés dans la Didachè 1.2, qui pourrait reprendre ici un traité juif des Deux Voies, cf. 7.13.

40 À ces deux commandements se rattache toute la Loi, ainsi que les Prophètes. »

Le Christ, fils et Seigneur de David.

41 Comme les Pharisiens se trouvaient réunis, Jésus leur posa cette question :

42 « Quelle est votre opinion au sujet du Christ ? De qui est-il fils ? » Ils lui disent : « De David. » — 43 « Comment donc, dit-il, David parlant sous l’inspiration l’appelle-t-il Seigneur quand il dit :

44 Le Seigneur a dit à mon Seigneur :
Siège à ma droite,
jusqu’à ce que j’aie mis tes ennemis
dessous tes pieds ?

45 Si donc David l’appelle Seigneur, comment est-il son fils ? » 46 Nul ne fut capable de lui répondre un mot.g Et à partir de ce jour personne n’osa plus l’interroger.

g La juste réponse eût été que, tout en descendant de David par ses origines humaines, cf. 1.1-17, le Messie avait aussi un caractère divin qui le rendait supérieur à David et que celui-ci avait prophétisé.

Hypocrisie et vanité des scribes et des Pharisiens.h

23 Alors Jésus s’adressa aux foules et à ses disciples en disant :

h Le discours eschatologique de combine l’annonce de la ruine de Jérusalem avec celle de la fin de l’âge. Pour cela le discours de Mc, qui ne concernait que le premier événement, est complété d’une triple façon : 1° addition des vv. 26-28, 37-41, pris d’un discours sur le Jour du Fils de l’homme, que Luc utilise de son côté, Lc 17.22-37 ; 2° retouches qui introduisent les thèmes de la « Parousie », vv. 3, 27, 37, 39 (jamais ailleurs dans les Évangiles, cf. 24.3 ; 1 Co 15.23), de la « Fin de l’âge », v. 3 ; cf. 13.39, 40, 49, et du « signe du Fils de l’homme » qui touche toutes les races de la terre, v. 30 ; 3° addition, en fin du discours, de plusieurs paraboles sur la vigilance, 24.42—25.30, qui préparent le retour de Jésus et le grand Jugement eschatologique, 25.31-46. La ruine de Jérusalem marque la fin d’une ère et en inaugure une nouvelle de l’histoire ?

2 « Sur la chaire de Moïse se sont assis les scribes et les Pharisiens : 3 faites donc et observez tout ce qu’ils pourront vous dire,i mais ne vous réglez pas sur leurs actes : car ils disent et ne font pas.

i En tant qu’ils transmettent la doctrine traditionnelle reçue de Moïse. Ceci n’engage pas leurs interprétations personnelles, dont Jésus a montré par ailleurs ce qu’il faut penser, cf. 15.1-20 ; 16.6 ; 19.3-9.

4 Ils lient de pesants fardeaux et les imposent aux épaules des gens, mais eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt. 5 En tout ils agissent pour se faire remarquer des hommes. C’est ainsi qu’ils font bien larges leurs phylactères et bien longues leurs franges.j

j Phylactères petites boîtes renfermant les paroles essentielles de la Loi, que les Juifs attachaient à leur bras ou à leur front, en obéissance aux injonctions de cette même Loi, voir Ex 13.9, 16 ; Dt 6.8 ; 11.18. Franges houppes attachées aux coins du manteau, cf. Nb 15.38 ; 9.20.

6 Ils aiment à occuper le premier divan dans les festins et les premiers sièges dans les synagogues, 7 à recevoir les salutations sur les places publiques et à s’entendre appeler « Rabbi »k par les gens.

k Mot hébreu signifiant « mon grand », « mon Seigneur », modelé sur l’araméen « ribboni, rabbouni », titre respectueux comme « monseigneur », puis, après 70, titre habituel des docteurs juifs, comme ici. Pour l’usage ancien, voir Mc 9.5 p.

8 « Pour vous,l ne vous faites pas appeler « Rabbi » : car vous n’avez qu’un Maître, et tous vous êtes des frères.

l Les vv. 8-12, adressés aux seuls disciples, n’appartiennent sans doute pas primitivement au même discours.

9 N’appelez personne votre « Père »m sur la terre : car vous n’en avez qu’un, le Père céleste.

m En araméen Abba, autre titre honorifique.

10 Ne vous faites pas non plus appeler « Directeurs » :n car vous n’avez qu’un Directeur, le Christ.

n Jésus fait peut-être allusion au chef religieux de la communauté de Qumrân, le « Directeur juste », appelé communément « Maître de justice ».

11 Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. 12 Quiconque s’élèvera sera abaissé, et quiconque s’abaissera sera élevé.

Sept malédictions aux scribes et aux Pharisiens.

13 « Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui fermez aux hommes le Royaume des Cieux ! Vous n’entrez certes pas vous-mêmes, et vous ne laissez même pas entrero ceux qui le voudraient. !

o Les exigences de la casuistique rabbinique rendaient difficile l’observation de la Loi.

[14 ].p

p Add. v. 14 « Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui dévorez les biens des veuves, tout en affectant de faire de longues prières vous subirez de ce fait une condamnation plus sévère », interpolation empruntée à Mc 12.40 ; Lc 20.47, et porte à huit le chiffre intentionnel de sept malédictions, cf. 6.9.

15 « Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui parcourez mers et continents pour gagner un prosélyte,q et, quand vous l’avez gagné, vous le rendez digne de la géhenne deux fois plus que vous !

q Païen converti au judaïsme. Le prosélytisme juif dans le monde gréco-romain était très actif. Cf. Ac 2.11.

16 « Malheur à vous, guides aveugles, qui dites :r « Si l’on jure par le sanctuaire, cela ne compte pas ; mais si l’on jure par l’or du sanctuaire, on est tenu. »

r Il s’agit ici des vœux. Pour en dégager ceux qui les avaient imprudemment contractés, les rabbins recouraient à de subtiles arguties.

17 Insensés et aveugles ! quel est donc le plus digne, l’or ou le sanctuaire qui a rendu cet or sacré ? 18 Vous dites encore : « Si l’on jure par l’autel, cela ne compte pas ; mais si l’on jure par l’offrande qui est dessus, on est tenu. » 19 Aveugles ! quel est donc le plus digne, l’offrande ou l’autel qui rend cette offrande sacrée ? 20 Aussi bien, jurer par l’autel, c’est jurer par lui et par tout ce qui est dessus ; 21 jurer par le sanctuaire, c’est jurer par lui et par Celui qui l’habite ; 22 jurer par le ciel, c’est jurer par le trône de Dieu et par Celui qui y siège.

23 « Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui acquittez la dîme de la menthe, du fenouil et du cumin,s après avoir négligé les points les plus graves de la Loi, la justice, la miséricorde et la bonne foi ; c’est ceci qu’il fallait pratiquer, sans négliger cela.

s Le précepte mosaïque de la dîme à prélever sur les produits de la terre était appliqué par les rabbins avec exagération aux plantes les plus insignifiantes.

24 Guides aveugles, qui arrêtez au filtre le moustique et engloutissez le chameau.

25 « Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui purifiez l’extérieur de la coupe et de l’écuelle, quand l’intérieur en est rempli par rapinet et intempérance !

t Var. « à l’intérieur vous êtes remplis ». — « intempérance »; var. « iniquité », « impureté », « cupidité ».

26 Pharisien aveugle ! purifie d’abord l’intérieur de la coupe et de l’écuelle, afin que l’extérieur aussi devienne pur.

27 « Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui ressemblez à des sépulcres blanchis : au-dehors ils ont belle apparence, mais au-dedans ils sont pleins d’ossements de morts et de toute pourriture ; 28 vous de même, au-dehors vous offrez aux yeux des hommes l’apparence de justes, mais au-dedans vous êtes pleins d’hypocrisie et d’iniquité.

29 « Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui bâtissez les sépulcres des prophètes et décorez les tombeaux des justes, 30 tout en disant : « Si nous avions vécu du temps de nos pères, nous ne nous serions pas joints à eux pour verser le sang des prophètes. » 31 Ainsi, vous en témoignez contre vous-mêmes, vous êtes les fils de ceux qui ont assassiné les prophètes ! 32 Eh bien ! vous, comblez la mesure de vos pères !u

u Allusion à la mort prochaine de Jésus lui-même, cf. 21.38s.

Crimes et châtiments prochains.

33 « Serpents, engeance de vipères ! comment pourrez-vous échapper à la condamnation de la géhenne ? 34 C’est pourquoi, voici que j’envoie vers vous des prophètes, des sages et des scribes :v vous en tuerez et mettrez en croix, vous en flagellerez dans vos synagogues et pourchasserez de ville en ville,

v Termes d’origine biblique, mais appliqués ici aux missionnaires chrétiens, cf. 10.41 ; 13.52.

35 pour que retombe sur vous tout le sang innocent répandu sur la terre, depuis le sang de l’innocent Abel jusqu’au sang de Zacharie, fils de Barachie,w que vous avez assassiné entre le sanctuaire et l’autel !

w Il s’agit vraisemblablement du Zacharie de 2 Ch 24.20-22. Son meurtre est le dernier raconté dans la Bible (2 Ch étant le dernier livre du Canon juif), tandis que celui d’Abel, Gn 4.8, est le premier. « Fils de Barachie » vient peut-être de la confusion avec un autre Zacharie, cf. Isa 8.2 (LXX) ; Za 1.1. Ou bien ces mots sont une glose de copiste.

36 En vérité, je vous le dis, tout cela va retomber sur cette génération !

Apostrophe à Jérusalem.

37 « Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètesx et lapides ceux qui te sont envoyés, combien de foisy ai-je voulu rassembler tes enfants à la manière dont une poule rassemble ses poussins sous ses ailes... et vous n’avez pas voulu !

x Voir 1 R 19.10, 14 ; Jr 26.20-23 ; 2 Ch 24.20-22 ; 1 Th 2.15 ; Ac 7.52 ; He 11.37, et les légendes juives apocryphes.

y Allusion à des visites réitérées à Jérusalem, dont les Synoptiques ne disent rien, mais que rapporte Jn.

38 Voici que votre maison va vous être laissée déserte.z

z Om. « déserte ». — Le texte fait ici allusion à la destruction du Temple en 70.

39 Je vous le dis, en effet, désormais vous ne me verrez plus, jusqu’à ce que vous disiez :
Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! »a

a Ces paroles, que Lc 13.35 semble rapporter à l’entrée du jour des Rameaux, se réfèrent sans doute, dans le contexte actuel de Mt, à un retour ultérieur du Christ, celui de la fin des temps. Les Juifs salueront ce retour, parce qu’ils se seront convertis, cf. Rm 11.25s.

2. DISCOURS ESCHATOLOGIQUES

La destruction du Temple.b

24 Comme Jésus sortait du Temple et s’en allait, ses disciples s’approchèrent pour lui faire voir les constructions du Temple.

b Le mot grec (Parousie), qui signifie « Présence », désignait dans le monde gréco-romain la visite officielle et solennelle d’un prince en quelque lieu. Les chrétiens l’ont adopté comme terme technique pour signifier la venue glorieuse du Christ, cf. 1 Co 15.23.

2 Mais il leur répondit : « Vous voyez tout cela, n’est-ce pas ? En vérité je vous le dis, il ne restera pas ici pierre sur pierre qui ne soit jetée bas. » 3 Et, comme il était assis sur le mont des Oliviers, les disciples s’approchèrent de lui, en particulier, et demandèrent : « Dis-nous quand cela aura lieu, et quel sera le signe de ton avènementc et de la fin de l’âge. »d

c Âge(s) du monde, en grec, aiôn, éon, époque, ère. L’idée sous-jacente est que, selon la pensée apocalyptique, l’histoire du salut était coupée par une série de périodes ou d’éons, par ex., de la création (Adam) à Abraham, d’Abraham à Moïse, de Moïse à David, de David à l’exil, de l’exil au Messie, cf. 1.1-14. La série des âges du monde n’était pas rigidement fixée. L’innovation des chrétiens était d’envisager deux venues du Messie, une en humilité, l’autre en gloire, avec le Royaume de Dieu dans sa plénitude. La première venue est déjà accomplie et inaugure la période de l’Église. La deuxième est réservée pour l’avenir, la parousie proprement dite. L’idée d’un deuxième retour du Christ est présente dans le NT, par ex., Jn 14.3, mais le langage explicite, ne se trouve pas avant saint Justin Martyr (deutera parousia).

d Avant 70, des aventuriers se firent passer pour le Messie.

Le commencement des douleurs.

4 Et Jésus leur répondit : « Prenez garde qu’on ne vous abuse. 5 Car il en viendra beaucoup sous mon nom, qui diront : « C’est moi le Christ »,e et ils abuseront bien des gens.

e Add. « pestes », cf. Lc 21.11.

6 Vous aurez aussi à entendre parler de guerres et de rumeurs de guerres ; voyez, ne vous alarmez pas : car il faut que cela arrive, mais ce n’est pas encore la fin. 7 On se dressera, en effet, nation contre nation et royaume contre royaume. Il y aura par endroits des faminesf et des tremblements de terre.g

f Cf. Isa 8.21 ; 13.13 ; 19.2 ; Jr 21.9 ; 34.17 ; Ez 5.12 ; Am 4.6-11 ; 8.8 ; 2 Ch 15.6.

g Cf. Isa 13.8 ; 26.17 ; 66.7 ; Jr 6.24 ; 13.21 ; Os 13.13 ; Mi 4.9-10. L’image fut appliquée par le judaïsme à la période de grande angoisse qui devait précéder la venue du règne messianique.

8 Et tout cela ne fera que commencer les douleurs de l’enfantement.

9 « Alors on vous livrera aux tourments et on vous tuera ; vous serez haïs de toutes les nations à cause de mon nom. 10 Et alors beaucoup succomberont ; ce seront des trahisons et des haines intestines. 11 Des faux prophètes surgiront nombreux et abuseront bien des gens. 12 Par suite de l’iniquité croissante, l’amour se refroidira chez le grand nombre. 13 Mais celui qui aura tenu bon jusqu’au bout, celui-là sera sauvé.h

h Les vv. 9-13 reprennent les thèmes de 10.17-22 (qui offre un parallèle littéral de Mc 13.9-13, Lc 21.12-19) mais en introduisant quelques éléments particuliers qui semblent faire écho à la persécution des chrétiens à Rome sous Néron après l’incendie de 64 (« haïs de tous les peuples à cause de mon Nom ») et aux « trahisons et haines intestines » parmi les victimes elle-mêmes (« l’amour se refroidira chez le grand nombre ») ; cf. Tacite, Ann. XV 44.

14 « Cette Bonne Nouvelle du Royaume sera proclamée dans le monde entier,i en témoignage à la face de toutes les nations. Et alors viendra la fin.j

i Le « monde habité » (oikoumenè), c’est-à-dire le monde gréco-romain. Il faut que tous les Juifs de l’Empire aient entendu la Bonne Nouvelle, cf. Ac 1.8 ; Rm 10.18. L’Évangile atteignit effectivement toutes les parties vitales de l’Empire romain dès avant la chute du Temple, cf. 1 Th 1.8 ; Rm 1.5, 8 ; Col 1.6, 23.

j C’est-à-dire, la fin de l’âge présent et l’arrivée du royaume de Dieu dans sa plénitude, dont un avant-signe est la chute de Jérusalem.

La grande tribulation de Jérusalem.

15 « Lors donc que vous verrez l’abomination de la désolation, dont a parlé le prophète Daniel, installée dans le saint lieuk (que le lecteur comprenne !),

k Daniel désignait par là, semble-t-il, un autel païen qu’Antiochus Épiphane dressa dans le Temple de Jérusalem (en 168 ; cf. 1 M 1.54). L’application évangélique se réalisa quand la Ville Sainte et son Temple furent investis, puis occupés, par les armées païennes de Rome, cf. Lc 21.20.

16 alors que ceux qui seront en Judée s’enfuient dans les montagnes, 17 que celui qui sera sur la terrasse ne descende pas dans sa maison pour prendre ses affaires, 18 et que celui qui sera aux champs ne retourne pas en arrière pour prendre son manteau ! 19 Malheur à celles qui seront enceintes et à celles qui allaiteront en ces jours-là ! 20 Priez pour que votre fuite ne tombe pas en hiver, ni un sabbat. 21 Car il y aura alors une grande tribulation, telle qu’il n’y en a pas eu depuis le commencement du monde jusqu’à ce jour, et qu’il n’y en aura jamais plus.l

l Cf. Ex 10.14 ; 11.6 ; Jr 30.7 ; Ba 2.2 ; Jl 2.2 ; Dn 12.1 ; 1 M 9.27 ; Ap 16.18.

22 Et si ces jours-là n’avaient été abrégés, nul n’aurait eu la vie sauve ; mais à cause des élus,m ils seront abrégés, ces jours-là.

m Ceux qui, parmi les Juifs, sont appelés à entrer dans le Royaume de Dieu le « petit Reste », cf. Isa 4.2 ; Rm 11.5-7.

23 « Alors si quelqu’un vous dit : « Voici : le Christ est ici ! » ou bien : « Il est là ! », n’en croyez rien. 24 Il surgira, en effet, des faux Christs et des faux prophètes, qui produiront de grands signes et des prodiges, au point d’abuser, s’il était possible, même les élus. 25 Voici que je vous ai prévenus.

L’avènement du Fils de l’homme sera manifeste.

26 « Si donc on vous dit : « Le voici au désert », n’y allez pas ; « Le voici dans les retraites », n’en croyez rien. 27 Comme l’éclair, en effet, part du levant et brille jusqu’au couchant, ainsi en sera-t-il de l’avènement du Fils de l’homme.n

n La venue du Messie sera évidente comme l’éclair. Pour une description, voir Ap 19.11-21. — L’éclair est un accompagnement classique des jugements divins, cf. Isa 29.6 ; 30.30 ; Za 9.14 ; Ps 97.4 ; etc.

28 Où que soit le cadavre, là se rassembleront les vautours.o

o Peut-être un proverbe exprimant la même idée de manifestation patente un cadavre, même caché dans le désert, est aussitôt signalé par le tournoiement des vautours.

Ampleur cosmique de cet avènement.

29 « Aussitôt après la tribulation de ces jours-là, le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, les étoiles tomberont du ciel, et les puissances des cieux seront ébranlées.p

p Cf. Jr 4.23-26 ; Ez 32.7s ; Am 8.9 ; Mi 1.3-4 ; Jl 2.10 ; 3.4 ; 4.15 et surtout Isa 13.9-10 ; 34.4, dont notre texte reprend les expressions. Les « puissances des cieux » sont les astres et les forces célestes en général.

30 Et alors apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l’homme ;q et alors toutes les races de la terre se frapperont la poitrine ; et l’on verra le Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel avec puissance et grande gloire.r

q Les Pères ont vu dans ce signe la Croix du Christ. Il pourrait s’agir du Christ lui-même.

r Daniel annonçait ainsi l’établissement du règne messianique par un Fils d’homme venant sur les nuées. — La nuée est le décor ordinaire des théophanies, dans l’AT, Ex 13.22 ; 19.16 ; 34.5 ; Lv 16.2 ; 1 R 8.10-11 ; Ps 18.12 ; 97.2 ; 104.3 ; Isa 19.1 ; Jr 4.13 ; Ez 1.4 ; 10.3s ; 2 M 2.8, comme dans le NT, 17.5 ; Ac 1.9, 11 ; 1 Th 4.17 ; Ap 1.7 ; 14.14.

31 Et il enverra ses anges avec une trompettes sonore, pour rassembler ses élus des quatre vents, des extrémités des cieux à leurs extrémités.t

s Add. « et une voix ».

t Formule combinée à l’aide de Za 2.10 et Dt 30.4, textes où il s’agit de réunir les dispersés d’Israël, cf. Ez 37.9 et Ne 1.9. Voir aussi Isa 27.13. Les « élus » sont donc ici, comme aux vv. 22 et 24, ceux des Juifs que Yahvé sauvera du désastre de leur peuple pour les admettre dans son Royaume, avec les païens, v. 30.

Parabole du figuier.

32 « Du figuier apprenez cette parabole. Dès que sa ramure devient flexible et que ses feuilles poussent, vous comprenez que l’été est proche. 33 Ainsi vous, lorsque vous verrez tout cela, comprenez qu’Il est proche,u aux portes.

u Le Fils de l’homme, venant instaurer son règne.

34 En vérité je vous le dis, cette génération ne passera pas que tout cela ne soit arrivé.v

v Cette affirmation concerne la ruine de Jérusalem et la fin du monde.

35 Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point. 36 Quant à la date de ce jour, et à l’heure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils,w personne que le Père, seul.

w Om. (Vulg.) « ni le Fils », sans doute par scrupule théologique. En tant qu’homme, le Christ a reçu du Père la connaissance de tout ce qui intéressait sa mission, mais il a pu ignorer certains points du plan divin, ainsi qu’il l’affirme ici formellement.

Veiller pour ne pas être surpris.

37 « Comme les jours de Noé, ainsi sera l’avènement du Fils de l’homme. 38 En ces jours qui précédèrent le déluge, on mangeait et on buvait, on prenait femme et mari, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche, 39 et les gens ne se doutèrent de rien jusqu’à l’arrivée du déluge, qui les emporta tous. Tel sera aussi l’avènement du Fils de l’homme. 40 Alors deux hommes seront aux champs : l’un est pris, l’autre laissé ; 41 deux femmes en train de moudre : l’une est prise, l’autre laissée.

42 « Veillez donc, parce que vous ne savez pas quel jourx va venir votre Maître.

x Vulg. « à quelle heure ». — Veiller, ce qui est proprement s’abstenir de sommeil, est l’attitude que Jésus recommande à ceux qui attendent sa venue, 25.13 ; Mc 13.33-37 ; Lc 12.35-40 ; 21.34-36. La vigilance, en cet état d’alerte, suppose une espérance ferme et exige une présence d’esprit sans relâche qui prend le nom de « sobriété », 1 Th 5.6-8 ; 1 P 5.8 ; cf. 1 P 1.13 ; 4.7.

43 Comprenez-le bien : si le maître de maison avait su à quelle heure de la nuit le voleur devait venir, il aurait veillé et n’aurait pas permis qu’on perçât le mur de sa demeure. 44 Ainsi donc, vous aussi, tenez-vous prêts, car c’est à l’heure que vous ne pensez pas que le Fils de l’homme va venir.

Parabole du majordome.y

45 « Quel est donc le serviteur fidèle et avisé que le maître a établi sur les gens de sa maison pour leur donner la nourriture en temps voulu ?

y Au discours qui annonce la ruine de Jérusalem et l’avènement ultime du Christ à la fin du monde, joint trois paraboles qui concernent les fins dernières des individus. — La première met en scène un serviteur du Christ chargé d’une fonction dans l’Église, comme furent les apôtres, et jugé sur la façon dont il a rempli sa mission.

46 Heureux ce serviteur que son maître en arrivant trouvera occupé de la sorte ! 47 En vérité je vous le dis, il l’établira sur tous ses biens. 48 Mais si ce mauvais serviteur dit en son cœur : « Mon maître tarde. » 49 Et qu’il se mette à frapper ses compagnons, à manger et à boire en compagnie des ivrognes, 50 le maître de ce serviteur arrivera au jour qu’il n’attend pas et à l’heure qu’il ne connaît pas ;

51 il le retrancheraz et lui assignera sa part parmi les hypocrites : là seront les pleurs et les grincements de dents.

z Mot obscur à prendre sans doute au sens métaphorique « il s’en séparera » par une sorte d’excommunication, cf. 18.17.

Parabole des dix vierges.a

25 « Alors il en sera du Royaume des Cieux comme de dix vierges qui s’en allèrent, munies de leurs lampes, à la rencontre de l’époux.b

a Les vierges représentent les âmes chrétiennes dans l’attente de leur époux, le Christ. Même s’il tarde, la lampe de leur vigilance doit rester prête.

b Add. « et de l’épouse ».

2 Or cinq d’entre elles étaient sottes et cinq étaient sensées. 3 Les sottes, en effet, prirent leurs lampes, mais sans se munir d’huile ; 4 tandis que les sensées, en même temps que leurs lampes, prirent de l’huile dans les fioles. 5 Comme l’époux se faisait attendre, elles s’assoupirent toutes et s’endormirent. 6 Mais à minuit un cri retentit : « Voici l’époux ! sortez à sa rencontre ! » 7 Alors toutes ces vierges se réveillèrent et apprêtèrent leurs lampes. 8 Et les sottes de dire aux sensées : « Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent. » 9 Mais celles-ci leur répondirent : « Il n’y en aurait sans doute pas assez pour nous et pour vous ; allez plutôt chez les marchands et achetez-en pour vous. » 10 Elles étaient parties en acheter quand arriva l’époux : celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces, et la porte se referma. 11 Finalement les autres vierges arrivèrent aussi et dirent : « Seigneur, Seigneur, ouvre-nous ! » 12 Mais il répondit : « En vérité je vous le dis, je ne vous connais pas ! » 13 Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure.

Parabole des talents.c

14 « C’est comme un homme qui, partant en voyage, appela ses serviteurs et leur remit sa fortune.

c Les chrétiens sont les serviteurs auxquels leur maître, Jésus, laisse le soin de faire fructifier ses dons pour le développement de son règne, et qui devront lui rendre compte de leur gestion. — La parabole des mines, Lc 19.12-27, présente des analogies de forme, mais comporte une leçon assez différente.

15 À l’un il donna cinq talents, deux à un autre, un seul à un troisième, à chacun selon ses capacités, et puis il partit. Aussitôt 16 celui qui avait reçu les cinq talents alla les faire produire et en gagna cinq autres. 17 De même celui qui en avait reçu deux en gagna deux autres. 18 Mais celui qui n’en avait reçu qu’un s’en alla faire un trou en terre et enfouit l’argent de son maître. 19 Après un long temps, le maître de ces serviteurs arrive et il règle ses comptes avec eux. 20 Celui qui avait reçu les cinq talents s’avança et présenta cinq autres talents : « Seigneur, dit-il, tu m’as remis cinq talents : voici cinq autres talents que j’ai gagnés. » — 21 « C’est bien, serviteur bon et fidèle, lui dit son maître, en peu de choses tu as été fidèle, sur beaucoup je t’établirai ; entre dans la joie de ton seigneur ».d

d Cette joie est celle du banquet céleste, 8.11, — « sur beaucoup je t’établirai » désigne la participation active au règne du Christ.

22 Vint ensuite celui qui avait reçu deux talents : « Seigneur, dit-il, tu m’as remis deux talents : voici deux autres talents que j’ai gagnés. » — 23 « C’est bien, serviteur bon et fidèle, lui dit son maître, en peu de choses tu as été fidèle, sur beaucoup je t’établirai ; entre dans la joie de ton seigneur ». 24 Vint enfin celui qui détenait un seul talent : « Seigneur, dit-il, j’ai appris à te connaître pour un homme âpre au gain : tu moissonnes où tu n’as point semé, et tu ramasses où tu n’as rien répandu. 25 Aussi, pris de peur, je suis allé enfouir ton talent dans la terre : le voici, tu as ton bien. » 26 Mais son maître lui répondit : « Serviteur mauvais et paresseux ! tu savais que je moissonne où je n’ai pas semé, et que je ramasse où je n’ai rien répandu ? 27 Eh bien ! tu aurais dû placer mon argent chez les banquiers, et à mon retour j’aurais recouvré mon bien avec un intérêt. 28 Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui a les dix talents. 29 Car à tout homme qui a, l’on donnera et il aura du surplus ; mais à celui qui n’a pas, on enlèvera ce qu’il a. 30 Et ce propre-à-rien de serviteur, jetez-le dehors, dans les ténèbres : là seront les pleurs et les grincements de dents. »

Le Jugement dernier.e

31 « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, escorté de tous les anges, alors il prendra place sur son trône de gloire.

e Cette puissante scène dramatique inclut des éléments paraboliques (le berger, les brebis et les boucs), mais on ne peut pas minimiser l’importance de ce texte en faisant une simple parabole ; pas plus qu’on ne peut le prendre pour une description « cinématographique » du jugement. L’accent du texte porte sur l’amour du prochain, valeur morale suprême (cf. < r="MAT25.22,34-40">22, 34-40). L’expression « les plus petits des frères » v. 40 désigne tous ceux qui sont dans le besoin, car le mot « frère » ne semble pas avoir ici le sens restrictif selon lequel il ne désignerait que les missionnaires chrétiens cf. Hénok 61.8 ; 62.25 ; 69.27. Contrairement à l’habitude de l’auteur, c’est le Fils qui est présenté comme juge et non Dieu le Père.

32 Devant lui seront rassemblées toutes les nations,f et il séparera les gens les uns des autres, tout comme le berger sépare les brebis des boucs.

f Tous les hommes de tous les temps. La résurrection des morts n’est pas mentionnée, mais doit être supposée, cf. 10.15 ; 11.22-24 ; 12.41s.

33 Il placera les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche. 34 Alors le Roi dira à ceux de droite : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. 35 Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais un étranger et vous m’avez accueilli, 36 nu et vous m’avez vêtu, malade et vous m’avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir. »g

g Les hommes sont jugés sur les œuvres de miséricorde (décrites de façon biblique, cf. Isa 58.7 ; Jb 22.6s ; Si 7.32s, etc.), non sur leurs actions exceptionnelles, cf. 7.22s.

37 Alors les justes lui répondront : « Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te désaltérer, 38 étranger et de t’accueillir, nu et de te vêtir, 39 malade ou prisonnier et de venir te voir ? » 40 Et le Roi leur fera cette réponse : « En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » 41 Alors il dira encore à ceux de gauche : « Allez loin de moi, maudits, dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges. 42 Car j’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger, j’ai eu soif et vous ne m’avez pas donné à boire, 43 j’étais un étranger et vous ne m’avez pas accueilli, nu et vous ne m’avez pas vêtu, malade et prisonnier et vous ne m’avez pas visité. » 44 Alors ceux-ci lui demanderont à leur tour : « Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé ou assoiffé, étranger ou nu, malade ou prisonnier, et de ne te point secourir ? » 45 Alors il leur répondra : « En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l’avez pas fait. » 46 Et ils s’en iront, ceux-ci à une peine éternelle, et les justes à une vie éternelle. »

VII. Passion et résurrection

Complot contre Jésus.

26 Et il advint, quand Jésus eut achevé tous ces discours, qu’il dit à ses disciples : 2 « La Pâque, vous le savez, tombe dans deux jours, et le Fils de l’homme va être livré pour être crucifié. »

3 Alors les grands prêtres et les anciens du peuple s’assemblèrent dans le palais du Grand Prêtre, qui s’appelait Caïphe, 4 et se concertèrent en vue d’arrêter Jésus par ruse et de le tuer. 5 Ils disaient toutefois : « Pas en pleine fête ; il faut éviter un tumulte parmi le peuple. »

L’onction à Béthanie.h

6 Comme Jésus se trouvait à Béthanie, chez Simon le lépreux,

h La femme est Marie, comme le précise Jn. L’épisode analogue raconté en Lc 7.36-50 est un peu différent.

7 une femme s’approcha de lui, avec un flacon d’albâtre contenant un parfum très précieux, et elle le versa sur sa tête, tandis qu’il était à table. 8 À cette vue les disciples furent indignés : « À quoi bon ce gaspillage ? dirent-ils ; 9 cela pouvait être vendu bien cher et donné à des pauvres. » 10 Jésus s’en aperçut et leur dit : « Pourquoi tracassez-vous cette femme ? C’est vraiment une « bonne œuvre »i qu’elle a accomplie pour moi.

i Les juifs divisaient les « bonnes œuvres » en « aumônes » et « actions charitables »; ces dernières étaient jugées supérieures et comprenaient, entre autres choses, l’ensevelissement des morts. La femme a donc fait une « œuvre » plus excellente que l’aumône, en pourvoyant à la sépulture du Christ.

11 Les pauvres, en effet, vous les aurez toujours avec vous, mais moi, vous ne m’aurez pas toujours. 12 Si elle a répandu ce parfum sur mon corps, c’est pour m’ensevelir qu’elle l’a fait. 13 En vérité je vous le dis, partout où sera proclamé cet Évangile, dans le monde entier, on redira aussi, à sa mémoire, ce qu’elle vient de faire. »

La trahison de Judas.

14 Alors l’un des Douze, appelé Judas Iscariote, se rendit auprès des grands prêtres 15 et leur dit : « Que voulez-vous me donner, et moi je vous le livrerai ? » Ceux-ci lui versèrent trente pièces d’argent.j

j Trente sicles (et non trente deniers, comme on dit souvent). C’était le prix fixé par la Loi pour la vie d’un esclave, Ex 21.32.

16 Et de ce moment il cherchait une occasion favorable pour le livrer.

Préparatifs du repas pascal.

17 Le premier jour des Azymes,k les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent : « Où veux-tu que nous te préparions de quoi manger la Pâque ? »

k Le « premier jour » de la semaine, où l’on mangeait des pains sans levain (azymes), cf. Ex 12.1 ; 23.14, était normalement celui qui suivait le repas pascal ; en nommant ainsi le jour précédent, les Synoptiques font preuve d’un usage plus large. Par ailleurs, il semble bien, d’après Jn 18.28 et d’autres détails de la Passion, que le repas pascal fut célébré cette année-là au soir du vendredi (ou « Parascève », 27.62 ; cf. Jn 19.14, 31, 42). La Cène de Jésus que les Synoptiques placent un jour plus tôt, au soir du jeudi, doit dès lors s’expliquer, soit par l’anticipation du rite dans une partie du peuple juif, soit plutôt par une anticipation voulue par Jésus lui-même ne pouvant célébrer la Pâque le lendemain, sinon en sa propre personne sur la Croix, Jn 19.36 ; 1 Co 5.7, Jésus aura institué son rite nouveau au cours d’un repas qui aura reçu par contrecoup les traits de la Pâque ancienne. L’opinion récente qui place la Cène au soir du mardi, selon le calendrier essénien, ne semble pas devoir être retenue. — Le 14 Nisan (jour du repas pascal) étant tombé un vendredi en 30 et en 33 ap. J.-C., les exégètes choisissent l’une ou l’autre de ces deux années pour celle de la mort du Christ, selon qu’ils placent son baptême en 28 ou en 29 et qu’ils assignent à son ministère une durée plus ou moins longue.

18 Il dit : « Allez à la ville, chez un tel, et dites-lui : « Le Maître te fait dire : Mon temps est proche, c’est chez toi que je vais faire la Pâque avec mes disciples ». » 19 Les disciples firent comme Jésus leur avait ordonné et préparèrent la Pâque.

Annonce de la trahison de Judas.

20 Le soir venu, il était à table avec les Douze. 21 Et tandis qu’ils mangeaient,l il dit : « En vérité je vous le dis, l’un de vous me livrera. »

l Il s’agit du premier service, qui précédait le repas pascal proprement dit.

22 Fort attristés, ils se mirent chacun à lui dire : « Serait-ce moi, Seigneur ? » 23 Il répondit : « Quelqu’un qui a plongé avec moi la main dans le plat, voilà celui qui va me livrer ! 24 Le Fils de l’homme s’en va selon qu’il est écrit de lui ; mais malheur à cet homme-là par qui le Fils de l’homme est livré ! Mieux eût valu pour cet homme-là de ne pas naître ! » 25 À son tour, Judas, celui qui allait le livrer, lui demanda : « Serait-ce moi, Rabbi ? » — « Tu l’as dit », répond Jésus.

Institution de l’Eucharistie.

26 Or, tandis qu’ils mangeaient,m Jésus prit du pain, le bénit, le rompit et le donna aux disciples en disant : « Prenez, mangez, ceci est mon corps. »

m On est arrivé au centre du repas pascal. C’est sur des gestes précis et solennels du rituel juif (bénédictions à Yahvé prononcées sur le pain et le vin) que Jésus greffe les rites sacramentels du culte nouveau qu’il instaure.

27 Puis, prenant une coupe, il rendit grâcesn et la leur donna en disant : « Buvez-en tous ;

n « Rendre grâces » traduit ici le verbe grec eucharistô, dont le substantif eucharistia, « action de grâces », a été adopté par le langage chrétien pour désigner la Sainte Cène.

28 car ceci est mon sang, le sang de l’alliance,o qui va être répandu pour une multitude en rémission des péchés.p

o Add. (Vulg.) « nouvelle », cf. Lc 22.20 ; 1 Co 11.25 ; Jr 31.31-34.

p Comme jadis, au Sinaï, le sang des victimes scella l’alliance de Yahvé avec son peuple, Ex 24.4-8 ; cf. Gn 15.1, de même sur la Croix le sang de la victime parfaite, Jésus, va sceller entre Dieu et les hommes l’alliance « nouvelle », cf. Lc 22.20, qu’ont annoncée les prophètes, Jr 31.31. Jésus s’attribue la mission de rédemption universelle assignée par Isaïe au « Serviteur de Yahvé », Isa 42.6 ; 49.6 ; 53.12, cf. Isa 42.1. Cf. He 8.8 ; 9.15 ; 12.24. L’idée de nouvelle alliance intervient aussi chez Paul, outre 1 Co 11.25, en divers contextes qui en révèlent la grande importance, 2 Co 3.4-6 ; Ga 3.15-20 ; 4.24.

29 Je vous le dis, je ne boirai plus désormais de ce produit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai avec vous, nouveau, dans le Royaume de mon Père. »q

q Allusion au banquet eschatologique, cf. 8.11 ; 22.1s. C’en est fini des repas terrestres de Jésus avec ses disciples.

Prédiction du reniement de Pierre.

30 Après le chant des psaumes,r ils partirent pour le mont des Oliviers.

r Les psaumes du Hallel, Ps 113-118, dont la récitation clôturait le repas pascal.

31 Alors Jésus leur dit : « Vous tous, vous allez succombers à cause de moi, cette nuit même. Il est écrit en effet : Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées.

s Scandale religieux de voir succomber sans résistance celui qu’ils tiennent pour le Messie, 16.16, et dont ils attendent le triomphe prochain, 20.21s. Les disciples y perdront pour un moment leur courage et même leur foi, cf. Lc 22.31-32 ; Jn 16.1.

32 Mais après ma résurrection je vous précéderai en Galilée. » 33 Prenant la parole, Pierre lui dit : « Si tous succombent à cause de toi, moi je ne succomberai jamais. » 34 Jésus lui répliqua : « En vérité je te le dis : cette nuit même, avant que le coq chante, tu m’auras renié trois fois. » 35 Pierre lui dit : « Dussé-je mourir avec toi, non, je ne te renierai pas. » Et tous les disciples en dirent autant.

À Gethsémani.

36 Alors Jésus parvient avec eux à un domaine appelé Gethsémani,t et il dit aux disciples : « Restez ici, tandis que je m’en irai prier là-bas. »

t Le nom signifie « pressoir à huile ». Lieu situé dans la vallée du Cédron, au pied du mont des Oliviers.

37 Et prenant avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à ressentir tristesse et angoisse. 38 Alors il leur dit : « Mon âme est triste à en mourir,u demeurez ici et veillez avec moi. »

u Expression dont la forme littéraire évoque Ps 42.6 ; Ps 42.6-12, 43.5 et Jon 4.9.

39 Étant allé un peu plus loin, il tomba face contre terre en faisant cette prière : « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux. »v

v Jésus ressent dans toute sa force l’effroi que la mort inspire à l’homme ; il éprouve et exprime le désir naturel d’y échapper, tout en le réprimant par l’acceptation de la volonté du Père. Cf. 4.1.

40 Il vient vers les disciples et les trouve en train de dormir ; et il dit à Pierre : « Ainsi, vous n’avez pas eu la force de veiller une heure avec moi ! 41 Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation : l’esprit est ardent, mais la chair est faible. » 42 À nouveau, pour la deuxième fois, il s’en alla prier : « Mon Père, dit-il, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite ! » 43 Puis il vint et les trouva à nouveau en train de dormir ; car leurs yeux étaient appesantis.

44 Il les laissa et s’en alla de nouveau prier une troisième fois, répétant les mêmes paroles. 45 Alors il vient vers les disciples et leur dit : « Désormais vous pouvez dormir et vous reposer :w voici toute proche l’heure où le Fils de l’homme va être livré aux mains des pécheurs.

w Blâme revêtu d’une douce ironie L’heure est passée, où vous auriez dû veiller avec moi. Le moment de l’épreuve est arrivé et Jésus y entrera seul les disciples peuvent dormir, s’ils le veulent...

46 Levez-vous ! Allons ! Voici tout proche celui qui me livre. »

L’arrestation de Jésus.

47 Comme il parlait encore, voici Judas, l’un des Douze, et avec lui une bande nombreuse armée de glaives et de bâtons, envoyée par les grands prêtres et les anciens du peuple. 48 Or le traître leur avait donné ce signe : « Celui à qui je donnerai un baiser, c’est lui ; arrêtez-le. » 49 Et aussitôt il s’approcha de Jésus en disant : « Salut, Rabbi ! », et il lui donna un baiser. 50 Mais Jésus lui dit : « Ami, fais ta besogne. »x Alors, s’avançant, ils mirent la main sur Jésus et l’arrêtèrent.

x Littéralement « Ami, ce pour quoi tu es ici ». Plutôt qu’une question (« Pourquoi es-tu ici ? ») ou un reproche (« Que fais-tu là ! »), on peut reconnaître ici une expression stéréotypée, qui veut dire « (fais) ce pour quoi tu es ici », « sois à ton affaire ». Jésus coupe court à des compliments hypocrites c’est l’heure de passer aux actes, cf. Jn 13.27.

51 Et voilà qu’un des compagnons de Jésus, portant la main à son glaive, le dégaina, frappa le serviteur du Grand Prêtre et lui enleva l’oreille. 52 Alors Jésus lui dit : « Rengaine ton glaive ; car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive. 53 Penses-tu donc que je ne puisse faire appel à mon Père, qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d’anges ? 54 Comment alors s’accompliraient les Écritures d’après lesquelles il doit en être ainsi ? » 55 À ce moment-là Jésus dit aux foules : « Suis-je un brigand, que vous vous soyez mis en campagne avec des glaives et des bâtons pour me saisir ? Chaque jour j’étais assis dans le Temple, à enseigner,y et vous ne m’avez pas arrêté. »

y Var. (Vulg.) « j’étais assis parmi vous dans le Temple », cf. Mc 14.49.

56 Or tout ceci advint pour que s’accomplissent les Écritures des prophètes. Alors les disciples l’abandonnèrent tous et prirent la fuite.

Jésus devant le Sanhédrin.

57 Ceux qui avaient arrêté Jésus l’emmenèrent chez Caïphe le Grand Prêtre, où se réunirent les scribes et les anciens. 58 Quant à Pierre, il le suivait de loin, jusqu’au palais du Grand Prêtre ; il pénétra à l’intérieur et s’assit avec les valets, pour voir le dénouement.

59 Or, les grands prêtres et le Sanhédrin tout entier cherchaient un faux témoignage contre Jésus, en vue de le faire mourir ; 60 et ils n’en trouvèrent pas, bien que des faux témoins se fussent présentés en grand nombre. Finalement il s’en présenta deux, 61 qui déclarèrent : « Cet homme a dit : Je puis détruire le Sanctuaire de Dieu et le rebâtir en trois jours. »z

z En fait Matthieu a annoncé la destruction du Temple et du culte juif qu’il symbolise, 24, et la substitution d’un Temple nouveau d’abord son propre corps, ressuscité après trois jours, 16.21 ; 17.23 ; 20.19 ; Jn 2.19-22, et ultérieurement l’Église, 16.18.

62 Se levant alors, le Grand Prêtre lui dit : « Tu ne réponds rien ? Qu’est-ce que ces gens attestent contre toi ? »a

a Vulg. ne voit ici qu’une seule question « Tu ne réponds rien à ce que ces gens attestent contre toi ? »

63 Mais Jésus se taisait. Le Grand Prêtre lui dit : « Je t’adjure par le Dieu Vivant de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu. » —

64 « Tu l’as dit, lui dit Jésus. D’ailleurs je vous le déclare dorénavant, vous verrez le Fils de l’homme siégeant à droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel. »b

b « La Puissance » est un équivalent de « Yahvé ». Jésus, renonçant en cet instant suprême à sa consigne du « secret messianique », cf. Mc 1.34, reconnaît catégoriquement qu’il est le Messie, ainsi qu’il l’avait déjà fait confesser à ses intimes, 16.16 ; mais il se dévoile davantage en se donnant, non comme le Messie humain traditionnel, mais comme le « Seigneur » du Ps 110, cf. 22.41s, et le personnage mystérieux, d’origine céleste, entrevu par Daniel, cf. 8.20. On ne le verra plus désormais que dans sa gloire, d’abord par le triomphe de la Résurrection, ensuite par celui du Royaume. Cf. 23.39 ; 24.30.

65 Alors le Grand Prêtre déchira ses vêtements en disant : « Il a blasphémé !c qu’avons-nous encore besoin de témoins ? Là, vous venez d’entendre le blasphème !

c Le « blasphème » de Jésus consistait, non à se donner comme le Messie, mais à revendiquer la dignité du rang divin.

66 Qu’en pensez-vous ? » Ils répondirent : « Il est passible de mort. »

67 Alors ils lui crachèrent au visage et le giflèrent ; d’autres lui donnèrent des coups 68 en disant : « Fais le prophète, Christ, dis-nous qui t’a frappé. »d

d La rédaction de est maladroite car, n’étant pas voilé comme en Lc 22.63, Jésus peut désigner sans difficulté qui l’a frappé. L’important est qu’il est moqué comme « prophète », à cause de sa parole sur le Temple, et peut-être plus précisément comme « Messie-Prophète » (cette interpellation de Jésus par le vocatif « Christ » est unique dans les évangiles), c’est-à-dire comme prétendu Grand Prêtre eschatologique qui veut établir un nouveau Temple.

Reniements de Pierre.

69 Cependant Pierre était assis dehors, dans la cour. Une servante s’approcha de lui en disant : « Toi aussi, tu étais avec Jésus le Galiléen. » 70 Mais lui nia devant tout le monde en disant : « Je ne sais pas ce que tu dis. » 71 Comme il s’était retiré vers le porche, une autre le vit et dit à ceux qui étaient là : « Celui-là était avec Jésus le Nazôréen. »e

e Var. (Vulg.) « Nazarénien ».

72 Et de nouveau il nia avec serment : « Je ne connais pas cet homme. » 73 Peu après, ceux qui se tenaient là s’approchèrent et dirent à Pierre : « Sûrement, toi aussi, tu en es : et d’ailleurs ton langagef te trahit. »

f Le dialecte galiléen.

74 Alors il se mit à jurer avec force imprécations : « Je ne connais pas cet homme. » Et aussitôt un coq chanta. 75 Et Pierre se souvint de la parole que Jésus avait dite : « Avant que le coq chante, tu m’auras renié trois fois. » Et, sortant dehors, il pleura amèrement.

Jésus conduit devant Pilate.

27 Le matin étant arrivé, tous les grands prêtres et les anciens du peuple tinrent un conseil contre Jésus, en sorte de le faire mourir. 2 Et, après l’avoir ligoté, ils l’emmenèrent et le livrèrent à Pilateg le gouverneur.

g Var. « Ponce Pilate ». — Cf. Lc 3.1. Rome s’étant réservé, en Judée comme dans toutes les provinces de l’Empire, le droit de mettre à mort, les juifs devaient recourir à ce gouverneur pour obtenir confirmation et exécution de leur propre sentence.

Mort de Judas.

3 Alors Judas, qui l’avait livré, voyant qu’il avait été condamné, fut pris de remords et rapporta les trente pièces d’argent aux grands prêtres et aux anciens : 4 « J’ai péché, dit-il, en livrant un sang innocent. »h Mais ils dirent : « Que nous importe ? À toi de voir. »

h Var. « sang juste », cf. 23.35.

5 Jetant alors les pièces dans le sanctuaire, il se retira et s’en alla se pendre. 6 Ayant ramassé l’argent, les grands prêtres dirent : « Il n’est pas permis de le verser au trésor, puisque c’est le prix du sang. » 7 Après délibération, ils achetèrent avec cet argent le « champ du potier » comme lieu de sépulture pour les étrangers. 8 Voilà pourquoi ce champ-là s’est appelé jusqu’à ce jour le « Champ du Sang ».i

i En araméen Haqeldama (cf. Ac 1.19 et ici Vulg.). Une tradition très ancienne et probablement authentique place ce lieu dans la vallée de Hinnom.

9 Alors s’accomplit l’oracle de Jérémiej le prophète : Et ils prirent les trente pièces d’argent, le prix du Précieux qu’ont apprécié des fils d’Israël,

j Om. « Jérémie ». Il s’agit en fait d’une citation libre de Za 11.12-13, combinée avec l’idée de l’achat d’un champ suggérée par Jr 32.6-15. Ceci, joint au fait que Jérémie parle des potiers, 18.2s, qui se trouvaient dans la région de Haqeldama, 19.1s, explique que tout le texte ait pu lui être attribué par approximation.

10 et ils les donnèrent pour le champ du potier, ainsi que me l’a ordonné le Seigneur.k

k Yahvé se plaignait de n’avoir reçu des Israélites, en la personne de son prophète Zacharie, qu’un salaire dérisoire ; la vente de Jésus pour le même prix de misère paraît à réaliser cet oracle prophétique.

Jésus devant Pilate.

11 Jésus fut amené en présence du gouverneur et le gouverneur l’interrogea en disant : « Tu es le Roi des Juifs ? » Jésus répliqua : « Tu le dis. »l

l Par ces mots Jésus reconnaît comme exact, du moins en un certain sens, ce qu’il n’aurait cependant pas dit lui-même. Voir déjà 26.25, 64 ; et cf. Jn 18.33-37.

12 Puis, tandis qu’il était accusé par les grands prêtres et les anciens, il ne répondit rien. 13 Alors Pilate lui dit : « N’entends-tu pas tout ce qu’ils attestent contre toi ? » 14 Et il ne lui répondit sur aucun point, si bien que le gouverneur était fort étonné.

15 À chaque Fête, le gouverneur avait coutume de relâcher à la foule un prisonnier, celui qu’elle voulait. 16 On avaitm alors un prisonnier fameux, nommé Barabbas.n

m Vulg. « Il avait ».

n Ici et au v. 17, var. « Jésus Barabbas », ce qui donne à la question de Pilate un tour frappant, mais cette précision semble venir d’une tradition apocryphe.

17 Pilate dit donc aux gens qui se trouvaient rassemblés : « Lequel voulez-vous que je vous relâche, Barabbas, ou Jésus que l’on appelle Christ ? » 18 Il savait bien que c’était par jalousie qu’on l’avait livré.

19 Or, tandis qu’il siégeait au tribunal, sa femme lui fit dire : « Ne te mêle point de l’affaire de ce juste ; car aujourd’hui j’ai été très affectée dans un songe à cause de lui. »

20 Cependant, les grands prêtres et les anciens persuadèrent aux foules de réclamer Barabbas et de perdre Jésus. 21 Prenant la parole, le gouverneur leur dit : « Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche ? » Ils dirent : « Barabbas. » 22 Pilate leur dit : « Que ferai-je donc de Jésus que l’on appelle Christ ? » Ils disent tous : « Qu’il soit crucifié ! » 23 Il reprit : « Quel mal a-t-il donc fait ? » Mais ils criaient plus fort : « Qu’il soit crucifié ! » 24 Voyant alors qu’il n’aboutissait à rien, mais qu’il s’ensuivait plutôt du tumulte, Pilate prit de l’eau et se lava les mainso en présence de la foule, en disant : « Je ne suis pas responsable de ce sang ;p à vous de voir ! »

o Geste expressif, et que les Juifs durent bien comprendre, cf. Dt 21.6s ; Ps 26.6 ; 73.13.

p Var. « du sang de ce juste ».

25 Et tout le peuple répondit : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants ! »q

q Expression biblique traditionnelle, 2 S 1.16 ; 3.29 ; AC 5.28 ; 18.6, par laquelle le peuple accepte la responsabilité de la condamnation qu’il réclame.

26 Alors il leur relâcha Barabbas ; quant à Jésus, après l’avoir fait flageller,r il le livra pour être crucifié.

r Prélude normal à la crucifixion chez les Romains.

Le couronnement d’épines.

27 Alors les soldats du gouverneur prirent avec eux Jésus dans le Prétoires et ameutèrent sur lui toute la cohorte.

s Le Prétoire, c’est-à-dire la résidence du Préteur, doit être l’ancien palais du roi Hérode le Grand, où s’installait régulièrement le procurateur quand il montait de Césarée à Jérusalem. Ce palais, sis à l’ouest de la ville, à l’emplacement de l’actuelle citadelle, était distinct de la résidence familiale des Asmonéens, qui était proche du Temple et où Hérode Antipas reçut Jésus envoyé chez lui par Pilate. Lc 23.7-12. Certains cherchent le Prétoire dans la forteresse Antonia, au nord du Temple. Mais cette localisation ne s’accorde ni avec les habitudes des procurateurs, telles que nous les font connaître les anciens textes, ni avec l’usage du mot « prétoire », qui ne peut se déplacer ainsi, ni avec les mouvements de Pilate et de la foule juive dans les récits évangéliques de la Passion, surtout celui de saint Jean.

28 L’ayant dévêtu, ils lui mirent une chlamyde écarlate,t

t Manteau de soldat romain (sagum). Sa couleur rouge va évoquer par dérision la pourpre royale.

29 puis, ayant tressé une couronne avec des épines, ils la placèrent sur sa tête, avec un roseau dans sa main droite. Et, s’agenouillant devant lui, ils se moquèrent de lui en disant : « Salut, roi des Juifs ! »u

u Les Juifs s’étaient moqués de Jésus comme « Prophète », 26.68, les Romains se moquent de lui comme « Roi » ces deux scènes reflètent bien les deux aspects, religieux et politique, du procès de Jésus.

30 et, crachant sur lui, ils prenaient le roseau et en frappaient sa tête. 31 Puis, quand ils se furent moqués de lui, ils lui ôtèrent la chlamyde, lui remirent ses vêtements et l’emmenèrent pour le crucifier.

Le crucifiement.

32 En sortant, ils trouvèrent un homme de Cyrène, nommé Simon, et le requirent pour porter sa croix. 33 Arrivés à un lieu dit Golgotha,v c’est-à-dire lieu dit du Crâne,

v Transcription du mot araméen Goulgoltha, « lieu du Crâne », en latin Calvaria (d’où « Calvaire »).

34 ils lui donnèrent à boire du vin mêlé de fiel ;w il en goûta et n’en voulut point boire.

w Breuvage enivrant que des femmes juives compatissantes, cf. Lc 23.27s, avaient coutume d’offrir aux suppliciés pour atténuer leurs souffrances. En fait ce vin était plutôt mêlé de « myrrhe », cf. Mc 15.23, le « fiel » étant dû chez à une réminiscence du Ps 69.22 (de même que la corr. de « vin » en « vinaigre » de la recension antiochienne). Jésus refuse ce stupéfiant.

35 Quand ils l’eurent crucifié, ils se partagèrent ses vêtements en tirant au sort.x

x Add. « pour que s’accomplît l’oracle du prophète « Ils se sont partagé mes vêtements, et ma robe, ils l’ont tirée au sort » (Ps 22.19), glose empruntée à Jn 19.24.

36 Puis, s’étant assis, ils restaient là à le garder.

37 Ils placèrent aussi au-dessus de sa tête le motif de sa condamnation ainsi libellé : « Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs. » 38 Alors sont crucifiés avec lui deux brigands, l’un à droite et l’autre à gauche.

Jésus en croix raillé et outragé.

39 Les passants l’injuriaient en hochant la tête 40 et disant : « Toi qui détruis le Sanctuaire et en trois jours le rebâtis, sauve-toi toi-même, si tu es fils de Dieu, et descends de la croix ! » 41 Pareillement les grands prêtres se gaussaient et disaient avec les scribes et les anciens : 42 « Il en a sauvé d’autres et il ne peut se sauver lui-même ! Il est roi d’Israël : qu’il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui ! 43 Il a compté sur Dieu ; que Dieu le délivre maintenant, s’il s’intéresse à lui ! Il a bien dit : Je suis fils de Dieu ! » 44 Même les brigands crucifiés avec lui l’outrageaient de la sorte.

La mort de Jésus.

45 À partir de la sixième heure, l’obscurité se fit sur toute la terre, jusqu’à la neuvième heure.y

y De midi à trois heures après midi.

46 Et vers la neuvième heure, Jésus clama en un grand cri : « Éli, Éli, lema sabachtani ? » , c’est-à-dire : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »z

z Cri de réelle détresse mais non de désespoir cette plainte empruntée à l’Écriture est une prière à Dieu et elle est suivie dans le Ps par l’assurance joyeuse du triomphe final.

47 Certains de ceux qui se tenaient là disaient en l’entendant : « Il appelle Élie, celui-ci ! »a

a Méchant jeu de mots, fondé sur l’attente d’Élie comme précurseur du Messie, cf. 17.10-13, ou sur la croyance juive qu’il venait au secours des justes dans le besoin.

48 Et aussitôt l’un d’eux courut prendre une éponge qu’il imbiba de vinaigreb et, l’ayant mise au bout d’un roseau, il lui donnait à boire.

b Boisson acidulée dont usaient les soldats romains. Le geste fut sans doute compatissant, cf. Jn 19.28s ; les Synoptiques l’ont tenu pour malveillant, Lc 23.36, et l’ont décrit en des termes qui évoquent Ps 69.22.

49 Mais les autres lui dirent : « Laisse ! que nous voyions si Élie va venir le sauver ! » 50 Or Jésus, poussant de nouveau un grand cri, rendit l’esprit.

51 Et voilà que le voile du Sanctuairec se déchira en deux, du haut en bas ; la terre trembla, les rochers se fendirent,d

c Soit la tenture qui fermait le Saint, soit plutôt celle qui séparaît le Saint et le Saint des Saints, cf. Ex 26.31s. À la suite de He 9.12 ; 10.20, la tradition chrétienne a vu dans cette déchirure du voile la suppression de l’ancien culte mosaïque et l’accès ouvert par le Christ au sanctuaire eschatologique.

d Ces manifestations extraordinaires, comme déjà les ténèbres du v. 45, étaient annoncées par les prophètes comme des signes caractéristiques du « Jour de Yahvé », cf. Am 8.9.

52 les tombeaux s’ouvrirent et de nombreux corps de saints trépassés ressuscitèrent : 53 ils sortirent des tombeaux après sa résurrection, entrèrent dans la Ville sainte et se firent voir à bien des gens.e

e Cette résurrection de justes de l’AT est un signe de l’ère eschatologique (Isa 26.19 ; Ez 37 ; Dn 12.2). Libérés de l’Hadès par la mort du Christ, cf. 16.18, ils attendent sa résurrection pour entrer avec lui dans la Ville sainte, c’est-à-dire Jérusalem. On a ici une des premières expressions de la foi à la délivrance des morts par la descente du Christ aux enfers, cf. 1 P 3.19.

54 Quant au centurion et aux hommes qui avec lui gardaient Jésus, à la vue du séisme et de ce qui se passait, ils furent saisis d’une grande frayeur et dirent : « Vraiment celui-ci était fils de Dieu ! »

55 Il y avait là de nombreuses femmes qui regardaient à distance, celles-là même qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée et le servaient, 56 entre autres Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zébédée.

L’ensevelissement.

57 Le soir venu, il vint un homme riche d’Arimathie, du nom de Joseph, qui s’était fait, lui aussi, disciple de Jésus. 58 Il alla trouver Pilate et réclama le corps de Jésus. Alors Pilate ordonna qu’on le lui remît. 59 Joseph prit donc le corps, le roula dans un linceul propre 60 et le mit dans le tombeau neuff qu’il s’était fait tailler dans le roc ; puis il roula une grande pierre à l’entrée du tombeau et s’en alla.

f Linceul « propre » et tombeau « neuf » soulignent la piété de l’ensevelissement ; le deuxième trait explique aussi qu’il ait été possible, car le cadavre d’un supplicié ne pouvait être déposé dans un tombeau déjà occupé, où il aurait souillé des ossements de justes.

61 Or il y avait là Marie de Magdala et l’autre Marie, assises en face du sépulcre.

La garde du tombeau.

62 Le lendemain, c’est-à-dire après la Préparation,g les grands prêtres et les Pharisiens se rendirent en corps chez Pilate

g En grec « Parascève ». Ce terme s’appliquait au vendredi, jour où se faisaient les préparatifs du sabbat. Cf. Jn 19.14. Sur le problème de la chronologie, voir 26.17.

63 et lui dirent : « Seigneur, nous nous sommes souvenus que cet imposteur a dit, de son vivant : « Après trois jours je ressusciterai ! » 64 Commande donc que le sépulcre soit tenu en sûreté jusqu’au troisième jour, pour éviter que ses disciples ne viennent le dérober et ne disent au peuple : « Il est ressuscité des morts ! » Cette dernière imposture serait pire que la première. » 65 Pilate leur répondit : « Vous avez une garde ;h allez et prenez vos sûretés comme vous l’entendez. »

h Ou bien « Utilisez vos gardes », cf. Lc 22.4 ; ou bien « Je mets une garde à votre disposition », cf. Jn 18.3.

66 Ils allèrent donc et s’assurèrent du sépulcre, en scellant la pierre et en postant une garde.

Le tombeau vide. Message de l’Ange.

28 Après le jour du sabbat,i comme le premier jour de la semaine commençait à poindre, Marie de Magdala et l’autre Mariej vinrent visiterk le sépulcre.

i Et non « Au soir du Sabbat » (Vulg.). — Le sabbat étant le jour du repos, le « premier jour de la semaine » juive correspond à notre « dimanche », Ap 1.10, c’est-à-dire « jour du Seigneur », ainsi nommé en mémoire de la Résurrection. Cf. Ac 20.7 ; 1 Co 16.2.

j C’est-à-dire « Marie de Jacques », Mc 16.1 ; Lc 24.10 ; cf. 27.56, 61.

k Le tombeau étant scellé et gardé, les femmes ne songent pas à oindre le corps de Jésus, comme chez Mc et Lc, mais veulent seulement « visiter » le tombeau.

2 Et voilà qu’il se fit un grand tremblement de terre : l’Ange du Seigneur descendit du ciel et vint rouler la pierre, sur laquelle il s’assit. 3 Il avait l’aspect de l’éclair, et sa robe était blanche comme neige. 4 À sa vue, les gardes tressaillirent d’effroi et devinrent comme morts. 5 Mais l’ange prit la parole et dit aux femmes : « Ne craignez point, vous : je sais bien que vous cherchez Jésus, le Crucifié. 6 Il n’est pas ici, car il est ressuscité comme il l’avait dit. Venez voir le lieu où ill gisait,

l « il »; var. « le Seigneur ».

7 et vite allez dire à ses disciples : « Il est ressuscité d’entre les morts, et voilà qu’il vous précède en Galilée ; c’est là que vous le verrez. » Voilà, je vous l’ai dit. » 8 Quittant vite le tombeau,m tout émues et pleines de joie, elles coururent porter la nouvelle à ses disciples.

m Var. « Sortant vite du tombeau », cf. Mc 16.8.

L’apparition aux saintes femmes.

9 Et voici que Jésus vint à leur rencontre : « Je vous salue », dit-il. Et elles de s’approcher et d’étreindre ses pieds en se prosternant devant lui. 10 Alors Jésus leur dit : « Ne craignez point ; allez annoncer à mes frères qu’ils doivent partir pour la Galilée, et là ils me verront. »n

n S’ils sont d’accord pour rapporter l’apparition initiale de l’Ange (ou des Anges) aux femmes, 28.5-7 ; Mc 16.5-7 ; Lc 24.4-7 ; Jn 20.13, les quatre évangiles divergent en ce qui concerne les apparitions de Jésus lui-même. Mc mis à part, dont la conclusion abrupte pose un problème spécial, cf. Mc 16.8, et dont la finale longue récapitule les données des autres évangiles, on observe chez tous une distinction littérairement et doctrinalement marquée entre : 1° des apparitions privées servant à prouver la Résurrection à Marie-Magdeleine, seule, Jn 20.14-17 ; cf. Mc 16.9, ou accompagnée, 28.9-10 ; aux disciples d’Emmaüs, Lc 24.13-32 ; cf. Mc 16.12, à Simon, Lc 24.34, à Thomas, Jn 20.26-29 ; 2° une apparition collective avec mission apostolique, 28.16-20 ; Lc 24.36-49 ; Jn 20.19-23 ; cf. Mc 16.14-18. On remarque d’autre part deux traditions dans la localisation en Galilée seulement, Mc 16.7 ; 28.10, 16-20 ; en Judée seulement, Lc et Jn 20 ; Jn 21 ajoute, par mode d’appendice, une apparition en Galilée qui, tout en portant un caractère privé (surtout à Pierre et Jean), s’accompagne d’une mission (à Pierre). Le kérygme ancien que Paul récite en 1 Co 15.3-7 énumère cinq apparitions (auxquelles s’ajoute l’apparition à Paul lui-même), qui ne se laissent pas facilement harmoniser avec les récits évangéliques ; il mentionne en particulier une apparition à Jacques qui est également racontée par l’Évangile aux Hébreux. On sent là des traditions différentes, dues à des groupes divers qu’il est difficile de préciser. Mais leurs divergences mêmes attestent mieux qu’une uniformité artificiellement construite le caractère ancien et historique de ces multiples manifestations du Christ ressuscité.

Supercherie des chefs juifs.

11 Tandis qu’elles s’en allaient, voici que quelques hommes de la garde vinrent en ville rapporter aux grands prêtres tout ce qui s’était passé. 12 Ceux-ci tinrent une réunion avec les anciens et, après avoir délibéré, ils donnèrent aux soldats une forte somme d’argent, 13 avec cette consigne : « Vous direz ceci : « Ses disciples sont venus de nuit et l’ont dérobé tandis que nous dormions. »

14 Que si l’affaire vient aux oreilles du gouverneur, nous nous chargeons de l’amadouer et de vous épargner tout ennui. » 15 Les soldats, ayant pris l’argent, exécutèrent la consigne, et cette histoire s’est colportée parmi les Juifs jusqu’à ce jour.

Apparition en Galilée et mission universelle.

16 Quant aux onze disciples, ils se rendirent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait donné rendez-vous. 17 Et quand ils le virent, ils se prosternèrent ; d’aucuns cependant doutèrent.o

o Autre traduction, moins autorisée par la grammaire « eux qui avaient douté ». — Sur ces doutes que doit mentionner ici, faute d’avoir raconté une autre apparition aux disciples, cf. Mc 16.11, 14 ; Lc 24.11, 41 ; Jn 20.24-29.

18 S’avançant, Jésus leur dit ces paroles :p « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre.

p En ces dernières instructions de Jésus, avec la promesse qui les suit, se trouve condensée la mission de l’Église apostolique. Le Christ glorifié exerce aussi bien sur la terre qu’au ciel, 6.10 ; cf. Jn 17.2 ; Ph 2.10 ; Ap 12.10, le pouvoir sans limites, 7.29 ; 9.6 ; 21.23 ; etc., qu’il a reçu de son Père, cf. Jn 3.35. Ses disciples exerceront « donc » ce pouvoir en son nom par le baptême et la formation des chrétiens. Leur mission est universelle après avoir été annoncé d’abord au peuple d’Israël, 10.5s ; 15.24, comme le comportait le plan divin, le salut doit être désormais offert à toutes les nations, 8.11 ; 21.41 ; 22.8-10 ; 24.14, 30s ; 25.32 ; 26.13 ; cf. Ac 1.8 ; 13.5 ; Rm 1.16. Dans cette œuvre de conversion universelle, si longue et laborieuse qu’elle puisse être, le Ressuscité sera vivant et agissant avec les siens.

19 Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit,q

q Il est possible que cette formule se ressente, dans sa précision, de l’usage liturgique établi plus tard dans la communauté primitive. On sait que les Actes parlent de baptiser « au nom de Jésus », cf. Ac 1.5, 2.38. Plus tard on aura explicité le rattachement du baptisé aux trois personnes de la Trinité. Quoi qu’il en soit de ces variations possibles, la réalité profonde reste la même. Le baptême rattache à la personne de Jésus Sauveur ; or toute son œuvre de salut procède de l’amour du Père et s’achève dans l’effusion de l’Esprit.

20 et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin de l’âge. »r

r « la fin de l’âge » la formule revient cinq fois chez Matthieu (13.39, 40, 49 ; 24.3 et ici, voir aussi He 9.26 ; 12.32) ; elle ne signifie pas la fin du monde, de la terre, voir 2 P 3.10, mais plutôt la fin de l’époque actuelle de l’histoire du salut, l’âge de l’Église ; on peut comprendre cette expression comme une allusion discrète à un schéma apocalyptique de l’histoire du salut, qui comprend sept âges du monde, chacun comptant mille ans (chiffre symbolique représentant un temps long). Ce schéma, qui combine les sept jours de la création (Gn 1) avec l’idée qu’un jour, devant le Seigneur, est comme mille ans (2 P 3.8 ; Ps 90.4), va d’Adam à Noé, de Noé à Abraham, d’Abraham à David, de David à l’Exil, de l’Exil au Christ et du Christ à son retour glorieux. On trouve un extrait de ce schéma dans la généalogie de Jésus, 1.17. Voir 24.3, note.